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Le photographe comme intermédiaire entre l’image et l’objet
Le photographe est un intermédiaire entre un objet et un spectateur, il crée une image de la réalité et a une part inhérente d’interprétation par rapport à l’architecture.10 C’est par le biais de son regard qu’il nous donne à voir l’architecture. En se basant sur la citation de Julie Noirot, on pourrait supposer alors que les deux possibilités auxquelles est confronté le photographe, dépendent de son objectif de travail et donc de son rapport à l’architecture. La projection de l’architecte n’est parfois pas la même que l’image du photographe, ou du moins de ce qu’il peut produire à partir de l’architecture et du contexte. Il peut donc choisir de se positionner comme un photographe qui réalise des travaux de commande orienté vers la photographie utilitaire ou bien un photographe qui réalise des travaux personnels, tourné davantage vers la photographie esthétique. Selon Camille Hervouet, lors d’un travail de commande, l’architecte peut avoir des images précises de l’architecture qu’il aura perçu au travers de logiciels alors que la photographe aura quant à elle une autre vision de l’image projetée, de par sa compétence mais aussi en prenant en compte le contexte existant. Elle ne se concentre pas uniquement sur l’objet architectural, elle l’intègre dans un ensemble et joue avec celui-ci pour mettre en place une composition.
Le photographe va être celui qui compose l’image depuis la réalité, qui crée les ambiances et choisit les paramètres techniques, ses outils pour en faire ressortir les composants de l’architecture. Certains photographes réussissent par le biais de l’image à donner une plus-value à l’architecture, devenant par la communication, une référence. Comme par exemple le pavillon allemand à Barcelone de Mies Van Der Rohe, qui a connu après sa destruction, un succès considérable grâce aux photographies qui avaient été commandées par l’architecte et c’est aussi grâce à ces images, qu’il a pu être reconstruit par la suite. 11 Il est en de même pour Julius Shulman, qui par son cliché de la Kaufmann House au crépuscule, a rendu célèbre l’édifice.
La relation entre l’architecture et le photographe va évoluer au fil des années et la vision de celle-ci va être renouvelée aussi bien grâce aux évolutions et procédés techniques qui ne cessent de croître mais aussi grâce à une plus grande accessibilité à la photographie. Avec ces importantes évolutions et l’apparition du numérique, Stierlin explique que les photographes vont davantage se concentrer sur la vision photographique. 12 On pourrait alors se demander comment cette représentation et ce rapport à l’architecture évolue puisqu’elle en devient le sujet de travaux personnels également. Le photographe développe sa sensibilité envers cet objet aux multiples apparences et aura un rapport différent à celui-ci en fonction de ce qu’il observe. Ils recherchent parfois à illustrer simplement des architectures observées ou bien au contraire, à révéler le sens profond de celles-ci. C’est ainsi qu’à la suite de la photographie que l’on appelle documentaire , apparaît la photographie esthétique. Comme Gilles Aymard avait pu l’expliquer précédemment mais aussi Thibault Pousset, la photographie d’architecture dite esthétique se concentre davantage sur les émotions qu’elle transmet. 13 Camille Hervouet fait référence à cette position du photographe lorsqu’elle évoque la question du symbole dans la photographie. D’après son point de vue, l’artiste recherche l’image de l’espace qui va cristalliser l’ensemble des ressentis qu’il a eu et des observations qu’il a pu faire. Si l’on revient au Pavillon allemand de Mies Van Der Rohe, il a été également le sujet de photographie pour un travail personnel par Pierre-Emmanuel Guinois. En photographiant l’édifice, il cherchait à créer une image symbolique qui exprimait ses émotions et sentiments face à l’architecture et à son contexte historique.
« Amateur d’architecture, le Pavillon de Barcelone s’est immédiatement imposé comme une évidence pendant mon voyage à Barcelone. Merveille de géométrie, j’ai été subjugué par l’imbrication extérieur/ intérieur du pavillon. Je suis resté un long moment assis à divers endroits du monument juste pour contempler et attendre un moment propice à des prises de vue. Il fallait que les ombres et lumières soient en parfaite adéquation avec les sentiments que je ressentais. » 14 Pierre-Emmanuel Guinois regarde donc l’architecture avec son regard de photographe uniquement, il n’est pas influencé par un architecte et l’on remarque qu’il s’attarde d’autant plus sur son ressenti et les émotions perçus pour créer son image. Pour cela, il travaille à partir des ombres et lumières sur les formes géométriques du Pavillon mais également sur la partie de retouche où il modifiera la couleur du bassin et donnera une teinte plus froide à la lumière. Le choix de cette photographie se fait dans l’idée de refléter un contexte historique, explique le photographe :
« En effet, à l’époque de la création du pavillon, l’Allemagne se trouvait au plus mal. Trois ans après, Hitler commençait d’ailleurs à prendre emprise sur le pays. Dix ans après la construction du pavillon, le pays rentrait en guerre. »
Dans le cas du pavillon allemand de Mies Van Der Rohe, on observe que le photographe est un messager, que ce soit pour communiquer sa réalisation dans les années 30 ou bien ici dans une démarche engagée personnelle.
Camille Hervouet dresse quant à elle dans son travail personnel appelé Maisons, un portrait personnel de l’architecture des habitations des années 40-60. Elle travaille autour de la question de l’habitat et de l’attachement à l’espace habité. Elle fait alors le choix de concevoir sa photographie avec un outil spécifique, la pellicule tungstène, pour travailler de nuit. Le processus de ce travail personnel débute tout d’abord par un temps d’observation assez long qui va lui permettre de créer une première image mentale de ce qu’elle souhaite produire. Elle fait le choix d’ambiances spécifiques et de conditions météorologiques particulières qui vont participer à la création de l’image qu’elle projette.
L’émotion du photographe est aussi perçue au moment de la prise de vue, il exprime une certaine jubilation lorsque l’image mentale, l’image concrète (sur le moment) et l’image finale (après la prise de vue) se rencontrent pour former finalement l’image idéale et attendue par la photographe. L’outil peut également dépasser les capacités du photographe et, par l’imprévu, lui proposait une toute autre image qu’il n’aurait pas projeté lui-même. Ce témoignage de Camille Hervouet correspond également au propos de Shulman quant à son cliché photographique de la maison Kaufmann au crépuscule. Au moment où il observe cette lumière particulière, il est pris par cette atmosphère qu’il qualifie de « saisissante » et dépassé par la lumière du crépuscule qu’il tente de capter par le biais de son objectif. 15 On peut remarquer alors que la perception sensible du photographe est aussi prise en compte dans un travail de commande, bien que la combinaison des trois images qu’évoque Camille, semble complexe à mettre en place puisque le photographe n’est pas le seul interprète de l’image dans ce cas.
L’appropriation de l’architecture par le photographe se fait également par le temps d’observation comme nous avons pu le remarquer au travers des différents exemples cités précédemment ainsi que le témoignage de Stéphane Chalmeau lors de la rencontre avec la revue D’Architectures. Plus le photographe a un temps d’observation long, plus il réussit à s’approprier le sujet et à l’observer sous toutes ses caractéristiques. Pour s’imprégner de l’espace, le travail de repérage est alors essentiel :
« Si la commande type de Stéphane Chalmeau est « on vient de finir un bâtiment, rendez-vous pour une séance photo cinq jours avant la livraison », sa commande idéale serait plutôt celle qu’il a reçue pour un livre sur l’architecte rennais Georges Maillols : photographier un parcours complet, peut être photographiée plusieurs fois, en utilisant des paramètres divers et produire des images opposées les unes aux autres. Elle est un outil de création infinie. La photographie, selon Stierlin, est le moyen d’exprimer la beauté par le choix de l’objet, du cadrage, par l’option du point de vue, la mise en évidence de la plasticité en fonction de la lumière, ce serait la perception du moment idéal et le photographe va chercher à transfigurer ce moment, pour un observateur par exemple ou lui-même. On peut rappeler le sens du mot transfigurer qui signifie le fait de transformer en revêtant d’un aspect éclatant et glorieux. L’image que le photographe crée, transforme la réalité. Stierlin donne par la suite une autre vision plus spirituelle à la photographie : « L’image saisie de la réalité architecturale dépasse l’enregistrement factuel ». 17
Il la qualifie comme le dévoilement d’un sens profond, le déchiffrement des intentions ultimes du bâtisseur, on pourrait même dire qu’elle transcende l’architecture de par ses composants techniques. Ainsi Julie Noirot cite dans son article, Loyrette qui explique qu’il n’y a pas de réelle frontière entre la photographie utilitaire et la photographie esthétique : « Il ne s’agit pas de deux types de photos mais toutes deux avec des moyens différents exprimant successivement une vérité de l’architecture ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : PERCEPTION DE LA PHOTOGRAHIE D’ARCHITECTURE
La relation symbiotique du photographe et de l’architecte
Le photographe comme intermédiaire entre l’image et l’objet
La réception de l’image par l’observateur
PARTIE 2 : LA LUMIÈRE, CRÉATRICE D’ÉMOTIONS
Qu’est ce que la lumière en photographie ?
Les différents types de lumières
La relation entre la lumière et les émotions
PARTIE 3 : ÉTUDES D’IMAGES PHOTOGRAPHIQUES SOUS DIFFÉRENTES LUMIÈRES
Kaufmann House : le choix d’un objet architectural
Un sujet de photographie intemporel
L’impact émotionnel de la lumière et de la temporalité dans la perception de l’image
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
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