LE CHANGEMENT DE PARADIGME EN PEDAGOGIE
Il existe présentement une tendance en éducation qui veut que les nouveaux programmes de formation, notamment ceux qui conduisent à une pratique professionnelle, soient orientés selon une approche par compétences. Les programmes axés sur l’atteinte d’objectifs d’apprentissage ont été remplacés par des programmes axés sur le développement des compétences et la formation infirmière n’y échappe pas. Ces deux approches sont très distinctes et s’inscrivent dans des paradigmes différents. L’approche par objectifs s’inspire d’ un paradigme béhavioriste, axé sur l’enseignement et la démonstration de comportements attendus (Brahimi, Fm’ley , & Joubert, 2011). L’approche par compétences, quant à elle, elle liée au paradigme constructiviste, axé sur l’apprentissage et la construction de connaissances (Brahimi et al., 2011). Ainsi,l’apprentissage représente un processus actif de construction des connaissances et non un processus d’accumulation et d’ acquisition de savoirs. L’apprenante est proactive et construit ses connaissances à partir de ses expériences, et ce, en interaction avec son environnement (Brahimi et al., 2011). Ce changement de paradigme implique des façons différentes de concevoir la pédagogie. Pour la formation infirmière, il devient nécessaire de planifier des activités d’enseignement et d’évaluation qui rendront l’étudiante active en faisant des liens avec les milieux cliniques dans lesquels elle évoluera. Jonnaert, Barrette, Boufrahi et Masciotra (2004) soutiennent que les programmes d’études élaborés selon une approche par compétences doivent être guidés par le constructiviste et la cognition sans quoi ils risquent de glisser vers les traditionnels moules de la pédagogie par objectifs, entraînant par le fait même une contradiction interne et une incohérence majeure. Quoi qu’il en soit, l’approche par objectifs est encore très présente, et ce, même si les programmes de formation sont élaborés selon une approche par compétences (Brahimi et al., 2011). Il demeure une certaine confusion en ce qui concerne le rapprochement entre le concept de compétence, les objectifs et les standards de performance (Boutin, 2004). Un écart entre les principes de l’approche par compétences et son application pédagogique est observé. L’utilisation des outils pédagogiques empruntés aux paradigmes antérieurs notamment en regard de l’évaluation des compétences persiste.En effet, les traditionnels examens théoriques, qui mesurent les connaissances de façon quantitative, sont encore largement utilisés. C’est d’ailleurs le cas dans le cours de soins critiques dans lequel le projet de recherche a lieu. Après un certain nombre d’heures de formation, l’étudiante est évaluée sur les connaissances acquises et cumule un certain nombre de points, qui, à la fin du trimestre, sanctionnent la réussite du cours. Dans cette perspective, il est considéré que l’étudiante a appris si elle obtient une bonne note et les résultats des sont comparés afin d’obtenir un classement (Viau, 2002,2004). Cette façon de faire est en contradiction avec le paradigme constructiviste qui suggère d’évaluer le processus d’acquisition des compétences plutôt que les connaissances brutes.
L’APPROCHE PAR OBJECTIFS VERSUS L’APPROCHE PAR COMPETENCES
L’approche par compétences implique des manières différentes de penser les activitésd’enseignement, d’ apprentissage et d’évaluation (Nguyen & Blais, 2007). Il importe de faire la distinction entre l’ approche par objectifs et l’approche par compétences afin de cerner les impacts de ce changement de pratique et la confusion que peut induire un chevauchement d’ approches tant pour l’enseignante que pour l’apprenante.Un objectif pédagogique décrit le comportement final de l’apprenante, précise lesconditions dans lesquelles ce comportement doit se produire et définit des critères de performance acceptables (Brahimi et al., 2011). li a pour but de rendre explicites les finalités d’ une formation, en formalisant le contrat didactique entre les enseignantes et les étudiantes et en énonçant de façon claire les apprentissages à réaliser. Il décrit un résultat désirable à la suite d’une activité pédagogique et non un processus d’apprentissage (Nguyen & Blais, 2007). En comparaison avec un objectif, une compétence est un savoir agir complexe qui prend appui sur la combinaison et la mobilisation de plusieurs ressources à l’intérieur d’une famille de situations (Tardif, 2006). Elle mobilise de nombreuses connaissances, des attitudes et des conduites, et selon sa nature, son développement n’est jamais achevé (Tardif, 2003). «Dans ce sens, une compétence est à cent lieues d’un objectif» (Tardif, 2003, p.37) et il importe d’adopter des pratiques pédagogiques qui sont cohérentes avec cette approche. Les compétences sont indissociables de la personne qui les possède et qui les applique, alors que les objectifs cOLTespondent aux contenus de connaissances à faire acquérir aux élèves, ces contenus étant pour ainsi dire extérieurs au sujet (Legendre, 2001 b). Le concept de compétence s’ associe également au concept de pensée réflexive. Tardif (1998) souligne qu’il importe que l’étudiante réfléchisse sur les connaissances mobilisées dans l’action. Selon lui, les enseignantes doivent favoriser l’habitude de cette réflexion chez leurs étudiantes pour que les compétences ne soient pas des automatismes inéfléchis et afin de favoriser la transférabilité des différents savoirs dans l’action. Au niveau de la pratique professionnelle, McEwen (2011) affirme qu’il est primordial que l’infirmière utilise etapplique des habiletés reliées à la pensée critique et créative. Elle soutient que des changements significatifs doivent avoir lieu dans la formation afin de promouvoir ces compétences. En effet, les enseignantes en sciences infirmières devraient utiliser des méthodes pour stimuler le processus réflexif par des stratégies d’apprentissage actives qui responsabilisent l’étudiante dans son processus d’acquisition de connaissances (McEwen, 2011). Pour ce faire, les contenus et les expériences d’apprentissages doivent être harmonisés pour permettre aux étudiantes infirmières d’acquérir les habiletés nécessairespour ainsi répondre aux exigences actuelles et futures de la pratique (McEwen, 2011). Donc, dans une formation basée sur l’approche par compétences, les enseignantes devraient utiliser des stratégies pédagogiques favorisant le développement de la pensée réflexive.
L’écart entre l’approche par compétences et son application pédagogique
L’écart entre l’approche par compétences et son application pédagogique peut s’expliquer par différents facteurs. Celui qui est souvent relevé concerne le manque deformatio n des enseignantes en sciences infirmières en lien avec le concept de compétence. Tardif (2003) affirme qu’il importe de fournir du soutien lors de l’impl antation d’une nouvelle culture professionnelle autant chez les formateurs que chez les étudiantes. Il est des enseignantes en regard des approches pédagogiques n’est pas un critère d’embauche. Les professeures et les chargées de cours sont engagées en fonction des connaissances disciplinaires dans un secteur spécifique au domaine infirmier sans avoir nécessairement de formation en pédagogie. En regard de ce constat, les compétences mêmes des enseignantes sont à développer afin qu’elles exercent une pédagogie centrée sur l’approche par compétences. En étant mieux outillées, elles seront en mesure d’implanter de nouvelles façons de faire en cohérence avec les principes d’enseignement et d’évaluation des compétences. Les choses tendent tout de même à changer. La notion de pédagogie universitaire est de plus en plus abordée comme en témoigne la présence de l’Associationinternationale de pédagogie universitaire (http://aipu.etsmtl.ca) ou encore le Portail du soutien à la pédagogie universitaire du réseau de l’Université du Québec (http://pedagogie.uquebec.ca).
La fiabilité et la validité des instruments d’évaluation des compétences
Lorsque l’évaluation dans une approche par compétences est abordée, la question de la validité et de la fiabilité des instruments de mesure utilisés est soulevée (McMullan et al.,2003). L’évaluation dans une approche par compétences est souvent de nature subjective. La personne est évaluée en action, ce qui implique un évaluateur et un évalué. Watson, Stimpson, Topping, et Porock (2002) ont effectué une revue des écrits afin de connaître l’état de la recherche en lien avec l’évaluation des compétences en sciences infirmières. Ils concluent que le manque de rigueur des instruments servant à évaluer les compétences constitue une problématique. Lorsque les connaissances sont évaluées à l’aide d’ un examen traditionnel, il est facile de quantifier le degré de maîtrise des concepts questionnés. Dans l’approche par compétences, qui implique la mobilisation de plusieurs ressources dans une situation donnée, il devient plus difficile de quantifier le degré de maîtrise avec les méthodes traditionnelles puisqu’un certain jugement de la part d’un évaluateur est nécessaire.
LA SOLUTION PROPOSEE: L’IMPLANTATION D’UN PORTFOLIO
Comme les compétences servent d’assise à la plupart des programmes de formation infirmière, il devient primordial d’adapter des stratégies pédagogiques en cohérence avec cette approche. Afin d’adopter des pratiques axées selon l’approche par compétences, un portfolio a été introduit comme une stratégie de développement et d’évaluation des compétences dans un cours de soins critiques au baccalauréat en sciences infirmières, cheminement DEC-BAC, au trimestre d’hiver 2012.Le portfolio est connu comme un outil d’évaluation en cohérence avec le concept de compétence. Tardif (1993) souligne qu’il est un moyen efficace d’accéder aux compétences que maîtrisent les étudiantes et d’en déterminer leur développement. li s’agit d’une stratégie d’ évaluation authentique démontrant le développement et les réalisations de l’étudiante au fil du temps (Wenzel, Briggs , & Puryear, 1998). Scallon (2004) définit le portfolio comme une collection de travaux réalisés par une étudiante dans un but précis. li spécifie que l’autoévaluation est la raison d’être du portfolio, ce qui est également relié au processus d’acquisition de compétences qui implique le processus réflexif. C’est un recueil de preuves écrites en lien avec le processus et le produit des apprentissages qui témoignent du développement professionnel et personnel tout en fournissant une analyse critique du contenu (McMullan et al., 2003). li donne une image de l’expérience individuelle en situation d’apprentissage ou de développement (Harris, Dolan , & Fairbairn, 2001). De plus, il a l’avantage d’encourager les étudiantes à s’appuyer sur une variété d’outils afin de démontrer le développement de leurs compétences théoriques et cliniques (Nairn et al. , 2006).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE
1.1 LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE
1.2 LE CHANGEMENT DE PARADIGME EN PEDAGOGIE
1.3 L’APPROCHE PAR OBJECTIFS VERSUS L’APPROCHE PAR COMPETENCES
1.4 LES FACTEURS CONTRIBUANT AU PROBLEME
1.5 LA SOLUTION PROPOSEE: L’IMPLANTATION D’UN PORTFOLIO
1.6 LE CADRE DE REFERENCE
1.7 LE BUT ET LES QUESTIONS DE RECHERCHE
1.8 LA PERTINENCE DE L’ETUDE POUR LA DISCIPLINE ET PROFESSION INFIRMIERE
CHAPITRE 2 RECENSION DES ÉCRITS
2.1 LA STRATEGIE DE REPERAGE DES ECRITS
2.2 LE CONCEPT DE COMPETENCE
2.3 LE PORTFOLIO COMME OUTIL DE DEVELOPPEMENT ET D’EVALUATION DES COMPETENCES
2.4 LE CADRE DE REFERENCE
CHAPITRE 3 MÉTHODE
3.1 L’EXPLICATION DU DEVIS DE RECHERCHE
3.2 LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE
3.3 L’ANALYSE DES DONNEES
3.4 LES CONSIDERATIONS ETHIQUES
3.5 LES CRITERES DE RIGUEUR
CHAPITRE 4 LES RÉSULTATS
4.1 LES RESULTATS ISSUS DU QUESTIONNAIRE D’EVALUATION DE L’IMPLANTATION
4.2 LES RESULTATS ISSUS DES ENTREVUES INDIVIDUELLES
4.3 LES RESULTATS RELIES AU CONTEXTE DE LA RECHERCHE
4.4 POINTS DE VUE DE LA PROFESSEURE ET DE L’AUXILIAIRE D’ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE
CHAPITRE 5 DISCUSSION
5.1 LES BENEFICES RELIES A L’IMPLANTATION D’UN PORTFOLIO
5.2 LES OBSTACLES
5.3 LES LEVIERS
5.4 LE CHOIX DU CADRE DE REFERENCE
5.5 LIMITE DE L’ETUDE
5.6 L’APPORT POUR LA FORMATION INFIRMIERE
5.7 LES RECOMMANDATIONS POUR L’ ENSEIGNEMENT
CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXE 1 COURRIEL D’APPEL DE PARTICIPANTES À LA PHASE D’ÉVALUATION
ANNEXE II GUIDE DE RÉALISATION DU PORTFOLIO
ANNEXE III GRILLES DE CORRECTIONS
ANNEXE IV QUESTIONNAIRE D’ÉVALUATION DE L’IMPLANTATION
ANNEXE V QUESTIONNAIRE DE DONNÉES SOCIODÉMOGRAPHIQUES
ANNEXE VI GUIDE D’ENTREVUE INDIVIDUELLE
ANNEXE VII FICHE DE SUIVI
ANNEXE VIII FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
ANNEXE IX CERTIFICAT D’ACCOMPLISSEMENT
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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