Etude théorique des phases du titane

L’objectif de cette thèse est d’aboutir à une meilleure compréhension des propriétés des différentes phases du titane. L’étude du titane est importante du point de vue fondamental car la compréhension des éléments correspondant au remplissage de la couche 3d est encore loin d’être satisfaisante. Le titane est l’un des premiers éléments de transition. Il possède un nombre encore raisonnable d’électrons à modéliser, tout en présentant les difficultés liées à la modélisation de la couche 3d. Quand les problèmes de modélisation rencontrés ne sont pas spécifiquement liés au titane, mais représentent une tendance générale parmi les éléments de transition, nous étendons notre analyse à d’autres matériaux comme le dioxyde de titane, le cuivre ou le zirconium.

Le titane métallique se présente sous plusieurs formes solides. La phase α est la phase stable à température et pression ambiantes, elle est de structure hexagonale compacte. La phase β de haute température est de structure cubique centrée. La phase ω découverte pour la première fois en 1963 par Jamieson [1], apparaît sous pression. Elle possède une structure hexagonale à trois atomes peu courante pour un élément pur.

Approche ab initio 

Théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT)

Les méthodes ab initio cherchent à prédire les propriétés des matériaux, par la résolution des équations de la mécanique quantique, sans utiliser de variables ajustables. Parmi les méthodes ab initio, la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) est une reformulation du problème quantique à N corps en un problème portant uniquement sur la densité électronique. Aujourd’hui, la DFT constitue l’une des méthodes les plus utilisées pour les calculs quantiques de structure électronique du solide, car la réduction du problème qu’elle apporte permet de rendre accessible au calcul l’état fondamental d’un système comportant un nombre important d’électrons. C’est donc une méthode de choix pour l’étude des propriétés physiques de l’état fondamental des solides.

Fonctionnelle d’échange et corrélation

Pour pouvoir faire le calcul il nous faut maintenant une approximation pour le terme d’échange et corrélation, qui est le dernier terme pour lequel nous ne connaissons pas d’expression en fonction de la densité ou des orbitales. La recherche d’approximation précise pour l’échange et corrélation est toujours d’actualité et nous ne présentons ici que les fonctionnelles standards, qui ont déjà été largement utilisées.

Approximation de la densité locale (LDA) 

L’approximation la plus répandue pour calculer le terme d’échange et corrélation est la Local Density Approximation, ou LDA. Cette approximation fait l’hypothèse que la densité fluctue assez lentement. Elle remplace donc le potentiel d’échange et corrélation en chaque point de l’espace par celui d’un gaz uniforme d’électrons qui interagissent. Le gaz d’électrons est pris de la même densité que la densité au point calculé. Ceci permet d’en donner une expression exacte en interpolant des calculs Monte-Carlo. Ceci a été fait au début des années 80 [13]. La LDA est souvent une approximation efficace, même quand la densité fluctue de manière non négligeable. Cependant, elle a certains désavantages, comme une sous estimation systématique de l’énergie de cohésion des solides et des paramètres de maille [14, 15]. L’erreur sur les paramètres structuraux est souvent faible (de l’ordre de 1 à 2 %), mais peut devenir importante quand des liaisons de types Van der Vaals sont en jeu.

Approximation du gradient généralisé (GGA) 

La manière la plus naturelle d’améliorer la LDA est de tenir compte de l’inhomogénéité de la densité électronique en introduisant dans l’énergie d’échange et corrélation des termes dépendant du gradient de la densité. La GGA (generalized gradient approximation) [16] permet d’introduire une combinaison entre les termes locaux et des termes dépendant du gradient. Elle donne de bons résultats et permet d’améliorer les énergies de cohésion et les paramètres de maille. Cependant, l’amélioration par rapport à la LDA n’est pas toujours systématique car la GGA surcorrige parfois la LDA [17, 18]. C’est pourquoi dans la partie résultats de cette thèse nous avons systématiquement comparé les stabilités relatives des phases ainsi que les constantes élastiques obtenues en GGA et en LDA.

Utilité et sens physique des pseudopotentiels

L’idée d’utiliser des pseudopotentiels provient d’abord de la constatation que les modèles d’électrons presque libres (Drude) donnent d’assez bonnes descriptions des propriétés métalliques [25]. Pourtant le potentiel ressenti par les électrons dans le métal est constitué d’une superposition de potentiels atomiques qui prennent des valeurs très grandes au voisinage du noyau. Le véritable potentiel est donc très loin du potentiel pratiquement constant que suppose le modèle de Drude. Ce paradoxe est résolu si on introduit le concept d’électrons de cœur et d’électrons de valence. Les électrons de cœur très liés au noyau sont à peine affectés par l’environnement chimique de l’atome et écrantent très efficacement le potentiel créé par le noyau. Ce concept ne se limite pas aux métaux, mais se généralise à l’ensemble des matériaux. Les métaux présentent en plus la particularité supplémentaire que l’écrantage par les électrons de valence du noyau et des électrons de cœur est très efficace, donc les électrons de valence ressentent beaucoup moins l’attraction du noyau.

Ce sont donc les électrons de valence qui déterminent principalement les propriétés des matériaux en formant des liaisons chimiques et en se délocalisant dans le solide. L’interaction des électrons de valence avec l’ensemble {noyau et électrons de cœur} peut alors être décrite par un potentiel effectif, beaucoup moins attractif que le potentiel créé par le noyau. Ce potentiel effectif est dans notre cas approché par un pseudopotentiel. Puisque les électrons de valence se comportent pratiquement comme des électrons libres, du moins dans le métal, et qu’un solide est modélisé par un arrangement périodique d’atomes, la base naturelle pour faire les calculs numériques est donc la base d’ondes planes [25]. Cependant, dans la région située près du noyau, les états de valence ne peuvent pas être proches d’une onde plane. En effet les états de valence sont orthogonaux aux états de cœur et présentent de ce fait de nombreux zéros appelés aussi nœuds. Ces oscillations rapides nécessitent un très grand nombre d’ondes planes pour pouvoir être correctement représentées et donc un temps de calcul très long. Pour éviter ce problème, les fonctions d’onde de valence et le potentiel sont alors très adoucis dans la région près du noyau. Le modèle perd alors sa pertinence dans cette région. Une construction astucieuse du pseudopotentiel permet toutefois de conserver la plus grande partie de l’information dès qu’on s’éloigne de la région de cœur [26]. Pour que le pseudopotentiel soit intéressant à utiliser, il doit être transférable. C’est-à-dire qu’une fois créé dans un environnement chimique donné, généralement l’atome isolé, il doit pouvoir donner des calculs précis pour d’autres environnements chimiques, comme le solide. Ainsi, on pourra générer le pseudopotentiel dans une configuration simple à calculer (par exemple atomique) et ensuite le transférer dans des configurations beaucoup plus complexes. Le pseudopotentiel permet donc de réduire le nombre d’électrons à prendre en compte dans le calcul et aussi de réduire le nombre d’ondes planes nécessaire à la description des fonctions d’onde du solide.

Pseudopotentiels à norme conservée

Pour satisfaire au mieux ce critère de transférabilité, des pseudopotentiels à norme conservée ont été élaborés. Un pseudopotentiel est créé pour chaque moment angulaire et doit pour une configuration électronique atomique donnée (pas forcément l’état fondamental) satisfaire quatre propriétés :

•Les valeurs propres de référence (obtenues par le calcul avec tous les électrons) et les valeurs propres du calcul avec  le pseudopotentiel doivent être identiques
•Les fonctions d’onde réelles et les fonctions d’onde obtenues avec le pseudopotentiel doivent être identiques au-delà d’un rayon de coupure rᴵc.
•L’intégrale, entre 0 et rᴵc , de la densité électronique réelle et celle obtenue avec le pseudopotentiel doivent  être identiques pour chaque orbitale de valence (propriété de conservation de la norme).
•Les dérivées logarithmiques de la fonction d’onde réelle et de la fonction d’onde pseudisée doivent être identiques  au delà de rᴵc , ainsi que leurs dérivées par rapport à l’énergie.

Discussion sur la stabilité des phases 

Titane métallique

Dans la plupart des calculs ab initio LDA publiés (FPLMTO [3, 5]) ou GGA (FPLMTO [5, 52] ou pseudopotentiel [53–56] ou FLAPW [4] .) on trouve que la phase ω du titane est plus stable que la phase α. Ceci a conduit certains auteurs [3, 52–56] à affirmer que la stabilité des phases du titane à T=0 K n’est finalement pas bien définie expérimentalement, et que de nouvelles expériences trouveraient sans doute un renversement de stabilité en accord avec les calculs ab initio. Pour Ti l’argument mis en avant est que si on extrapole le diagramme de phase expérimental à T=0 K, c’est la phase ω qui est prédite plus stable [3, 53]. Cependant, nous verrons que la valeur de la pression de transition retenue habituellement (2 GPa) qui permet de tirer cette conclusion de l’extrapolation est trop faible . Avec une valeur plus importante de la pression de transition, cet argument ne tient plus.

De plus, pour Ti, nous disposons de mesures de résistivité et de constantes élastiques [60] à basse température, qui ne présentent aucune anomalie. Des mesures de diffraction X et de chaleur spécifique [61] montrent qu’à 4.2K la phase du titane est hexagonale compacte et l’absence de discontinuité dans les mesures permet de conclure qu’il n’y a pas de transformation de phase entre 4.2 et 300K .

A cause de ce faisceau d’indices, nous pensons qu’il y a de très sérieux doutes sur la validité de la conclusion des articles [3, 53] quant à la stabilité de la phase ω à basse température. Il est plus probable que les calculs ab initio commettent une erreur. Nous allons donc étudier en détail la question de la stabilité des phases, et chercher les sources possibles d’erreur des calculs ab initio.

Dioxyde de titane

Nous nous sommes intéressés au dioxyde de titane car il présente les mêmes problèmes de modélisation de la stabilité des phases. Ainsi, on constate aussi que les calculs ab initio prédisent de manière erronée la stabilité de la phase anatase sur la phase rutile [62, 63], ce qui a conduit certains auteurs [63] à affirmer que la phase stable pourrait être la phase anatase, à basse température. Pourtant en ce qui concerne TiO2, il semble bien établi expérimentalement que la phase anatase est une phase métastable .

Ceci nous conforte donc dans l’idée que le titane est actuellement mal décrit par les calculs ab initio. Il y a tout de même une exception notable pour TiO2 : un calcul avec un pseudopotentiel de Teter [65] donne la phase rutile plus stable avec une valeur de la différence d’énergie proche de l’expérience .

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Table des matières

Introduction
1 Approche ab initio
1.1 Théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT)
1.1.1 Fondements théoriques
1.1.2 L’approche de Kohn et Sham
1.2 Fonctionnelle d’échange et corrélation
1.2.1 Approximation de la densité locale (LDA)
1.2.2 Approximation du gradient généralisé (GGA)
1.3 Calculs dans le solide avec les ondes planes
1.3.1 Calcul de la contrainte et de la force
1.4 Utilité et sens physique des pseudopotentiels
1.5 Pseudopotentiels à norme conservée
1.6 La méthode Bachelet Hamann et Schlüter
1.6.1 Calcul de l’atome en DFT
1.6.2 Coupure du potentiel
1.6.3 Conservation de la norme
1.6.4 Inversion de l’équation de Schrödinger
1.6.5 Désécrantage
1.7 Correction de cœur non linéaire
1.8 Potentiel séparable
1.8.1 Le pseudopotentiel de Kleinman et Bylander
1.8.2 Forme générale des potentiels séparables
2 Matériaux
2.1 Titane
2.1.1 Présentation des différentes phases du titane
2.1.2 Diagramme de phase du titane
2.2 Dioxyde de titane
2.2.1 Phase rutile
2.2.2 Phase anatase
2.3 Discussion sur la stabilité des phases
2.3.1 Titane métallique 1
2.3.2 Dioxyde de titane
3 Constantes élastiques
3.1 Définitions
3.1.1 Expression de l’énergie et constantes élastiques
3.1.2 Tenseur des contraintes et équilibre mécanique
3.1.3 Notation de Voigt
3.2 Constantes élastiques pour les phases du titane
3.2.1 Cristal à symétrie hexagonale
Tenseur des constantes élastiques
Déformations
3.2.2 Cristal à symétrie cubique
Tenseur des constantes élastiques
Déformations
3.3 Constantes élastiques internes
3.3.1 Introduction
3.3.2 Définitions
Déplacement interne
Indépendance des déplacements internes
Energie et constantes élastiques internes
Equilibre mécanique et tenseur des contraintes internes
Constantes élastiques totales
3.3.3 Constantes élastiques internes pour la phase α
Expression des différents tenseurs
Expression de l’énergie totale et de la force
3.4 Méthode numérique standard pour l’évaluation des constantes élastiques
3.4.1 Calcul des dérivées secondes de l’énergie
Ajustement
Dérivation numérique
3.4.2 Calcul des dérivées premières de la contrainte
Méthode standard ab initio
Limite de la méthode standard
3.4.3 Méthodes numériques pour les constantes élastiques internes
Relaxation atomique
Inconvénient de la relaxation
Etude des symétries du cristal
3.4.4 Théorie de la perturbation de la fonctionnelle de la densité
Evaluation de la dérivée seconde de l’énergie
Traitement des constantes élastiques internes
3.5 Méthode d’évaluation de l’énergie de point zéro
3.5.1 Evaluation de la température de Debye
3.5.2 Lien entre l’énergie de point zéro et la température de Debye
3.5.3 Calcul de l’énergie de point zéro
4 Simulation à l’échelle atomique
4.1 Principe de la dynamique moléculaire
4.1.1 Algorithme d’évolution temporelle
4.1.2 Conditions aux limites
4.2 Potentiels interatomiques phénoménologiques
Conclusion

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