Etude technologique et historique des parkas en membranes protéiques

Etude du processus de fabrication

Les membranes proviennent en général d’animaux chassés durant l’été ou le printemps. Durant l’hiver, ces matériaux sont plus gras, difficiles à travailler et jaunissent davantage. Traditionnellement, un vêtement est conçu à partir d’une même espèce ou de congénères. L’espèce, l’âge, la taille et l’état de santé de l’animal influencent la qualité du produit final, qui peut varier en apparence, poids et durabilité. Le processus de fabrication complet peut durer 3 mois55. Ces vêtements sont fabriqués par les femmes. Leur savoir-faire est transgénérationnel et les meilleures couturières sont très respectées. En cas d’attaque, elles bénéficient d’une sécurité renforcée et sont secrètement cachées pour ne pas être blessées56. Raclage, trempage et gonflement des fibres du collagène Les membranes sont la dernière partie de l’animal à être préparée après son dépeçage57. Elles sont d’abord raclées avec un ulu*, puis mises à tremper dans un bain d’eau (de mer ou de rivière), lavées puis rincées (Fig.31, p.25). Ceci permet de faire gonfler les différentes tuniques et d’extraire sang et graisses58. de sa salinité locale, l’eau de mer est constituée d’éléments en proportions relativement constantes59 – majoritairement du sodium (Na+), du chlorure (Cl-), du sulfate (SO42-), du magnésium (Mg2+), du calcium (Ca2+) et du potassium (K+) (Graphique 1).

L’eau de rivière a une composition influencée par le milieu local. Graphique 1 Composition moyenne de l’eau de mer de salinité 35 g.l-1 (salinité moyenne des océans) © Dickson et Govet, 1994 Le gonflement des membranes est dû à la présence de groupes hydrophiles, dans les régions amorphes du collagène. En fonction du point isoélectrique* (pI)60, des groupes –COO- ou –NH3+ vont attirer les molécules d’eau dans la structure des fibres par un phénomène osmotique*, ainsi que des sels* dissouts selon un phénomène lyotropique*. Le premier est dépendant du pH et est d’autant plus fort que l’on s’éloigne du pI – surtout en milieu acide61. Le second a lieu à n’importe quel pH mais est dépendant de la concentration en sels dissouts62, ou agents lyotropiques. Il s’agit, dans l’ordre décroissant, du F- > SO42- > HPO42- > Cl- > NO3- > NH4+ > K+ > Na+ > Mg2+ > Ca2+ – celui-ci causant le plus faible gonflement63.

Pour finir, le NaCl facilite l’extraction de l’eau libre* contenue dans les tissus et crée un environnement défavorable pour le développement des bactéries et microorganismes64. Les tuniques sont ensuite pelées afin de ne conserver que la sous-muqueuse. L’une des extrémités est nouée pour gonfler le tube d’air, puis il est mis à sécher en extérieur, après avoir fermé l’autre extrémité65 (Fig.32, p.26). Les membranes d’hiver* (winter gut, Fig.35 p.26) sont séchées peu avant la période de la nuit polaire, caractérisée par des températures très basses au niveau du sol (comprises entre -15°C et -40°C au plus fort de l’hiver), un air contenant peu de vapeur d’eau et un taux d’ensoleillement journalier faible. Ces conditions climatiques extrêmes induisent probablement un processus de lyophilisation* partielle comprenant une surgélation* puis une déshydratation primaire* par sublimation*. En effet, à -18°C la pression de vapeur saturante de l’air est de 150 Pa (1,5 mbar) alors que celle de la glace varie de 165 Pa à 103 Pa (1,7 à 1 mbar) entre -15°C et -20°C66. Ceci laisse supposer qu’une partie de l’eau libre* contenue dans les fibres de collagène peut se sublimer67. La membrane obtenue est blanche, opaque et satinée et permet de fabriquer des parkas plus flexibles et durables68. Les membranes d’été* (summer gut, Fig.36 p.26), subissent un séchage à des températures plus douces, dans des conditions humides et soumises à plus de rayonnements solaires. Ce procédé permet d’obtenir une membrane translucide, de teinte ocre et peu flexible, ce qui la rend plus sensible aux déchirures69. Il semblerait que seules les membranes intestinales puissent devenir translucides.

Assemblage et couture

Une fois sèches, les membranes sont coupées dans le sens de la longueur, généralement à l’opposé de la ligne mésentérique, utilisée comme motif décoratif. Les bandes sont enroulées pour être stockées70 ou assemblées par couture (Fig.33-34, p.26). Les bandes sont orientées selon leur fonction in-vivo, la face interne tournée vers le corps, ce qui permet de bénéficier des propriétés d’étanchéité et de respirabilité du matériau71. De manière générale, les bandes disposées horizontalement sont plus typiques dans l’ouest des régions arctiques72, alors que l’organisation verticale est une pratique commune d’est en ouest73. Les vêtements Inuits sont assemblés à l’aide de points d’étanchéité en fil d’aponévrose (Fig.37, p.26). Celui-ci a la propriété de gonfler en présence d’humidité, rendant la couture parfaitement imperméable. Le point d’étanchéité est ancien et a par exemple été retrouvé sur une parka en intestin datant du XIIIe siècle, issues du site archéologique de l‘Ile Ellesmere (Nunavut)74. Ces coutures sont souvent renforcées avec des fils d’herbe (Fig.38 p.28), d’aponévrose mais aussi avec des éléments décoratifs, servant à réduire les tensions du fil d‘aponévrose sur la couture lorsqu’il gonfle, tout en améliorant sa qualité d’étanchéité75.

Nous avons identifié 6 types de points de couture sur ces parkas. Ceux-ci sont décrits dans les fiches d’identification et de constat d’état, en annexes p.144-147 et dans le fichier numérique d’annexes complémentaires. 5. Contexte de conservation de la collection 5.1 Conditions de conservation passées, actuelles et futures76 En 1881, l’Antiquarisches Museum der Stadt Bern (Antiquarium) est inauguré dans la galerie de la bibliothèque de la ville (Fig.39). Les collections ethnographiques, archéologiques et historiques du canton et de la ville y sont rassemblées, y compris la collection Webber. Les objets sont exposés dans des vitrines, réparties dans 3 salles organisées par aires géographiques. Dans l’idée de créer un Musée national suisse, un bâtiment est érigé sur l’actuel site d’Helvetiaplatz. Bien que la ville de Zurich fût finalement choisie, la construction du nouveau musée bernois est poursuivie jusqu’à son inauguration en 1894. Comme précédemment, le MHB met en exposition l’entièreté de sa collection. Suite au vaste don d’Henri Moser en 1914, le musée est agrandi d’une aile surmontée de greniers, dédiés au stockage des collections.

Dans les années 1950, cette aile est finalement fermée au public pour ne servir que de réserve. Les collections Asie, Amériques, Turquie et Europe du Nord y sont stockées jusque dans les années 1980. Un niveau intermédiaire (actuels espaces dédiés aux Amériques) ainsi que des pavillons externes sont aussi érigés afin d’agrandir la capacité de stockage du musée. Les plus grands objets, dont les parkas 3 et 4, y sont cloués aux murs afin de gagner de l’espace. A la fin des années 1960, le musée modernise sa muséographie et son mobilier d’exposition. Nous pouvons supposer que c’est à cette époque que la collection Webber a été retirée de l’exposition et la parka 2 mise en réserve. Enfin, dans les années 1980, la collection de parkas est retrouvée dans les greniers de l’aile Moser, partiellement inventoriée. Ces anciennes conditions de stockage laissent présumer l’influence d’un climat instable et probablement inadapté d’un point de vue thermique, hygrométrique, d’exposition à la lumière et aux dépôts exogènes (poussières, polluants organiques). Les réserves du Museum d’Histoire naturelle de Berne, où est actuellement conservée la collection, ont été construites dans les années 1990. Elles se situent dans les niveaux supérieurs du bâtiment historique mais bénéficient d’un bon niveau d’isolation. Le graphique thermo-hygrométrique ci-dessous présente l’évolution du climat de la réserve où sont conservées les parkas, pour l’année 2016 et le début de l’année 2017. Graphique 2 Evolution du climat de la réserve ethnographique du MHB Les conditions thermo-hygrométriques y sont relativement stables – avec une température moyenne de 20,8°C et un taux d’humidité relative moyen de 49,7%. Les variations journalières moyennes annuelles sont de 2 à 3°C et de 5 à 10% d’humidité relative. La période estivale accuse les fluctuations hygrométriques (supérieures à 15%) et les valeurs de températures (jusqu’à 27°C) les plus élevées. Impact des conditions de conservations passées et actuelles

Photo-oxydation des acides gras et du collagène : D’après l’étude des conditions de conservation passées (Chapitre I.5.1, p.28-30), nous pouvons supposer que les parkas 1, 3 et 4 sont restées en exposition jusque dans les années 1950 et dans les années 1960 pour la parka 2. La parka 5 n’a a priori jamais été exposée. Elles ont donc été soumises à une forte quantité de rayonnements lumineux, ultraviolet (UV) et infrarouge (IR), dont les effets sont cumulatifs et irréversibles. En milieu aérobie, les UV sont de puissants oxydants du collagène et des acides gras qu’ils dégradent par action photochimique. Celle-ci est renforcée par une hygrométrie élevée et la présence d’ions métalliques. Les IR, en induisant l’échauffement des surfaces, catalysent les différents processus de dégradation et favorisent l’assèchement des matériaux100. La photo-oxydation du collagène provoque la rupture des chaînes peptidiques et la production de radicaux libres ainsi que, en présence d’oxygène et d’eau, de peroxydes et d’hydroperoxydes. A l’instar de l’auto-oxydation des acides gras, ces produits de dégradation peuvent oxyder les acides aminés et induire la dénaturation du collagène. Il est probable que le processus d’auto-oxydation soit un facteur aggravant de la photo-oxydation. Cette dernière peut aussi induire la réticulation transversale des molécules de collagène, suite à la recombinaison des radicaux libres101. Ce processus peut donc renforcer la fragilisation mécanique et le raidissement initiés lors du séchage. Enfin, certains acides aminés sont plus sensibles aux effets des UV. Il s’agit de composés chromophores*, tels que la méthionine et la cystéine, qui présentent des groupes phényliques102. Leur dégradation induit la libération de phénols, responsables du brunissement103.

Influence du dioxyde de soufre (SO2) : Etant donnée la proportion parfois importante mais surtout constante de soufre détecté lors des analyses FRX, nous pouvons supposer d’autres provenances que le façonnage et l’usage. La perméabilité des bâtiments historique du MHB et leur situation en centre-ville laisse supposer une contamination par le SO2, issu de la pollution automobile et industrielle. En effet, grâce au graphique 8, on constate que les émissions de polluants en Suisse ont connu des pics élevés entre les années 1950 et 1980 – les émissions de SO2 étant devenues jusqu’à 2,5 fois supérieures à celles mesurées en 1950.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. LE HAMAC MÉSO- ET SUD-AMÉRICAIN : MOBILIER ENDÉMIQUE DEVENU PHÉNOMÈNE MONDIAL
1.1. DÉFINITION
1.2. TERMINOLOGIE
1.3. LE HAMAC ET LE NOUVEAU MONDE
1.3.1. Une histoire millénaire
1.3.2. Un objet multifonction
1.3.3. Valeurs culturelles associées par les indigènes
1.3.4. Techniques et matériaux de fabrication
1.4. DÉCOUVERTE, APPROPRIATION ET ADAPTATION PAR LES OCCIDENTAUX
1.4.1. Un objet qui intrigue
1.4.2. De l’Europe mobile et bourgeoise à l’Amazonie scientifique en passant par l’Afrique coloniale
1.4.3. Toujours d’actualité
2. LE HAMAC EN TANT QU’OBJET PATRIMONIAL
2.1. COLLECTION DE HAMACS SUD-AMÉRICAINS DU MUSÉE D’HISTOIRE DE BERNE
2.1.1. Présentation du corpus de hamacs
2.1.2. Valeurs culturelles associées par le musée
2.2. UN OBJET RÉPANDU DANS LES MUSÉES ETHNOGRAPHIQUES
3. LE HAMAC ET LA PROBLÉMATIQUE DU CONDITIONNEMENT
3.1. LE CONDITIONNEMENT EN CONSERVATION
3.2. PROBLÉMATIQUE LIÉE AU CONDITIONNEMENT DES HAMACS
4. CONDITIONNEMENT DES HAMACS SUD-AMÉRICAINS DU MUSÉE D’HISTOIRE DE BERNE
4.1. CONSTAT D’ÉTAT GÉNÉRAL
4.2. CONCEPTS DE CONDITIONNEMENT
4.2.1. Objectifs des conditionnements
4.2.2. Solutions existantes
4.2.3. Choix des conditionnements
4.2.4. Choix des matériaux
4.3. RÉALISATION DES CONDITIONNEMENTS
4.4. BILAN DES CONDITIONNEMENTS
4.5. RECOMMANDATIONS DE CONSERVATION
4.5.1. Environnement
4.5.2. Manipulation
4.5.3. Contrôle
5. PROTOCOLE DE CONDITIONNEMENT POUR LES HAMACS SUD-AMÉRICAINS
5.1. OBJECTIFS DU PROTOCOLE
5.2. ELABORATION DU PROTOCOLE
5.3. RÉSULTATS OBTENUS
DISCUSSION
CONCLUSION
GLOSSAIRE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
ANNEXES

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