Qualifiée par certains de « nouvelle révolution industrielle », la fabrication additive regroupe un ensemble de procédés innovants très différents des procédés plus conventionnels de mise en forme tels que la coulée ou le forgeage. Ces techniques additives permettent d’obtenir des pièces de géométries pouvant être très complexes, tout en diminuant les délais de fabrication. L’industrie, notamment aéronautique et aérospatiale, est très intéressée par ces technologies nouvelles et commence leur implantation à grande échelle. Toutefois, les procédés ne sont pas encore tout à fait matures et il est nécessaire de continuer à les améliorer. Le projet FUI-9 FALAFEL s’intéresse au développement et à l’amélioration de deux procédés de fabrication additive que sont la projection laser (DMD) et la fusion sélective par laser de lits de poudre métallique (SLM). C’est dans le cadre de ce projet que les travaux de thèse sur le SLM présentés ici ont été menés.
Fabrication directe et additive
La fabrication directe (direct manufacturing en anglais) regroupe un ensemble de technologies utilisées pour fabriquer des ébauches tridimensionnelles (3D) ou des pièces directement à partir du fichier de conception assistée par ordinateur (CAO). Cette définition ne se trouve pas dans le dictionnaire, du moins pas encore. En effet, la fabrication directe est une technologie assez récente qui est en pleine expansion. Aussi appelée fabrication rapide, la fabrication directe dérive du prototypage rapide qui est apparu dans les années 1980. Ce dernier consiste à obtenir des pièces au plus près des cotes, directement à partir d’un fichier numérique de CAO. Comme son nom l’indique, le prototypage rapide n’a pas pour vocation d’obtenir des pièces à intégrer directement dans une machine. Les pièces formées servent généralement à valider un design de composant sur des critères purement géométriques, sans tenir compte des propriétés physiques ou mécaniques desdites pièces. La fabrication directe, elle, s’intéresse à cet aspect, et les pièces obtenues doivent répondre à un cahier des charges industriel défini, tant d’un point de vue géométrique que mécanique.
Le prototypage rapide a subi une démocratisation importante ces dernières années par l’apparition d’imprimantes 3D à très bas coût que l’on peut même trouver sur les sites des grandes surfaces (Carrefour, 2014). La mode est désormais à l’impression 3D qui pour certains est la prochaine révolution industrielle. Le grand public s’extasie devant ces nouveaux procédés sans toutefois en comprendre réellement les tenants et aboutissants, car la « fabrication directe » qu’ils vantent reste du prototypage plus que de la fabrication à proprement parler. En effet, l’utilisation que tout un chacun fait de ces imprimantes 3D (si tant est qu’il ne l’ait pas acheté pour suivre un effet de mode) consiste à fabriquer des pièces en polymère (généralement ABS ou PLA), et les propriétés des matériaux obtenus ne sont généralement pas prises en compte. Cependant, il arrive que les propriétés mécaniques offertes par ces imprimantes 3D suffisent à répondre aux besoins d’un usage domestique la plupart du temps.
On restreint très souvent la fabrication directe à la fabrication additive, aussi appelée additive manufacturing (AM) ou additive layer manufacturing (ALM) dans la langue de Shakespear. Cette dernière consiste à créer une pièce par ajouts successifs de couches de matière, généralement sur un substrat qui sera séparé de la pièce après fabrication. Elle est à différencier de la fabrication soustractive qui consiste à usiner un bloc de matière plus important que le volume de la pièce finale. Toutefois, à proprement parler, la fabrication directe comprend aussi certains procédés de fabrication soustractive tels que l’UGV (usinage grande vitesse, aussi appelé HSM pour high speed machining). Ces procédés soustractifs ne seront pas abordés dans le cadre de ces travaux de thèse.
La fabrication additive n’est pas encore tout à fait mûre pour une application industrielle à grande échelle. C’est pourquoi de nombreux projets sont lancés à travers le monde pour développer les différentes technologies et améliorer leur fiabilité en vue de leur industrialisation. Nous nous trouvons à une époque charnière où l’ALM doit finir de faire ses preuves. Le projet FUI-9 FALAFEL (pour Fabrication Additive par procédés LAser et Faisceau d’ELectrons) a été lancé fin 2010 et vise à développer certains procédés de fabrication additive, notamment en développant une nouvelle génération de machine et des systèmes de monitoring/contrôle procédé. Il réunit plusieurs grands acteurs de l’aéronautique et de l’aérospatiale française (Airbus Group Innovations, Dassault Aviation, Safran Snecma, MBDA et Airbus Helicopters) ainsi que différentes PME et laboratoires travaillant dans le domaine de la fabrication additive. Les travaux présentés dans ce manuscrit ont été financés par le biais de ce projet.
Principes, intérêts économiques et stratégiques
La fabrication additive regroupe un ensemble de techniques innovantes qui sont en rupture avec les méthodes usuelles de mise en forme. Disposer d’une machine capable de créer des pièces à partir de rien (ou presque) présente de nombreux avantages, ce qui rend ces procédés très attractifs, notamment aux yeux de l’industrie aéronautique et aérospatiale. Comme dit précédemment, ce chapitre ne traitera que de la fabrication additive (fabrication de pièces couche par couche) et délaissera les solutions de fabrication directe soustractive (usinage).
Principes de la fabrication additive
Peu importe le procédé utilisé, la fabrication additive se caractérise par une relative simplicité d’utilisation puisqu’elle ne nécessite théoriquement que le fichier de CAO de la pièce à fabriquer (ainsi que la matière première sous la forme adéquate au procédé considéré). Cependant, le monde réel est bien loin de cette approche « presse bouton » que les vendeurs d’imprimantes 3D grand public utilisent souvent pour faire la promotion de leurs produits. Obtenir une pièce par ALM nécessite de passer par plusieurs étapes .
En fabrication additive, tout part effectivement du fichier CAO de la pièce considérée. La plupart du temps, celui-ci est enregistré au format .stl ; ce format ne décrit que la géométrie de surface de la pièce sans une quelconque information sur sa couleur, sa texture ou ses propriétés qui sont généralement renseignées en CAO. Une fois ce fichier arrêté, il convient de le retravailler par un logiciel de CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur), généralement propre au procédé, voire à la machine considérée. Cette étape permet de paramétrer la manière dont la pièce sera construite : l’orientation de la pièce dans la machine (donc son sens de fabrication), l’épaisseur des couches nécessaires, l’utilisation de supports de soutènement ou non, etc. Cette étape est cruciale à la qualité de la pièce ; en effet, les contre-dépouilles (i.e. les zones non soutenues verticalement par d’autres couches précédemment solidifiées) nécessitent généralement des supports afin d’améliorer la stabilité de la construction et d’éviter que la pièce ne s’effondre sur elle-même lors de sa fabrication. Certains logiciels destinés à la fabrication additive, tel que Magics, proposent des modules permettant de dimensionner et positionner automatiquement ces supports qui seront enlevés manuellement après fabrication (Materialise, 2014), mais cette étape nécessite néanmoins une supervision humaine.
Ensuite intervient le tranchage (slicing) de la pièce (ou des pièces et de leurs supports). Cette étape, effectuée par le logiciel de CFAO, va découper la géométrie en couches, chacune correspondant à la section de la pièce selon un plan perpendiculaire à la direction de fabrication. Le nombre de couches obtenu dépend de la hauteur de la pièce et de l’épaisseur de couche souhaitée : une pièce de 100 mm de haut paramétrée avec des couches de 40 µm sera donc composée de 2 500 couches. Suite à cette étape, il convient de régler les paramètres opératoires de la machine de fabrication additive, notamment l’apport d’énergie et de matière. Suivant le slicing mis en œuvre, la résolution géométrique de la pièce selon la direction de fabrication peut être plus ou moins bonne .
La pièce peut alors être fabriquée couche par couche en déposant et consolidant successivement de la matière . Chaque couche peut être obtenue progressivement (par exemple en faisant fondre de la poudre sous un laser se déplaçant ), ou en une fois (par exemple à l’aide d’une résine photopolymérisante et d’un masque). Enfin, tout ou partie de la pièce peut éventuellement être post-traitée (réusinage, traitement de surface, traitement thermique, etc.).
Avantages et inconvénients
Le principal avantage de la fabrication additive est de pouvoir fabriquer des pièces de géométries complexes qu’il serait impossible d’obtenir par usinage. Certains procédés, notamment les procédés par lits de poudre, permettent par exemple de créer des structures creuses , ce qui ouvre de nouvelles perspectives, par exemple pour obtenir des conduits de refroidissement qu’il serait impossible de percer dans une pièce massive. Il est également possible d’obtenir des structures équivalentes à des mousses métalliques ou en nids d’abeilles pour des applications du type échangeurs thermiques. De même, il est possible d’obtenir des structures en treillis, ce qui permet de gagner de la masse comparée à une structure massive. Ces structures peuvent également être conçues pour exhiber un coefficient de Poisson qui peut être contrôlé (Yang, et al., 2012) (et même nul ou négatif, voire pouvant varier en différents endroits de la pièce (Chen, 2014)). Ceci ouvre de nouvelles perspectives de conception car il est alors possible d’avoir des matériaux (ou plutôt des géométries) métalliques auxétiques alors que cela était jusqu’à présent réservé à un nombre très restreint de matériaux (certaines mousses polymères, certains composites et quelques minéraux tels que les zéolithes). Ajoutons par ailleurs que la fabrication additive s’utilise de manière globale sur tous les matériaux, que ce soient des métaux (Maisonneuve, 2008), (Vilaro, 2011), des céramiques (ShakerHermier, 2015), des polymères (Dumoulin, 2013), voire des composites à matrice métallique et à renforts particulaires (Orecchia, 2008), (Gu, et al., 2014) ou encore des matériaux à gradients de composition (Qian, et al., 2014).
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Table des matières
Introduction
Chapitre I Fabrication directe et additive
I.1 Principes, intérêts économiques et stratégiques
I.1.1 Principes de la fabrication additive
I.1.2 Avantages et inconvénients
I.1.3 Intérêts économiques et stratégiques
I.2 Techniques de fabrication additive directe
I.2.1 Définition de termes propres à la fabrication additive
I.2.2 Stéréolithographie
I.2.3 Procédé de flashage
I.2.4 Fabrication d’objets par laminage
I.2.5 Dépôt fil
I.2.6 Impression tridimensionnelle
I.2.6.1 3D printing
I.2.6.2 Inkjet printing
I.2.7 Fusion par faisceau d’électrons
I.2.8 Projection laser
I.2.9 Frittage et fusion sélective par laser
I.2.9.1 Problématique du lit de poudre
I.2.9.2 Description des paramètres opératoires utilisés en SLM
I.3 Conclusion du chapitre
Chapitre II Matériaux de l’étude
II.1 Alliages de titane
II.1.1 Alliages base titane
II.1.1.1 Éléments d’addition et microstructure
II.1.1.2 Classification des alliages de titane et propriétés mécaniques
II.1.2 Alliage TA6V
II.1.2.1 Composition et microstructure
II.1.2.2 Propriétés physiques et mécaniques
II.2 Alliages de nickel
II.2.1 Superalliages base nickel
II.2.1.1 Éléments d’addition et microstructure
II.2.1.2 Propriétés mécaniques
II.2.2 Nimonic 263
II.2.2.1 Composition et microstructure
II.2.2.2 Propriétés physiques et mécaniques
II.3 Conclusion du chapitre
Chapitre III Poudres brutes d’atomisation
III.1 Élaboration des poudres
III.1.1 Importance des matériaux pulvérulents pour l’industrie
III.1.2 Atomisation des poudres
III.1.3 Autres voies d’élaboration des poudres
III.2 Cahier des charges des poudres adaptées au SLM
III.2.1 Objectif des spécificités demandées à la poudre
III.2.1.1 Spécificités chimiques
III.2.1.2 Spécificités granulométriques
III.2.2 Récapitulatif des spécificités requises
III.2.2.1 Poudre C263
III.2.2.2 Poudre TA6V
III.2.2.3 Granulométries souhaitées des poudres
III.2.3 Méthodes de vérification de la poudre lors de sa réception
III.2.3.1 Granulométrie
III.2.3.2 Porosité de la poudre et du lit de poudre
III.3 Caractérisation physico-chimique des poudres utilisées
III.3.1 Poudre C263
III.3.1.1 Description des lots réceptionnés
III.3.1.2 Analyse granulométrique et évaluation de la densité relative
III.3.1.3 Analyse morphologique
III.3.1.4 Autres analyses
III.3.2 Poudre TA6V
III.3.2.1 Description des lots réceptionnés
III.3.2.2 Analyse granulométrique et évaluation de la densité relative
III.3.2.3 Analyse morphologique
III.3.2.4 Autres analyses
III.4 Conclusion du chapitre
Chapitre IV Étude du recyclage
IV.1 Présentation de l’étude
IV.1.1 Intérêts du recyclage de la poudre
IV.1.2 Démarche et mise en œuvre de l’étude
IV.1.2.1 Mise en place de l’étude
IV.1.2.2 Présentation de la procédure de recyclage
IV.2 Évolution des propriétés mécaniques des pièces fabriquées à partir de la poudre recyclée
IV.2.1 Essais de traction
IV.2.1.1 Présentation des moyens d’essais
IV.2.1.2 Résultats
IV.2.2 Essais de dureté
IV.3 Évolution de la poudre au fil des recyclages
IV.3.1 Bilan massique de l’étude du recyclage
IV.3.2 Évolution de la taille, morphologie et composition de la poudre
IV.3.2.1 Poudre recyclée
IV.3.2.2 Poudre rebutée lors du tamisage du bac de fabrication et du cendrier
IV.4 Effet de la dilution de la poudre recyclée sur les propriétés mécaniques des pièces
IV.5 Conclusion du chapitre
Chapitre V Modèle de consolidation du lit de poudre
V.1 Bref état de l’art sur la formation d’un cordon dans un lit de poudre
V.2 Modèle bidirectionnel anisotrope
V.2.1 Présentation du modèle
V.2.2 Confrontation avec les données expérimentales
V.3 Calcul de la productivité du procédé SLM
V.3.1 Présentation du calcul du temps de fabrication
V.3.2 Présentation du calcul du débit volumique et du temps de mise en couche
V.3.3 Influence des paramètres opératoires sur le temps de fabrication des pièces, le temps admissible de mise en couche et les débits volumiques de matière consolidée
V.3.3.1 Influence de la vitesse de balayage du faisceau laser
V.3.3.2 Influence du diamètre du faisceau laser
V.3.3.3 Influence de la hauteur de couche programmée
V.3.3.4 Influence du taux de recouvrement
V.3.3.5 Influence de la fraction du plateau de fabrication balayée par le laser
V.3.3.6 Influence de la dimension des rectangles de lasage
V.3.3.7 Influence du facteur β
V.4 Conclusion du chapitre
Conclusion