Études sur les formations de bibliothécaires

Études sur les formations de bibliothécaires

Les décimales, langage universel ?

Le succès de Dewey et de sa classification est d’abord dû au choix d’une écriture décimale. Cela part du principe que « l’unité de la connaissance est symbolisée par le 13 », les décimales représentant une partie de ce savoir. Les indices Dewey s’écrivent par groupe de 3 chiffres, comme on note les décimales, dans le but de les lire plus facilement. Ce code est connu de tous et les chiffres arabes ont le grand avantage d’être utilisés partout dans le monde, contrairement à l’alphabet latin, par exemple. Georges Borgeaud fait la remarque dans son A.B.C. du bibliothécaire, paru en 1909 que la nouvelle classification Dewey « permet d’universaliser en quelques sortes dans toutes les langues le même ordre de classification des ouvrages au moyen de nombres qui seront semblables partout où le savant aura besoin de s’y reporter. 4 » Il apparaît donc que si toutes les bibliothèques utilisaient le système décimal de Dewey, on pourrait comprendre le sujet d’un document, sans forcément en connaître la langue. L’utilisation des décimales est également vue d’un bon oeil par Paul Otlet et Henri Lafontaine. Ils y perçoivent la possibilité de classer toute la connaissance du monde d’une manière compréhensible par tous.

Le premier inconvénient qu’on ait trouvé à la classification décimale était la limite à 10 divisions, tandis que d’autres classifications, qui utilisaient les lettres de l’alphabet latin pouvaient aller jusqu’à 26 divisions. Il est cependant plus naturel de retenir une suite de chiffres, que des lettres qui ne forment aucun mot , comme le rappelle Annie Béthery qui défend que la CDD est pleine de moyens mnémotechniques. Par ailleurs, le deuxième avantage de l’écriture décimale est sa hiérarchisation sans fin, qui permet d’allonger indéfiniment les indices d’une manière logique.

L’américanisme, un problème européen ?

Des détracteurs de la classification de Dewey ont mis en avant qu’elle était trop américaine. En effet, on s’aperçoit rapidement que les sujets développés sont des problématiques occidentales. Annie Béthery nous rappelle, dans les différentes éditions des Abrégés, que Dewey a créé une classification pour une bibliothèque, celle d’Amherst College, aux États-Unis, qu’elle est adaptée à ses collections, et aux préoccupations d’un américain de l’époque. Selon elle, Dewey ne pensait pas en 1876 que sa classification allait se répandre à travers le monde. Elle-même note que « les langues et littératures autres qu’européennes ne disposent que d’une division5 ». On trouve donc une limite à l’universalité de la CDD. Elle ne permettrait pas de classer tous les livres, sur tous les sujets, de la même manière.

La critique que l’on retrouve le plus souvent, encore aujourd’hui, concerne la classe 200 : Religions. Une grande partie de cette classe est consacrée au christianisme, et la division 290 est intitulée « Autres religions », ce qui signifie qu’en seulement une dizaine de sections, on rassemble depuis les religions gréco-romaines, jusqu’à l’islam et le judaïsme. Les opposants s’en donnent à coeur joie pour reprocher à la classification de faire la part belle aux États-Unis. Pourtant on trouve des explications à ce problème. D’abord, toute classification est créée par un homme, qui vit dans une société, laquelle se ressent forcément dans ses tables d’indices. Par exemple on retrouve dans la Colon classification, établie par l’indien Ranganathan, une division consacrée au mysticisme et à l’expérience spirituelle. Ensuite, aux États-Unis comme en Europe, à la fin du XIXe siècle comme aujourd’hui, on retrouve dans l’édition, donc dans les bibliothèques, plus d’ouvrages sur le christianisme que sur les autres religions. Ces derniers sont d’ailleurs plus souvent généralistes. Les bibliothécaires français n’auraient donc pas grand usage d’indice très précis sur les religions. Depuis quelques années les éditeurs de la CDD proposent aux bibliothécaires qui ont davantage de livres sur une autre religion que sur le christianisme dans leurs collections, de transposer cette collection sur la grille, entre 210 et 280 : théories, écritures, théologie, pratiques, histoire et géographie, confessions et sectes liées à cette religion. La religion chrétienne aurait dans ce cas l’indice 298, qui est resté vacant.

Eugène Morel, qui avait choisi la CDD pour classer les documents de la bibliothèque municipale de Levallois-Perret en 1911, pensait qu’elle devrait être adaptée aux fonds nationaux de chaque pays, par ses bibliothécaires, dans une entente internationale. Il accuse par ailleurs les Français de rejeter cette classification, parce qu’elle vient des États-Unis : « sur l’Amérique les notes sont vagues et dédaigneuses, les classifications nouvelles rejetées à la légère, et les perfectionnements mécaniques plus ou moins qualifiés de trucs de Robert- Houdin6 » Et pourtant, les responsables des publications font des efforts pour que la classification soit toujours plus universelle.

Les rééditions et l’héritage de Melvil Dewey

Melvil Dewey était un entrepreneur, qui pensait aux détails, avec un certain sens pratique. En 1876, il souhaitait, pour résoudre un problème observé dans la bibliothèque d’Amherst College, créer une classification qui pourrait à la fois indexer et coter les documents. C’est-à-dire qu’il voulait que l’on retrouve les mêmes indices sur le catalogue méthodique et sur les livres. Dès 1900, il publie une version abrégée de sa classification, pour la rendre plus accessible à des petites bibliothèques. Mais dans son oeuvre pour les bibliothécaires, il ne s’arrête pas à la classification. Pour leur fournir tous les outils nécessaires, il ouvre Library Bureau ; pour les informer des nouveautés bibliothéconomiques ou livresques, il publie le Library journal ; pour les former, il organise la première école de bibliothéconomie. Tous ces outils permettaient de faire connaître sa principale oeuvre : la classification décimale.

La septième édition de la CDD, publiée en 1911, est la première à porter la marque des Forest Press, que Dewey a ouvertes en Floride, dans le but exclusif d’imprimer sa classification. En 1916 , est mis en place un comité consultatif pour travailler sur les réimpressions et les éventuelles modifications à apporter aux tables, le Decimal Classification Advisory Committee. Le groupe d’éditeurs de la CDD s’installe en 1923 à la bibliothèque du Congrès, de Washington, qui, dès 1930, imprime les indices Dewey sur ses cartes de catalogue. En 1937, six ans après la mort de son créateur, est mis en place un nouveau comité, qui va bientôt s’appeler DDC Editorial Policy Committee. Son rôle, comme le comité de 1916, est de travailler aux évolutions de la classification, même sans Dewey. En 1988, Forest Press devient un département de l’OCLC (Online Computer Library Center), organisation qui permet aux bibliothèques d’accéder à l’information à un moindre coût. L’OCLC est à l’origine de WorldCat, le catalogue collectif mondial, mais également de la version électronique de la CDD, parue pour la première fois en 1993.

À partir de 1999, Forest Press quitte l’aventure. Mais l’OCLC continue à publier des versions numériques et imprimées de la CDD et le DDC Editorial Policy Committee travaille toujours à améliorer l’oeuvre de Dewey, 75 ans après sa disparition. Neuf personnes se réunissent régulièrement pour discuter tables, indices et évolution. Depuis 2013, Michael Panzer est éditeur en chef de la CDD. Il faisait auparavant partie du groupe de traduction pour l’Allemagne. Il a remplacé Joan S. Mitchell qui était en poste depuis vingt ans. Cette-dernière a présidé le DDC Editorial Policy Committee pendant une année, avant d’être nommée éditeur de la classification. Elle avait créé un blog : 025.431, indice correspondant à la CDD selon ses propres tables. On peut trouver sur ce blog toutes les évolutions de la classification. Régulièrement, l’OCLC publie une nouvelle édition de la CDD. Ses éditeurs essaient ainsi de la garder à la page : « A static and inflexible classification is of no use in a world where new knowledge has been rapidly assimilated.7 » Noë Richter y voit un atout et une explication de son succès : « la révision régulière des tables, qui ont été régulièrement éditées depuis 1876, ont assuré à la classification de Dewey une diffusion internationale.8 » Parce que la question des religions a été maintes et maintes fois remises au devant de la scène, les éditeurs ont retravaillé la classe 200.

Benjamin Custer, rédacteur en chef de la 17e édition de la CDD, explique également qu’il n’est pas possible de transformer toute une classe entre deux éditions, des changements se feront petit à petit. C’est pourquoi les éditeurs proposent des solutions provisoires, comme utiliser les sections vacantes, ou transformer la signification d’un indice, pour qu’il corresponde mieux aux collections. Exemple du travail d’adaptation de la CDD à la société, l’informatique a été insérée dans la 20 e édition, parue en 1989. Melvil Dewey ne l’avait évidemment pas intégré dans ses tables. Malgré ces refontes, certains restent sceptiques. Éric de Grolier reproche aux éditeurs des classifications américaines de craindre des coûts trop élevés pour changer les cotes si les tables étaient modifiées : « La structure de base de la DDC et de la LCC demeure donc identique à ce qu’elle était à leur naissance 9 » et portent toujours « la marque WASP », c’est-à-dire l’idéologie d’un anglo-saxon blanc et protestant.

Il y a un coût financier certainement, mais une modification des tables induit également beaucoup de travail pour les bibliothécaires. S’ils veulent suivre l’évolution de la classification et garder une cohérence entre les anciens et les nouveaux livres, ils doivent adapter toutes les cotes déjà en place, sur les livres et dans le catalogue. Dewey avait annoncé dans la deuxième édition que les indices pourraient être prolongés mais ne seraient pas modifiés dans leur forme : « The users of the scheme were announced that the terms and the main numbers of the scheme would be extended, but they would not be modified in any other way10 ». Étrange idée de Dewey qui n’a pas longtemps été respectée, heureusement pour la pérennité de sa classification, tant pis pour ceux qui y ont cru : « This promise was disregarded11. » Dès la troisième édition, publiée en 1888, la classification avait subi des changements, même si des utilisateurs se plaignirent, demandant l’intégrité des indices. Libre à eux de suivre, ou non les évolutions des tables. Si Dewey pensait fortement à ses collègues en la mettant en place sa classification, elle pose parfois problèmes et doutes aux bibliothécaires.

Le rangement

La classification décimale permet aux bibliothécaires de ranger les documents par discipline, gardant des thèmes proches côte à côte, avec un ordre logique. Il suffit de suivre l’ordre des chiffres, nul besoin de réfléchir à la meilleure place du document une fois qu’il est coté. Aby Warburg, historien de l’art et fondateur de l’iconologie, a laissé en héritage une bibliothèque de 80 000 ouvrages sur l’art. Il « avait découvert la loi de la lecture qui préside à toute bibliothèque de travail : la loi du bon voisin. Si vous avez bien disposé vos livres, l’information que vous cherchez se trouve toujours dans le livre voisin de celui que vous avez pris. 13 » La CDD permet aux bibliothécaires de respecter cette loi du bon voisin, utile aux chercheurs. Mais certains professionnels lui reprochent de leur faire oublier le thème. Lorsqu’ils rangent, ils ne regardent plus le livre, son sujet, mais seulement une suite de numéros. On dit aux stagiaires que le meilleur moyen de connaître un fonds est de le ranger, de le manipuler.

A moins de connaitre parfaitement les indices Dewey, il est facile d’oublier de quoi parlent les documents que l’on range. D’un autre côté, il est aisé de visualiser une quantité de documents sur un sujet, grâce aux cotes. Dans le rayon sport, on regarde les ouvrages sur le rugby cotés 796.333, d’un coup d’oeil on se rend compte que la cote devient 796.334 et donc que ces livres portent sur un autre sport, en l’occurrence le football. Le récolement est de la même manière facilité, à la condition de suivre une liste sur laquelle les ouvrages sont triés par cotes. Avec une liste alphabétique des titres ou des auteurs, cela peut devenir compliqué, et le bibliothécaire préfèrerait alors un rangement par ordre alphabétique, évidemment. Pour que l’indice permette un rangement rapide, il faut qu’il soit bien choisi. Se pose alors le problème de l’indexation.

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Table des matières

INTRODUCTION
LA CLASSIFICATION DECIMALE DEWEY EN FRANCE
1. Les conditions du succès de la CD en France
1.1. L’universalité désirée
1.1.1. Les décimales, langage universel ?
1.1.2. L’américanisme, un problème européen ?
1.1.3. Les rééditions et l’héritage de Melvil Dewey
1.2. Le confort des professionnels
1.2.1. Le rangement
1.2.2. L’indexation
1.2.3. La conservation
1.3. Le confort des usagers
1.3.1. La consultation
1.3.2. La compréhension
2. La progression de la CD en France
2.1. Concilium bibliographicum et CDU
2.1.1. Le développement des bibliographies et classifications thématiques
2.1.2. Le rêve de Paul Otlet : indexer le monde
2.2. Le CARD et ses bibliothécaires
2.2.1. Le Comité Américain pour les Régions Dévastées
2.2.2. Les bibliothèques de Jessie Carson
2.2.3. L’École franco-américaine de la rue de l’Élysée
2.3. Le développement des bibliothèques dans les années 30-60
2.3.1. Les formations de bibliothécaires
2.3.2. L’essor des bibliothèques
a) Les réseaux de bibliothèques et les bibliobus
b) Les bibliothèques patrimoniales
c) Les bibliothèques paroissiales
d) Les anciennes bibliothèques
2.4. Des outils pour mieux utiliser la CDD à partir des années 70
2.4.1. La première traduction française
2.4.2. Les Abrégés d’Annie Béthery
2.4.3. La première version intégrale en langue française
2.5. Développement et débats, jusqu’à aujourd’hui
2.5.1. La conquête des bibliothèques scolaires et universitaires
a) Les Bibliothèques – centres documentaires des écoles primaires
b) Les Centres de documentation et d’information des collèges et lycées
c) Les Bibliothèques universitaires et Services communs de documentation
2.5.2. L’informatisation des bibliothèques
2.5.3. Toujours des contestataires : « Y a-t-il une vie après la Dewey ? »
a) Le classement par centres d’intérêt
b) À bas les chiffres
SOURCES
a) Classification décimale de Dewey
b) Manuels pour bibliothécaires
c) Enquêtes à la BnF
BIBLIOGRAPHIE
a) Études sur Melvil Dewey
b) Histoire des bibliothèques françaises
c) Études sur les classifications
d) Études sur les formations de bibliothécaires
e) La classification à la BnF
LA CDD A LA BNF
1. Mise en contexte
1.1. La construction d’une Très Grande Bibliothèque
1.1.1. Chronologie
1.1.2. Polémiques
1.2. Le choix du libre accès et de la CDD
1.3. La mise en place de la classification
1.3.1. En magasin
1.3.2. Les libertés
1.3.3. Les corpus d’auteur
2. Et maintenant
2.1. L’avis des utilisateurs
2.1.1. L’association des lecteurs et usagers de la Bibliothèque nationale de France (AluBnF)
2.1.2. Résultats de l’enquête
a) Le profil des répondants
b) Les méthodes de recherche
c) L’avis des usagers sur la classification
d) Comparaison avec d’autres bibliothèques
e) Conclusion
2.2. Le travail de suivi des bibliothécaires
CONCLUSION
ANNEXES
TABLE DES MATIERES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES TABLEAUX

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