Les cellules de crête neurale : formation et dérivés
Les cellules de crête neurale (CCN) désignent chez les vertébrés, une population de cellules multipotentes et transitoires qui migrent au sein de l’embryon suivant différentes voies prédéfinies, pour donner naissance à une grande diversité de structures chez l’adulte (Fig. 4). Les CCN proviennent d’un territoire particulier de l’ectoderme, la crête neurale, localisé au niveau dorsal de l’embryon, le long de son axe antéropostérieur. La crête neurale se situe à la frontière entre le neurectoderme, à l’origine du SNC, et l’ectoderme qui donnera l’épiderme (Gammill and Bronner‐Fraser 2003). La spécification de la crête neurale, ainsi que l’acquisition de l’identité des futures CCN qui la composent, va se faire progressivement au fil des étapes précoces de l’embryogénèse, sous l’influence d ‘un réseau d’interactions complexes entre plusieurs gènes régulateurs (Fig. 3) (Prasad, Sauka‐ Spengler et al. 2012) Dans un premier temps, au cours des étapes précoces de la gastrulation, les frontières entre les différentes zones adjacentes (ectoderme, crête neurale et neurectoderme) ne sont pas nettement définies et se chevauchent (Fig. 3A). L’induction de la crête neurale se fait via l’action combinée de signaux provenant à la fois du neurectoderme, de l’ectoderme et du mésoderme paraxial ; ce dernier est le précurseur des somites et est localisé du coté ventral du futur tube neural (Fig. 3B et C). Les acteurs moléculaires majeurs de cette induction sont les gradients de morphogènes BMP (Bone Morphogenic Proteins) et FGF (Fibroblast Growth Factors), les signaux diffusibles tels que l’acide rétinoïque, Hedgehog ainsi que les voies de signalisations canoniques Wnt et Notch (Gammill and Bronner‐Fraser 2003; Milet and Monsoro‐Burq 2012). Sous l’induction combinée de ces différents signaux, les cellules composant la crête neurale vont alors exprimer des facteurs de transcription spécifiques, en particulier Pax mais également Msx‐1/2 et Zic‐1, c‐Myc et AP2α, absents du neurectoderme et de l’ectoderme. Ainsi les frontières finissent par se dessiner nettement. À ce stade, les cellules composant la crête neurale sont considérées comme les progéniteurs des CCN (Fig. 3B) (Milet and Monsoro‐ Burq 2012; Prasad, Sauka‐Spengler et al. 2012; Duband, Dady et al. 2015). Ensuite, la spécification des progéniteurs des CCN en CCN pré migratoires va s’accentuer, toujours sous l’effet des mêmes effecteurs (BMP, FGF, Wnt) mais également combinée à l’action des facteurs de transcription nouvellement exprimés (Fig. 3B). Les CCN pré‐migratoires vont accumuler une seconde vague de facteurs de transcription parmi lesquels Snail1, Snail2, FoxD3, Sox9, Sox10, Twist, Ap2 et Zeb2, essentiels à la transition epithélio‐mésenchymateuse (TEM) et à leur délamination du tube neural (Stuhlmiller and García‐Castro 2012; Duband, Dady et al. 2015). Suivant la région rostro‐caudale considérée et en fonction des espèces, la délamination et la TEM des CCN débutent peu avant (chez la souris), au moment ou bien après la fermeture du tube neural (chez le poulet) et se poursuit selon une régulation spatiotemporelle précise. La fermeture du tube neural a lieu pendant la neurulation, le long de l’axe cranio‐caudal et se produit par la convergence et la fusion des bourrelets neuronaux (formés au préalable par l’invagination de la plaque neurale). La crête neurale se retrouve ainsi sur la partie dorsale du tube (Fig. 3C) (Gammill and Bronner‐Fraser 2003). Pour illustrer brièvement la TEM, on peut citer à titre d’exemple différents processus qui se produisent au niveau des CCN troncales chez le poulet. Il faut cependant noter qu’il existe une différence d’expression des N‐cadhérines, présentent dans les parties postérieures mais non exprimées dans les parties antérieures (Dady, Blavet et al. 2012; Lee, Nagai et al. 2013). Pour les parties troncales antérieures, on peut notamment citer les processus suivants :
‐ La répression directe de l’expression des Cadhérines‐6b par Snail2 (Taneyhill, Coles et al. 2007) au profit des Cadhérines‐7 (Nakagawa and Takeichi 1998) et Cadhérines‐11 (la voie de signalisation Wnt/βcat semble réguler de manière indirecte leurs expressions respectives (Chalpe, Prasad et al. 2010).
‐ La progression du cycle cellulaire : passage de la phase G1 à S induite par la voie de signalisation canonique Wnt et BMP (Burstyn‐Cohen 2004).
‐ L’activation des protéines Rho GTPases par le Bmp4 qui va induire une modification du cytosquelette d’actine et des changements de contraction de l’actomyosine, nécessaires à la rupture des jonctions apicales et à l’acquisition de la motilité cellulaire (Liu and Jessell 1998).
Pour les parties troncales postérieurs et caudales :
‐ Répression indirecte de l’expression des N‐Cadhérines par FoxD3 (Cheung, Chaboissier et al. 2005)
‐ Le clivage de la partie extracellulaire de la N‐Cadhérine par la métalloprotéase ADAM‐10 (dont l’expression est elle‐même ciblée par Bmp4).
‐ La progression du cycle cellulaire : passage de la phase G1 à S en partie induite par l’activation des cyclines‐D1, elles‐mêmes activées par les parties cytoplasmiques des N‐ cadhérines tronquées qui ont transloquées dans le noyau (Shoval, Ludwig et al. 2007).
‐ La stimulation de la synthèse de la laminine, protéine de la matrice extracellulaire (MEC) et de l’expression des intégrines β1, récepteurs adhésif de la MEC, nécessaires à l’adhérence et aux processus migratoires (effet indirect de FoxD3) (Cheung, Chaboissier et al. 2005).
Ainsi, il existe des variabilités en fonction de l’axe antéro‐postérieur mais également en fonction de l’espèce considérée notamment chez le xénope (variabilités qui ne seront pas détaillées ici). Cependant, malgré ces disparités, tous ces processus ont pour effet l’affaiblissement de l’adhérence intercellulaire, via le remplacement de Cadhérines formant de fortes interactions intercellulaires (N‐Cadhérines) par des cadhérines formant des interactions plus faibles (Cadhérines‐7 et 11) (Chu, Eder et al. 2006). Cet échange facilite la perte de la polarité apico‐basal, les changements morphologiques des CCN pré‐migratoires et l’acquisition de la motilité cellulaire permettant ainsi leur départ en migration collective et leur délamination du tube neural.
Les aspects spatio‐temporels de la colonisation intestinale par les CCNEs
Une fois qu’elles ont pénétré l’intestin, les CCN vagales et sacrales sont dénommées CCN entériques (CCNEs). Les CCNEs vont coloniser la totalité de la longueur du tube digestif en une seule vague rostro‐caudale (Fig. A et D) (Young, Hearn et al. 1998). Chez la souris, à E8.5 les CCN vagales délaminent du tube neural et migrent dorso‐ventralement dans le mésoderme paraxial avant de débuter le colonisation du foregut à E9.5 (Kapur, Yost et al. 1992; Durbec, Larsson‐Blomberg et al. 1996). À ce stade embryonnaire, le foregut possède une anatomie relativement linéaire, mais il faut cependant noter qu’au fur et à mesure de sa colonisation, l’intestin embryonnaire va également poursuivre son programme de croissance. Il va ainsi subir des changements morphologiques considérables, tels que l’apparition des circonvolutions du petit intestin, le bourgeonnement du cæcum (partie séparant le midgut du hindgut) ainsi que l’allongement et l’épaississement du côlon (Fig. 6 D). À E10.5, les CCNEs sont à la moitié du midgut. Une partie alors des CCNEs vont continuer leur migration au sein de l’intestin pour atteindre la base du cæcum à E11.5 (Fig. 6 A et D), où elles vont marquer une pause de plusieurs heures (Druckenbrod and Epstein 2005) avant de le coloniser et de se retrouver dans le hindgut proximal à E12.5 (Fig.6 A et D) (Kapur, Yost et al. 1992; Young, Hearn et al. 1998). Une autre partie des CCNEs vont quant à elles courcircuiter le cæcum et passer directement dans le hindgut en empruntant la voie dite « transmésentérique » entre E10.5 et 11.5 (Fig. 6B). Cette migration transmésentérique est rendue possible par la forme en épingle à cheveux de l’intestin (Fig. 6A) (Druckenbrod and Epstein 2005; Nishiyama, Uesaka et al. 2012). Le midgut et le hindgut sont accolés parallèlement, et seulement séparés par une fine couche de mésentère, qu’une partie des CCNEs dites « transmésentériques » vont pouvoir traverser, avant de s’accumuler dans le hindgut proximal (Fig. 6A,B et D) (Nishiyama, Uesaka et al. 2012). Vers E12.5 les deux populations se rejoignent, seulement ce sont les CCNEs transmésentériques qui vont majoritairement coloniser le hindgut distal jusqu’au stade E14.5 (Fig. 6D) (Nishiyama, Uesaka et al. 2012). Par ailleurs, ces deux populations sont rejointes par les CCNE sacrales entre E13.5 et E14.5, qui migrent quant à elle caudo‐ rostralement (Fig. 6C et D) (Burns and Le Douarin 1998; Kapur 2000; Druckenbrod and Epstein 2005; Wang, Chan et al. 2011). La colonisation de l’intestin embryonnaire chez la souris se fait donc entre les stades E9.5 et E14.5, soit un processus long de 5 jours. On peut noter que la colonisation du futur côlon est la période la plus longue (3 jours pour le hindgut et 2 jours pour le midgut) (Kapur, Yost et al. 1992). Chez le poulet la colonisation dure environ 4 jours et se fait entre les stades HH22 (E4.5) et HH32 (E8.5) (Fairman, Clagett‐Dame et al. 1995), enfin chez l’Homme, il faut quasiment 4 semaines pour que l’intestin soit entièrement colonisé (Fu, Tam et al. 2004).
Les molécules d’adhérences
Le mode de migration collectif des CCNEs, qui se fait par contacts transitoires répétés entre les CCNEs voisines, ainsi que la formation de chaînes labiles au front de migration sont des processus faisant appels aux molécules d’adhérence intercellulaire. Les L1CAM sont exprimées par les CCNEs dès E10.5 et permettent en partie la formation des chaînes et l’adhérence des CCNEs entre elles (Anderson, Turner et al. 2006). Bien que les souris invalidées pour ce gène ne présentent pas d’aganglionose intestinale, une mutation a tout de même été décrite chez un patient présentant HSCR associé à une hydrocéphalie liée au chromosome X renforçant l’idée que cette molécule joue un rôle dans le développement du SNE. De plus, il a été montré que L1CAM agit comme un gène modificateur de Sox10 influençant la pénétrance de la mutation (Wallace, Schmidt et al. 2010). Les NCAM sont d’autres molécules d’adhérence intercellulaire exprimées par les CCNEs et les cellules mésenchymateuses (Fu, Vohra et al. 2006). L’ajout post‐traductionnel d’acide polysialique (PSA) aux NCAM (PSA‐NCAM) a été montré comme diminuant leurs adhérences homophiliques et pouvant réduire la migration des CCNEs in vitro (Fu, Vohra et al. 2006). Cette même étude suggère que l’effet négatif du BMP‐4 sur la migration des CCNEs souris (pour rappel, ce phénomène n’est pas observé chez le poulet) serait dû à l’activation de la polysialilation des NCAM des CCNEs (Fu, Vohra et al. 2006). Les PSA‐NCAM jouent également un rôle dans l’agrégation des ganglions entériques (Fu, Vohra et al. 2006) Notre équipe a montré que la N‐Cadhérine est également exprimée par les CCNEs et que l’ablation conditionnelle du gène, réduit leur adhérence intercellulaire et modifie leur directionnalité de migration in vivo. En revanche, la vitesse de migration ne semble pas impactée (Broders‐Bondon, Paul‐Gilloteaux et al. 2012). De plus, nous avons très récemment montré que la N‐Cadhérine joue un rôle important dans la migration collective des CCNEs en réponse au complément anaphylatoxine C3a, dont elles expriment le récepteur (C3aR) (Broders‐Bondon, Paul‐Gilloteaux et al. 2016). Chez le xénope, la balance entre la co‐ attraction régulée par C3a, agissant de façon paracrine sur les CCN, et la redirection de migration après contact dépendante de la N‐cadhérine joue un rôle important dans le contrôle de la migration collective des CCN crâniales (Carmona‐Fontaine, Theveneau et al. 2011). Nous avons pu mettre en évidence pour la première fois chez la souris que ce type de processus joue également un rôle durant la colonisation de l’intestin embryonnaire par les CCNEs. Enfin, notre équipe a mis en évidence il y a quelques années, que les intégrines‐β1, principaux récepteurs à la MEC, sont également indispensables à la colonisation des CCNEs (Fig. 10B) (Breau, Pietri et al. 2006; Breau and Dufour 2009).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I – Le système nerveux entérique ou « le deuxième cerveau »
I ‐ A: Fonction et organisation
I ‐ B : Origine embryonnaire du SNE
I ‐ B ‐ a : Les cellules de crête neurale : formation et dérivés
I ‐ B ‐ b : Le SNE provient des CCN vagales et sacrales
I ‐ C : Le développement du SNE
I ‐ C ‐ a : Les aspects spatio‐temporels de la colonisation intestinale par les CCNEs
I ‐ C ‐ b : Formation de l’intestin embryonnaire
I ‐ C ‐ c : Les aspects dynamiques de la migration des CCNEs
I ‐ C ‐ d : Différenciation et prolifération des CCNEs
II ‐ Les acteurs moléculaires contrôlant le développement du SNE
II – A : La maladie de Hirschsprung et l’identification des acteurs moléculaires clés du développement du SNE
II ‐ B: Les voies de signalisation principales
II ‐ B ‐ a : La voie de signalisation GDNF/RET
II ‐ B ‐ a : La voie de signalisation EDN3/EDNRB
II ‐ C : Les autres facteurs impliqués dans le développement du SNE
II ‐ C ‐ a : Les facteurs de transcriptions
II ‐ C ‐ b : Les morphogènes
II ‐ C – c : Les molécules d’adhérences
II – D : Interactions fonctionnelles et génétiques de la voie EDN3/EDNRB
II ‐ D‐ a: Interactions génétiques et fonctionnelles entre les voies EDN3/EDNRB et GDNF/RET
II ‐ D‐ b: Interactions génétiques entre les voies EDN3/EDNRB et les autres gènes du développement du SNE
III ‐ Les intégrines et le développement du SNE
III – A : Famille et structure des intégrines
III – B : Activation et signalisation des intégrines
III – B‐a : Les changements conformationnels conduisant à l’activation des intégrines
III – B‐b: Activation et signalisation «inside‐out»/«outside‐in» des intégrines
III – B‐c: L’Adhésome : complexe protéique associé aux intégrines et voies de signalisation
III– C : Les intégrines, l’adhérence et la migration cellulaire
III – C‐a: Les structures d’adhérence à la MEC dépendantes des intégrines
III – C‐b: Les adhérences dépendantes des intégrines et la migration cellulaire
III – D : Les intégrines et le développement du SNE
IV ‐ Mécanotransduction et influence des propriétés mécaniques de l’environnement sur les comportements cellulaires
IV – A : Les Adhérences focales sont des mécanocapteurs
IV – A‐a: Mise en évidence du phénomène au niveau des adhérences focales
IV – A‐b: Mécanismes moléculaires de la mécanosensation et mecanotransduction au niveau des adhérences focales
IV – B : Les cellules répondent à la rigidité de l’environnement
IV – B‐a: Effet de l’élasticité sur l’adhérence et la migration des cellules
IV – B‐b: Effet de l’élasticité sur la différenciation cellulaire
V ‐ Objectifs des travaux de thèse
RESULTATS
I ‐ Interactions fonctionnelles et génétiques entre l’EDN3 et les intégrines‐β1 au cours de la colonisation des CCNEs
II ‐ Les propriétés élastiques de l’intestin embryonnaire et son influence sur la colonisation des CCNEs (Articles 2 et 3)
III ‐ Effet de l’élasticité sur la différenciation des progéniteurs entériques
CONCLUSION, DISCUSSION ET PERSPECTIVES
I ‐ Interactions génétiques et fonctionnelles entre l’EDN3 et les intégrines‐β1 au cours de la colonisation embryonnaire des CCNEs
I – A: Edn3 et Itgb1 agissent en synergie lors du développement du SNE
I – B: L’EDN3 promeut l’adhérence des CCNEs en régulant positivement la formation d’adhérences focales intégrines‐β1
I – C: L’EDN3 module la dynamique membranaire des CCNEs
I – D: Les CCNEs mutantes Edn3lsls présentent des propriétés adhésives altérées
I – E : Par quel(s) mécanisme(s) moléculaire(s) agit la voie EDN3/EDNRB ?
II – Propriétés élastiques de l’intestin embryonnaire et impact sur les comportements des CCNEs au cours du développement du SNE
II – A: L’intestin embryonnaire se rigidifie au cours de son développement
II – B: Influence de l’élasticité environnementale sur la migration tridimensionnelle des CCNEs
II – C: Influence de l’élasticité des supports 2D sur la migration des CCNEs et la différenciation des progéniteurs entériques
II – D: Propriétés mécaniques de l’environnement et HSCR
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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