Le sommeil est un processus complexe et fondamental pour l’équilibre de la santé, qui représente un tiers de notre vie. Il correspond à une baisse de l’état de conscience qui sépare deux périodes d’éveil. Il joue un rôle essentiel dans de nombreuses fonctions biologiques, notamment le maintien des fonctions d’apprentissage et de mémorisation, le métabolisme et l’immunité. En 2020, en période normale (hors confinement), 41% des Français déclarent souffrir d’au moins un trouble du sommeil, faisant du sommeil un enjeu de santé publique. L’insomnie et les troubles du rythme du sommeil sont les plus récurrents. Les troubles de l’alternance veille-sommeil selon le DSM-V regroupent 10 troubles ou groupes de troubles : insomnie, hypersomnolence, narcolepsie, troubles du sommeil liés à la respiration, troubles de l’alternance veille-sommeil lié au rythme circadien, parasomnies (troubles de l’éveil en sommeil non paradoxal, cauchemars, troubles du comportement en sommeil paradoxal), syndrome des jambes sans repos et trouble du sommeil induit par une substance ou un médicament. La proportion de personnes dormant moins de 6 heures par jour en semaine augmente significativement, en particulier chez les jeunes adultes et les jeunes professionnels d’après les enquêtes successives de l’INSV réalisées depuis 10 ans. Par ailleurs, de nombreuses études montrent que dormir moins de 6 heures par jour est associé à une augmentation de la morbi-mortalité métabolique, accidentelle et cardiovasculaire, en particulier du risque d’obésité, de diabète de type 2, d’accidents vasculaires cérébraux, d’hypertension artérielle et d’accidents de travail. Dans le cadre professionnel, les troubles du sommeil augmentent le risque d’absentéisme, d’accidents du travail et d’erreurs au travail, et diminuent l’efficience. Le travail posté et le travail de nuit sont associés à une diminution du temps de sommeil ainsi qu’à une augmentation du risque de somnolence. Les conséquences sont une augmentation du risque d’accidents. D’autres troubles sont associés au travail posté et/ou de nuit, comme des troubles cardiovasculaires, nutritionnels et métaboliques (augmentation modérée du risque cardiovasculaire, de l’IMC, et de dyslipidémie). Des troubles digestifs (augmentation modérée du risque d’ulcère gastrique) ainsi que des troubles psychiatriques (dépression et/ou anxiété) sont également rapportés. Chez la femme, le travail posté et/ou de nuit pourrait être un facteur de risque de cancer du sein et de mauvais déroulement de la grossesse. Chez les étudiants, les troubles du sommeil représentent un problème fréquent depuis de nombreuses années. En 2016, d’après l’Observatoire national de la Vie Étudiante, 40 à 50% des étudiants présentent des problèmes de sommeil, contre 22% en 2013. Les conséquences de la privation de sommeil et de la somnolence diurne peuvent entraîner des notes moyennes plus faibles, un risque accru d’échec scolaire, un apprentissage compromis, une thymie altérée.
Les internes en médecine représentent une population particulière. Selon le Code du Travail : « L’interne est praticien en formation spécialisée. L’interne consacre la totalité de son temps à ses activités médicales et à sa formation […] L’interne participe au service de gardes et d’astreintes selon les modalités fixées par arrêté des ministres chargés du budget, de l’enseignement supérieur et de la santé » . Il est donc à la fois médecin et étudiant, et est confronté à ses premières responsabilités.
L’obligation de continuité des soins impose souvent des rythmes de travail soutenus et des horaires irréguliers. Ainsi, le décret du 26 Février 2015 réglemente le temps de travail des internes à 48 heures / semaine et rappelle l’obligation d’un repos de sécurité de 11 heures après une garde de nuit. Ces nouvelles exigences provoquent des changements dans les habitudes de sommeil et de travail. Chez le sujet jeune, les facteurs de risque de troubles du sommeil sont : une hygiène de vie inadaptée, l’irrégularité de coucher et de lever, le sport en fin de journée, la surstimulation par les écrans. L’exposition à la lumière bleue des écrans stimule les récepteurs de la rétine, qui envoient un signal « de jour » retardant l’endormissement et induisant un retard de phase, via l’inhibition de la sécrétion de la mélatonine. En 2020, une enquête du réseau Morphée auprès de collégiens et lycéens franciliens a mis en évidence un lien entre le mésusage des écrans et les troubles du sommeil, notamment un usage au cours de la nuit et un usage de plus de deux heures après le diner. L’utilisation nocturne des écrans est très fortement associée aux troubles du sommeil, avec une relation de type dose-effet, c’est-à-dire que le risque augmente lorsque la durée d’utilisation des écrans en cours de nuit augmente .
Les troubles du sommeil peuvent s’intriquer avec des problématiques psychologiques telles que la dépression et l’anxiété, et avoir des conséquences sur les performances professionnelles ainsi que sur la vie sociale. En 2016, une enquête réalisée par le Conseil National de l’Ordre des Médecins s’est intéressée à l’état de santé global des jeunes médecins : un quart d’entre eux a déclaré être en état de santé moyen ou mauvais, avec une consommation de somnifères « parfois ou souvent » chez 9,2% des étudiants en médecine et jeunes médecins . En 2017, une grande enquête nationale sur la santé mentale des futurs et jeunes médecins met en évidence des chiffres alarmants. Près d’un étudiant en médecine sur quatre a déjà pensé au suicide, deux tiers d’entre eux présentent des symptômes d’anxiété, et un tiers présente des symptômes de dépression . La population d’interne semble être particulièrement à risque de troubles du sommeil. Cependant, il n’existe que peu de données sur la qualité du sommeil des internes en médecine en France, notamment en médecine générale.
Physiologie du sommeil
Le sommeil, qui correspond à une baisse de l’état de conscience séparant deux périodes d’éveil, est caractérisé par une perte de vigilance, une diminution du tonus musculaire et une conservation partielle de la perception sensitive. L’architecture normale du sommeil est composée d’une succession de 3 à 6 cycles successifs, de 60 à 120 minutes chacun. Un cycle correspond à une alternance de sommeil lent et de sommeil paradoxal, qui peut être mis en évidence par électroencéphalogramme (EEG) . Le sommeil évolue au cours de la nuit. Le sommeil lent profond est plus important au cours des cycles de début de nuit, alors que le sommeil paradoxal est plus important au cours des cycles de fin de nuit. Le sommeil évolue avec l’âge. Le sommeil lent profond est majoritaire pendant la croissance, puis diminue pour laisser la place à un sommeil lent, plus léger, à l’origine de troubles du sommeil avec l’avancée en âge . Le cycle veille / sommeil est régulé par deux grands mécanismes : la régulation homéostatique et la régulation circadienne.
La régulation homéostatique correspond à l’accumulation d’une dette de sommeil proportionnelle à la durée de l’éveil, qui diminue au cours du sommeil. La privation de sommeil chez un sujet sain entraîne une augmentation de l’intensité et de la profondeur du sommeil la nuit suivante .
La régulation circadienne correspond à l’horloge interne. Elle est située dans l’hypothalamus et est composée de deux noyaux suprachiasmatiques, qui ont pour objectif de réguler différentes fonctions de l’organisme. Pendant la journée, l’activation de fonctions liées à l’éveil (température corporelle, sécrétion de cortisol, structures impliquées dans la vigilance et la cognition) et l’inhibition de fonctions liées au sommeil (sécrétion de mélatonine, structures impliquées dans le sommeil) favorisent la vigilance, la performance et la mémoire. À l’inverse pendant la nuit, la sécrétion de mélatonine, la chute de température centrale, l’inhibition de cortisol et des structures impliquées dans l’éveil favorisent l’installation et le maintien du sommeil. L’horloge interne possède son propre rythme, proche mais non égale, à 24 heures .
Les principaux facteurs permettant la synchronisation quotidienne de l’horloge interne sont :
– La lumière, notamment la lumière bleue LED : effet modulé par l’intensité, l’heure et la durée d’exposition
– La sécrétion de mélatonine (hormone du sommeil) : produite en situation d’obscurité, en début de nuit par l’épiphyse
– Les gènes horloge, « clock genes » : permettent la régulation du sommeil ainsi que de nombreuses autres fonctions rythmées par le cycle circadien (production de cortisol, d’hormone de croissance, etc.)
– Le rythme social : les horaires de repas, la vie familiale, le travail, les loisirs, etc.
Les « clock genes », caractéristiques génétiques qui dépendent de l’horloge interne, sont à l’origine des variations individuelles de l’horloge biologique : le chronotype. L’estimation du chronotype permet de fournir des informations sur les caractéristiques circadiennes et homéostatique du cycle veille / sommeil d’un patient. Ainsi, le chronotype du matin correspond à un sujet qui se couche et se lève tôt, et qui est moins performant le soir. Alors que le chronotype du soir correspond à un sujet qui se couche et se lève tard, et qui est moins performant le matin . Le chronotype du soir serait significativement associé aux consommations de tabac, d’alcool et de cannabis .
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Table des matières
I. Introduction
A. Contexte de l’étude
B. Physiologie du sommeil
II. Matériel et méthode
A. Type d’étude et population
B. Modalités de recueil
C. Questionnaire
1) Données démographiques
2) Qualité du sommeil : questionnaire de Pittsburgh
3) Mode de vie
D. Méthodes statistiques
E. Éthique
III. Résultats
A. Population étudiée
1) Caractéristiques de la population
2) Caractéristiques professionnelles
B. Sommeil des internes en médecine générale
C. Caractéristiques du sommeil des internes en médecine générale
1) Les habitudes de sommeil
2) Les troubles du sommeil
3) La qualité subjective du sommeil
4) L’utilisation d’un médicament du sommeil
5) Le retentissement diurne
6) Les troubles spécifiques du sommeil
D. Le mode de vie des internes
1) Chronotype
2) Les habitudes lors du coucher
3) Gardes
4) Nombre d’heures de travail
5) Violences physiques, morales ou sexuelles
6) Temps de trajet domicile-lieu de travail
7) Activité physique
8) Soirées festives
9) Pathologie chronique
10) Traitements facilitant le sommeil
11) Consommation habituelle après 16 heures
12) Épidémie de COVID-19
13) Question ouverte « Selon vous, qu’est-ce qui pourrait améliorer la qualité de votre sommeil dans le cadre de votre internat ? »
E. Facteurs associés à un trouble du sommeil
V. Discussion
A. Les résultats
1) Population étudiée
2) Score globale de PSQI
3) Description du sommeil des internes
4) Mode de vie
B. Forces et limites de l’étude
1) Intérêts et forces de l’étude
2) Limites de l’étude
VI. Conclusion
VII. Bibliographie
VIII. Annexes
A. Annexe n°1 : Questionnaire diffusé aux internes de médecine générale
B. Annexe n°2 : Echelle de Pittsburg (PSQI)
C. Annexe n°3 : Commentaires issus de la question ouverte 35 « Selon vous, qu’est ce qui pourrait améliorer la qualité de votre sommeil dans le cadre de votre internat ? »