Sur le plan philosophique
D’un point de vue philosophique, il est important de souligner qu’il n’existe pas un problème spécifiquement philosophique tout comme il n’existe pas un problème non philosophique. Tout problème qualifié de philosophique est juste une réalité. Or, ce qui est important c’est la manière d’aborder cette réalité à partir d’une approche philosophique. Ce qui fait que quand nous avons un problème sociétal tel que l’homosexualité, le philosophe ne peut que jouer son rôle qui consiste à répondre aux préoccupations cruciales de sa société surtout quand les libertés des uns et des autres sont remise en cause et quand leurs droits, leurs sentiments, leurs préférences, leurs choix voire leur humanité ne sont pas respectés dans la société d’où ils vivent. Ce parce que, loin d’être une activité frivole ou un discours aérien et inutile comme le pensent d’autres, la philosophie se veut un discours rationnel sur le réel, donc la réalité. En effet, la philosophie parle d’un espace et d’un temps. Et chaque philosophe parle à un temps et un lieu déterminés. Cela revient à dire simplement que les philosophes appartiennent à une société, à un environnement. Le philosophe ne peut pas sauter au-delà de son temps. Il est, d’une certaine manière, prisonnier de son époque. Il subit les influences de son milieu et de son environnement comme les croyances, les traditions, les rites,… Et tout cela participe à la formation de son esprit. Alors forcément, il ne peut pas s’en départir. Donc il appartient à son époque et que, il ne peut pas philosopher au IVe siècle avant Jésus Christ, par exemple, comme on philosopherait au XVIIIe siècle parce que les époques ne sont pas les mêmes, les réalités ne sont pas les mêmes et même le niveau des connaissances n’est pas le même. Donc le philosophe est celui-là qui est le condensé de son époque et essaie de donner une lisibilité, de donner sens aux réalités qui traversent son époque et d’en donner aussi une lecture, mais de son point de vue qui n’est pas la seule lecture. Parce que, quoi qu’on dise, la philosophie est une perspective même si elle a une prétention d’être une pensée globale. Toutefois, faut-il rappeler que, quand on dit que le philosophe ne peut pas sauter au-delà de son époque, nous faisons un clin d’œil aux marxistes qui pensent que ce n’est pas la conscience qui détermine la vie humaine mais inversement la vie qui détermine la conscience. Autrement dit, c’est les conditions matérielles d’existence qui influencent notre manière de voir et de penser le monde. C’est ce que Victor Hugo a résumé en une seule phrase : « on pense différemment dans un château que dans une chaumière ». Cela veut dire simplement qu’on ne peut se penser hors de son époque. Cela dit, il ne faut pas oublier le fait que, même lorsque la philosophie appartient à une époque et aille de cette période déterminée vers le monde, elle transcende aussi les époques et les temps. Voilà pourquoi les discours philosophiques nous parviennent d’Aristote, de Platon et même de Socrate. Ces discours semblent actuels même s’ils ont traversé des siècles et des années. C’est en cela que le discours est à la fois temporel et intemporel. Donc cela revient à dire qu’il arrive que le regard du philosophe traverse le temps et pose des débats qui sont indépassables. Prenons l’exemple de ce texte de Platon rédigé entre le IIIe et le IVe siècle avant Jésus Christ et qui pose le problème de l’ordre et de la loi, et où il dit, lorsque les pères s’habituent à laisser faire leurs fils, lorsque les enfants ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant les élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne trouvent plus au-dessus d’eux l’autorité de personne ou de rein, c’est alors en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie. Ce texte nous donne l’impression qu’il été écrit à notre époque. Prenons aussi l’exemple de Rousseau quand il pose le problème de ce que nous appelons le désordre scientifique, c’est-à-dire, la science qui fait de l’homme un dieu, parce que non seulement l’homme ne se suffit pas à la nature mais, avec la science, il est capable aujourd’hui d’aller au-delà de cette nature, de transformer le monde, de créer des monstres. Ce qui fait que nous sommes, aujourd’hui, dans un monde de transsexisme, un monde d’esthétique chirurgicale, un monde de clonage, un monde où comme le dit Jean Rostand, l’homme est devenu un dieu avant même de prendre le temps de devenir un être humain. Et quand on en vient justement au problème de la dualité de l’âme et du corps dans un monde matériel, un monde où comme le montre Renan, nous sommes de simples ramasseurs d’objets, c’est-à-dire un monde où notre modernité est signe de matérialité et d’abandon ; Socrate avait déjà montré aux hommes qu’il ne faut pas donner le pas au corps, il faut travailler pour le perfectionnement de l’âme. En somme, voilà autant d’exemples qui montrent non seulement que les philosophes du « avant Jésus Christ » et les philosophes du XVIIIe siècle avaient attiré l’attention des hommes comme s’ils étaient des prophètes qui prédisaient l’avenir, mais également des exemples qui corroborent l’idée hégélienne selon laquelle la philosophie est fille de son temps appréhendé en pensée. Et puisque chaque époque a besoin de se penser elle-même, il faut, pour penser la nôtre, examiner les problèmes et les problématiques liés à l’évolution de nos sociétés modernes, des problèmes tels que l’homosexualité.
Etymologie et évolution sémantique
L’homosexualité a habituellement été un sujet qu’il n’est pas facile d’aborder. Son caractère universel s’est toujours accompagné de son caractère tabou. Par contre dire que c’est un sujet tabou ne signifie pas qu’elle n’a jamais fait l’objet des débats. Bien au contraire l’occident s’est montré plutôt bavard sur ce sujet. Pour preuve, l’ensemble des mots appartenant au vocabulaire de la sexualité en générale et qui ont particulièrement servi à désigner les homosexuels ou du moins l’homosexualité, présente plutôt des aspects ou des éléments distincts. En effet, le terme français « homosexualité » ainsi que ses déclinaisons « homosexuel » et « homosexuelle » sont tout aussi récents, ils ont fait une entrée soudaine et imprévue qui a été accompagnée de polémiques et de dégâts violents dans la littérature du XIXe siècle notamment dans le cadre de la définition et la classification psychiatrique des déviations sexuelles à partir des mots allemands « homosexual » et « homosexualitat ». Donc : homo-, du grec « homos » c’est-à-dire semblable, le même, et du latin « sexualis » ; d’où personne trouvant la satisfaction de ses désirs avec les sujets de même sexe par opposition à l’hétérosexualité. Par ailleurs, avant le XIXe siècle, les différents comportements sexuels ont fait l’objet d’une distinction qui a permis de décliner plusieurs qualificatifs pour désigner diverses pratiques sexuelles. Or, la plus part des mots français tire leur origine soit du grec soit du latin en l’occurrence : « antiphysique », « bougre » et « bougrerie », « sodomie » et « sodomite » servant à marquer la colère et le mépris contre les homosexuels mais aussi indiquant une condamnation de la morale religieuse. En outre, des expressions sans caractère marqué telles que « amour des garçons », « amour philosophique », « en être » ont aussi servi à désigner les homosexuels au moment où la résistance homosexuelle face à l’hétérosexualité masculine a fait naitre des expressions telles que « amour des femmes », « goût des femmes » puisque jusque-là aucun mot n’a servi à pointer du doigt l’hétérosexualité. En effet, ces expressions expriment une certaine reconnaissance de l’hétérosexualité par l’homosexualité, ou du moins l’antinomie qui se manifeste entre elles. Ajouté à cela les termes « pédé » diminutif de « pédéraste », « lesbien » et « gays » terme anglais signifiant « étrange, louche ». Si l’on en croit à Ruth Menahem, depuis 1970, les termes de gays (par euphémisme), de queer (tout ce qui s’écarte de la norme), renvoient à une idéologie, être queer, c’est se situer aux marges de la société et considérer que le mouvement gay et lesbien ne doit pas se séparer des autres luttes politiques. Cependant, l’homosexualité est également répandue dans les deux sexes, c’est-à dire que nous avons deux formes d’homosexualité qui se divergent dans leurs racines : il s’agit de l’homosexualité masculine et de l’homosexualité féminine.
L’homosexualité féminine
Encore appelée « lesbianisme », « saphisme » ou « tribalisme », du grec « tribein » c’està-dire « frotter » ; l’homosexualité féminine n’est pas aussi répandue que l’homosexualité masculine. Si l’on se réfère à la définition de « l’inversion occasionnelle » telle qu’elle a été proposée par Freud, nous pouvons retrouver l’homosexualité féminine dans les endroits tels que les prisons, chez les prostituées et parfois chez les femmes dont leurs amants ou leurs maris sont absents pendant une longue durée ou par occasion se livrent à cette pratique pour assouvir leur désir charnel. En effet, tout comme la forme masculine, nous distinguons manifestement selon Freud deux principales formes d’homosexualité féminine : virile et féminine. La première forme regroupe les homosexuelles dont leur manière habituelle de se comporter émane de celle d’un garçon. Elles pensent et agissent comme des hommes et, en général, elles ont été, pendant leur enfance, de véritables « garçons manqués ». Souvent, elles sont faciles à identifier, elles se procurent des vêtements masculins et adoptent plus ou moins leur manière de se coiffer. En général, elles sont de nature combative et dominatrice et ressentent un profond dégout à faire des tâches ménagères. Elles ne font presque pas ce que font les femmes en général comme se maquiller et, elles sont rarement ambisexuelles. Elles s’attribuent imaginairement le pénis et rivalisent les hommes auprès des autres femmes. La seconde forme regroupe des homosexuelles dites « féminines », c’est-à-dire celles qui, dans leur attitude, leur caractère physique et physionomique, sont volontiers passives et manifestent ouvertement une prédisposition naturelle à la soumission. Elles sont, pour la plupart du temps, ambisexuelles. Donc, quant il s’agit de l’homosexualité féminine, elle diverge dans ses racines de l’homosexualité masculine. Et Freud, à travers l’histoire de ladite « jeune homosexuelle », a tenté d’expliquer les mécanismes psychiques qui sont à l’origine du choix d’objet homosexuel d’une jeune fille issue de la haute bourgeoisie viennoise. En effet, cette fille de dix-huit ans était tombée amoureuse d’une « cocotte » ou d’une « dame du monde » (pour reprendre les termes utilisés par Freud pour désigner cette femme) plus âgée qu’elle « de dix ans de son ainée » que ses parents n’appréciaient point. Pour ces derniers, l’amante de leur fille était d’une très mauvaise réputation, une position que partagent les habitants du quartier qui la connaissaient assez bien à cause « de ses amours homosexuelles et ses multiples aventures hétérosexuelles ». Quand un jour le père croisa sa fille en compagnie de sa bien-aimée, il, leur lança un « regard furieux et plein de colère » par suite duquel sa fille a tenté de se suicider. Ainsi, contribuant à la compréhension de ce cas en passant par une étude approfondie des facteurs qui pousseraient cette jeune fille au choix d’objet homosexuel et à la hauteur desquels elle a mis sa vie en jeu, Freud y va avec prudence tout en ne prenant aucun risque. Car selon lui : « Nous ne voulons pas dire que toute jeune fille chez qui l’aspiration amoureuse provenant de la position œdipienne des années de la puberté connait une telle déception doive pour autant succomber nécessairement à l’homosexualité. D’autres sortes de réaction à ce traumatisme seront au contraire fréquentes ». Ainsi, chez la femme aussi, l’homosexualité serait la conséquence d’une déception lointaine surtout liée à la découverte des sexes. Cependant, contrairement au petit garçon, la petite fille s’identifie avec le père et « se change en homme et prend la mère à la place du père comme objet d’amour ». Car selon Freud : « L’expérience analytique nous apprend certes que l’homosexualité féminine continue rarement, ou jamais, la masculinité infantile en droite ligne. Il semble que dans ce cas aussi les petites filles prennent pendant un temps leur père pour objet et mettent dans une situation œdipienne. Mais ensuite elles sont poussées, du fait des déceptions inévitables causées par leur père, à régresser vers leur masculinité d’antan » .
Liberté et égalité pour une minorité opprimée
D’ici et d’ailleurs, l’homosexualité apparait plus que jamais comme une minorité opprimée dont le combat pour la reconnaissance semble un combat pour la libération. Donc comme toute minorité, le mouvement homosexuel formule des revendications qui ont une longue histoire. Or, un exposé chronologique des mouvements homosexuels ainsi que leurs différentes revendications nous édifie sur ce que l’usage de l’appareil politique dans leur combat à fait de cette minorité. En effet selon Sillamy, plusieurs caricatures des homosexuels ont été faites et rendues public pendant la Révolution française de 1789, mais on ne pouvait pas, à cette époque confirmer l’existence de groupes homosexuels. Cependant, c’est à partir des années 1860, notamment avec les publications d’Ulrichs sur le caractère inné de l’homosexualité qu’une certaine forme de militantisme homosexuel verra le jour. A partir cette époque, selon Sillamy, des homosexuels vont s’organiser pour combattre activement pour la défense de leur conviction, de leur idéal. Désormais ils revendiquent par la voix d’Ulrichs et comparer aux minorités religieuses, liberté et égalité pour une minorité opprimée. Et c’est un peu plu tard, après la Seconde Guerre Mondiale notamment, que s’organiseront plusieurs mouvements homosexuels dans différents horizons, surtout en Europe et aux Etats-Unis. En outre, aux Etats-Unis par exemple, les rapports de Kinsey sur les comportements sexuels de la femme et de l’homme américains ont joué un rôle déterminant dans le processus de formation des mouvements homosexuels. Nous pouvons cependant résumer, tout comme les mouvements féministes, les identités ethniques et religieuses, les revendications des minorités sexuelles relativement à leurs droits et devoirs de citoyenneté à ce que Richard Wright appelle « une faim d’égalité » le titre même de son ouvrage. Toutefois, il convient de garder à l’esprit que les conditions de vie ainsi que la situation légale des personnes qui ont des rapports sexuels avec d’autres personnes de même sexe, diffèrent selon les Etats. Autrement dit que les lois qui sont pour ou contre l’homosexualité, changent en fonction des différentes législations nationales. Par ailleurs, l’homosexualité ne figure pas ou, n’est pas mentionnée dans la déclaration universelle des droits de l’homme mais quand celle-ci prétend que toute personne est libre et nous devons tous être traités de la même manière, quand elle prétend aussi que toutes les personnes sont égales malgré les différences par exemple de race, de sexe, de religion, de langue…alors on aurait eu pas tort d’interpréter les textes en faveur des minorités homosexuelles. Mais avant tout d’abord, qu’en est-il de cette liberté ? Ne serait-il pas judicieux d’affirmer que la liberté des minorités homosexuelles consisterait au fait qu’elles soient à l’abri de toutes formes de contraintes, comme c’est actuellement le cas dans certaines sociétés ? Les contraintes telles que les législations hostiles à l’homosexualité ne constituent-elles pas, pour la minorité homosexuelle, une condition plutôt qu’un obstacle ? Nous croyons tous savoir ce que signifie le terme de « liberté » et en même temps, cette notion nous parait toujours floue et confuse. Pour souligner, en effet, l’ambigüité de cette notion Paul Valery souligne que la liberté est l’un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que sens, qui chantent plus qu’ils ne parlent, qui demandent plus qu’ils ne répondent. Toutefois, la conception populaire que nous avons de la liberté c’est qu’elle serait le pouvoir d’agir sans contraintes. Et nous entendons par contraintes tout obstacle surtout extérieur pouvant contrarier la volonté individuelle. Autrement dit qu’être libre serait la possibilité pour chacun, de satisfaire ses désirs en rejetant toute entrave à cette réalisation. C’est dans ce sens même que Spinoza et Bergson définissent la liberté comme adhésion à soi-même En d’autres termes, l’homme libre est celui qui est en accord avec lui-même et qui sait ce qu’il veut. En outre, la liberté peut être considérée comme l’affirmation d’un refus. C’est-à-dire que l’homme libre serait celui qui s’oppose à ne recevoir aucune valeur extérieure à sa volonté. C’est dans ce sens que Nietzsche pense que la liberté s’acquiert à travers la « volonté de puissance » de chacun. Pour lui, l’homme qui veut réaliser sa liberté doit nécessairement agir en surmontant toutes les contraintes déterminantes qu’elles soient économiques, politiques, religieuses, morales ou sociales. C’est ainsi qu’il affirme que « l’individu souverain, c’est l’individu qui est semblable à lui-même, qui est affranchi à la moralité des mœurs, l’individu autonome et super-moral ». De même, cette conception de la liberté se retrouve chez Hegel pour qui, être libre suppose d’abord une lutte, un combat. Car, la liberté ne peut être le produit de la passivité humaine mais le résultat d’une action violente contre une situation donnée. C’est ce qui inscrit ainsi l’homosexualité dans le cadre d’une lutte pour la reconnaissance, donc pour la liberté. En revanche, cette position qui veut que la liberté des minorités homosexuelles soient hors de tout obstacle et jouir autant que les hétérosexuels, semble désormais irréalisable vu les lois et les normes établies par la société qui, autant sur le plan juridique que moral, condamne les pratiques homosexuelles.
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Table des matières
Introduction
– Présentation et Justification
– Problématique
I- Revue de littérature
Chapitre 1- Le tournant de l’amour grec à l’homosexualité
a- Etymologie et évolution sémantique
b- L’homosexualité masculine
c- L’homosexualité féminine
Chapitre 2- Querelles autour de l’homosexualité
d- Homosexualité et Psychanalyse
e- Homosexualité et Psychiatrie
Chapitre 3- La revendication homosexuelle
a- Liberté et égalité pour une minorité opprimée
b- Identité générique, diversité et orientation sexuelle
II- De l’oppression à la révolution
Chapitre 4- L’oppression
Chapitre 5- Le statut social de l’homosexualité
a- Le problème moral et religieux
b- Rejet de l’homosexualité dans les sociétés occidentales
c- Rejet de l’homosexualité dans les sociétés africaines
Chapitre 6- Le problème moral et religieux
III- La question de la reconnaissance
Chapitre 7- La dimension psychologique
Chapitre 8- La reconnaissance physique, juridique
a- La reconnaissance physique
b- La reconnaissance juridique
Chapitre 9- Reconnaissance et Diversité
Conclusion
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