Évaluation de la température de surface en Antarctique

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Le bilan énergétique de surface en Antarctique

Les échanges énergétiques qui s’opèrent entre l’atmosphère et la surface du continent consti-tuent le bilan énergétique de surface. Les principaux composants de ce bilan énergétique de surface sont le rayonnement solaire, le rayonnement thermique infrarouge, les flux turbulents de chaleur latente et sensible (Brandt et Warren, 1993) (Figure 1.3).

Les flux radiatifs : rayonnements solaires et termiques

Le rayonnement solaire s’étend sur une large gamme de longueur d’onde, de 0,25 à 4 µm, comprenant l’ultra-violet, le visible, le proche et moyen infrarouge. Quand il atteint la surface, le flux radiatif solaire, noté SWdown, est en partie absorbé, l’autre partie est réfléchie. Le rapport entre l’énergie réfléchie par une surface et l’énergie qu’elle reçoit est appelé albédo et varie entre 0 et 1. L’albédo de la neige varie selon le champ spectral. Dans le domaine du visible, il est très élevé, jusqu’à 0,9 pour de la neige fraîche, induisant une faible absorption de l’énergie solaire.
L’albédo peut cependant chuter jusqu’à 0,5 voire moins selon la présence d’impuretés, la taille des grains (Wiscombe et Warren, 1980) et la teneur en eau liquide de la neige : une neige sèche aura tendance à mieux réfléchir les rayonnements incidents (Blumthaler et Am-bach, 1988). Dans le spectre proche-infrarouge, il reste supérieur à 0,5 jusqu’à 1400nm ; au-delà il ne dépasse pas 0,3. L’albédo de la neige varie également, autant spatialement que temporellement, en fonction d’autres paramètres cités ci-dessous.
Les variations quotidiennes de l’angle solaire zénithal (ASZ) impactent l’albédo de la neige. En effet, plus l’angle solaire zénithal est élevé, c’est-à-dire quand le soleil est bas sur l’hori-zon, plus l’albédo est important (Carroll et Fitch, 1981; Warren, 1982). Le cycle diurne du Soleil explique ainsi en grande partie les variations journalières (Pirazzini, 2004) et saisonnières (Kuipers Munneke et al., 2008; Wang et Zender, 2011) d’albédo observées sur le plateau an-tarctique. Par conséquent, la quantité d’énergie absorbée par la neige varie, elle aussi, au cours de la journée et aux cours des saisons.
L’albédo dépend de la couverture nuageuse et de la composition atmosphérique (Choudhury, 1981; Mayer et al., 2005; Flanner et al., 2007). L’eau liquide et la glace ayant des propriétés optiques très similaires, les nuages filtrent le rayonnement solaire de telle sorte que le flux radiatif SWdown qui atteint la surface ne contient plus les longueurs d’onde fortement absorbées. Cela entraîne une augmentation de l’abédo (Wang et Zender, 2011; Abermann et al., 2014) mais comme les nuages diffusent également le rayonnement solaire, l’angle solaire zénithal apparent est modifié. Des études réalisées à Dôme C (Wiscombe et Warren, 1980; Carmagnola et al., 2013) révèlent que ce second effet tend à diminuer l’albédo pour un angle solaire zénithal supérieur
à 50°, typique en Antarctique. La présence d’impuretés dans la neige, telles que les poussières minérales, le carbone-suie ou les molécules organiques, peut également impacter l’absorption du rayonnement solaire (Domine et al., 2008; France et al., 2012) en induisant une diminution de l’albédo dans l’ultra-violet et le visible (Warren et Wiscombe, 1980). À Dôme C, le faible taux d’impuretés n’est cependant pas suffisant pour modifier significativement l’albédo (Warren et al., 2012).
En déterminant la manière avec laquelle la lumière va intéragir avec la neige à l’échelle du grain, la forme des grains modifie aussi l’albédo.
Enfin, la rugosité de surface peut impacter l’albédo en modifiant l’angle solaire zénithal apparent (Hudson et al., 2006) et produire des zones d’ombre à la surface (Leroux et Fily, 1998). À Dôme C, la rugosité de surface est assez peu marquée. En raison de son fort contenu en air, la neige sèche du plateau conduit faiblement la chaleur de telle sorte que la température de surface s’adapte rapidement aux changements du bilan énergétique de surface. C’est pourquoi en été l’albédo est un paramètre essentiel du bilan énergétique de surface (Van den Broeke et al., 2004a).
La présence de neige dans les régions polaires entraîne une réflexion importante du flux radiatif SWdown vers l’atmosphère : les UV et le visible sont le plus souvent fortement réfléchis (80 à 90%) alors que le proche infrarouge l’est faiblement (20 à 40%). Le flux radiatif SWdown non réfléchi qui pénètre dans le manteau neigeux est absorbé (Brandt et Warren, 1993), non pas par la seule surface, mais sur une épaisseur de quelques centimètres car la neige est un milieu semi-transparent au sein duquel la lumière pénètre puis est diffusée plusieurs fois avant de ressortir ou d’être absorbée (Bohren, 1987). L’absorption du rayonnement solaire au sein du manteau neigeux est essentielle pour le bilan énergétique (Kuipers Munneke et al., 2009) car elle conduit en particulier à réchauffer le manteau et l’atmosphère de plusieurs degrés (Flanner et Zender, 2005; Kuipers Munneke et al., 2012). La profondeur de pénétration d’un rayonnement énergétique dans le manteau neigeux dépend fortement de sa longueur d’onde (Bohren et Barkstrom, 1974; Warren, 1982; Colbeck, 1989) : les plus courtes longueurs d’onde pénétrent plus profondément que les grandes longueurs d’onde. Ainsi pour de la neige pure à Dôme C, la profondeur de pénétration est de l’ordre de 15 cm pour 500 nm et de l’ordre de 3 cm pour 800 nm (Libois, 2014).
Le manteau neigeux, comme la plupart des autres surfaces naturelles, présente une forte émissivité ( ~0,98, (Wiscombe et Warren, 1980)), ce qui l’amène à émettre de l’énergie vers l’espace sous forme de rayonnement thermique infrarouge (noté LWup). En effet, le flux radiatif LWup est fonction de l’émissivité mais aussi de la température de surface tel que : LWup = σTs4 (1) avec l’émissivité, σ la constante de stefan-Boltzmann (5,67. 10−8W m−2K−4 et Ts la tem-pérature de surface.
L’émission du flux radiatif LWup est localisée en surface dans un couche de quelques micro-mètres (Warren, 1982) alors que le SWdown est absorbé à quelques centimètres de profondeur. Ainsi, la partie superficielle du manteau tend à se refroidir, tandis qu’en dessous le rayonnement solaire réchauffe la neige, créant un maximum de température à quelques centimètres sous la surface (Schlatter, 1972; Koh et Jordan, 1995) à l’origine de gradients de température pouvant dépasser 100 K.m−1. En condition de ciel clair, la perte de chaleur due à l’émission du flux LWup est plus importante en été quand l’absorption du flux SWdown réchauffe la surface. En l’absence de rayonnement solaire, quand la température devient très basse, le fort gradient de température présent dans le manteau génère un flux de chaleur depuis les chaudes couches en profondeur vers la surface et compense en partie la perte de flux thermique infrarouge LWup (Van den Broeke et al., 2004a). Les nuages présentent une grande opacité au rayonnement ther-mique infrarouge. À l’exception des plus fins d’entre eux, ils se comportent comme des corps noirs absorbant la totalité du flux LWup qu’ils reçoivent. L’atmosphère et les nuages émettent ensuite un rayonnement thermique infrarouge dans toutes les directions dont une partie (noté LWdown) atteint la surface du manteau neigeux avec une intensité qui dépend principalement des profils verticaux atmosphériques d’humidité, de nébulosité et de température.

Les flux turbulents de chaleur sensible et de chaleur latente

Les échanges de chaleur entre l’atmosphère et la surface se font par l’intermédiaire de flux non radiatifs, les flux de chaleur latente et de chaleur sensible.
La chaleur latente d’évaporation, respectivement de sublimation, est la quantité d’énergie nécessaire pour transformer une masse d’eau liquide, respectivement solide, en vapeur, sans changement de température. Elle est consommée ou libérée à la surface de la neige selon le sens de la transformation. Le flux de chaleur latente, noté LE, est proportionnel au gradient d’humidité spécifique entre la surface et l’atmosphère, à la vitesse du vent et à la rugosité de la surface qui génèrent de la turbulence, et à la stabilité de l’atmosphère. En Antarctique, et notamment à l’intérieur du continent, le peu d’énergie disponible, les températures très froides qui rendent l’air sec et le taux d’humidité spécifique bas induisent des flux de chaleur latente, sous forme de sublimation (LE < 0) ou de condensation solide (LE > 0), très faibles.
La chaleur sensible entraîne, contrairement à la chaleur latente, une modification de la tem-pérature lorsqu’on l’ajoute ou la soustrait, en excluant toute quantité d’énergie correspondant à un changement de phase. Le flux de chaleur sensible Hs dépend du gradient de température entre la surface et l’atmosphère, de la vitesse du vent, de la rugosité de la surface et de la stabi-lité de l’atmosphère. En moyenne annuelle sur l’ensemble du globe, le flux de chaleur sensible à la surface est négatif, c’est-à-dire que la surface transfère de l’énergie sous cette forme vers les basses couches atmosphériques. Sur le continent Antarctique, la situation est différente : du fait de la forte réflexion des rayonnements solaires incidents et de la perte de chaleur par l’émission de rayonnement thermique, la surface du manteau neigeux est généralement plus froide que l’atmosphère, rendant le flux de chaleur sensible positif (Van den Broeke et al., 2005a). Dans ce cas, c’est l’atmosphère qui apporte de l’énergie à la surface neigeuse sous cette forme.
L’estimation de la contribution des flux de chaleur sensible et latente au bilan énergétique de surface s’appuie sur la théorie de similitude de Monin-Obukhov. Cette théorie décrit no-tamment l’influence de la stabilité et de la rugosité sur la variabilité du coefficient d’échange. Une augmentation de la stabilité induit une diminution du coefficient d’échange (Kondo, 1975; Blanc, 1985; Blyth et al., 1993). C’est ainsi qu’en Antarctique, la couche limite stable et la faible rugosité de la surface induisent des coefficients d’échange de flux turbulents très bas (Deardorff, 1968).

Le manteau neigeux

Le bilan énergétique de surface du manteau neigeux, constitué par les échanges des différents flux énergétiques décrits précédemment, est fondamentalement lié aux propriétés de surface de la neige (Wang et Zender, 2011), tel l’albédo dont une faible variation suffit à modifier de manière significative ses termes. Dans les modèles de prévision météorologique ou les modèles de climat actuels, les propriétés internes du manteau neigeux telles que la taille des grains, l’albédo, la conductivité thermique ou encore la densité, sont encore représentés de façon très simplifiée. Or les fortes variations des propriétés de surface de la neige au cours du temps, principalement induites par les conditions atmosphériques, ont en retour un impact important sur l’atmosphère via le bilan radiatif. L’étude de la neige, de sa formation, de ses propriétés de surface et des processus physiques qui les déterminent, sont ainsi primordiales pour l’amé-lioration des simulations du bilan énergétique de surface dans les modèles et, par conséquent, pour estimer correctement l’évolution du manteau neigeux et son rôle dans les rétroactions climatiques.

La neige, formation et précipitation

La neige est un matériau poreux constitué de glace et d’air dont la température est toujours inférieure (ou égale) à 0°C. Elle résulte du dépôt de cristaux de glace formés dans l’atmosphère lors de la condensation de vapeur d’eau arrivée à saturation (Libbrecht, 2005). Pour que le phé-nomène ait lieu, la saturation en vapeur d’eau seule n’est pas suffisante, la présence d’éléments microscopiques sur lesquels se produit la condensation est nécessaire, généralement les noyaux de nucléation Kumai (1976). Lorsque les flocons formés par l’agglomération de cristaux de neige sont suffisamment lourds pour vaincre les courants ascendants régnant à l’intérieur des nuages, ils précipitent. Si les températures restent négatives jusqu’au sol, ils se déposent et demeurent pour constituer le manteau neigeux. Lors de leur chute, les flocons subissent l’influence de deux paramètres météorologiques importants : le vent et la température. Le vent agit mécaniquement sur la structure des flocons ; il favorise les chocs, et par conséquent les cassures, entraînant une destruction des structures les plus fragiles ; il provoque aussi la soudure des petites particules entre elles par des ponts de glace. L’ensemble de ces actions induit une densification de la neige. Si la température de l’air se rapproche de 0°C, les flocons s’humidifient et la densité des flocons déposés sera beaucoup plus importante, de l’ordre de 100 à 200 kg m−3.

Le métamorphisme de la neige

Le manteau neigeux est constitué d’une succession de couches de neige, de densité et de granulométrie distinctes, qui subissent chacune une évolution propre. Les cristaux de glace de chaque couche sont le résultat de transformations thermodynamiques et mécaniques contrôlées principalement par les conditions atmosphériques passées et présentes ainsi que de la teneur en eau liquide au sein de la couche : c’est le métamorphisme de la neige (LaChapelle, 1969; Sommer-feld et LaChapelle, 1970; Raymond et Tusima, 1979; Wakahama, 1968; Hobbs, 1968; Colbeck, 1973). Le métamorphisme a pour conséquence la modifications des propriétés physiques de la neige, telles que la taille des grains, la densité, la conductivité thermique, la perméabilité ainsi que l’albédo (Colbeck, 1982). On distingue les métamorphismes de la neige sèche (Gubler, 1985) de ceux de la neige humide (Colbeck, 1973).
La neige est dite « sèche » si sa teneur en eau liquide est en faible quantité, à savoir inférieure à 0,1% de la masse (Denoth et al., 1979; Kuroiwa, 1968). En pratique, une neige avec très peu d’impuretés est considérée sèche si sa température est inférieure à -0,1°C. Au-dessus de cette température, seule la mesure de la teneur en eau liquide permet de différencier la neige humide de la neige sèche. La figure 1.4 présente les principales transformations que subissent les grains de glace ainsi que les facteurs qui les gouvernent.
En cas de neige humide, les cristaux ou grains de neige vont s’arrondir pour former des « grains ronds » à une vitesse dépendant de la teneur en eau liquide présente dans le manteau.
Dans le cas de la neige sèche, les métamorphoses de la neige sont fonction des différences de température présentes dans le manteau : le métamorphisme isotherme conduit à la formation de grains fins arrondis et le métamorphisme de gradient faible ou modéré à la formation de grains à face planes. Si le gradient thermique est fort (rT > 20 K m−1) il créera du givre de profondeur appelé « gobelets ». Dans sa théorie du métamorphisme de la neige sèche, Colbeck (1983) montre que les différences de température dues aux rayons de courbure des grains restent très négligeables comparées au gradient de température imposé par l’environnement au manteau neigeux. Le taux de métamorphisme dépend alors de la température de la neige, de sa densité, et du gradient de température (Flanner et Zender, 2006; Flanner et al., 2007).
Le plateau antarctique, cas de neige sèche, présente en été des gradients de température très élevés proche de la surface (Town et al., 2008) provoqués en partie par la pénétration du rayonnement solaire dans le manteau (Alley et al., 1990). C’est ainsi que le métamorphisme de gradient domine le métamorphisme de la neige à Dôme C en été (Albert et al., 2004), soulignant la nécessité de connaître précisément les profils de température et de densité pour simuler correctement l’évolution du manteau neigeux.

La densité de surface de la neige

La densité de la neige sèche (notée ρ et exprimée en kg m−3) désigne sa masse volumique. Elle peut varier entre 20 kg m−3 pour de la neige fraîche très froide et 500 kg m−3 pour de la vieille neige humide. La glace a une densité égale à 917 kg m−3 à 0°C. La densité de la neige tombant au sol est liée à la température de l’air et au vent lors de son dépôt : plus la vitesse du vent est élevée, plus la densité sera importante. Dans le manteau neigeux, la densification d’une couche de neige dépend du poids des couches supérieures, de l’humidité du manteau neigeux et de la température de la couche de neige qui impacte la métamorphose des grains (Pahaut, 1976; Albert et al., 2004; Liston et al., 2007) ; une température basse ralentit le processus de densification quand une température élevée l’accélére (Albert et al., 2004). Le plus souvent, la densité de la neige croît avec le temps (Verseghy, 1991) et avec la profondeur (Figure 1.5) mais il existe des exceptions qui peuvent entraîner des instabilités du manteau, susceptibles de provoquer des avalanches.
La densité du manteau neigeux impacte en particulier sa cohésion (Gallée et al., 2001) et ses propriétés thermiques (Sturm et al., 1997). Pour une même valeur de SSA 4 (specific surface area) et pour un manteau neigeux fin, c’est-à-dire non optiquement semi-infini 5, une augmentation de densité élève l’albédo dans les longueurs d’onde visibles et proche infrarouges (Gallet, 2010). L’effet est négligeable dans les longueurs d’onde infrarouge puisque la neige est quasiment opaque même si elle est réduite à une petite épaisseur. La densité de la neige reste une donnée difficile à estimer précisément : elle ne peut être mesurée qu’in situ et sa mesure comporte une part d’incertitude d’environ 10% (Conger et McClung, 2009) ; elle n’est pas me-surable par télédétection et ses simulations numériques présentent généralement de nombreuses imprécisions en raison de processus contrôlant la densification de la neige encore peu compris et mal représentés dans les modèles de neige (Slater et al., 1998).
Cette thèse a pour ambition de développer une nouvelle méthode d’estimation de la densité de surface qui s’appuie sur la relation entre la densité de surface de la neige et la variabilité de sa température de surface, due au lien entre densité et inertie apparente de la neige vis-à-vis des échanges d’énergie avec l’atmosphère. Cette inertie apparente de la neige est due à la fois à l’inertie thermique intrinsèque de la neige, quasiment proportionnelle à sa densité, et à la conductivité. L’inertie thermique de la neige représente sa résistance au changement de température lorsqu’intervient une perturbation de son équilibre thermique. La neige contient de l’air qui en fait un isolant dont la grande inertie thermique est caractérisée par une diffusivité de l’ordre de 2 à 10.10−7m2s−1. Cette qualité d’isolation thermique sera d’autant meilleure que la quantité d’air sera importante et donc que sa densité sera faible. La densité de la neige impacte également sa conductivité (section 1.4.4). En favorisant les échanges au sein du manteau, une forte conductivité augmente la masse de neige affectée par les variations de la température de surface, augmentant ainsi l’inertie thermique de la neige vis à vis de ces variations de la température de surface.

La conductivité

La surface de la calotte antarctique est principalement recouverte d’un manteau neigeux qui perdure tout au long de l’année. Constitué de glace et surtout d’air, le manteau neigeux est un milieu poreux capable de conduire la chaleur : les échanges de chaleur se font par conduction dans les phases gazeuse et solide mais également par diffusion et convection de la vapeur d’eau dans l’air interstitiel (Yen, 1981; Colbeck, 1993).
Pour étudier la propagation de la chaleur dans un corps, on introduit la conductivité thermique qui traduit la capacité du matériau à transmettre la chaleur (Brandt et Warren, 1993; Town et al., 2008). Avec sa faible conductivité et sa faible capacité thermique, les transferts thermiques entre la neige de surface et le reste du manteau sont lents. L’isolement de la surface du reste du manteau la contraint à répondre rapidement aux forçages radiatifs en ajustant sa température.
La conductivité thermique effective de la neige keff représente sa capacité à conduire la chaleur lorsqu’elle est soumise à un gradient de température (Domine et al., 2008). Il s’ensuit que la conductivité thermique effective de la neige a un effet direct sur le métamorphisme de la neige, et réciproquement (Sturm et al., 1997; Domine et al., 2011). Elle est également fortement liée à la densité de la neige. La conductivité thermique de l’air (0,02 W m−1K−1) étant plus faible que celle de la glace (2,2 W m−1K−1), une densité de la neige élevée favorise la conduction dans le manteau neigeux, une densité de neige faible la limite (Domine et al., 2011).
Une des nombreuses relations reliant la densité de la neige ρ à sa conductivité thermique keff est décrite par la loi de Yen (1981) : ρ !1,885 keff = ki ρw (2)
avec ki la conductivité thermique de la glace pure (2,01 W m−1K−1) et ρw la densité de l’eau (1000 kg m−3).
La conductivité thermique de la neige est une propriété essentielle du bilan énergétique car elle contrôle les transferts de chaleur et les flux de masse dans le manteau neigeux (Riche et Schneebeli, 2013).
En Antarctique, la température de surface Ts est un des paramètres les plus importants influençant le bilan énergétique de surface à des échelles locales et globales. Plusieurs études, parmi lesquelles Muszynski et Birchfield (1985), ont d’ailleurs mis en avant la relation linéaire qu’entretient la Ts avec le bilan énergétique de surface.
La connaissance de la Ts fournit des informations sur les variations spatiales et temporelles de l’état d’équilibre de la surface, de manière directe pour l’estimation des flux thermiques infrarouges, de manière indirecte pour l’estimation des flux de chaleurs sensibles et latents (Kerr et al., 2004). C’est une variable particulièrement sensible aux changements des conditions atmosphériques (vitesse du vent, couverture nuageuse), notamment en hiver en raison de la forte inversion de température près de la surface (Van den Broeke, 2000; Town et al., 2008). Ceci est d’autant plus notable à l’intérieur du plateau antarctique en raison de l’absence de fonte (Comiso, 2000; Picard et Fily, 2006), du peu de mélange au-dessus de la surface, d’une conduction relativement faible dans les couches de neige et d’une faible capacité thermique de la neige (Brun et al., 2011).
Si la température de l’air sous abri (typiquement mesurée à 2m au-dessus de la surface et notée T2m dans ce manuscrit) est souvent préférée à la Ts pour caractériser le climat, elle est moins appropriée pour étudier le bilan énergétique de surface de la neige. Quand la mesure de la Ts est disponible, elle est beaucoup plus informative vis à vis de l’état thermique de la couche limite de surface au-dessus du plateau antarctique que ne l’est la T2m. Au contraire de la T2m, la Ts affecte directement une partie significative du bilan énergétique de surface principalement par le biais d’émissions de rayonnements thermiques mais aussi à travers la diffusion de flux de chaleur sensible et latent dans l’atmosphère et en profondeur dans le manteau neigeux (Town et al., 2008). De plus, en raison de la forte homogénéité spatiale et de la fréquente et importante stabilité des basses couches atmosphériques sur le plateau antarctique, un gradient de température élevé s’établit sur les premiers mètres au-dessus de la surface (Genthon et al., 2010), ce qui rend la température de l’air très sensible à la hauteur de mesure. Or, en raison de l’accumulation progressive et irrégulière de la neige entre les visites de maintenance, les stations de mesure réparties sur le plateau mesurent la température à des hauteurs incertaines (Genthon et al., 2009). La Ts, variable pronostique 6 des modèles météorologiques de climat et réanalyses, se diffé-rencie également de la T2m, diagnostique fait à partir de la Ts et de la température au premier niveau atmosphérique via des fonctions d’interpolations qui varient d’un modèle météorolo-gique ou climatique à l’autre. Enfin, sous des conditions météorologiques favorables, la Ts peut également être mesurée raisonnablement bien par satellite en utilisant l’émission thermique de surface (Comiso, 1994; Karbou et Prigent, 2005; Picard et al., 2009).

Les stations BSRN

Dans le cadre de la recherche sur le changement climatique, le WCRP (World Climate Research Pogramme) a mis en place un réseau de stations de mesures, le BSRN (Baseline Surface Radiation Network), qui a pour objectif principal la validation d’observations satellites et de modèles numériques. Il contribue également à la détection de variations de l’intensité du rayonnement solaire, paramètre devenu clef dans l’étude du changement climatique (Haigh, 1996). Les missions du BSRN sont multiples :
— couvrir les régions à enjeu majeur dans l’étude du climat ;
— fournir la précision requise pour la validations de données ;
— garantir une homogénéité des mesures sur de longues périodes.
Les instruments, les méthodes d’observations et le traitement des données ont été approuvés par le WCRP sur toutes les stations. Cette étude utilise les observations horaires des rayon-nements thermiques infrarouge ascendant (LWup) et descendant (LWdown) (section 1.3.1) de trois stations BSRN situées en Antarctique : Dôme C, Pôle Sud et Syowa. Ces stations sont localisées sur la figure 2.3 et leur caractéristiques décrites dans le tableau 2.1.
Les données sont recueillies par du personnel présent en permanence dans les stations assu-rant le nettoyage régulier des pyrgéomètres, instruments servant à mesurer les flux thermiques, afin de limiter les erreurs de mesure dues au givrage, phénomène fréquent sur le plateau an-tarctique (Van den Broeke et al., 2004b). La qualité des données est vérifiée dans les stations ainsi qu’au WRMC (World Radiation Monitoring Center) à Zurich (Ohmura et al., 1998).
La Ts est déduite des mesures de rayonnements thermiques à partir de l’équation suivante : s4 Ts = LWup − (1 − )LWdown (6).
Dans le domaine infrarouge thermique (5-40 µm), l’émissivité de la neige est très proche de l’unité et sa variation est plus faible que celle des autres corps naturels. Par conséquent, la neige s’apparente à un corps noir, c’est à dire qu’elle absorbe quasi-totalement les radiations qu’elle reçoit sans les réfléchir ni les transmettre et qu’elle émet autant d’énergie que sa température le permet. En réalité, l’émissivité de la neige varie entre 0,98 et 0,99 pour un grain de neige d’une largeur supérieure à 75 µm et proche de 0,985 pour un grain plus petit dont la taille est égale à 50 µm (Dozier et Warren, 1982). Sur le plateau antarctique, où il n’y a pas de neige humide, l’émissivité de la neige a une variation encore plus faible : on peut la considérer comme constante. Dans notre étude, l’émissivité a été fixée à 0,99 pour calculer la Ts, en conformité avec les travaux de Brun et al. (2011). Des tests de sensibilité, réalisés pour des valeurs d’émis-sivité égales à 0,98 et 1, révèlent des différences de température de surface n’excédant pas 0.1°C en moyenne (0,080 et 0,079°C respectivement).

Les stations AWS

En plus des mesures des stations BSRN, plusieurs campagnes ont eu lieu en Antarctique fournissant des observations de flux radiatifs sur de courtes périodes. Au total, l’ensemble des observations reste toutefois faible sur les plans spatial et temporel (Van den Broeke et Van Lip-zig, 2004). C’est pour palier cette carence que l’USAP (United States Antarctic Program) a mis en place le programme AWS (Automatic Weather Station) chargé de maintenir un réseau de stations météorologiques automatiques et de fournir des observations météorologiques en temps réél en Antarctique. Contrairement aux stations BSRN, les stations AWS ne bénéficient pas de personnel chargé d’entretenir régulièrement les instruments de mesure ; les pyrgéomètres des stations AWS ne sont visités qu’une fois par an. Une évaluation de la qualité des rayon-nements thermiques mesurés par ces stations révèle de fréquentes erreurs dues au givrage des instruments, notamment en hiver (Van den Broeke et Van Lipzig, 2004). Pour détecter les me-sures erronnées, les auteurs Van den Broeke et Van Lipzig (2004) proposent de rejeter toutes les valeurs où le LWdown supérieur au LWup. Après analyse, nous avons constaté que certaines données présentaient encore des valeurs aberrantes. Bien que réduisant le nombre déjà restreint de données disponibles en hiver, un filtre plus strict a par conséquent été appliqué dans cette étude : les données AWS sont rejetées quand le LWdown est supérieur au LWup – 5 W m−2. Il est à noter toutefois que des données peuvent toujours être affectées par le givrage.
Notre étude utilise quatre stations AWS gérées par l’Institut de recherche marine et atmo-sphérique de l’Université d’Utrecht :
— Kohnen (AWS9)
— Plateau Station B (AWS12)
— Pole of Inaccessibility (AWS13)
— Princess Elisabeth (AWS16)
Ces stations sont localisées sur la figure 2.3 et listées dans le tableau 2.1. Comme pour les données BSRN, la température de surface AWS (Ts AWS) est calculée à partir des rayonnements thermiques LWdown et LWup selon l’équation de Stefan-Boltzmann (Eq. 8).

La campagne 2014-2015 à Dôme C

Pour compléter ces mesures et analyser plus en détail les propriétés de surface de la neige en Antarctique et leurs intéractions avec l’atmosphère, j’ai effectué une mission de campagne de mesures à Concordia, base scientifique située à Dôme C, durant la saison 2014-2015. J’ai récolté des mesures de Ts qui m’ont permis d’étudier sa variabilité temporelle durant un cycle diurne ainsi que sa variabilité spatiale spatiale à petite (100 m) et grande échelle (5 km). Des mesures de densité de surface et des profils verticaux de densité ont également été réalisés.

Les mesures de la température de surface

La Ts fut mesurée par deux capteurs IR120, instruments capables de mesurer sans contact la Ts de la neige par détection du rayonnement infrarouge émis. Ils ont été employés portés pour les mesures de la variabilité spatiale à petite et grande échelle (Figure 2.4 gauche) et installés sur un portique pour évaluer la variabilité temporelle de la température de surface durant un cycle diurne (Figure 2.4 droite).

Les mesures de densité

Les mesures de densité sont effectuées par prélèvement de neige en utilisant une pelle à densité parallélépipédique d’un volume de 250 cm3. Ce volume de neige est ensuite pesé grâce à une balance ; la masse est estimée avec une précision de l’ordre de 0,1 g. L’erreur sur la mesure de la densité, liée à l’imprécision sur le volume échantillonné, n’est pas négligeable : il est en effet difficile de remplir entièrement la pelle sans tasser la neige et donc agir sur la densité de la neige. L’incertitude est évaluée par Conger et McClung (2009) à 10%. Des mesures de densité ont été réalisées à la surface et en sub-surface à 2,5 cm de profondeur (Figure 2.5 gauche). Des profils verticaux, allant de la surface jusqu’à une profondeur de 25 cm avec une résolution verticale de 2.5 cm (Figure 2.5 droite), sont également effectués.

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Table des matières

I Le manteau neigeux en Antarctique
1.1 Introduction
1.2 L’Antarctique
1.3 Le bilan énergétique de surface en Antarctique
1.3.1 Les flux radiatifs : rayonnements solaires et termiques
1.3.2 Les flux turbulents de chaleur sensible et de chaleur latente
1.4 Le manteau neigeux
1.4.1 La neige, formation et précipitation
1.4.2 Le métamorphisme de la neige
1.4.3 La densité de surface de la neige
1.4.4 La conductivité
1.4.5 La température de surface de la neige
1.5 Objectif et organisation de la thèse
II Outils et méthodes
2.1 Introduction
2.2 Les outils d’observation satellitaire
2.2.1 MODIS .
2.2.2 IASI .
2.3 Les observations in situ
2.3.1 Les stations BSRN
2.3.2 Les stations AWS
2.3.3 La campagne 2014-2015 à Dôme C
2.4 Les outils de modélisation
2.4.1 Le modèle de manteau neigeux Crocus
2.4.2 Les modèles de prévision numérique du temps : Arpege et IFS
2.4.3 Les réanalyses ERA-Interim
2.4.4 Protocole numérique : description des simulations Crocus
III Évaluation de la température de surface en Antarctique
3.1 Introduction
3.2 Article : Utilisation des températures de surface MODIS et du modèle de neige Crocus pour comprendre le biais chaud des réanalyses ERAInterim en Antarctique
3.2.1 Introduction
3.2.2 Data and Methods
3.2.3 Evaluation results
3.2.4 Discussion
3.2.5 Conclusions
3.3 Évaluation des températures de surface IASI
3.3.1 Évaluation et interprétation de la disponibilité de la Ts L2 IASI
3.3.2 Analyse de la qualité de la Ts L2 IASI
3.3.3 Intercomparaison de la Ts MODIS et de la Ts restituée à partir des données IASI grâce à l’algorithme développé par Vincensini et al. (2012)
3.4 Évaluation des températures de surface IFS et ARPEGE
3.5 Conclusions et perspectives.
IV Variabilité de la température de surface à Dôme C
4.1 Introduction
4.2 Étude de la variabilité spatiale de la température de surface
4.2.1 Variabilité spatiale à grande échelle
4.2.2 Variabilité spatiale à petite échelle.
4.3 Étude de la variabilité temporelle de la température de surface
4.3.1 Variabilité annuelle de la Ts
4.3.2 Variabilité quotidienne de la Ts : l’amplitude diurne
4.3.3 Analyse de trois facteurs influençant le cycle diurne de la Ts
4.4 Simulations idéalisées Crocus à Dôme C
4.4.1 Caractéristiques du forçage météorologique appliqué à Crocus sur Dôme C en janvier 2015
4.4.2 Simulations de la variabilité spatiale du cycle diurne de la Ts
4.5 Vers une restitution de la densité de surface
4.5.1 Méthode d’estimation de la densité de surface
4.5.2 Résultat
4.5.3 Évaluation et Limite de la méthode
4.6 Conclusions et perspectives.
V Variabilité spatiale et temporelle de l’amplitude diurne en Antarctique
5.1 Introduction
5.2 Évaluation de l’amplitude MODIS en Antarctique.
5.2.1 Évaluation et interprétation de la disponibilité de l’amplitude MODIS
5.2.2 Analyse de la qualité de l’amplitudes MODIS
5.3 Étude de la variabilité de l’amplitude diurne de la Ts
5.3.1 Variabilité spatiale de l’amplitude diurne
5.3.2 Variabilité temporelle de l’amplitude diurne.
5.4 Évaluation de l’amplitude diurne simulée en Antarctique
5.5 Vers une estimation de la densité de surface en Antarctique
5.5.1 Application de la méthode d’estimation de la densité de surface
5.5.2 Résultat
5.5.3 Approche alternative
5.6 Conclusion
VI Conclusions générales et perspectives
Bibliographie

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