Les interactions sociales forment notre quotidien. En effet, la plupart, des actions que nous réalisons chaque jour se font en interaction avec d’autres individus à l’instar d’une poignée de mains, de porter une armoire à plusieurs lors d’un déménagement ou encore de donner la main à son enfant pour traverser la rue. Ces interactions, qu’elles soient verbales ou non, peuvent être de différentes natures. Par exemple, certaines actions vont entrainer de la coopération ou de l’adaptation et d’autres de la compétition, ce qui entrainera de ce fait des comportements très différents. Dans le cas d’une interaction de type « coopération » par exemple, les individus devront sûrement se synchroniser pour accomplir une tâche en commun. Ceci nécessite alors une bonne perception et interprétation des mouvements de l’autre. Dans le cas d’une interaction de type « compétition », les individus devront anticiper les mouvements de l’autre. De nombreuses études ont montré que différents facteurs pouvaient influencer les interactions. Ainsi, pour une même tâche, l’interaction ne sera pas la même en fonction d’un certain nombre de facteurs tels que l’âge, le sexe, le statut social ou l’état affectif des individus. Par exemple, deux personnes en colère se dépêcheront de terminer une tâche qu’ils ont à réaliser en commun tandis que deux personnes contentes de réaliser la tâche ensemble prendront leur temps et discuteront. Dans cette thèse, nous nous focalisons sur l’impact du facteur émotionnel sur les interactions .
L’utilisation d’agents virtuels prend une part de plus en plus importante dans de nombreux domaines de la vie courante. Dans le domaine des films d’animation, les animateurs prennent soin de donner un caractère expressif aux personnages qu’ils conçoivent (Figure 1 a). Par ailleurs, nous sommes amenés à interagir de plus en plus régulièrement avec des humains virtuels que cela soit dans des environnements virtuels comme dans les jeux vidéos (Figure 1 b) ou sur Internet (Figure 1 c). Par exemple, sur les sites d’EDF ou de la SNCF, on peut interroger un agent virtuel pour nous aider à trouver une information ou résoudre un problème (Figure 1 c). Or, dans le cas des sites Internet et des jeux vidéos, pour que l’interaction entre l’humain réel et l’humain virtuel soit la plus réaliste possible, il faut que ce dernier agisse de manière naturelle. Il en est de même dans les films d’animation où les interactions entre les personnages doivent être crédibles. Dès lors, la prise en compte des émotions devient essentielle. Afin de pouvoir simuler de manière adéquate un humain virtuel, nous avons cherché à comprendre la nature des effets des facteurs émotionnels. L’étude des émotions dans le cadre d’interactions entre humains réels et virtuels passe d’abord par l’étude des interactions entre humains réels. Pour cela, il faut se poser la question de savoir quelle tâche étudier. Celle-ci doit répondre à plusieurs critères. Il doit s »agir d’une tâche de la vie quotidienne, influencée par les facteurs émotionnels et qui puisse être observée. La marche se pose alors comme solution intéressante. D’une part, de nombreuses études ont montré que la cinématique de la marche est influencée par les émotions. On peut d’ailleurs parler de marche expressive. De façon très intuitive, on devine que deux personnes en colère (Figure 2 a) ne marcheront pas de la même manière qu’un groupe d’amis (Figure 2 b). Les premiers feront certainement de grands gestes brusques en exprimant leur colère tandis que les autres marcheront de façon plus rapprochée. D’autre part, dans la rue, on perçoit aisément les relations affectives entre les individus uniquement grâce à leur démarche. Et c’est à partir de cette perception que l’on adapte notre marche. Par exemple, à la vue d’un individu ou de plusieurs à l’aspect menaçant, nous aurons tendance à le(s) contourner. De la même façon, nous ne passerons pas au milieu d’un groupe d’amis ou d’une famille. L’interaction entre individus est donc fonction de leurs relations sociale et affective.
Les émotions
Définition
Dans son article « What are emotions ? And how can they be measured ? », Scherer [Sch05] met en avant que la question « qu’est-ce qu’une émotion ? » donne rarement la même réponse. En effet, le terme émotion est souvent utilisé comme un terme générique pour décrire des concepts tels que les sentiments, l’humeur ou même les préférences. A l’heure actuelle, aucune définition ne fait consensus. Cependant, Olivier Luminet [Lum08] synthétise la définition ainsi : « [Les émotions sont des] réponses extrêmement rapides de l’organisme suite à certaines circonstances inhabituelles de l’environnement qui se caractérisent par un ensemble de réponses physiologiques, comportementales expressives et cognitives expérientielles concomitantes. […] l’émotion se caractérise par une durée courte (quelques secondes à quelques minutes), des éléments déclencheurs aisément identifiables, une intentionnalité, une intensité élevée et une fréquence d’apparition faible ». Par exemple, la colère est considérée comme une émotion puisqu’elle porte (intentionnalité) sur quelqu’un ou quelque chose. Au contraire, un état déprimé est considéré comme une humeur puisque n’ayant pas d’objet précis. De même, la vraie colère ne dure généralement que quelques instants lorsque survient l’événement déclencheur alors que l’état déprimé peut durer dans le temps.
Il est donc entendu que les émotions puissent se distinguer des autres phénomènes affectifs grâce à divers critères. Cependant, le fonctionnement même des émotions est sujet à discussion et deux grandes catégories d’approche existent. D’un côté, nous avons une approche dite biologique. Soutenue par Ekman [Ekm92], cette approche caractérise l’émotion par sa durée (très courte), un seuil de déclenchement rapide et spontané ainsi que par la présence d’éléments déclencheurs facilement identifiables. Enfin, pour Ekman, chaque émotion serait associée à un signe distinctif universel (expression faciale spécifique par exemple). Selon l’approche biologique, les émotions reflètent un ensemble de réponses adaptatives et servent de signal de danger pour l’organisme. Dans cette conception, un ensemble restreint d’émotions de base (colère, peur, tristesse, dégoût, surprise, joie) se manifesteraient de manière universelle suite à la présence de déclencheurs spécifiques. De l’autre côté, nous avons l’approche cognitive soutenue par Scherer [Sch05]. Pour lui, les émotions sont des séquences de changements d’état intervenant dans les cinq (mais pas obligatoirement) systèmes organiques (cf Table 1.1). Ces changements interviennent de manière interdépendante et synchronisée en réponse à l’évaluation d’un stimulus externe ou interne ayant un intérêt significativement important pour l’individu. Les théories cognitives de l’émotion mettent en évidence l’évaluation cognitive ou « appraisal » de la situation et les tendances à l’action.
Modèles d’émotions
Modèle discret
Les modèles discrets se basent sur une approche biologique des émotions et sur l’idée que les émotions sont des réactions innées chez l’Homme. Dès 1872, Darwin [Dar72] suggère que les expressions faciales, par exemple, puissent être associées à des émotions particulières et que ces dernières seraient, par nature, innées. Cette théorie est largement reprise par Ekman, qui réalise en 1972 une expérience inter culturelle où l’on présentait différentes photos de personnes exprimant une émotion à des sujets de cultures différentes. Il était alors demandé aux sujets de mettre un mot sur l’émotion. Ekman résume ainsi les résultats de son expérience et des expériences similaires [EO79] : « 1. Les observateurs ont labellisé certaines expressions faciales d’émotion de la même manière peu importe leur culture. 2. Les membres de cultures différentes ont les mêmes expressions faciales lorsqu’ils expérimentent la même émotion à moins que des règles culturelles spécifiques interfèrent ». Grâce à cela, il a pu déterminer qu’il existait des émotions de base (également appelées émotions basales). Bien que leur nombre puisse varier en fonction de l’auteur, Ekman en compte pour sa part 6 : la colère, le dégoût, la peur, la joie, la tristesse et la surprise (Figure 1.1). Les autres émotions sont alors considérées comme étant composées par ces six émotions de base.
Les travaux d’Ekman et al. [EO79, EFH02] sur les expressions faciales ont également permis de mettre au point une méthode de description des mouvements des muscles du visage. Grâce à cette méthode, les mouvements du visage sont encodés selon une nomenclature spécifique et un degré d’activation (échelle allant de A pour une intensité minimale à E pour une intensité maximale). Par exemple, 1A correspond à la remontée de la partie interne des sourcils avec une intensité minimale et 1E correspond à la remontée de la partie interne des sourcils avec une intensité maximale. En partant du principe que pour chaque émotion correspond une expression faciale, le système FACS est capable d’encoder n’importe quelle émotion. Par exemple, selon le système FACS, une expression de peur est notée 1C+2C+4B+5D+20B+26B (Figure 1.2). Un tel système peut être utilisé à la fois pour déterminer l’émotion d’un sujet réel grâce à une caméra qui analyse les mouvements du visage, mais également pour animer des agents virtuels.
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Table des matières
Introduction
1 État de l’art
1.1 Les émotions
1.1.1 Définition
1.1.2 Modèles d’émotions
1.1.2.1 Modèle discret
1.1.2.2 Modèle dimensionnel
1.1.3 Expression et perception des émotions
1.1.4 Expression des émotions dans la marche
1.2 Interaction
1.2.1 Interactions sociales
1.2.2 Interactions dans le cas de la marche
1.3 Les humains virtuels expressifs
1.4 Conclusion
2 Influence des émotions sur une marche non contrainte : protocole général
2.1 Introduction
2.2 Protocole expérimental
2.2.1 Population d’étude
2.2.2 Tâche
2.2.3 États émotionnels
2.2.4 Méthodologie générale
2.3 Traitement des données cinématiques
2.3.1 Reconstruction des données
2.3.2 Calcul des paramètres cinématiques
2.3.3 Analyse statistique
2.4 Discussion/Conclusion
3 Validation de la démarche expérimentale
3.1 Introduction
3.2 Étude en perception
3.2.1 Protocole expérimental
3.2.1.1 Population d’étude
3.2.1.2 Stimuli
3.2.1.3 Tâche
3.2.1.4 Analyse
3.2.2 Résultats
3.2.2.1 Marche seul
3.2.2.2 Marche en groupe
3.3 Étude en perception : nouvelle étude du cas de la marche en groupe
3.3.1 Protocole expérimental
3.3.1.1 Population d’étude
3.3.1.2 Stimuli
3.3.1.3 Tâche
3.3.1.4 Analyse
3.3.2 Résultats
3.4 Analyse cinématique
3.5 Discussion
3.6 Conclusion
4 Interactions entre deux marcheurs
4.1 Introduction
4.2 Analyse
4.3 Résultats
4.3.1 Cinématique du groupe
4.3.2 Cinématique de l’acteur neutre
4.3.3 Effet de la transitivité
4.3.4 Effet du dialogue
4.3.5 Décalage de phase
4.4 Discussion
4.4.1 Émergence d’un mécanisme de « meneur-suiveur »
4.4.2 Effet des différentes conditions d’interaction
4.5 Conclusion
Conclusion
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