Les différents comportements rhéologiques des fluides dits « complexes » sont relativement bien décrits dans le domaine linéaire i.e. domaine correspondant à des gradients de vitesse assez « élevés » où le fluide fait apparaître un comportement newtonien. Cependant, ces fluides, pour bon nombre d’entre eux, présentent un comportement différent aux bas gradients de vitesse. Ils sont notamment marqués par une transition liquide / solide réversible. Leur comportement à l’approche du domaine non-linéaire est encore aujourd’hui mal compris. La rhéologie aux faibles déformations revêt une importance considérable pour la compréhension de la transition entre l’arrêt et l’écoulement des matériaux dans différents domaines industriels (génie civil, cosmétique, agroalimentaire, pétrolier…) mais également naturels (boues torrentielles, avalanches…).
Ces fluides thixotropes ont la particularité de développer une structure sous écoulement et au repos qui modifie leurs comportements rhéologiques. Cette structure peut avoir des origines diverses suivant le matériau étudié, mais également des évolutions temporelles fonctions de la formulation de chaque matériau. La compréhension de l’écoulement des matériaux thixotropes passe par une meilleure description de la structure formée en écoulement et à l’arrêt et donc des propriétés physico-chimiques qui régissent la formation de cette structure. Les techniques permettant d’obtenir des informations sur celle-ci sont nombreuses mais efficaces pour des dimensions d’objets précises ou des formulations adaptées. La difficulté est donc de pouvoir relier le comportement macroscopique en écoulement à la structure créée à l’échelle microscopique.
Ici, pour étudier ces différents aspects, nous nous sommes intéressés à l’écoulement d’un fluide dont le comportement rhéologique est le plus souvent défini comme étant celui d’un fluide rhéofluidifiant à seuil thixotrope : la boue de forage. Ce fluide est utilisé lors de forage pétrolier principalement pour évacuer les débris rocheux issus du forage. Ces fluides sont utilisés depuis le premier forage réalisé aux Etats Unis d’Amérique par le Colonel Drake en 1889 à Titusville (Pennsylvanie). A l’époque, le fluide utilisé était simplement un mélange de terre (argile) et d’eau : la boue. Le nom est resté même si les fluides ont évolué. Les boues de forage modernes sont des composés et des mélanges complexes, préparés avec soin et savamment dosés pour satisfaire aux multiples conditions de forage actuelles. Les formulations ont évolué en fonction des techniques, de la profondeur et de l’emplacement (onshore ou offshore) de ces forages. On retrouve ces boues de forage sous la forme d’émulsions directes (huile dans eau) ou inverses (eau dans huile) mais aussi sous la forme de suspension ou de mousse.
Alors que leurs propriétés rhéologiques « classiques » sont bien connues et maîtrisées, le développement de forages plus complexes (offshore très profond, forages déviés ou horizontaux, etc.) rend nécessaire la compréhension et le contrôle de leur comportement aux bas gradients de vitesse. En effet, sous de faibles sollicitations ou à l’approche de l’arrêt de l’écoulement, la boue fait apparaître des phénomènes perturbateurs lourds de conséquences. On peut citer ici la sédimentation dynamique des agents alourdissant (minéraux de haute densité) ou les problèmes de redémarrage du fluide de forage après un long temps de repos, pour lesquels les propriétés thixotropes ne sont pas totalement prises en compte.
Le comportement des fluides thixotropes en général doit donc encore être compris dans certains régimes d’écoulement, et particulièrement dans le cas des écoulements sous faibles sollicitations et dans celui des évolutions structurelles lorsque le fluide est au repos. C’est dans ce cadre que se pose le sujet de cette thèse, qui propose de décrire en détail le comportement rhéologique de systèmes modèles d’émulsions inverses mélangées à des particules d’argile organophile. Le ou les matériaux étudiés ici nous permettent de décrire d’une façon plus généralisée la rhéologie des fluides thixotropes. Nous aurons pour but ici de décrire le comportement rhéologique sous faibles sollicitations mécaniques en lien avec la microstructure de ces matériaux.
La Rhéologie
La Rhéologie
Théorie
Issue du besoin de comprendre l’écoulement de fluides complexes, la rhéologie est aujourd’hui une science utilisée dans des domaines d’applications vastes et variés. En effet, les domaines industriels dans lesquels la rhéologie est appelée à être utilisée couramment vont de l’industrie agroalimentaire à l’industrie pétrolière, en passant par des domaines comme la cosmétique, le génie civil, l’industrie du bois, les colles. Cette science est également utilisée pour décrire des écoulements naturels de neige (avalanche) ou de boues torrentielles. C’est dans ce cadre que la rhéométrie est nécessaire pour donner une description mathématique précise du comportement macroscopique observé.
Formalisme mathématique
Pour quantifier le comportement du fluide et particulièrement le mouvement des éléments d’un fluide les uns par rapport aux autres, on se place dans le cadre de la mécanique des milieux continus qui exprime la loi de comportement, c’est à dire la relation entre les champs de déformations et de contraintes, sous forme tensorielle. On peut alors définir le tenseur des contraintes Σ . Ce dernier se décompose en deux termes:
– la pression hydrostatique qui ne conduit pas à la déformation du fluide.
– le déviateur des contraintes T , qui va alors exprimer les contraintes tendant à déformer le fluide.
L’expression de Σ est donc:
Σ =− pI + T
Rhéométrie
Technique conventionnelle
Les techniques conventionnelles utilisées pour réaliser des mesures rhéologiques sont nombreuses, ici nous ne nous intéresserons qu’aux écoulements de cisaillement, usuellement créés dans le cas du cisaillement simple et se rapportant alors à différentes géométries de mesure comme la géométrie plan-plan ou la cellule de cisaillement entre deux cylindres coaxiaux (la seule que nous détaillons ici). Ces géométries sont communément appelées géométries de Couette.
Nouvelles techniques
Depuis peu, de nouvelles techniques sont mises en oeuvre pour accéder à des données que la rhéométrie conventionnelle ne peut mesurer. Toutes vont dans le même sens et essayent de mesurer des paramètres physiques du matériau non plus à partir du plan de cisaillement comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, mais à partir de la déformation de volumes élémentaires, les uns par rapport aux autres, dans tout l’entrefer de la géométrie conventionnelle. Ces techniques sont donc pour la plupart des techniques de visualisation non destructives de l’écoulement du matériau entre un plan en mouvement et un plan fixe. Par celles ci on va pouvoir réaliser des mesures de vitesses de glissement, d’effets migratoires, de sédimentations sous écoulement, ou encore, de champs de vitesses créés par la rotation du mobile. Les grandeurs physiques usuellement uniquement estimées par des mesures macroscopiques le long du cylindre en rotation, vont l’être dans tout l’entrefer et vont permettre de caractériser l’écoulement à un autre niveau de précision. Dans ces techniques, nous retrouvons tous les appareillages rhéooptiques qui permettent une visualisation directe de l’écoulement dans l’entrefer et donnent accès à des mesures de profils de vitesse par le biais de l’utilisation de traceurs et d’une méthode P.I.V. (Particle Image Velocimetry). Provenant également d’appareillages rhéooptiques, la mesure par biréfringence ou dichroïsme permet de mesurer par exemple la structure créée par des feuillets d’argile ou encore l’orientation de chaînes de molécules sous écoulement. Cependant, l’inclusion de traceurs peu engendrer une perturbation de l’écoulement à différentes échelles, et, même si cette technique reste peu coûteuse elle n’est pas forcément facile à mettre en oeuvre pour toutes les géométries de mesures. De plus, elle s’applique uniquement à des matériaux transparents et non souillés (par des bulles d’air ou de la poussière par exemple). Il est également possible d’utiliser les techniques basées sur les ultrasons pour mesurer cette fois encore des champs de vitesses au sein du matériau en écoulement [10, 93]. Cette technique est équivalente au suivi optique de particules et permet une résolution spatiale et temporelle suffisante pour avoir accès aux vitesses proches du rotor ou à un suivi de l’écoulement sur plusieurs heures. Cependant encore une fois elle ne reste valable que sur des milieux modèles munis de traceurs.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Etat des connaissances
1.1 La Rhéologie
1.1.1 Généralités
i. Théorie
ii. Rhéologie oscillatoire
1.1.2 Rhéométrie
i. Technique conventionnelle
ii. Nouvelles techniques
1.2 Les fluides thixotropes
1.2.1 La thixotropie : définition.
1.2.2 Mesure des effets thixotropes
i. Courbes d’écoulement
ii. Pics de contrainte
iii. Fluages
iv. Mesures en régime solide
1.2.3 Modélisation des phénomènes thixotropes
i. Modèles thixotropes
ii. Modèle thixotrope simple
1.3 Les émulsions
1.3.1 Généralités
1.3.2 Les surfactants
1.3.3 L’émulsification
1.3.4 Mécanisme de séparation des émulsions
i. La coalescence
ii. Sédimentation et crémage
iii. Mûrissement d’Ostwald
1.3.5 Mécanismes de stabilisation des émulsions
1.3.6 Rhéologie des émulsions
1.4 Les argiles
1.4.1 Origines et définition
i. Généralités
ii. Structure
1.4.2 Traitement organophile
1.4.3 Les interactions dans les argiles
1.4.4 Rhéologie des suspensions d’argile
1.5 Les fluides de forage
1.5.1 Généralités
1.5.2 Fonctions
1.5.3 Rhéologie des fluides de forage
1.5.4 Problématique
1.6 Bilan
Chapitre 2 Matériels et protocoles de mesure
2.1 Formulation des matériaux
2.1.1 La boue de forage
2.1.2 Systèmes modèles
i. Choix des matériaux
ii. Formulation
2.2 Rhéométrie conventionnelle
2.2.1 Fann 35
2.2.1 Haake RS 150
i. Description
ii. Protocoles
2.2.2 Bolhin CVOR-200
i. Description
ii. Protocoles
2.3 Rhéométrie par IRM
2.3.1 Principe de la RMN
2.3.2 Séquence de mesure
2.3.3 Le rhéomètre
2.3.4 Protocole
2.4 Mesure de profil de densité par RMN
2.4.1 Technique de mesure de la densité locale
2.4.2 Protocole
2.5 Effets perturbateurs
2.5.1 Glissement aux parois
2.5.2 Sédimentation
2.5.3 Migration
2.5.4 Apparition d’instabilités
Chapitre 3 Matériau réel
3.1 Régime solide
3.1.1 Evolution de la contrainte de démarrage après un temps de repos
3.1.2 Modélisation
i. Contrainte seuil apparente
ii. Détermination expérimentale des paramètres
iii. Validation du modèle
iv. Application : cas du redémarrage du fluide dans une conduite
3.2 Régime liquide
3.2.1 Mesures normalisées
3.2.2 Courbe d’écoulement
3.3 Transition liquide/solide
3.3.1 Rhéométrie conventionnelle
i. Fluages et bifurcation de viscosité
ii. Evolution des rhéogrammes apparents
3.2.2 Vélocimétrie IRM
i. Profils de vitesse et bandes de cisaillement
ii. Rhéogramme local
3.2.3 Interprétation physique
i. Résultats
ii. Caractéristiques détaillées de l’écoulement
3.4 Conclusion
Conclusion
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