Évaluation des facteurs de risque de mortalité des patients hospitalisés pour la prise en charge d’une fracture de l’extrémité supérieure du fémur en UPOG

La fracture de l’extrémité supérieur du fémur (FESF) est la plus grave des fractures ostéoporotiques en raison de sa morbidité et de sa mortalité. Sa prévalence en France en 2014 est de 76 000 cas et son incidence en diminution progressive chez les hommes comme chez les femmes au-delà de 65 ans (Briot K et Al 2015, Thélot et al. 2017). Elle est particulièrement fréquente chez les personnes âgées, la moitié des FESF survenant entre 80 et 89 ans, du fait de la prévalence de l’ostéoporose et de la fréquence des chutes à répétition dans cette population. La fracture de l’extrémité supérieure du fémur chez la personne âgée résulte d’une chute de faible énergie (3). Une personne sur trois au-delà de 65 ans chute chaque année, 5 % des chutes se compliquant d’une fracture, dont la FESF. Le taux de décès associé à une FESF au cours du séjour hospitalier initial est de 3,7% chez les femmes et 7,7 %, statistiquement supérieur chez les hommes (Dress). La mortalité à 12 mois atteint respectivement 20 et 30 %. Les conséquences de la fracture du col du fémur sont donc une augmentation significative du risque de mortalité, de la dépendance fonctionnelle dont les troubles de la mobilité, et du risque de récidive fracturaire dont la survenue d’une FESF controlatérale (Eriksson et al.). On estime qu’après 70 ans, une personne âgée présente au moins 5 comorbidités ou antécédents (HTA 70 %, chutes à répétition 35 %, troubles neurocognitifs majeurs 30 %, arthrose axiale ou périphérique 30 %, cancer 20 %, diabète 10–20 %, troubles visuels 20 % et/ou auditifs 35 %, insuffisance cardiaque 15 %, maladie coronarienne 15 %, arythmie 27 %, AVC 17 %, dépression) (11). La mortalité observée chez les personnes âgées au décours d’une FESF est un reflet direct de leur comorbidité. Par rapport à un patient à faible comorbidité (score de Charlson à 0) le risque de décès au cours de cette maladie est multiplié par 4,6 lorsque le score est ≥ 6 (Oberlin).

Le traitement d’une FESF est chirurgical (ostéosynthèse pour les fractures du trochanter ou remplacement prothétique dans le cadre des fractures cervicales intra capsulaire). Seul le traitement chirurgical permet d’obtenir une sédation et une verticalisation précoce. Le traitement palliatif (non chirurgical) d’une FESF est en France exceptionnel (moins de 1 % de l’ensemble des FESF recensées). Il s’agit dans ce cas de patients récusés pour l’intervention du fait de comorbidités lourdes et d’une dépendance extrême pré-fracturaire conduisant immanquablement à un décès précoce. Cette abstention chirurgicale peut atteindre 13 % des FESF dans certaines études aux USA.

Une intervention précoce soit un délai opératoire inférieur à 48 heures (calculé entre le moment du diagnostic et l’heure de l’anesthésie précédant l’intervention) est associée à une réduction significative de la morbidité et la mortalité post opératoire (6). Au-delà de ce délai et même dès 24 heures, on observe une augmentation du nombre et de la sévérité des complications cardiovasculaires, pulmonaires, hématologiques et de la mortalité précoce c’est-à-dire dans les 30 jours suivant l’opération (17). Les complications postopératoires après une opération pour une FESF sont les décompensations de maladies cardiovasculaires dont les maladies coronariennes et les infections (pulmonaires ou urinaires, qui sont en outre très souvent à l’origine des décès) (9). Le développement d’unités péri-opératoires gériatriques (UPOG) de prise en charge conjointe médico-chirurgicale s’accompagne de résultats positifs en termes de réduction : du nombre de complications post opératoires et de la durée de séjour. En revanche, cette prise en charge ne modifie pas en UPOG la mortalité à courts termes (10). La mortalité à 30 jours est un marqueur couramment utilisé dans les études comme indicateur de qualité hospitalière (18). Il existe un certain nombre de scores qui ont pour objectif de calculer ou de prédire la survenue des complications post-opératoires après une FESF. Le score de Parker d’évaluation de la marche, est ainsi couramment utilisé, son calcul permettant de définir statistiquement le risque de morbi-mortalité post-opératoire d’une personne (14). Il est aussi prédictif de la récupération fonctionnelle à 6 mois (Parker et Palmer, 1993 ; Kristensen et al. 2010). Plus récemment, le score NHFS (Nottingham Hip Fracture Score) validé dans une étude regroupant 9 000 patients opérés pour une FESF, a montré une bonne valeur prédictive de la mortalité à 30 jours en combinant 7 variables préopératoires (âge, sexe, MMSe simplifié, taux d’hémoglobine à l’admission, lieu de vie, nombre de comorbidités et cancer récent) (20). Un score ≥ 5 multiplie le risque de décès à 30 jours par 3.

Patients et méthodes

Il s’agissait d’une étude rétrospective, descriptive, uni-centrique, incluant les malades accueillis dans l’UPOG du CHU de Rouen de 2018 à 2020. Quatre cent cinquante-quatre patients ont été hospitalisés dans cette unité pour une FESF dont les dossiers ont été identifiés par leur codage CIM-10 (S72). Les critères d’inclusion des malades étaient : un âge de 70 ans ou plus, hospitalisés dans l’UPOG et opérés pour une FESF dans les suites d’un traumatisme de faible énergie comme une chute.

Les critères d’exclusion étaient une fracture pathologique, l’absence d’intervention et un dossier médical incomplet ne permettant pas la collection des données. Le recueil des données a été possible à travers l’analyse du dossier médical des urgences, de la radiographie, du dossier médical de l’UPOG, du dossier d’anesthésie, du compte rendu opératoire, du compte rendu de séjour en soins de suite et réadaptation. La loi Jardé (Loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, modifiée par l’ordonnance n°2016 800 du 16 juin 2016) ne s’appliquait pas à notre étude sur la base des conclusions de la Commission de qualification des projets recherche du CHU de Rouen établies le 10/12/2019. Sur les 454 dossiers sélectionnés, 27 ont été exclus : 2 fractures pathologiques, 20 dossiers incomplets et 5 patients non opérés. Les patients ont été divisé en 2 groupes selon la survenue du décès dans les 30 jours suivant l’intervention (n= 33) ou non (n= 394). Dans notre étude, la mortalité s’est élevée à 7,7% à 30 jours.

Données socio-démographiques et gériatriques de la population

Les données socio-démographiques suivantes ont été relevées : l’âge, le sexe, le lieu de vie (domicile, résidence pour personne âgée ou établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), et l’isolement social (défini comme le fait d’avoir des contacts peu fréquents et de piètre qualité avec autrui) (13). Les comorbidités suivantes ont été recherchées à partir des antécédents des patients figurant dans leurs dossiers :
– un diabète, défini par la prise d’un traitement antidiabétique oral ou une insulinothérapie,
– une hypertension artérielle (HTA),
– une insuffisance cardiaque, une cardiopathie ischémique et/ou valvulaire,
– une fibrillation atriale (FA),
– un antécédent d’accident vasculaire (AVC) ou ischémique transitoire (AIT),
– un syndrome anxiodépressif,
– une insuffisance rénale chronique définie par un débit de filtration glomérulaire < 60 mL/min estimé par la formule CKD-EPI,
– un antécédent de fracture ostéoporotique.

Le score de comorbidités de Charlson indexé sur l’âge a été calculé (Charlson et al. 1994).

Le statut gériatrique des patients a été évalué sur la base des éléments suivants :
– l’existence de troubles neurocognitifs majeurs (TNCM), correspondant, selon la définition du DSM V, à une réduction acquise, significative et évolutive des capacités dans un ou plusieurs domaines cognitifs induisant une perte d’autonomie fonctionnelle. L’existence de TNCM était retenue si elle était mentionnée dans les antécédents ou si ce diagnostic était établi pendant le séjour par les gériatres sur des critères anamnestiques, cliniques ou psychométriques,
– une chute dans les 12 derniers mois, rapportée par le malade et/ou l’entourage,
– le périmètre de vie ou la mesure de la mobilité au sein ou en dehors du domicile le mois précédant la fracture permettant de répartir les malades en 2 groupes : déplacements à l’extérieur ou déplacements limités à l’intérieur,
– les capacités fonctionnelles de chaque patient, évaluées par l’échelle de dépendance ADL (Activities of Daily Living) dont le recueil était validé auprès d’un aidant naturel, sur le statut du patient durant le mois précédant le séjour. Un score ADL ≤ 5 caractérisait une perte d’indépendance fonctionnelle. Un score ADL ≤ 3 caractérisait une dépendance majeure (Katz et al.),
– l’état nutritionnel était évalué par l’Indice de Masse Corporelle (IMC) exprimé en kg/m 2 et sur le taux d’albuminémie. La dénutrition était définie par un IMC < 22. La dénutrition était sévère si l’IMC était < 20 et/ou l’albuminémie ≤ 30 g/L. (HAS 2021)
– la polymédication était définie par la prise quotidienne de 5 médicaments ou plus, la polymédication excessive au-delà de 10 médicaments (Kennerfalt et al. 2002).

Paramètres chirurgicaux et anesthésiques 

En tenant compte des données de la littérature, les caractéristiques de l’anesthésie et de la chirurgie suivantes ont été recherchées : (Weeks 2014, Maravic 2011)
– le type de FESF : cervicale (classification de Garden) ou trochantérienne ,
– le délai opératoire exprimé en heures défini par le temps entre le diagnostic aux urgences de la FESF et le début de l’acte anesthésique au bloc opératoire,
– le type de chirurgie a été précisé : arthroplastie, vissage ou ostéosynthèse,
– le score ASA estimant le risque anesthésique, prédictif de morbi-mortalité des personnes a été précisé (score 1 : patient sain, à 4 : maladies systémiques sévères mettant en jeu le risque vital) (Figure 5),
– la durée de l’intervention chirurgicale exprimée en minutes, a été définie par la durée entre l’induction anesthésique et la dernière prise de pression artérielle au bloc opératoire, excluant la durée de prise en charge en salle de réveil.

Les actes anesthésiques ont été précisées :
– réalisation d’une anesthésie loco-régionale associée (bloc ilio-facial),
– utilisation d’amines vasoactives,
– nécessité́ d’une expansion volémique,
– transfusion de culots globulaires (au moins un culot) .

Les complications per-opératoires ont été recherchées : saignement >100mL (quantifié en mL sur la fiche anesthésique), hypothermie (définie par une température inférieure 35°C).

Recueil des complications médicales

Les complications suivantes ont été recherchées et classées selon le PSI O4 (15) sur la base des données habituelles de la littérature :
– un décès dans les 30 jours suivant l’intervention,
– une confusion post opératoire : sur la base des critères DSM-V (Vahia 2013) ou des données de l’outil Confusion Assessment Method (CAM) (Weil et al. 2008),
– une rétention aiguë d’urine nécessitant un sondage urinaire,
– une constipation distale identifiée et traitée,
– une escarre acquise durant l’hospitalisation,
– une FA post-opératoire (sans antécédent de FA identifiée),
– un infarctus du myocarde (selon la Quatrième définition universelle de l’IDM, ESC 2020) diagnostiqué sur l’élévation des troponines et l’un des critères clinique suivants : douleurs thoracique, anomalie à l’ECG tel qu’un sus ou sous ST significatif ou la visualisation d‘un thrombus à l’angiographie,
– une insuffisance cardiaque aiguë définie par l’apparition de signes congestifs nécessitant une introduction ou une majoration des doses de diurétiques associé à un dosage du NT pro-BNP ≥ 900ng/L,
– la survenue d’un AVC défini par l’apparition brutale d’un déficit neurologique focal, confirmé ou non par imagerie,
– une pneumopathie aiguë définie par la présence de signes généraux (fièvre, toux), d’anomalies auscultatoires (ex : râles crépitants) et la présence d’opacités alvéolaires éventuelles à l’imagerie pulmonaire,
– une infection urinaire définie par la présence d’au moins un des signes suivants: fièvre (> 38°C), impériosité mictionnelle, pollakiurie, brulure mictionnelle, douleur sus-pubienne en l’absence d’autre cause et d’une uroculture positive ( ≥10^ 3 micro-organisme/ml) (21),
– une maladie thrombo-embolique veineuse post-opératoire centrale ou périphérique documentée,
– une insuffisance rénale aigue (critères de KDIGO) : au moins 1 des 3 critères diagnostiques (augmentation de la créatinine plasmatique ≥ 26,5 mcm/L en 48 h, augmentation de la créatinine plasmatique ≥ 1,5 fois la valeur de base au cours des 7 derniers jours, diurèse < 0,5 ml/kg/h pendant 6 h),
– la persistance d’une douleur était définie comme une difficulté à l’équilibration du traitement antalgique ou à l’origine d’une limitation de la mobilité, mentionnée dans le compte rendu ou l’observation médicale,
– une anémie définie par un taux d’hémoglobine < 10 g/L, la diminution de 2 grammes d’hémoglobine en comparaison du taux antérieur à la chirurgie (Brunskill 2015) caractérisait une hémorragie sévère .

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Table des matières

Introduction
Patients et méthodes
1) Données socio-démographiques et gériatriques de la population
2) Paramètres chirurgicaux et anesthésiques
3) Recueil des complications médicales
4) Recueil des complications chirurgicales
5) Recueil des capacités fonctionnelles à la sortie
6) Analyse statistique
Résultats
1) Caractéristiques de la population et selon la survenue d’un décès précoce
a. Caractéristiques démographiques et gériatriques
b. Comorbidités
c. Natures des traitements
d. Caractéristiques de la chirurgie et de l’anesthésie
e. Morbidité post opératoire
2) Facteur de risque de décès à 30 jours : analyse multivariée
3) Proposition de score prédictif de mortalité à l’admission
Discussion
Conclusion
Références
Résumé
Mots clés

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