La connaissance de l’histoire thermique des roches est un paramètre important pour la reconstitution de l’histoire de la Terre que ce soit pour la recherche fondamentale destinée à la connaissance générale (e.g. formation des bassins et des chaînes de montagnes) ou pour celle nécessaire à l’exploration et la production des ressources minérales ou d’énergie. En effet, la Terre est un système actif et cette activité résulte de la dissipation de l’énergie thermique interne produite par (1) la désintégration des éléments radioactifs contenus dans les roches et (2) le refroidissement correspondant à la dissipation de l’énergie “primitive” (ou chaleur d’accrétion). Sous la lithosphère, les transferts de chaleur provenant de l’intérieur de la planète se traduisent par des courants thermiques convectifs qui contrôlent, non seulement la dérive des continents, mais aussi l’évolution thermique de la lithosphère et du manteau, l’activité ignée et le métamorphisme. Ces sollicitations thermiques et mécaniques produisent des conditions favorables à la formation des ressources naturelles. Plusieurs auteurs, en application de la tectonique des plaques, ont démontré depuis les années 1970, les relations de premier ordre entre la géodynamique et la métallogénie (Sillitoe, 1972; Wright, 1977). En effet, les bordures de plaque lithosphérique forment des zones de grandes discontinuités où se concentrent l’essentiel des processus tectoniques mais également où se dissipe la chaleur liée à l’activité terrestre (rides médio-océaniques, rifts continentaux, subduction océanique, collision…). Ces discontinuités lithosphériques caractérisées par des zones fortement perméables (réseau de failles majeures), qui permettent l’évacuation de l’énergie thermique profonde, sont propices à la formation et à la migration des fluides minéralisateurs. Ainsi, il apparait que la dynamique terrestre joue un rôle majeur dans la formation de provinces métallogéniques, notamment parce qu’elle génère des fluides (magmatique, métamorphique et hydrothermaux) qui mettent en solution les métaux et les transportent notamment à la faveur de drain contrôlé principalement par la tectonique puis les déposent dans des pièges chimiques ou structuraux.
Les systèmes anorogéniques et orogéniques issus de la divergence ou de la convergence de lithosphères continentales, s’intègrent dans cette dynamique terrestre et sont le lieu de phénomènes géologiques majeurs essentiels pour la genèse de concentration minérale. Généralement, dans ces domaines une évaluation précise du potentiel des ressources est un problème car elle résulte d’une histoire géologique complexe, réunissant plusieurs phases successives de tectonique, de magmatisme, de métamorphisme et de circulation de fluides. Un paramètre clé qui contribue à la compréhension de ces processus est la température. Une bonne connaissance des paléochamps de température associés aux processus minéralisateurs est indispensable pour reconstituer l’histoire thermique d’un domaine géologique à potentiel minier, et constitue donc un challenge scientifique majeur pour l’élaboration de modèles métallogéniques robustes pour guider efficacement l’exploration. L’histoire thermique d’un domaine géologique regroupe tous les événements thermiques qui l’ont affecté depuis sa formation jusqu’à sa déformation. Afin de reconstituer cette histoire thermique polyphasée, il est nécessaire de déconvoluer la thermicité régionale (métamorphisme régional) de celle induite par des anomalies thermiques plus locales, qu’elles soient dues au magmatisme et/ou à de l’advection liées à la circulation de fluides hydrothermaux potentiellement minéralisateurs. Cependant, il est dans la plupart des cas difficile de définir avec certitude l’âge des pics thermiques potentiellement minéralisateurs et leur relation avec les évènements tectoniques. De ce fait, combiner l’acquisition de données, structurales, chronologiques et thermiques est indispensable pour comprendre la succession des processus pré-orogéniques et orogéniques. L’intérêt de cette approche est de permettre d’intégrer l’histoire thermique d’un domaine crustal dans son contexte paléogéographique et ainsi d’améliorer la prospection des ressources pour évaluer le potentiel minier d’un secteur plus précisément. Cette approche constitue donc une analyse prioritaire pour l’industrie minière en quête de nouveaux éléments (REE) ou de gisements avec un contenu métallique mieux ciblé (faible en polluant comme As).
Les grands traits de l’évolution de la chaîne varisque
La chaîne varisque-alléghanienne est une chaîne complexe s’étendant sur plus de 8000 km de long et 1000 km de large depuis les Appalaches à l’ouest jusqu’en Europe Centrale à l’est . Son édification résulte de la collision au Paléozoïque supérieur entre les supercontinents Laurussia au nord et Gondwana au sud impliquant également des microcontinents tels qu’Armorica (terrains peri gondawanien) séparés de Gondwana par des domaines océaniques. La formation de cette chaîne depuis l’ouverture de l’océan Rhéïque à l’Ordovicien inférieur jusqu’au processus orogénique au Carbonifère a fait l’objet de nombreuses études ces dernière décennies (e.g. Ballèvre et al., 2009; Burg et al., 1994; Burg & Matte, 1978; Catalán et al., 1997; Faure et al., 2008, 2009; Fernández et al., 2016; Franke, 2000; Franke et al., 2017; Hatcher, 1978, 2002; Lardeaux et al., 2014; Pin, 1990; Simancas et al., 2009). Ces études ont montré l’ouverture de plusieurs domaines océaniques principalement pendant l’Ordovicien (540-450 Ma), qui ont été par la suite subduits du Dévonien supérieur au Carbonifère inférieur (380-360 Ma) comme le montrent les roches de haute pression (HP) dispersées dans différentes unités allochtones de la chaîne interne (Ballèvre et al., 2013; Ballèvre et al., 2009; Bosse et al., 2000; Bosse et al., 2005; Franke et al., 2017; Matte, 2001; Paquette et al., 2017). Ces témoins HP de la subduction fournissent les premiers enregistrements de la convergence entre Laurussia et Gondwana incluant les terrains péri-gondwanien et liés à la fermeture de l’océan Rhéïque dont le paroxysme se traduit par la collision à partir du Dévonien supérieur – Carbonifère inférieur (~360 Ma) formant la chaîne varisque européenne ( Ballèvre et al., 2009; Kroner et al., 2007; Kroner & Romer, 2013; Kroner et al., 2016; Nance et al., 2010; Pin, 1990; Edel et al., 2017). Cette période de convergence est caractérisée par des processus tectoniques contrastés en Europe marqués par : (1) la collision dans la zone interne responsable d’un épaississement crustal développant un métamorphisme de haute température (HT) de type barrovien, conduisant à la fusion partielle de la croûte moyenne et la mise en place de nombreux granites, tandis que (2) dans les zones externes de la chaîne, des bassins d’avant pays de flysch carbonifère se développent, dont la migration progressive témoigne de l’avancée du front de déformation varisque (Ballèvre et al., 2013; Martínez et al., 2016; Matte, 2001). A partir de 320 Ma, la dynamique de la chaîne varisque change profondément. Ce changement brutal est la conséquence d’une réorganisation de la cinématique des plaques à grande échelle. Dans les parties internes, le processus de fusion partielle atteint son paroxysme et conduit à l’effondrement de la chaîne et à la formation de dôme migmatitiques exhumés par des détachementsainsi que la mise en place de plutons granitiques à leucogranitiques (Ballèvre et al., 2009; Burg et al., 1994; Couzinié et al., 2014, 2017; Faure et al., 2009; Gapais et al., 2015; Gutiérrez‐Alonso et al., 2011; Laurent et al., 2017). Cet épisode de fusion partielle et de magmatisme affecte également l’avant pays de l’orogène (Chopin et al., 2014; Cochelin et al., 2017; Denèle et al., 2014; Doublier et al., 2015; Faure et al., 2009; Franke et al., 2011). La distribution spatiale et temporelle de ce complexe magmatique/migmatite montre la migration depuis la zone interne de l’orogène vers l’avant pays entre 340 et 280 Ma interprétée comme étant liée à la délamination progressive vers le sud du manteau lithosphérique Rhéïque induisant la remontée d’un flux asthénosphérique chaud (Couzinié et al., 2014; Laurent et al., 2017).
Alors que la collision entre Gondwana et Laurussia structure la chaîne varisque en Europe à partir du Dévonien supérieur-Carbonifère inférieur (360 Ma) et ceci jusqu’au Carbonifère supérieur (~300 Ma), la fermeture progressive de l’océan Rhéïque se poursuit vers l’ouest entrainant un diachronisme dans la collision entre Laurussia et Gondwana comme le montre la formation de la chaine alléghanienne en Amérique du Nord et en Afrique du Nord qui débute au Carbonifère moyen (~320 Ma) et se termine au Permien inférieur (280 Ma),(Hatcher, 2002; Kroner et al., 2007; Kroner & Romer, 2013; Kroner et al., 2016; Matte, 2001; Nance et al., 2010). Du Carbonifère supérieur au Permien inférieur (300- 280 Ma), l’ensemble de la chaîne varisque-alléghanienne est affectée par des décrochements crustaux conduisant à l’assemblage final de Gondwana et Laurussia pour former le supercontinent de la Pangée au Permien inférieur (Arthaud & Matte, 1977; Kroner et al., 2007; Matte, 2001).
Ainsi la chaîne varisque-alléghanienne est le résultat de la collision oblique et diachronique entre Gondwana et Laurussia à partir du Dévonien supérieur – Carbonifère inférieur (~360 Ma) jusqu’au Permien inférieur (~280 Ma), liée à la fermeture progressive de l’océan Rhéïque vers l’ouest et dont l’assemblage final forme le supercontinent de la Pangée (Kroner et al., 2016; Matte, 2001; Poole et al., 2005).
Les Variscides du Maroc
La structuration du segment marocain de la chaîne varisque est généralement négligée dans les travaux de compréhension et de restauration de cet orogène et seuls quelques travaux résument l’évolution de la chaîne varisque au Maroc (Hoepffner et al., 2005, 2006; Michard et al., 1976, 2008, 2010; Piqué et al., 1991; Pique & Michard, 1989). Intégrer les Variscides marocaines dans la compréhension de l’orogène varisque est d’autant plus important qu’elles représentent le seul segment de la chaîne en relation directe avec le Gondwana mais également avec le socle paléoprotérozoïque (Michard et al., 2010; Simancas et al., 2009). Ainsi, il est largement reconnu que le Maroc correspond à la partie sud-ouest de la chaîne varisque et trois grands domaines sont classiquement distingués : (1) le domaine mésetien, (2) la chaîne des Mauritanides et (3) le domaine de l’Anti Atlas (Hoepffner et al., 2005; Michard et al., 2008, 2010; Simancas et al., 2005, 2009 et références incluses). Etant donné que le massif varisque des Jebilet appartient au domaine mésétien, seuls les grands traits de l’évolution de ce domaine sont présentés ci-dessous avant de discuter du massif des Jebilet lui-même.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. CONTEXTE GEOLOGIQUE DE L’ETUDE, PROBLEMATIQUE ET DEMARCHES
CHAPITRE II.1 LES GRANDS TRAITS DE L’EVOLUTION DE LA CHAINE VARISQUE
CHAPITRE II.2 LES VARISCIDES DU MAROC
II.2.1 Les domaines structuraux du domaine mésétien marocain
II.2.2 Evolution géodynamique de la Meseta marocaine
II.2.3 Rappel de l’objectif, choix du cas d’étude et de la démarche pluridisciplinaire
CHAPITRE II.3 EVOLUTION GEOLOGIQUE DU MASSIF VARISQUE DES JEBILET DEDUITE PAR DES ANALYSES STRUCTURALES ET GEOCHRONOLOGIQUES (ARTICLE 1)
II.3.1 Abstract
II.3.2 Introduction
II.3.3 Geological setting
II.3.4 Results
II.3.5 Discussion
II.3.6 Conclusion
II.3.7 Acknowledgments
III. THERMICITE
CHAPITRE III.1 METHODOLOGIE
III.1.1 Minéralogie
III.1.2 Cristallinité de l’illite
III.1.3 Inclusions fluides
III.1.4 Isotopes stables
III.1.5 Approche de la méthode géothermométrique RSCM
CHAPITRE III.2 LE METAMORPHISME DANS LE MASSIF DES JEBILET : ETAT DE L’ART
III.2.1 Le métamorphisme de contact anté-tectonique ou dit « précoce »
III.2.2 Le métamorphisme régional syn-tectonique
III.2.3 Le métamorphisme de contact syn- à post-tectonique
CHAPITRE III.3 ANALYSE THERMIQUE DU MASSIF DES JEBILET PAR LA GEOTHERMOMETRIE RSCM
III.3.1 Analyse de l’applicabilité du RSCM dans un contexte polyphasé varisque
III.3.2 Analyse de l’applicabilité du RSCM sur les skarns des Jebilet
CHAPITRE III.4 ANALYSE PAR GEOTHERMOMETRIE RSCM
III.4.1 Données qualitatives de la méthode RSCM
III.4.2 Analyse de l’évolution de la largeur de la bande G dans les spectres Raman de matériaux carbonés comme un indicateur du pic thermique enregistré par la roche (Article 3)
III.4.3 Données quantitatives
CHAPITRE III.5 SYNTHESE ET DISCUSSIONS DES CONTRAINTES STRUCTURALES, GEOCHRONOLOGIQUES ET THERMIQUES OBTENUES SUR NOTRE ZONE D’ETUDE
III.5.1 La phase extensive D0 : ouverture du bassin des Jebilet
III.5.2 Les phases compressives D1 et D2 : structuration varisque du massif des Jebilet
III.5.3 Bilan de notre travail dans le massif des Jebilet
III.5.4 Aspects thermiques sur l’évolution tectonique du massif des Jebilet
IV. EVOLUTION GEODYNAMIQUE
IV.1 Discussion des différents modèles
IV.1.5 Synthèse
IV.2 DISCUSSION DES MODELES GEODYNAMIQUES A GRANDE ECHELLE
IV.2.2 Modèle proposé par Frizon de Lamotte et al. (2013)
IV.2.3 Modèle proposé par Kroner and Romer (2013) et Kroner et al. (2016)
IV.2.4 Synthèse
V. CONCLUSION GENERALE
VI. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
VII. LISTE DES FIGURES
VIII. ANNEXES