Etude sémantique et interprétation des toponymes d’Ait Abbas
L’émergence de l’onomastique comme discipline autonome au sein de la linguistique a permis de fournir des études à des problèmes linguistiques comme ceux liés à la nature et à l’aspect définitoire et ambigu du nom propre, elle a eu le mérite de prouver l’existence du nom propre par des recherches historiques. L’onomastique est la science du nom propre, elle est définie par DUBOIS.J comme étant : « une branche de la lexicologie étudiant le nom propre » .ainsi pour LOISQ.J c’est une « branche qui se rattache à la lexicologie qui est l’étude du mot et du lexique d’une langue (noms, verbes, préposition, etc. »Cette science est de date relativement récente, les termes même qui la définissent dans ses grandes subdivisions sont de créations récentes. Toponymie et anthroponymie sont des termes que l’on rencontre seulement aux environs de 1870.Toponymie n’entrera en langue que bien plus tard et anthroponyme date de 1870. L’onomastique comprend à la fois l’anthroponymie qui est l’étude des noms relatifs à la personne et la toponymie est l’étude des noms de lieux, à savoir leurs origines et leurs significations. La toponymie « permet également de recenser tout lieu habite ou ensemble végétal ou naturel préalablement identifie et d’en expliquer les origines ou les modifications sémantiques. » A cet effet, la toponymie selon LOICQ. J comprend plusieurs branches : L’hydonymie du grec (hudos « relatif à l’eau ») qui étudie les noms de cours d’eau, de lacs, étangs, golfes marins, etc., lorsqu’il possède un lieu individualise, il y a aussi l’oronymie du grec (oros « montagnes »), qui envisage les noms de montagnes et ou de massifs montagneux et plus généralement de reliefs du terrain. Il s’ajoute à cela la microtoponymie qui vient de « mikros » qui signifie « petit ». Elle étudie les lieux dits, peu ou non habités, les forêts, les châteaux ou fermes isolées, les quartiers habités, les établissements industriels comme les noms, souvent pittoresques de noms anciens charbonnages, d’anciennes enseignes, etc. Enfin, l’hodonymie (mieux qu’odonymie du grec hodos qui signifie chemin), étudie les noms de rues et de vieux chemin. Dans cet ordre d’idées, nous pouvons dire que les toponymes ou : « les noms géographiques ne constituent pas seulement des codes de localisation des innombrables lieux et espace qui composent un territoire (…), mais aussi des témoins pour ainsi dire permanents de phénomènes naturels, d’évènements ou de sentiments individuels ou collectifs» , nous pouvons ajouté à cela : « que la toponymie est comme une mémoire qui enregistre les circonstances de la dénomination des lieux » , elle joue un rôle très important chez les peuples qui cherchent leur histoire, du fait qu’elle est considérée comme l’un des éléments qui aide à restituer la mémoire collective et à reconstruire l’identité culturelle d’un peuple .
La toponymie constitue un mode d’expression identitaire, « une réserve très riche d’éléments d’illustrations et d’explications de notre passé collectif, de notre présent et même de notre vision du future simple ou antérieur » , elle sert de repère aux populations, une marque de l’histoire d’un pays, de ses frontières et de sa personnalité.
Présentation du sujet :
Depuis la nuit des temps, l’être humain attribue des noms à certaines choses, à certains lieux pour marquer sa présence dans l’espace géographique où il se trouve, l’environnement qu’il fréquente quotidiennement ; ces noms témoignent de son passage, ainsi pour DORION.H, nommer « c’est identifier, définir, caractériser ; nommer un pays, individuellement et collectivement au fil du temps, c’est le reconnaitre, c’est exprimer progressivement son identité »
Il va de soi que ces dénominations restent du moins subjectives, non neutres du fait qu’elles sont liées à quelque chose comme à la politique, la culture, l’histoire et surtout à la langue. Pour assoir les désignations sur le territoire qu’ils occupent, les populations adoptent des noms de rois, de religieux et des personnalités historiques qui ont marqué ces lieux. Après l’indépendance, le pouvoir de 1963, dans une logique de récupération de reconquête et de restitution de l’histoire de l’identité de la langue, se lança dans une grande compagne de restitution toponymique ; ainsi il a décidé de suspendre tous les dénominations coloniales française et tout ce qui peut porter préjudice à l’unité nationale « étant donné que -l’Etat-nation- est la réalité spatiale première et qu’il est l’espace et discours ; celui le garant de l’unité nationale par conséquent l’espace et sa dénomination doivent être contrôlés et normalisés par lui ». A cet effet, l’espace dit BENRAMDANE. F « sera réappropriée linguistiquement et politiquement, il sera habillé désormais d’une nouvelle toponymie » , ajoute LACHEREF. M « sans prendre en considération la forme de ces noms ni le fait pour eux de correspondre à la logique d’une histoire nationale » ; en effet, avec ce mouvement de débaptisassions et d’arabisation, un grand nombre de toponymes du pays en général et de la région en particulier, sont inscrits suivant une translitération assez fautive, différente de celle consacrée à l’usage courant ; tout cela à permis leur remodelage. Notre étude s’inscrit dans le domaine de l’onomastique, science qui propose l’étude des noms propres, leur origine et leur formation. Dans ce cas, notre étude se focalisera sur l’une des branches de l’onomastique : la toponymie qui s’occupe des noms des agglomérations humaines (villes, villages, hameaux). Notre travail consistera à étudier la toponymie de la région d’Ath Abbas, faisant une description des noms de lieu en usage et les spécificités de son paysage toponymique mais aussi son fonctionnement. Connaître aussi le système de dénomination mis en place par les premières populations, ainsi que les différents critères pris en compte dans ce processus. Nous voulons aussi faire ressortir le sens caché de chaque toponyme ainsi que son origine, examiner aussi les ressorts de type linguistique et morphologique que peuvent recéler ces noms de lieu .
Objectifs et motivations :
Pourquoi la toponymie ?
Nous avons voulu travailler sur les noms propres et plus précisément sur les noms de lieu du fait qu’ils constituent un repère important pour la sauvegarde de patrimoine culturel et naturel dans la mémoire collective , plus que cela « les toponymes renseignent sur la manière dont chaque communauté , fabrique, perçoit, délimite et gère son espace de vie. Son choix n’est guère neutre. Il répond toujours à des critères et à des comportements communautaires subjectifs et aléatoires ». Notre sélection s’est portée sur la toponymie de la région d’Ath Abbas, ce thème nous motive particulièrement du fait que la région, comme tout autre espace géographique de l’Algérie, jouit d’un vestige historique, culturel et linguistique conséquent, notamment par le passage de plusieurs occupants : ottoman, arabe et français ; ces populations ont permis de remodeler son paysage toponymique. Ce métissage culturel et civilisationnel nous permet « d’observer les ressorts de type linguistique ; psychologique ; sociologique et anthropologique de la nomination et de son rapport à la dis/continuité historique » .
Nous nous inscrivons dans ce domaine notamment pour des raisons d’objectivité tout en essayant de découvrir et de comprendre les multiples formes d’expression onomastique qui subsistent dans la région. En outre, notre choix s’est porté sur l’étude de la toponymie, d’une part par sa récurrence et d’autre part pour contribuer à l’exploration de ce sujet dans le vaste champ des études onomastiques en contexte algérien en général et berbère en particulier. Dans le cadre de cette recherche , nous envisageons de cerner les spécificités du paysage toponymique de la région, ainsi connaître le processus de dénomination mis en place par les premières populations et les différents aspects morphologiques de ces noms en faisant des descriptions structurelles dans une perspective synchronique , s’informer aussi sur l’origine et la signification que peuvent contenir ces noms de lieu et cela dans une perspective éminemment diachronique . Enfin le but de notre présente recherche est d’expliciter ce lien qui rattache, unit ces noms de lieu à la nature, et surtout aux valeurs et aux populations qui les actualisent dans la vie courante. Permettre aussi la compréhension de l’histoire, de la réalité linguistique de la région est possible grâce aux toponymes, puisque « à travers certains noms de lieux, on peut retrouver l’histoire d’une fondation, surtout lorsqu’ils renvoient à des déterminants naturels ou culturels ».
Problématique et questionnements :
Dans le cadre de la toponymie, les chercheurs travaillent généralement sur des vocables qui sont des vestiges archéologiques et qui ont subi au cours des siècles des transformations souvent considérables, lesquels ont pour effet d’élucider le mystère des origines, tel est le cas de nombreux toponymes algériens. Il va de soi que la région, comme d’autres régions du pays, situées sur la route des invasions et des migrations humaines, a subi des occupations successives de longue durée : arabe, ottomane et française, qui avec leurs emprunts, ont pu marquer le paysage géographique de la région en laissant une richesse toponymique considérable, alors on se demande quelles sont donc les spécificités ou de quoi est fait le/du paysage toponymique de la région d’Ath Abbas ?
– Comment s’effectue le processus de dénomination mis en place par les premiers habitants de la région ? Et sur la base de quels critères ?
– Quelles sont les motivations premières qui préconisent de nommer un tel endroit par un tel nom ?
– Quel est l’origine et la valeur sémantique de ces noms de lieux ? Y a-t-il une diversité dans la forme morphologique de ces noms de lieux ?
– Est-ce-que la réalité linguistique trilingue (berbère, arabe et française) de la région influe sur le processus de dénomination de ces noms de lieux ?
– Est-ce-que ces toponymes reflètent les valeurs sociales, culturelles et linguistiques des autochtones ?
Hypothèses :
Dans la quête de découvrir des réponses aux questions que nous avons soulevées cidessus, nous avons émis quelques hypothèse qui sont des réponses potentielles susceptibles de nous guider dans notre recherche :
– La toponymie de la région est une richesse du fait qu’elle se caractérise par sa diversité de la nature de ses lieux : reliefs (montagnes, collines, plaines…), ainsi que par leurs valeurs historiques.
– L’opération de la dénomination se fait dans la langue maternelle des autochtones (le berbère) , afin de permettre de se situer dans l’environnement qu’ils fréquentent quotidiennement, et cela en fonction de certains critères, autrement dit, par rapport à des références naturelles ou culturelles (toute manifestation humaine) ou bien par les deux.
– Les habitants de la région nomment un endroit pour le distinguer, l’identifier par rapport aux autres lieux, pour le situer dans l’espace où ils se trouvent ; ainsi ils leur attribuent des appellatifs afin de valoriser l’histoire et les personnalités qui ont marqué ces lieux.
– La diversité des lieux de la région a créé un environnement toponymique varié et variable, par conséquent ce climat a pu développer plusieurs formes morphologiques de chacun de ces toponymes.
– La situation linguistique est influencée par les trois langues : le berbère principalement puis l’arabe et le français, donc bien évidemment la dénomination toponymique est contaminée aussi par ces langues.
– On peut dire que les noms de lieux de la région, avec leurs apparences, constituent le reflet d’une structure géographique, historique et voire même linguistique de la région, puisque nommer c’est l’acte par lequel on donne une valeur significative, une image de la structure sociale.
Méthodologie de travail :
La méthodologie que nous avons utilisé ne sort pas du cadre méthodologique de la linguistique, en effet l’onomastique dans ses études recourt aux méthodes de la linguistique : la description, l’observation, l’enquête et le corpus et cela dans le cadre de la démarche déductive. Le recueil du corpus en onomastique diffère selon la branche à explorer, pour notre recherche en toponymie, nous avons choisi pour la collecte des données de faire :
– Dans un premier lieu, une transcription des noms de lieu de la région qui figurent dans les cartes toponymiques au niveau de bureau de cadastre de Bejaia et les différents services (Urbanisme, service du cadastre) des trois localités en question : Boudjelil, Ait R’zine et Ighil Ali.
– Dans un deuxième lieu, recourir à la méthode de l’enquête sur le terrain ; en effectuant quelques entretiens directes avec quelques habitants natifs de la région et qui connaissent son histoire. Et cela, dans le but de recenser les noms de lieu qui ne figurent pas sur les cartes géographiques que nous avons déjà consultées. Vue la rareté des documents cartographiques, voire même inexistantes, nous avons opté pour la méthode de l’enquête notamment afin de compléter et d’assembler un maximum de données relatif a notre domaine d’étude, notre enquête s’est déroulée entre le 5 et le 11 mars et cela en effectuant des déplacements dans les chefs-lieux des trois localités, nous avons interrogé au total 15 personnes tous de sexe masculines, âgées entre 60 et 79 ans., ainsi nous avons pris le soin de leur expliquer l’objectif de l’entrevue et de ce qu’on attend d’eux.
Les difficultés rencontrées :
Les différents services sollicités comme celui du bureau de cadastre de Sidi Ali Labhar n’a pas édité de cartes géographiques du fait que l’opération du cadastre du foncier vient juste d’être lancé dans les trois localités en question, ainsi nous avons ramené peu de noms. Les services d’urbanisme des trois localités possèdent des cartes des secteurs, délivrées par des organismes d’étude privé qui menent une transcription arbitraire ce qui nous a poussé à être vigilant lors de notre transcription sur les cartes. Et vue le manque de temps que nous disposons, et éloignement des villages de la région d’Ait Abbas, il nous ait impossible de se rendre dans chaque agglomération et hameau, ainsi nous sommes contentés de quelques entretiens dans le chef lieu de chaque localité.
Présentation de la région et de terrain de l’enquête :
a- Aperçu étymologiques et historique de la région d’Ait Abbas :
La région d’Ait Abbas connu ou appelée communément royaume des Ath Abbas est une tribu, un royaume berbère puissant qui a connu plusieurs émirs durant le règne de Fonde en 1510 par les derniers émirs Hafsides de Bejaia, le royaume est longtemps un bastion de résistance aux espagnoles puis a la régence d’Alger (les turcs). Son apogée remonte à l’époque Hafsides, écrit MORIZOT.J où «Bougie est prise sans grande résistance par l’espagnole Pedro Navarro, mais déjà les Turcs sont omniprésents en méditerranée occidentale » , après la prise de la ville de Bejaia par les espagnols, une partie des habitants de Bejaia dont l’Emir Abd Rahman et l’Emir El Abbas fuient l’atrocité de l’occupation espagnol ainsi ils ont réussi à fonder le royaume qui reste indépendant même à l’époque Ottoman « la montagne restait pratiquement autonome à l’égard du pouvoir Ottoman, elle symbolisait l’esprit de la résistance »
b- La Kalâa village historique et berceau des Ait Abbas :
La Kalâa comme tous autre village de Kabylie ayant une histoire particulière et authentique c’est le cœur du royaume d’Ait Abbas Comme son nom de « Kalâa » l’indique, il s’agit d’une citadelle protégée naturellement par les précipices qui l’entourent d’où sa position stratégique, accès difficile, portes gardées et muraille tout autour forme un cœur. En 1553, la elle connaît la première expédition ottomane, le mur d’enceinte de la Kalâa est édifié à la suite de cette expédition. Dans la période française La Kalâa était choisie par l’émir Abd El-Kader El Mokrani comme base de son projet d’extension du soulèvement dans l’Est algérien contre l’armée française, de ce fait elle est connue comme étant le premier lieu qui a donné dans la région de l’Est la première insurrection mène par Cheikh el Mokrani et cheikh el Hadad. En 1871 qui se termine par la défaite des Mokranis (Mouhamed EL Mokrani et son Frère Boumezrag) et la déportation des plusieurs des Ath Abass à La Nouvelle-Calédonie parmi eux Boumezrag El Mokrani (les algériens du Pacifique) .
Situation et présentation géographique de terrain d’étude :
La région d’Ath Abbas s’étend sur un terrain vaste, constitue les trois communes situées au sud-ouest de la wilaya de Bejaia (Ait R’zine, Boudjlil et Ighil Ali) , une superficie de 369,78 km219 , la région se caractérise de sa diversité de reliefs où l’altitude s’élève en s’orientant vers le sud ; à l’entré par le nord de la région, on remarque la présence des pleines , au rivage de la vallée de Sahel de Djurdjura dit Acif Abbas ( terrains agricoles) tel que Aftis, Handis, Ichoukar…etc., puis, au milieu de la région on trouve des collines qui se varient entre 400 et 600 m d’altitude comme : Tighilt, Taourirt Ouebla, Takorabt, Boudjlil (Chef-lieu)…etc., enfin la zone montagneuse qui fait partie de la chaîne des Bibans nommée en Kabyle Tiggura Gwuzal elle est constituée de plusieurs villages où la majorité font partie de la commune d’Ighil Ali exemple : Ath seradj , Mouka, Zina … etc, arrivant jusqu’à 1200 m20 d’altitude (au sommet de La Kalâa N’Ath Abass).
Ath Abbas comme d’autres régions de la Kabylie est connue par sa spécificité naturelle concernant la végétation, sachant qu’elle est dotée d’un écosystème équilibré et d’un climat approprié pour qu’il y aura plusieurs espèces endémiques, en effet elle se présente par une densité intense des oliviers (notamment dans le nord), les figuiers, grenadiers et les figues barbarie…etc., ainsi dans zone floristique ( la forêt d’Ait Abbas 8000 ha de superficie) on remarque la présence des arbres telle que les sapin, les chênes, pin d’Alep…etc. Comme on trouve aussi d’autres différentes plantes, exemple : le lentisque, l’armoise, la lavande…etc.
La région est considérée comme l’intersection des 3 wilayas : Bejaia, Bordj Bou Arreridj, et Brouira car elle est ancrée au milieu de celles-ci, Ath Abbas se limite au nord par la commune d’Abou, vers le nord-est les communes de Tam okra, et Bou hamza, vers les frontières nord-ouest on trouve Taz malt, Chorba (wilaya de Brouira),par l’ouest elle se situe la commune d’Ath Mansour de la wilaya de Brouira, comme elle se délimite à l’est par Djofra de la wilaya de Bordj Bou Arreridj, Au sud et au sud-est la commune de Tenait En Nasir (En Kabyle Tazi n Lehms) et enfin la Commune Oued Sidi Brahim de par le sud-ouest.
Conclusion Générale
Après avoir fait le tour d’horizon des deux approches linguistique : morphologique et sémantique, nous sommes parvenus à dire que la nomenclature toponymique de la région est peu divergente de celle des autres régions, du fait que sur l’aspect morphologique, on remarque qu’il y a une diversité des formes composées assez considérables et assez complexe, formés en grande partie de deux composants, une morphologie toponymique à trait nominale, singulière.
|
Table des matières
Introduction Génerale
Chapitre Ⅰ: Etude Morphologique et statistique des toponymes d’Aït Abbas
Chapitre II: Etude sémantique et interprétation des toponymes d’Ait Abbas
Conclusion Génerale
Télécharger le rapport complet