La synthèse totale de produits naturels est l’élaboration artificielle de molécules, plus ou moins complexes en une ou plusieurs étapes, à partir de matière(s) première(s) organique(s) et/ou inorganique(s).
De nombreuses molécules bioactives sont issues de notre environnement. En effet, aujourd’hui 60 à 70% des médicaments disponibles sont d’origines naturelles issues de diverses sources terrestres ou marines. Cependant, ces ressources ne sont pas inépuisables et il n’est pas concevable d’appauvrir la Terre en molécules bioactives sans penser aux générations futures. Pour cela, la synthèse totale de ces produits naturels est un enjeu très important dans l’essor de la chimie pharmaceutique.
Un exemple illustre parfaitement l’importance de la synthèse totale : les bryostatines. En 1982, Pettit a isolé la bryostatine 1 d’un animal marin nommé Bugula neritina . Combinant une activité antinéoplastique à une faible toxicité, ces produits naturels se sont avérés être d’excellents candidats pour le traitement du cancer. Néanmoins, la faible concentration de ce produit à l’état naturel et son prix (£261/50 µg) ont poussé les chimistes à développer des synthèses totales efficaces.
De surcroît, la synthèse d’analogues des bryosatines, appelés bryologues, a également été effectuée dans le but de simplifier la synthèse mais également pour améliorer les propriétés biologiques. En se basant sur des hypothèses de docking, Wender a simplifié la structure notamment pour le domaine espaceur réduisant ainsi les étapes de synthèse .
Dans le but de créer artificiellement ces molécules, les chimistes doivent être capables de contrôler toutes les étapes de la synthèse. Cela n’est possible qu’en analysant les différents intermédiaires obtenus à chaque étape, pour connaître leur structure tridimensionnelle, notamment à l’aide de techniques spectroscopiques. C’est ainsi que les synthèses chimiques se sont améliorées régulièrement au cours des deux derniers siècles avec les progrès et découvertes des techniques spectroscopiques telles que la résonance magnétique nucléaire, la spectrométrie de masse ou encore l’analyse par diffraction aux rayons X.
Avant de débuter une nouvelle synthèse, le chercheur doit élaborer la meilleure stratégie possible autrement dit la plus rapide et la plus efficace. Elaborer un plan de synthèse exige la fragmentation de la molécule cible en « morceaux » appelés synthons. Ces derniers doivent être de plus en plus simples, selon leurs fonctions chimiques ou leurs facilités d’obtention. Cette démarche, appelée rétrosynthèse, implique une très grande culture chimique englobant les réactions chimiques, les réactifs utilisés et la sélectivité de chaque étape proposée mais également un esprit de créativité et une imagination sans limites. Parallèlement à la rigueur scientifique, la synthèse totale impose un aspect artistique à cette science qui est en perpétuelle évolution et les chimistes s’attachent à la faire évoluer en développant de nouveaux outils de synthèse de plus en plus sélectifs, menant à des molécules de plus en plus fonctionnalisées. Mes travaux de thèse s’inscrivent dans cette même démarche de synthèse totale. En effet, mon projet de thèse est basé sur la synthèse totale de l’epicocconone faisant intervenir une étape clé de désaromatisation oxydante de phénols à l’aide de réactifs iodés hypervalents.
LES ACYLCETENES, UTILISATION EN SYNTHESE ORGANIQUE
Les acylcétènes sont de plus en plus utilisés comme intermédiaires réactionnels dans des réactions intra- et intermoléculaires pour la synthèse de produits naturels. La diversité de réactivité de ces acylcétènes vis-à-vis de nucléophiles tels que les alcools ou les amines pour former respectivement des β-cétoesters et β-cétoamides, dans diverses réactions de cycloadditions ou dans la formation de liaison carbone-carbone en font des outils de synthèse très appréciés.
Etudes théoriques sur la formation et la réactivité de l’acylcétène
Preuves du passage par un acylcétène et mécanisme
Afin de déterminer quel mécanisme de formation de l’acylcétène 4 est exact, une étude de préparation de cet intermédiaire 4 sur matrice (sans effet de solvant, sans catalyse) a été effectuée. Trois mécanismes ont alors été proposés :
– Un mécanisme zwitterionique : le passage par un intermédiaire zwitterionique 7 pour former l’acylcétène 4 peut être facilement envisageable par rupture d’une liaison carbone-oxygène. Mais le passage par cet intermédiaire semble peu probable en l’absence de catalyse acide ou basique et d’effet de solvant stabilisant cet intermédiaire .
– Une réaction de rétro-cycloaddition [2+2] : ce mécanisme nécessite, dans un premier temps, un réarrangement sigmatropique [1,3] pour obtenir la β-lactone 8 qui ellemême subit la réaction de rétro-cycloaddition [2+2]. La fragmentation de cet intermédiaire 8 en produits stables tels que le dioxyde de carbone et la cétone α,β insaturée 9 semble également plus évidente que la formation de l’acylcétène 4.
– Une réaction de rétro-Diels-Alder [4+2] : l’observation de l’acylcétène et d’acétone dans les matrices prouve le passage par cette réaction de rétro-Diels-Alder [4+2]. Cette voie de synthèse est également la plus simple et la plus directe pour former l’espèce réactive : l’acylcétène 4 .
En 1976, Jäger et Wenzelburger ont suggéré la formation d’un acylcétène 4 comme intermédiaire réactionnel dans la formation des 1,3-oxazines. En effet, portée à très haute température, la 1,3-dioxinone 6 conduit directement à la formation de l’acylcétène 4 qui se trouve piégé par le phénylisocyanate 10 pour former la 1,3-oxazine-2,4-dione 11 avec un rendement de 68%. Cette observation a permis de conclure que l’acylcétène intermédiaire était issu d’une réaction de rétro-Diels-Alder .
En 1984, le passage par l’intermédiaire acylcétène a été étudié par Hyatt et ses collaborateurs. Quand la dioxinone 6 est chauffée au reflux du xylène en l’absence de nucléophiles, l’acide déhydroacétique 12 est isolée avec un rendement de 93%. Cet acide 12 provient de la dimérisation de deux molécules d’acylcétène 4 par réaction de Diels-Alder .
En 1989, Clemens et Witzeman ont effectués des études cinétiques sur la thermolyse de la 2,2,6-triméthyl-4H-1,3-dioxin-4-one 6 suivie de l’addition d’un nucléophile . Deux voies ont été envisagées pour décrire la réaction entre la dioxinone et un nucléophile menant au dérivé β-cétoacyle et à l’acétone :
– Un mécanisme bimoléculaire nécessitant le passage par un intermédiaire tétraédrique 13 suite à l’addition du nucléophile sur la dioxinone 6 (Voie A) .
– Un mécanisme unimoléculaire passant par un intermédiaire réactionnel 4, obtenu par décomposition de la dioxinone 6, suivie de l’addition du nucléophile sur cet intermédiaire (Voie B) .
Selon la voie A, l’addition du nucléophile directement sur la dioxinone 6 entraîne la formation d’un intermédiaire tétraédrique 13 menant ainsi à l’acétoacétate 14 par perte d’une molécule d’acétone.
La vitesse de la réaction est inversement proportionnelle à la concentration en acétone ainsi que des concentrations en dioxinone et en nucléophile. Si l’addition du nucléophile sur l’intermédiaire réactionnel est plus rapide que la réaction inverse de l’équilibre dioxinoneacylcétène (k2[Nu] >> k-1[acétone]) alors la cinétique de cette réaction peut être assimilée au premier ordre (situation rencontrée dans le cas d’intermédiaires réactionnels très réactifs tels que les acylcétènes) .
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Table des matières
INTRODUCTION
1. BIBLIOGRAPHIE : LES ACYLCETENES, UTILISATION EN SYNTHESE ORGANIQUE
1.1. Présentation générale des acylcétènes
1.1.1. Découverte de l’acylcétène
1.1.2. Etudes théoriques sur la formation et la réactivité de l’acylcétène
1.1.2.1. Preuves du passage par un acylcétène et mécanisme
1.1.2.2. Observations spectroscopiques de l’acylcétène
1.1.2.3. Etudes mécanistiques de l’addition d’un nucléophile sur l’acylcétène
1.1.3. Les précurseurs de l’acylcétène
1.2. Préparation et utilisation des acylcétènes en synthèse organique
1.2.1. Le dicétène comme précurseur d’acylcétène
1.2.1.1. Cycloaddition de type [2+2]
1.2.2. Les 2,3-dihydrofuran-2,3-diones comme précurseur d’acylcétènes
1.2.2.1. Cycloaddition de type [4+2]
1.2.3. Les β-cétoesters comme précurseur d’acylcétènes
1.2.3.1. Macrolactonisation par addition nucléophile intramoléculaire
1.2.3.2. Cycloaddition de type [4+2]
1.2.4. Les chlorures d’acides comme précurseurs d’acylcétènes
1.2.4.1. Addition d’un énolate
1.2.4.2. Synthèse en phase solide
1.2.5. Les composés 2- diazo-1,3-dicarbonylés comme précurseurs d’acylcétènes
1.2.5.1. Addition nucléophile
1.2.5.2. Cycloaddition de type [4+2]
1.2.5.3. Réactions dominos-multicomposants
1.2.6. Les acides de Meldrum comme précurseurs d’acylcétènes
1.2.6.1. Addition nucléophile
1.2.6.2. Cycloaddition de type [2+2]
1.2.6.3. Réaction de Friedel-Crafts
1.2.7. Les dioxinones comme précurseurs d’acylcétènes
1.2.7.1. Réactions d’hétéro-Diels-Alder
1.2.7.2. Addition nucléophile
1.2.7.3. Macrocyclisation par addition intramoléculaire
1.2.7.4. Réactions en cascade
1.2.7.5. Synthèse multicomposants
1.2.8. Bilan de l’utilisation des acylcétènes en synthèse organique
2. DES AZAPHILONES A L’EPICOCCONONE
2.1. Les azaphilones – Présentation
2.2. Voies de synthèse des azaphilones
2.2.1. Synthèse de Whalley
2.2.2. Synthèse de Suzuki
2.2.3. Synthèse de Porco
2.2.4. Synthèse de Yao
2.2.5. Synthèse de Pettus
2.3. Hémisynthèse des azaphilones
2.4. L’epicocconone
2.5. Analogues de l’epicocconone : synthèse et évaluations spectroscopiques
2.5.1. Synthèse des analogues de l’epicocconone
2.5.2. Etudes des propriétés spectrales des analogues
2.6. Vers la synthèse de l’epicocconone
2.6.1. Synthèse de l’alcool désaromatisé 289
2.6.1.1. Choix du groupement protecteur
2.6.1.2. Réaction de déméthylation
2.6.1.3. Modification de la voie de synthèse
2.6.1.3.1. Réaction de Friedel-Crafts avec les fonctions phénols libres
2.6.1.3.2. Etape de déméthylation en début de synthèse
2.6.1.4. Bilan de la synthèse de la lactone 323
2.6.1.5. Réaction de désaromatisation oxydante
2.6.1.5.1. Travaux précédents
2.6.1.5.2. Application à la synthèse de l’epicocconone
2.6.2. Synthèse diastéréosélective du synthon bicyclique clé
2.6.3. Introduction du cycle furanonique modèle
2.6.3.1. Travaux précédents
2.6.3.2. Application à la synthèse du produit naturel
2.6.3.2.1. Préparation de la β-cétodioxinone modèle 356
2.6.3.2.2. Introduction du cycle furanonique
2.6.4. Introduction du cycle furanonique et de la chaîne polyinsaturée
2.6.4.1. Via la β-cétodioxinone à deux doubles liaisons 366
2.6.4.1.1. Préparation de la dioxinone 367
2.6.4.1.2. Etape de cyclisation
2.6.4.2. Via la β-cétodioxinone à trois doubles liaisons 375
1.6.4.2.1. Préparation de la β-cétodioxinone 375
1.6.4.2.2. Etape de cyclisation
2.6.4.3. Via la β-hydroxydioxinone à deux doubles liaisons
2.6.4.3.1. Préparation de la dioxinone 383
2.6.4.3.2. Etape de cyclisation
2.6.4.4. Via la β-dithioacétaldioxinone 402
2.6.4.4.1. Préparation de la β-dithioacétaldioxinone modèle 398
2.6.4.4.2. Etape de cyclisation avec la dioxinone modèle 398
2.6.4.4.3. Préparation de la β-dithioacétaldioxinone 402
2.6.4.5. Via la dioxinone phosphonate 410
2.6.4.5.1. Préparation de la dioxinone 414
2.6.4.6. Acylfuranonisation en deux étapes appliquée à la synthèse de l’epicocconone
2.6.4.7. Bilan sur l’introduction de la chaîne polyinsaturée
2.6.5. Bilan de la synthèse vers l’epicocconone
3. REACTION DE DESAROMATISATION OXYDANTE A L’AIDE D’IODE HYPERVALENT
3.1. L’iode hypervalent en synthèse organique
3.2. Généralités sur l’hypervalence
3.2.1. Définition
3.2.2. Nomenclature
3.3. Utilisation d’oxydants à base d’iode (III) hypervalent
3.3.1. Structure et réactivité des organo-λ3-iodanes
3.3.2. Classification des organo-λ3-iodanes
3.3.3. Oxydation de phénol
3.3.3.1. Aspects mécanistiques : application à la synthèse des motifs cyclohexa-2,4 et 2,5-diènones
3.3.3.2. Oxydation désaromatisante de phénol par addition intramoléculaire du nucléophile
3.3.3.3. Oxydation désaromatisante de phénol par transfert intermoléculaire du nucléophile
3.4. Utilisation d’oxydants à base d’iode (V) hypervalent
3.4.1. Structure et réactivité des organo-λ5-iodanes
3.4.2. Classification des organo-λ5-iodanes
3.4.3. Oxydation de phénol
3.4.3.1. Aspects mécanistiques
3.4.3.2. Exemples d’utilisation de l’iode (V) dans des réactions de désaromatisation oxydante
3.5. Désaromatisation oxydante de phénol à l’aide d’iode hypervalent (III), comparaison avec l’iode (V)
3.5.1. Synthèse des différentes lactones 508a-d
3.5.2. Transposition des conditions de désaromatisation oxydante
3.5.2.1. Transposition des conditions réactionnelles sur le composé substitué par deux méthyles
3.5.2.2. Application au composé substitué par un groupement méthyle
3.5.2.3. Application au composé substitué par un groupement tertbutyle
3.5.2.4. Application au composé substitué par un groupement phényle
3.5.3. Bilan de la réaction de désaromatisation oxydante à l’aide d’iode hypervalent (III)
CONCLUSION