Évaluation des résistances vasculaires systémiques dans le choc cardiogénique

Contexte

Le choc cardiogénique représente un défi thérapeutique majeur de la cardiologie actuelle. Malgré les progrès de prise en charge principalement relatifs à la revascularisation coronaire précoce des infarctus myocardiques, son incidence demeure en augmentation, et la mortalité hospitalière particulièrement élevée. 1–5 Une grande diversité de tableaux cliniques est actuellement regroupée sous le terme de choc cardiogénique. Notamment, les chocs d’origine non ischémique, non accessibles à une revascularisation, font preuve d’une prévalence et d’une mortalité qui représentent un enjeu de prise en charge.2,6 Le choc cardiogénique apparait actuellement comme le résultat d’une défaillance du système cardiovasculaire dans son ensemble. En témoignent les résistances vasculaires systémiques (RVS) paradoxalement basses ou faiblement élevées chez des patients en choc cardiogéniques post-infarctus dans l’étude SHOCK.7 Les RVS, qui permettent d’estimer la participation vasculaire périphérique8 et constituent un facteur pronostique fort dans ce contexte, 9 peuvent être évaluées par échocardiographie transthoracique, utilisée en routine dans l’évaluation initiale et le suivi du choc cardiogénique. 10 L’importante variabilité observée dans la distribution des RVS au sein de cette population, 8 suggère une hétérogénéité de profils hémodynamiques en fonction de l’étiologie du choc cardiogénique. L’optimisation des pratiques semble actuellement freinée par ce spectre large de présentations, à l’origine d’une difficulté à définir une stratégie thérapeutique standardisée. Alors que l’introduction précoce d’un support inotrope est consensuelle, le bénéfice de l’association à un support vasopresseur n’est que suggéré par certaines études. 11–13 Le niveau de preuve supportant cette stratégie est ainsi faible dans les recommandations européennes actuelles, et il n’est pas fait mention de l’intérêt d’adapter le traitement catécholaminergique au profil hémodynamique chez ces patients.

Epidémiologie

L’incidence du choc cardiogénique a augmenté au cours des dernières années, de 4,1 à 7,7% des patients admis en Unité de Soins Intensifs en France entre 1997 et 2012. 2 L’âge moyen de survenue a diminué durant la dernière décennie, de 66 à 63 ans dans les derniers registres francais.2 Bien que la mortalité hospitalière soit en diminution, du fait d’une amélioration de la prise en charge thérapeutique et notamment des techniques de revascularisation, elle reste particulièrement élevée, proche de 50% dans les registres français récents .

La prévalence du choc cardiogénique de cause ischémique est de 5 à 8% après syndrome coronarien aigu (SCA) avec sus-décalage du segment ST15,16 et de 2,5% après SCA sans susdécalage du segment ST.17 Dans deux tiers des cas, le choc n’est pas présent à l’admission et survient durant les 48 premières heures de prise en charge. 16 Dans ce contexte de post-infarctus, un âge élevé, une fréquence cardiaque à l’admission supérieure à 75/min, un diabète, des antécédents d’infarctus, de pontages aorto-coronaires, la présence de signes d’insuffisance cardiaque à l’entrée et la localisation antérieure de la nécrose, ont été mis en évidence en tant que facteurs prédictifs de survenue d’un choc cardiogénique. 18 Les étiologies non ischémiques, principalement constituées par les décompensations de cardiopathies chroniques évoluées, et plus rarement les arythmies, myocardites, et intoxications médicamenteuses, représentent selon les séries 30-50% des étiologies.2,6 Alors que la revascularisation précoce a permis d’améliorer le pronostic des chocs survenant en post-infarctus,1 les causes non ischémiques voient leur fréquence augmenter en lien avec l’amélioration de la survie des patients présentant une insuffisance cardiaque chronique .

Nouvelles données physiopathologiques

La conception classique du choc cardiogénique reposait jusqu’à récemment sur le primum movens d’un abaissement isolé du débit cardiaque par dysfonction de la pompe myocardique, entrainant via des mécanismes de régulation neurohormonale une vasoconstriction compensatrice et donc une élévation des RVS afin de maintenir une pression de perfusion systémique suffisante. 20 Ce modèle a été remis en cause à la lumière des données hémodynamiques recueillies dans l’étude SHOCK (Should We Emergently Revascularize Occluded Coronaries for Cardiogenic Shock?), 21 qui a étudié le bénéfice de la revascularisation précoce par rapport à la stabilisation médicale initiale chez des patients en choc cardiogénique post-infarctus. Une faible élévation ou une diminution paradoxale des RVS a été mise en évidence dans cette population, malgré l’utilisation fréquente d’un traitement vasopresseur. 7 Un nouveau modèle explicatif a ainsi été avancé, reposant sur une défaillance du tonus vasculaire systémique, qui se surajoute à la dysfonction cardiaque primitive. 22 L’élévation des RVS observée dans l’insuffisance cardiaque stable, permettant de compenser la baisse du débit cardiaque, 20 semble donc être atténuée ou inhibée chez les patients en choc cardiogénique. 8 De même, la dysfonction myocardique peut être seulement modérément altérée dans le choc cardiogénique, 23 comme en témoigne la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) moyenne de 30% observée dans l’étude SHOCK,21 avec une distribution comparable à celle de patients présentant une altération de la fonction systolique en post-infarctus sans signes de choc.24–28 Le déséquilibre entre abaissement de l’index cardiaque et augmentation insuffisante des RVS entraine une baisse de la perfusion coronaire et systémique, à l’origine d’un cercle vicieux d’aggravation de l’ischémie et de la dysfonction myocardique (Figure 2). Le rôle prépondérant du syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS), observé notamment en contexte d’infarctus du myocarde, 29 a été mis en évidence dans cette vasodilatation pathologique et l’altération de la microcirculation, par le biais de plusieurs mécanismes : i) production de cytokines pro-inflammatoires, notamment interleukine-6 et TNFα, ii) élévation des taux de monoxyde d’azote (NO) par surexpression de la NO-synthase inductible, iii) activation du canal potassique adénosine triphosphate (ATP) dépendant en réponse à la sécrétion d’Atrial Natriuretic Peptide et d’adénosine.7,30–32 Il a ainsi été mis en évidence que le niveau plasmatique de cytokines s’élève fortement dans les 24 à 72 heures après un infarctus.33 Cette cascade inflammatoire est responsable d’effets délétères qui se surajoutent à la vasodilatation systémique pathologique, en induisant un effet dépresseur myocardique, une dysfonction endothéliale systémique et coronaire aggravant l’ischémie myocardique, et une réduction de la réponse aux catécholamines. 33 Depuis l’étude SHOCK, très peu d’études ont abordé l’état hémodynamique des patients en situation d’instabilité hémodynamique. Cotter et al. 8 ont mis en évidence une grande variabilité dans la distribution des RVS chez des patients en choc cardiogénique, effondrées chez certains patients (proche de celles observées dans le choc septique) ou au contraire proches de la normale ou élevées chez d’autres, faisant suggérer une hétérogénéité de profils hémodynamiques. Cependant ces données ont été obtenues chez un groupe limité de patients et sans différencier l’étiologie du choc cardiogénique.

Evaluation hémodynamique

Echocardiographie

L’évaluation hémodynamique par échocardiographie a largement limité les indications diagnostiques de cathétérisme cardiaque droit dans le choc cardiogénique,34 et a montré une valeur pronostique en post-infarctus.35 Lors de l’évaluation de différentes situations d’instabilités hémodynamiques, l’échographie doppler a déjà montré une corrélation significative avec un moniteur continu du débit cardiaque. 36 Le recours à l’échocardiographie est recommandé par les consensus d’experts (accord fort) et tient une place centrale dans le diagnostic étiologique du choc cardiogénique, les évaluations hémodynamiques, la détection de complications et le traitement de celles-ci.37 D’un point de vue hémodynamique, l’échocardiographie permet entre autres l’évaluation de l’index cardiaque, du Cardiac Power Index (CPI), ainsi que l’évaluation des RVS directement dérivée de la valeur calculée de l’index cardiaque. L’index cardiaque peut être calculé à partir de la valeur du diamètre de la chambre de chasse ventriculaire gauche (CCVG) mesurée en coupe parasternale grand axe, de la mesure de l’intégrale temps vitesse (ITV) de la CCVG en doppler pulsé, et de la fréquence cardiaque (FC). L’index cardiaque (IC) est alors calculé par la formule IC = Surface CCVG (cm2 ) x ITV (cm) x FC / surface corporelle.38 Dans les techniques de calcul de flux faisant appel au doppler pulsé, le flux est dérivé du produit entre la surface de coupe et la vitesse moyenne des cellules sanguines passant à travers un vaisseau sanguin ou un orifice valvulaire pendant la durée de l’écoulement. 39 Le volume d’éjection (VE) est alors calculé par la formule : VE = Surface de coupe x ITV. La surface de l’anneau aortique étant approximativement circulaire, avec peu de variabilité durant la systole, l’aire de l’anneau aortique peut être déduite du diamètre de l’anneau (D) selon la formule : Surface de coupe = D2 x π/4. La mesure de la CCVG est réalisée en coupe parasternale grand axe en utilisant l’option d’agrandissement (zoom), durant la protosystole, au niveau de la jonction des feuillets valvulaires aortiques avec l’endocarde septal en avant et la valve mitrale en arrière, en prenant les bords internes comme limites. La plus large des 3 à 5 mesures doit être retenue, étant donnée l’erreur inhérente au plan de coupe qui tend à provoquer une sous estimation du diamètre de l’anneau aortique.39 Quand des mesures sériées du VE et du débit cardiaque sont réalisées, il est possible de réutiliser la mesure d’anneau obtenue lors de l’examen initial, car sa taille évolue peu au cours du temps chez l’adulte. La mesure de l’ITV sous-aortique est acquise à partir d’une coupe apicale 5 cavités, avec le volume d’échantillonnage positionné 5 mm en amont de la valve aortique. Le clic d’ouverture de la valve aortique ou un élargissement de la zone dense du spectre ne doivent pas être visualisés en méso-systole, car cela signifie que le volume d’échantillonnage est situé dans la zone d’accélération proximale. Le clic de fermeture de la valve aortique est au contraire souvent enregistré quand la position est correcte.39 Une étude multicentrique récente portant sur 400 patients en Unités de Soins Intensifs a mis en évidence une corrélation significative entre évaluation du débit cardiaque par échographie et par méthode de contour de l’onde de pouls MostCare, avec un biais moyen de -0,03 L/min et un pourcentage d’erreur de 30%.36 A partir de la valeur calculée de l’index cardiaque, les RVSi peuvent être obtenues à partir de la pression artérielle moyenne (PAM) et de la pression dans l’oreille droite (POD) selon la loi d’Ohm par la formule RVSi (Wood) = (PAM–POD) / IC. Pour convertir cette valeur en unités conventionnelles dynes-s-m 2 .cm-5 , le résultat est multiplié par 80.38 La POD peut être estimée par rapport à la taille de la veine cave inférieure et son caractère compliant en accord avec les recommandations.38,40 Enfin, le Cardiac Power Index (CPI) est calculé par la formule CPI = IC x PAM x 0,0022. Il permet l’estimation de la contractilité cardiaque, apporte une meilleure différenciation du type de défaillance hémodynamique par rapport à l’index cardiaque, et constitue un facteur pronostique à court et long terme en cas d’insuffisance cardiaque décompensée.8,20 Le Cardiac Power Index constitue dans le choc cardiogénique le facteur pronostique le plus fortement prédictif de la mortalité hospitalière en analyse multivariée.

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Table des matières

1. INTRODUCTION
1.1. Contexte
1.2. Epidémiologie
1.3. Nouvelles données physiopathologiques
1.4. Evaluation hémodynamique
1.4.1. Echocardiographie
1.4.2. Moniteurs du débit cardiaque par thermodilution transpulmonaire
1.5. Support inotrope et vasopresseur
1.6. Hypothèses
1.7. Objectif
2. METHODES
2.1. Patients
2.2. Critères diagnostiques
2.3. Evaluation des variables hémodynamiques
2.4. Autres variables étudiées
2.5. Prise en charge thérapeutique
2.6. Analyse statistique
3. RESULTATS
3.1. Caractéristiques de la population étudiée
3.2. Corrélation entre évaluation échographique et par thermodilution
3.3. Profil hémodynamique à l’admission
3.4. Profil hémodynamique sous Dobutamine et Noradrénaline
4. DISCUSSION
4.1. Corrélation entre évaluation échographique et par thermodilution
4.2. Rôle des résistances vasculaires systémiques dans le choc cardiogénique
4.3. Rôle de l’index cardiaque et du Cardiac Power Index
4.4. Réponse hémodynamique au support inotrope et vasopresseur
4.5. Intérêt de l’adaptation du traitement à l’évaluation hémodynamique initiale
4.6. Limites de l’étude
5. CONCLUSION
6. REFERENCES
7. ANNEXES

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