Évaluation et choix des systèmes de transport
L’évaluation consiste à déterminer et à estimer l’importance et/ou la valeur d’un projet qui a pour but la construction d’un bien ou la mise en place d’un service. Sa finalité est de permettre de faire un choix entre plusieurs projets ou de décider de l’utilité ou non de réaliser un projet ou de le continuer.
En ce qui concerne l’évaluation, celle-ci se décompose en quatre catégories :
➤ Évaluation des impacts (ou opérationnelle) : une analyse de l’ensemble des impacts observés ou attendus par l’entremise du projet. Elle peut consister à mesurer les effets du projet sur la sécurité, sur l’environnement (pollution, bruit), sur le trafic (vitesse, gain de temps), sur le confort des usagers (fluidité de la circulation), etc.,
➤ Évaluation de l’acceptabilité par les utilisateurs : l’acceptabilité est la capacité d’un système à être admis dans un processus de travail ou dans un processus de prise de décision par les utilisateurs. Ici, l’évaluation de l’acceptabilité est celle qui teste la réaction d’un public cible face à la mise en place d’un nouveau projetde transport,
➤ Évaluation technique : l’évaluation technique porte sur la faisabilité et les performances techniques des systèmes. Cela signifie l’analyse des performances des différents composants comme la fiabilité des matériels, leur consommation d’énergie et d’une manière générale la disponibilité de fonctionnement des systèmes (taux de panne ou de défaillance),
➤ Évaluation socio-économique : l’évaluation socio-économique est la dernière catégorie d’évaluation, qui utilise les résultats les plus significatifs des évaluations techniques et d’impact en les transformant en données monétaires selon un cadre qui lui est propre. Compte tenu des contraintes ou des objectifs poursuivis, l’évaluation socio-économique propose une solution qui est alors dite optimale ou un ensemble de solutions dites satisfaisantes parmi l’ensemble des variantes candidates.
Dans cette thèse, nous nous intéressons à l’évaluation des systèmes de transport urbain qui généralement utilise une évaluation socio-économique. Pour celle-ci, est majoritairement utilisée une analyse de type coûts/avantages, laquelle pose de notre point de vue des difficultés et des insuffisances. Nous proposons donc une autre démarche qui repose sur une analyse multicritère. Pourtant, avant de commencer, il est essentiel de regarder ce qui se passe aujourd’hui, lorsqu’en particulier on fait appel à une analyse coûts/avantages.
Analyse coûts/avantages
La méthode principalement utilisée en France pour attribuer des fonds publics pour un projet de transport par exemple, est d’effectuer une analyse coûts/avantages. Cette évaluation dresse un bilan socio-économique pour la collectivité et, par conséquence, son but est souvent d’alimenter le décideur en données monétarisées, qui apportent une dimension synthétique à l’ensemble des évaluations.
Principes de l’analyse coûts/avantages
L’analyse coûts/avantages se fonde sur la théorie du surplus de l’usager. Elle repose sur le principe selon lequel il est possible d’associer à un projet une valeur socioéconomique qui peut être définie comme mesure de la résultante pour la collectivité des éléments favorables (avantages) et éléments défavorables (inconvénients) à la réalisation du projet (Debrincat et Meyère 1998). Pour l’application, elle ne prend généralement en compte que l’intérêt de la collectivité dans son ensemble pour la réalisation d’un projet. On ne s’intéresse donc pas aux points de vue individuels des différents agents économiques (usagers, collectivités publiques, entreprises, ni aux transferts entre ces agents) mais seulement au bilan global du point de vue d’ensemble (par exemple, celui de l’État) de la création de richesse et des dépenses liées au projet. De plus, il faut mesurer les coûts/avantages par une valeur « sûre », en principe la monnaie, ce qui oblige à donner toujours un équivalent monétaire à chaque coût/avantage, malgré les effets variés d’un projet, directs et/ou indirects, qui ne sont pas toujours monétaires. Selon cette théorie, l’évaluation socio-économique d’un projet de transport doit donc être réalisée pour faire le bilan monétarisé des pertes et des gains qu’il implique pour la collectivité, en « calculant » la différence entre les avantages et les coûts de toutes natures, exprimés en monnaie constantes et actualisées, induits par le projet. Ces coûts et ces avantages sont calculés par rapport à une situation de référence, définie comme étant la situation la plus probable optimisée en l’absence de réalisation d’un projet de transport. Les principaux critères de choix d’investissement pour cette méthode d’évaluation socio-économique sont la valeur actuelle nette (VAN) et le taux de rentabilité interne (TRI). La valeur actuelle nette (VAN) mesure la création de valeur engendrée par l’investissement. C’est par définition « la différence entre les avantages et les coûts de toutes natures, eux-mêmes actualisés, induits par le projet». Elle est égale à la différence entre la somme actualisée des avantages nets et le coût économique d’investissement. Les coûts et les avantages actualisés sont calculés par rapport à une situation de référence.
Critiques de l’analyse coûts/avantages
La situation actuelle du calcul socio-économique appliqué aux infrastructures de transport est insatisfaisante. Ces méthodes conduisent généralement à affecter les meilleures rentabilités socio-économiques aux investissements routiers compte tenu du poids prépondérant des gains de temps pour les voyageurs dans les bilans coûts/avantages tels qu’ils sont réalisés aujourd’hui. Le rapport Boiteux 2 en 2001 a encouragé à améliorer cette méthode en mettant en évidence les apports potentiels mais il n’est pas arrivé à éviter des limites à ces méthodes d’évaluation.
D’autant plus que dans l’analyse de décisions récentes, il est exigé que les choix politiques fondés sur des objectifs multiples tiennent compte, explicitement ou implicitement, des aspects quantitatifs mais aussi des mesures qualitatives telles que la protection de l’environnement et le développement durable (effets de long terme) qui prennent de plus en plus d’importance. Selon l’article de Debrincat (Debrincat et Meyère 1998), bien que cette méthode de l’analyse coûts/avantages soit d’usage courant, son application n’est pas exempte de critiques, surtout en milieu urbain, puisqu’elle maîtrise mal tous les aspects liés aux problèmes urbains plus ou moins mesurables. Les principales critiques sont décrites ciaprès :
➤ La décision non-cohérente : les décisions prises ne correspondent pas toujours aux conclusions des analyses de rentabilité socio-économique. Cela peut s’observer souvent dans la compétition entre investissements routiers et investissements de transports collectifs étant donné les taux de rentabilité plus élevés pour les projets autoroutiers.
➤ La compensation : La méthode utilisée est compensatoire. Un gain compense une perte même dans les domaines d’impacts. Ainsi les accidents (blessés, morts) peuvent être compensés par des gains de temps, ce qui n’est pas acceptable et ne doit pas être accepté. De plus, de nombreux petits gains de temps sont équivalents à des améliorations substantielles de la desserte pour un petit nombre de personnes, ce qui pose le problème de l’incompatibilité de l’échelle. Cette méthode conduit à masquer les effets négatifs puisqu’au final c’est un avantage global qui est présenté. En outre, d’un point de vue théorique, le postulat d’additivité des coûts est contestable : il conduit en particulier à ignorer les effets systémiques (Agenais et Laterrasse 2007).
➤ Peu transparent : Même si les grands postes qui composent le bilan coûts/avantages sont détaillés, ces résultats restent peu parlants pour les nonspécialistes des calculs de rentabilité socio-économique. Il est donc quasi impossible de discuter le résultat sauf à se plonger dans les détails de calcul.
➤ L’absence des certains aspects : de nombreux impacts sont absents de l’évaluation socio-économique. Lorsque les effets d’un projet ne sont pas monétarisables sur un marché ou qu’il s’agit d’impacts non quantifiables, on ne peut en tenir compte dans le bilan coûts/avantages. Ainsi, des thèmes comme les objectifs d’aménagement du territoire ou les effets sur l’aménagement urbain, le confort ou la régularité sont absents .
➤ La monétarisation : la monétarisation telle qu’elle est effectuée aujourd’hui conduit à donner un poids considérable pour la voiture particulière considérant que la capacité est suffisante. De plus, si les projets visent à améliorer l’aspect, dit qualitatif, cette méthode a du mal à les valoriser correctement. Ajoutons que les méthodes de monétarisation des coûts indirects (impacts de la pollution sur la santé par exemple) donnent lieu à de nombreuses controverses.
➤ La monétarisation fait en outre appel à des valeurs tutélaires elles-mêmes contestables (il suffit de comparer les valeurs retenues pas les différents pays de l’union européenne pour la valeur du temps ou pour la valeur de la vie humaine pour s’en rendre compte).
➤ La méthode de calcul lié aux gains de transfert modal : Les évaluations reposent, pour une grande part, sur le transfert modal dont l’estimation reste sujette à caution. les gains liés au transfert modal de la route vers les transports collectifs peuvent représenter une part importante des avantages. Or, les méthodes de modélisation qui conduisent à l’estimation du choix modal diffèrent suivant les cas et les organismes, ce qui conduit à s’interroger sur la pertinence des diverses approches et les possibilités de comparaison entre des analyses économiques menées par des organismes différents. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause la qualité des outils utilisés mais plutôt de montrer la fragilité des résultats.
➤ L’incertitude du résultat de calcul : Cette méthode fait une trop grande confiance aux résultats d’un calcul qui est fortement sujet à caution. De plus, elle ne donne pas toujours le résultat satisfaisant notamment pour les projets en milieu urbain car les hypothèses sous-jacentes de cette analyse ne sont pas suffisantes pour traiter le problème urbain complexe.
Au-delà de l’existence de problèmes auxquels l’opinion publique est mieux sensibilisée aujourd’hui (la sécurité, le développement durable et le changement climatique par exemple), – laquelle ne remet pas nécessairement en cause le principe de l’analyse coûts/avantages à condition que celle-ci puisse intégrer des mises à jour convaincantes des valeurs tutélaires correspondantes et surtout une prise en compte acceptable des effets de long terme, – force est de constater une défiance croissante des citoyens à l’égard des différentes catégories d’experts et de leurs méthodes. Cette défiance conduit à poser le problème de l’acceptabilité politique et sociale du calcul économique et met en lumière le besoin d’en modifier la pratique opérationnelle pour réduire l’écart entre les spécialistes et les décideurs (CGPC 2008).
Il apparaît donc nécessaire, soit de renforcer la pertinence du calcul économique tel qu’il est pratiqué pour l’évaluation des politiques et projets en matière de transport, soit d’adopter une nouvelle méthode d’évaluation qui semble traiter mieux les exigences d’aujourd’hui, par exemple, l’analyse multicritère.
|
Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : ENJEUX ACTUELS DU TRANSPORT ET LES PROBLEMES LIES A SON EVALUATION
1. DEFINITION DES TERMES DU TRANSPORT
1.1. HISTOIRE DU TRANSPORT EN COMMUN
1.2. TRANSPORTS EN COMMUN EN SITE PROPRE (TCSP)
2. L’EMERGENCE DU CONCEPT DE DEVELOPPEMENT DURABLE
3. ENJEUX ACTUEL DU TRANSPORT : LE TRANSPORT « DURABLE »
4. ÉVALUATION ET CHOIX DES SYSTEMES DE TRANSPORT
4.1. ANALYSE COUTS/AVANTAGES
4.1.1. Principes de l’analyse coûts/avantages
4.1.2. Critiques de l’analyse coûts/avantages
4.2. RECOMMANDATION DU CERTU POUR LE CHOIX DU TCSP
4.2.1. Problèmes liés à la recommandation du Certu
4.3. DEMARCHE PROPOSEE
CHAPITRE II : METHODES D’ANALYSE MULTICRITERE
1. METHODES DE CHOIX
1.1. METHODES BASIQUES (ELEMENTAIRES)
1.1.1. Méthode catégorique (Timmermans 1986)
1.1.2. Méthode de la somme pondérée (Timmermans 1986)
1.1.3. Méthode du « Maxmin » (Guitouni et Martel 1998)
1.2. METHODES D’OPTIMISATION MATHEMATIQUE MULTICRITERE
1.2.1. Goal programming
1.2.2. Méthode du critère global (Vincke 1989)
1.2.3. Méthode ε-Contrainte (Festa, Grandinetti et al. 2010)
1.2.4. Programmation mathématique à objectifs multiples (Zopounidis et Pardalos 2010)
1.3. METHODE D’ANALYSE MULTICRITERE : LES METHODES D’AIDE A LA DECISION MULTICRITERE
1.3.1. Rappels
1.3.2. Méthode d’agrégation complète : approche du critère unique de synthèse
1.3.2.1. TOPSIS : Technique for Order by Similarity to Ideal Solution (Hwang et Yoon 1981)
1.3.2.2. SMART : Simple Multi-Attribute Rating technique (Edwards 1971)
1.3.2.3. MAVT : Multiple Attribute Value Theory (Keeney et Raifa 1976)
1.3.2.4. MAUT : Multiple Attribute Utility Theory (Keeney et Raifa 1976)
1.3.2.5. UTA : Utility Theory Additive (Jacquet-Lagreze, Meziani et al. 1987)
1.3.2.6. AHP : Analytic Hierarchy Process (Saaty 1980)
1.3.3. Méthode d’agrégation partielle: approche de surclassement de synthèse
1.3.3.1. PROMETHEE (Brans, Vincke et al. 1986)
1.3.3.2. ELECTRE (Roy 1985)
2. CHOIX D’UNE METHODE ELECTRE
2.1. COMMENT EFFECTUER UN CHOIX ?
2.2. LIMITE D’UNE APPROCHE TRADITIONNELLE POUR LE CHOIX DU TRANSPORT GUIDE DE SURFACE
2.3. AVANTAGES DES METHODES MULTICRITERES
2.4. METHODE RETENUE : ELECTRE
CHAPITRE III : DESCRIPTION DES SYSTEMES DE TCSP ETUDIES
1. PETITE HISTOIRE DES TRANSPORTS URBAINS
2. TRAMWAY
2.1. TRAMWAY SUR FER « MODERNE »
2.1.1. Explication générale
2.1.2. Aspect technique
2.1.2.1. Les voies d’un tramway moderne
2.1.2.2. Revêtement
2.1.2.3. Matériels roulants
2.1.2.4. Alimentation électrique
2.1.3. Aspect économique
2.1.4. Aspect urbanistique
2.1.4.1. Emprise au sol
2.1.4.2. Accessibilité
2.2. TRAMWAY SUR PNEU : TRANSLOHR
2.2.1. Explication générale
2.2.2. Aspect technique
2.2.2.1. Les voies du Translohr
2.2.2.2. Matériels roulants
2.2.2.3. Capacité
2.2.2.4. Le guidage
2.2.3. Aspect économique
2.2.4. Aspect urbanistique
2.2.4.1. Emprise au sol
2.2.4.2. Accessibilité
3. BHNS « BUS A HAUT NIVEAU DE SERVICE »
3.1. TVR
3.1.1. Explication générale
3.1.2. Aspect technique
3.1.2.1. Les voies de TVR
3.1.2.2. Matériels roulants
3.1.2.3. Guidage
3.1.2.4. Traction électrique
3.1.3. Aspect économique
3.1.4. Aspect urbanistique
3.1.4.1. Emprise au sol
3.1.4.2. Accessibilité
3.2. AUTOBUS AVEC GUIDAGE OPTIQUE : « CIVIS »
3.2.1. Explication générale
3.2.2. Aspect technique
3.2.2.1. Matériels roulants
3.2.2.2. Guidage optique
3.2.3. Aspect économique
3.2.4. Aspect urbanistique
3.2.4.1. Emprise au sol
3.2.4.2. Accessibilité
3.3. AUTOBUS AVEC GUIDAGE MAGNETIQUE : « PHILEAS »
3.3.1. Explication générale
3.3.2. Aspect technique
3.3.2.1. Infrastructure pour Phileas
3.3.2.2. Matériels roulants
3.3.3. Aspect économique
3.3.4. Aspect urbanistique
3.3.4.1. Emprise au sol
3.3.4.2. Accessibilité
3.4. TROLLEYBUS
3.4.1. Explication générale
3.4.2. Aspect technique
3.4.3. Aspect économique
3.4.4. Aspect urbanistique
3.5. AUTOBUS
3.5.1. Explication générale
3.5.2. Aspect technique
3.5.2.1. Matériels roulants
3.5.2.2. Capacité
3.5.2.3. Autobus hybride
3.5.2.4. Autobus électrique
3.5.3. Aspect économique
3.5.4. Aspect urbanistique
3.5.4.1. Emprise au sol
3.5.4.2. Accessibilité
CHAPITRE IV : APPLICATION DE LA METHODE ELECTRE III ET IV
1. UTILISATION DE LA METHODE ELECTRE III ET IV
1.1. PROBLEME D’AGREGATION DES DONNEES
1.2. ELECTRE III
1.3. ELECTRE IV
2. GRILLE D’ANALYSE
3. CHOIX DES CRITERES
3.1. CRITERES LIES AUX PERFORMANCES ET AUX SERVICES RENDUS
3.1.1. Capacité
3.1.2. Fréquence
3.1.3. Vitesse commerciale
3.1.4. Ponctualité (on-time performance)
3.1.5. Emprise au sol
3.1.6. Fiabilité
3.1.7. Accessibilité
3.2. CRITERES LIES AUX COUTS
3.2.1. Coûts d’investissement
3.2.2. Coûts d’exploitation
3.2.2.1. La consommation d’énergie
3.3. CRITERES LIES AUX IMPACTS « ENVIRONNEMENTAUX »
3.3.1. Émission du gaz à effet de serre
3.3.2. Critères urbanistique : image de l’insertion
4. PONDERATION DES POIDS
5. RECAPITULATIF DES CRITERES
CONCLUSION