La France, et en particulier la région SUD, absorbe depuis plusieurs années un flux migratoire de plus en plus important, les immigrants représentant 10,1% de la population de la région SUD en 2012 contre 10,4% en 2015. La France comptait en 2014 4,2 millions d’étrangers selon la définition OMS et 4,5 millions en 2015. (1) L’OMS considère que la santé des migrants est un enjeu sanitaire mondial, et recommande que les systèmes de santé se structurent de façon à faire face à cette nouvelle réalité (2). Les problèmes de santé des réfugiés et des migrants sont semblables à ceux du reste de la population. Et chaque réfugié doit bénéficier sans interruption d’un accès complet à des soins de santé de qualité, sans aucune discrimination fondée sur le sexe, l’âge, la religion, la nationalité ou la race (3). Mais il est difficile de garantir cette équité lorsque les patients sont allophones, c’est-à-dire
qu’ils ne parlent pas la langue du pays d’accueil. Au cours de ces vingt dernières années, plusieurs études montrent que la barrière linguistique est un obstacle majeur à la prise en charge médicale. Les patients allophones sont globalement moins satisfaits de leur prise en charge que les patients anglophones (Todd 1993). Et le suivi médical après une consultation en urgence est d’autant moins assuré que la barrière linguistique est grande (Sarver 2000). Par ailleurs, lorsqu’un traducteur est présent pendant la consultation, il s’agit la plupart du temps d’un membre de l’entourage du patient (famille, amis, enfants). Mais dans ce cas, les praticiens et les patients sont très peu satisfaits de la qualité des échanges (Blöchliger 1997, 1998) Dans la présente étude, avons comparé le niveau de compréhension d’une consultation de médecine générale dans trois groupes de patients : francophones, allophones avec interprète de l’entourage et allophone avec interprète professionnel. Notre objectif était d’analyser les facteurs facilitant et limitant la compréhension entre médecin et patient. Ceci afin de proposer des outils/propositions/recommandations aux praticiens confrontés à des patients allophones.
DISCUSSION
ANALYSE DES RESULTATS
A situation différente, compréhension différente. Analyse des TRD et TRE
L’objectif de notre étude était d’analyser la compréhension d’une consultation de médecine générale par un patient consultant dans le service de la PASS au travers de trois situations fréquentes et souvent identiques à celles vécues par le médecin généraliste en ville: patients allophones se rendant seuls à la consultation, patients parlant un peu le français mais dont ce n’est pas la langue maternelle, patients allophones accompagnés d’un proche pour les aider à traduire.
Seule la présence d’un interprète professionnel permet que le diagnostic et ses explications soient correctement compris par le patient. Les résultats du groupe C montrent que la probabilité que le patient comprenne le médecin est élevée. En effet, le diagnostic ainsi que ses explications ont été restitués correctement dans 90% des cas. Ces taux sont bien supérieurs à ceux observés dans les groupes A et B. De plus, lorsque le diagnostic était restitué, les explications l’étaient aussi, TRE et TRD étant égaux dans ce groupe. Nous pensons que cela témoigne d’une bonne compréhension globale de la consultation. En effet lorsque la compréhension est difficile il semble parfois plus important pour le patient ou son accompagnant de saisir les explications du diagnostic que simplement le nom donné à celui-ci (TRE > TRD dans les autres groupes). La présence d’un interprète médical semble donc aider à saisir toutes les informations transmises par le médecin. Ces résultats soulignent la plus-value de l’interprétariat médical professionnel. Déjà en 2001, une étude suisse montrait que la qualité de communication est nettement plus élevée lorsqu’un interprète qualifié est présent pendant la consultation avec des patients (Bischoff, 2001). Le manque de temps et le coût semblent être les freins les plus importants au recours systématique à l’interprétariat professionnel en médecine générale de ville (Richard, 2016).
Les spécificités de la profession d’interprète médical sont les suivantes : il s’agit d’un professionnel avec des notions et un vocabulaire médical qui facilitent sa compréhension du médecin. Il possède des compétences de médiation culturelle, tient compte des spécificités culturelles et linguistiques des deux langues et les explique au patient et au médecin si nécessaire. Enfin, il est formé à mettre une juste distance par rapport à son histoire, qui lui permet de rester empathique tout en n’imprégnant pas le discours de ses projections personnelles.
L’expertise médicale est essentielle à l’intégrité de la prise en charge du malade (Hsieh 2010) L’intervention d’un interprète professionnel plutôt qu’informel réduit le taux d’erreurs médicales et améliore l’état de santé du patient (Thom 2008). Cette notion est renforcée dans notre étude par plusieurs réponses de médecins aux questions ouvertes. Les médecins doutent de la qualité de la traduction de l’accompagnant et expriment les difficultés que cela engendre. Par exemple un médecin décrit le cas d’une patiente qui a probablement refusé une hospitalisation parce que son traducteur et ami n’a manifestement pas compris la gravité de la maladie. Dans cette situation, les soins sont d’une nécessité vitale, mais vont engendrer une facturation lourde. Le proche a considéré comme plus important de préserver la patiente des frais d’hospitalisation, au détriment de la prise en charge médicale. Les médecins de la PASS sont souvent confrontés à ce genre de situation.
Il n’y a pas ou peu de différence de compréhension entre les patients francophones (groupe A) et ceux accompagnés par un interprète informel (groupe B). Et la probabilité que ces patients comprennent le diagnostic et son explication est faible. Les TRD et TRE sont non seulement faibles, mais également très inférieurs à ceux du groupe C.
Dans le groupe A, deux facteurs semblent être à l’origine de cette difficulté de compréhension. Le premier est évidemment l’usage d’une langue véhiculaire (le français). En effet même si le patient se déclare ou est déclaré francophone par le médecin, cela n’implique pas nécessairement qu’il ait le niveau de français nécessaire pour bien comprendre une consultation médicale. Le second facteur est que la population consultant à la PASS est issue de milieux défavorisés donc ayant eu un faible accès à l’éducation. Le manque de vocabulaire et la difficulté à poser des questions sont probablement un facteur aggravant. Nos résultats concordent à nouveau avec la littérature dans ce domaine. Plusieurs études montrent que les patients allophones sortent moins satisfaits d’une consultation lorsqu’il n’y a pas eu l’aide d’un interprète professionnel (Todd 1993). Et ils demandent plus d’explications en déclarant avoir mal compris la consultation (Baker 1996). C’est dans le groupe B qu’on retrouve la compréhension la plus faible avec seulement 30% de restitution du diagnostic, et 50% de restitution des explications. Il est intéressant de noter que ce groupe présente un TRE supérieur au TRD. Les explications sont donc mieux restituées que le diagnostic lui-même dans ce groupe. Cela est explicable par le fait que l’interprète accompagnant a probablement plus de facilité à saisir le vocabulaire simple utilisé pour expliquer le diagnostic que ce dernier.
Nous expliquons la faible compréhension dans ce groupe par trois facteurs principalement : Le premier est que l’accompagnant a souvent des difficultés à comprendre puis à traduire le médecin puisque le français n’est pas sa langue maternelle. Le second est le caractère informel de l’interprétariat. Comme expliqué précédemment l’apport de l’expertise d’un professionnel formé dans ce domaine est notable (maîtrise du vocabulaire médical, expertise culturelle, empathie non invasive) Le dernier est que plusieurs rôles antagonistes sont assignés à l’interprète informel. Il passe tour à tour du rôle d’interprète voulu « neutre » par le médecin dans le but de faire passer un message loyal et approprié à celui de soutien/aidant pour le patient qu’il accompagne. Il peut dans ce contexte avoir tendance à minimiser ce que dit le médecin pour ne pas inquiéter le patient. Ou au contraire insister sur des éléments de gravité clinique ou de la situation sociale exposée au médecin dans l’espoir d’obtenir des bénéfices secondaires. Cette confusion des rôles est un facteur limitant la compréhension qui a déjà été décrit (Bischoff, 2001). Il est intéressant de noter qu’elle est source d’insatisfaction pour les patients. La prestation médicale est jugée moins bonne par le patient lorsqu’il est accompagné que s’il vient seul (Bischoff, 2001). Et elle complique la gestion du secret médical par le médecin (Jacobs, 1995). La situation idéale serait donc de s’affranchir de l’accompagnant comme traducteur pour lui préférer un interprétariat professionnel médical, laissant ainsi à l’accompagnant sa mission de soutien du patient. Dans les questions ouvertes la remarque d’un patient vient appuyer cette idée. Il déclare : « la dernière fois j’avais une traduction par téléphone c’était mieux », soulignant le bénéfice du recours à l’ISM par rapport à la consultation précédente où il était accompagné d’un ami.
Un ressenti identique, des compréhensions différentes
L’analyse des notes sur 10 données par les patients et les médecins à la compréhension de la consultation montre une discordance entre la compréhension perçue et la compréhension réelle, pour le médecin comme pour le patient.
Notes patients
Dans les trois groupes les notes moyennes données par les patients sont élevées (entre 7,8 et 9,6). Elles contrastent avec des TRE et TRD faibles dans les groupes A et B. Cette discordance entre compréhension réelle et compréhension perçue, peut s’expliquer de deux façons.
La première semble être le défaut de compréhension général : il est difficile d’évaluer quelque chose que l’on n’a pas compris. La seconde est que les patients suivis à la PASS ont des parcours de vie très difficile et leur accès aux soins était inexistant auparavant. Dans ce contexte les patients expriment souvent leur reconnaissance vis-à-vis des soignants. Il est donc possible qu’ils aient voulu exprimer leur satisfaction de la consultation plutôt que la compréhension de celle-ci. Ceci se reflète dans les commentaires patients : en effet dans les groupes A et B la majorité des patients répondent à la question « comment aurions-nous pu faire pour améliorer votre compréhension ? » par des remerciements. Dans le groupe C, les notes sont très élevées, ce qui est en adéquation avec la compréhension dans ce groupe.
Notes médecins et auto-évaluation
Les médecins semblent également surestimer la compréhension des patients des groupes A et B. Ces groupes obtiennent en effet des notes beaucoup plus élevées que la compréhension réelle observée (TRE et TRD). On constate également qu’il n’y a aucune réponse « non » à la question « pensez-vous que votre patient a compris le diagnostic et ses explications ?», et ceci tous groupes confondus. Ces observations traduisent là un problème qui se pose régulièrement aux soignants de la PASS. Il est très difficile d’évaluer le niveau réel de compréhension d’un patient se déclarant francophone, alors qu’il s’agit d’un élément déterminant la qualité de la prise en charge. Les outils d’évaluation linguistique retrouvés dans la littérature sont souvent trop complexes ou trop chronophages dans leur utilisation et ne sont donc pas adaptés aux professionnels de santé .
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Table des matières
INTRODUCTION
METHODES
Type et modalités d’étude
Recrutement
Déroulement de l’étude
Traitement des données
RESULTATS
Population étudiée
Taux de restitution du diagnostic (TRD) et de son explication (TRE)
Notes attribuées à la consultation par les patients et les médecins
Évaluation globale de la compréhension par le médecin
DISCUSSION
ANALYSE DES RESULTATS
A situation différente, compréhension différente. Analyse des TRD et TRE
Un ressenti identique, des compréhensions différentes
Notes patients
Notes médecins et auto-évaluation
LIMITES DE L’ETUDE
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
TABLEAUX ET FIGURES
ANNEXES
Annexe 1
Annexe 2
REFERENCES