Les politiques actives en faveur de l’emploi constituent le principal outil de lutte contre le chômage des jeunes en Tunisie depuis les années 1980. Compte tenu de l’augmentation de la population âgée de 20 à 24 ans (qui constitue les prochaines vagues d’entrée sur le marché du travail) à l’horizon de 2050 , le problème du chômage des jeunes diplômés risque de s’aggraver. L’objet de cet article est de déterminer l’impact de ces politiques dans le cadre d’une évaluation par modèles de durée (Kaplan-Meier et Cox) à partir des données de l’enquête insertion des jeunes diplômés menée par le Ministère de l’Emploi et de l’Insertion Professionnelle des Jeunes en collaboration avec la Banque mondiale. L’évaluation porte sur l’impact de différentes politiques dans le temps et sur le processus de retour à l’emploi du bénéficiaire.
Différentes contributions théoriques permettent d’analyser l’impact des politiques actives en faveur de l’emploi sur le marché du travail.
Compte tenu du fonctionnement de ces politiques qui englobent à la fois une embauche dans un nouvel emploi et une formation parallèle, l’analyse de Becker (1962) indique que le suivi de ces programmes par les bénéficiaires de ces politiques constitue un investissement (lié à un taux de rendement) qui leur permet d’augmenter leur productivité grâce à l’acquisition de nouvelles compétences et donc leur salaire puisqu’il est déterminé par la productivité marginale. Les entreprises qui mettent en place les formations profitent également de l’investissement réalisé par les travailleurs lorsque l’augmentation de la productivité est supérieure à l’augmentation des salaires, ce qui est le cas lorsqu’elles n’ont pas à supporter le coût de cette formation. Les politiques actives de l’emploi pour lesquelles l’État prend en charge les coûts de formation devraient améliorer le marché de l’emploi.
McCall (1970) introduit un modèle relatif à la stratégie de recherche d’emploi pour les chômeurs. Un actif à la recherche d’un emploi est concerné non seulement par le salaire, mais aussi par la durée de l’emploi. Toutes choses égales par ailleurs, plus la durée de l’emploi est longue, plus l’offre d’emploi sera favorable. Ainsi, la durée de l’emploi est incluse comme une variable importante affectant la prise de décisions du chercheur de travail sachant que les bénéfices accordés par l’État ont en général une durée maximale d’un an. L’introduction d’une période d’emploi attendue nécessite des comparaisons entre les revenus actuels et futurs, en introduisant un taux d’escompte dans le modèle. Les formations incluses dans le cadre des politiques actives de l’emploi ont un impact sur la fonction de distribution du salaire attendu par le travailleur qui devient plus élevé. Ceci implique des salaires de réservation plus importants pour les travailleurs qui ont suivi avec succès des formations et peut entrainer des périodes de chômage plus longues. Mortensen et Pissarides (1999) analysent l’impact de politiques actives de l’emploi à travers un modèle où le marché du travail est représenté sous la forme d’un équilibre entre deux fonctions de création et de destruction d’emploi. L’introduction de politiques de subvention à l’emploi réduit le coût privé de création des emplois mais n’a aucun effet sur leur destruction. Les avantages limités dans le temps associés à ces politiques impliquent une durée de vie plus courte des emplois créés car ils entrainent une augmentation du salaire et de la productivité de réservation pour le travailleur et pour l’entreprise. Ainsi, les périodes de chômage diminuent mais l’incidence du chômage augmente ce qui implique un effet ambigu sur le taux de chômage global au sein de la population active. L’article est organisé de la manière suivante : la première section présente une revue de la littérature, la seconde décrit les faits stylisés du marché de l’emploi dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, la troisième analyse les tendances du marché de l’emploi tunisien et le cadre institutionnel des politiques actives de l’emploi, la quatrième présente les séquences types et les statistiques descriptives issues de nos données, la cinquième est dédiée au choix de la méthode d’évaluation retenue, enfin la sixième analyse les résultats empiriques.
Revue de la littérature
Programmes de subvention à l’emploi
Les évaluations de programmes en faveur de l’emploi sont nombreuses et aboutissent à des résultats allant des plus pessimistes (« les emplois subventionnés entrainent un gaspillage de ressources compte tenu des résultats observés sur le marché de l’emploi » – Boone et van Ours, 2004) aux plus optimistes (« l’introduction de programmes de subvention à l’emploi avait généralement des effets positifs et significatifs (de 12 à 15,6 %) sur le marché de l’emploi pour les jeunes » – Betcherman et al, 2007). La plupart des auteurs, cependant, concluent que l’effet des subventions à l’emploi est positif, bien que modeste (Katz 1996 ; OCDE 2005 ; Kluve 2010 ; Immervoll et Scarpetta 2012 ; Neumark 2013.a ; Neumark et Grijalva 2013.b).
L’effet d’aubaine (la substitution d’emploi non-subventionnés par des emplois subventionnés) et les pertes sèches pour les économies (subvention d’emploi qui aurait été créé sans la mise en place des programmes) sont les principaux éléments mis en évidence par la littérature. Les évaluations de ces programmes en Australie, Belgique, Irlande et Pays-Bas suggèrent que les effets de substitution et de perte sèche atteignent 90%, à savoir que 90% des emplois subventionnés auraient été créés sans ces politiques de subvention d’emploi (Martin, 2000). Certaines évaluations aboutissent à des résultats très positifs pour l’emploi : le ProEmpleo en Argentine (Betcherman et al, 2004), le New Deal for Young People au Royaume-Uni (Van Reenen, 2003) et le New Jobs Tax Credit aux États-Unis (Bartik et Bishop, 2009).
Betcherman et al (2004), Kluve (2010) mettent en évidence l’importance de trois éléments dans la réussite de programmes de subvention à l’emploi : le niveau de ciblage des populations bénéficiaires, la façon dont le programme récompense de nouvelles embauches et la mise en oeuvre des subventions dans un ensemble d’aide ciblant le bénéficiaire. La combinaison des politiques de subventions avec des formations et/ou l’assistance dans la recherche d’un emploi permet d’obtenir les meilleurs résultats (Katz, 1996 ; Kluve, 2006). Les programmes mis en place ciblent des sous-groupes particuliers (chômeurs de longue durée ou situés dans des zones géographiques spécifiques) dont l’objectif est de réduire les pertes sèches pour l’économie. Le principal risque lié à un ciblage excessif est la réduction de la participation au programme en raison des fardeaux administratifs (Martin, 2000 ; Neumark, 2013.a).
Enfin, les évaluations indiquent que les programmes les plus efficaces sont caractérisés par une durée de subvention assez réduite, particulièrement dans le cadre de politiques contracycliques en raison de leur flexibilité (Kluve, 2006 ; Neumark, 2013.a).
Il existe peu d’analyses de l’efficacité des politiques actives en faveur de l’emploi dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord (Angel-Urdinola et al, 2010). Angel-Urdinola et al (2010) analysent les caractéristiques de 75 programmes ciblant les jeunes dans 9 pays de la région : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Cisjordanie/Gaza et le Yémen. L’analyse de ces programmes révèle des manques au niveau de la conception qui en font des programmes inefficaces. En effet, les programmes en majorité n’ont pas de cible spécifique ce qui entraine des pertes sèches car les programmes subventionnent des emplois qui auraient été créés dans tous les cas. De plus, on observe un effet de substitution des emplois non-subventionnés par des emplois subventionnés. En conséquence, les principaux bénéficiaires de ces programmes sont les diplômés de sexe masculin vivant en zone urbaine. Broecke (2013) analyse l’efficacité du programme public de subvention d’emplois pour les diplômés de l’enseignement supérieur en Tunisie (le programme SIVP). Les diplômés bénéficiaires du programme ont à la fois une probabilité moins élevée d’être au chômage (-9,8 points de %) et une probabilité plus importante d’obtenir un emploi dans le secteur privé (+21,5 points de %). Enfin Mouaddeb et Kriaa (2016) ont montré que le différentiel de gains est significativement positif en faveur des bénéficiaires du programme SIVP en Tunisie (les revenus sont inférieurs de -17,3% pour les non-bénéficiaires du programme SIVP1).
Programmes d’aide à l’entrepreneuriat
L’entrepreneuriat est décrit dans la littérature comme un élément important du développement économique. L’esprit d’entreprise est une composante clé de la croissance de la productivité (Baumol, 1968) et une grande part de la maind’oeuvre dans la majorité des pays en voie de développement trouve un emploi grâce au travail indépendant (Gollin, 2002). Les évaluations de programme d’aide à l’entrepreneuriat comme la formation d’activité et des subventions ont montré qu’ils peuvent être efficaces dans le but de renforcer le travail indépendant et augmenter les revenus des travailleurs indépendants, la plupart de ces évaluations se sont concentrées sur des entreprises déjà existantes ou sur les individus peu qualifiées (McKenzie et Woodruff, 2012).
Nous allons classer les programmes par zone géographique. L’Amérique latine est la zone économique en développement concentrant le plus d’évaluations de programmes d’aide à l’entrepreneuriat : En Argentine, le projet Microemprendimientos Productivos fournit un soutien financier sous forme de subventions qui financent l’acquisition des inputs et l’équipement nécessaire afin de démarrer une activité et réduire la dépendance des agents économiques vis-à-vis des prestations sociales. Almeida et Galasso (2010) montrent que la combinaison du soutien à l’entrepreneuriat et des micro-subventions était efficace pour développer le travail indépendant, particulièrement pour les femmes ayant déjà une expérience professionnelle.
Klinger et Schündeln (2011) étudient l’effet de l’aide à l’entrepreneuriat fourni par une ONG sur les résultats des firmes en Amérique Centrale. Ils constatent que les bénéficiaires de ce programme présentent une probabilité plus élevée de commencer une activité ou d’étendre une entreprise existante. Le programme semble être plus efficace parmi les femmes lorsqu’elles remportent un prix monétaire. Karlan et Valdivia (2011) étudient l’impact d’une formation administrée par FINCA au Pérou, et visant à améliorer les pratiques au sein des entreprises. Les résultats montrent que le programme n’entraine pas d’augmentations significatives des ventes, des profits, ou de l’embauche au sein de ces entreprises. Drexler et al (2010) comparent deux programmes de formation sur les performances des clients principalement féminins d’institutions de microfinance en République Dominicaine. Ils montrent qu’un petit programme de formation peut améliorer les ventes des entreprises dans une conjoncture difficile, mais n’avait pas d’impact significatif sur les ventes moyennes. Bruhn et Zia (2011) ont utilisé la méthode expérimentale pour évaluer l’impact de programmes d’aide à l’entrepreneuriat fourni par une ONG locale – the Entrepreneurship Development Center (EDC) – pour les clients d’une institution de microfinance en Bosnie-Herzégovine. Ils observent une amélioration des pratiques mais aucune augmentation des profits et des taux de survie des entreprises. En Asie, De Mel et al (2012) montrent que le programme de formation Start and Improve your business mené par l’OIT au Sri Lanka accélère le processus de lancement des activités parmi les femmes qui sont intéressées par la création d’entreprises. De plus, ils observent une augmentation de la rentabilité et de meilleures pratiques dans ces nouvelles entreprises. Quand la formation vise les femmes qui dirigent déjà des entreprises, ils n’observent aucun impact sur la rentabilité.
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Table des matières
Introduction générale
1 CHAPITRE I. Évaluation des politiques actives de l’emploi en Tunisie
1.1 Introduction
1.2 Revue de la littérature
1.2.1 Programmes de subvention à l’emploi
1.2.2 Programmes d’aide à l’entrepreneuriat
1.3 Faits stylisés dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord
1.4 Situation de l’emploi et cadre institutionnel des politiques actives de l’emploi en Tunisie
1.4.1 Marché de l’emploi au niveau national
1.4.2 Analyse du marché de l’emploi par gouvernorat
1.5 Cadre institutionnel des politiques actives en faveur de l’emploi en Tunisie
1.5.1 Prise en charge par l’Etat de 50% du salaire
1.5.2 Stage d’Initiation à la Vie Professionnelle
1.5.3 Fonds d’Insertion et d’Adaptation Professionnelle
1.5.4 Fonds de l’emploi national 21-21
1.6 Base de données et statistiques descriptives
1.6.1 Base de données
1.6.2 Statistiques descriptives
1.6.3 Analyse séquentielle
Analyse séquentielle par sexe
1.7 Modèle de durée
1.7.1 Modèle de Cox et résultats
1.8 Conclusion
1.9 Bibliographie
1.10 Annexes
2 CHAPTER II. Informality and social security programs
2.1 Introduction
2.2 Informal Sector, informal employment and informal economy
2.2.1 Conceptual Framework
2.3 Social security, 2004’s and 2010s reforms
2.4 Data and descriptive statistics
2.4.1 Descriptive statistics for Tunisia
2.4.2 Descriptive statistics for Jordan
2.5 Empirical specification and results
2.5.1 Results for Tunisia and Jordan
2.6 Conclusion
2.7 Bibliography
2.8 Appendix
3 CHAPITRE III. Théorie des jeux et microsimulations
3.1 Introduction
3.2 Revue de littérature
3.3 Présentation des dispositifs
3.3.1 Stage d’Initiation à la Vie Professionnelle (SIVP)
3.3.2 Contrat d’insertion des diplômés (CIDES)
3.3.3 Dispositions fiscales et exonération des cotisations patronales
3.4 Représentation du jeu et modèle théorique
3.4.1 Description et représentation extensive du jeu dynamique
3.4.2 Résolution du modèle théorique
Programmation dynamique et équation de Bellman
Résolution du jeu par induction à rebours (backward induction)
3.5 Calcul des gains actualisés et microsimulations
3.5.1 Contrat SIVP
SMIG moyen régime hebdomadaire 40 h, profil adéquat et inadéquat
SMIG moyen régime hebdomadaire 48 h, profil adéquat et inadéquat
Salaire médian et moyen, profil adéquat et inadéquat
3.5.2 Contrat CIDES
SMIG moyen régime hebdomadaire 40 h, profil adéquat et inadéquat
SMIG moyen régime hebdomadaire 48 h, profil adéquat et inadéquat
Salaire médian, profil adéquat et inadéquat
Salaire moyen, profil adéquat et inadéquat
3.6 Conclusion
3.7 Bibliographie
3.8 Annexes
Conclusion générale