Étude rhéo-optique des mécanismes de dispersion du noir de carbone dans des élastomères

Depuis près d’un siècle, du noir de carbone est ajouté aux élastomères pour les renforcer. La charge se présente avant l’incorporation dans l’élastomère sous forme de granulés de l’ordre du millimètre. Pour avoir une action renforçante, on sait que la charge doit être dispersée, c’est-à-dire réduite jusqu’à la plus petite taille possible, celle de l’agrégat primaire de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres. Mais comment la charge se disperse-t-elle? Voilà une question à laquelle la littérature est bien incapable de répondre de manière précise [CAN 96]. Dans l’industrie du caoutchouc, une mauvaise dispersion est caractérisée par la présence en fin de mélange d’amas de charges non dispersés nommés agglomérats. Ils génèrent des effets indésirables tels qu’une baisse des performances physiques et mécaniques à l’utilisation, une augmentation des coûts de non-qualité, une répercussion sur la pollution environnementale, etc. Si on veut réduire leur quantité, la première étape consiste à comprendre comment une charge se disperse et déduire éventuellement pourquoi elle ne se disperserait pas. D’une façon générale, les mélanges industriels sont fabriqués dans des mélangeurs internes où l’écoulement de la matrice élastomère est particulièrement complexe et n’est pas observable pendant l’opération. Les outils rhéo-optiques permettent au contraire de visualiser (optique) en temps réel le comportement d’objets sous l’effet d’un écoulement (rhéo). C’est pourquoi la rhéooptique depuis une dizaine d’années s’est imposée comme un moyen efficace pour observer insitu les mécanismes de dispersion des charges sous écoulement simple au sein d’un fluide.

La majorité des études rhéo-optiques réalisées jusqu’à présent sur les mécanismes de dispersion concernent des fluides newtoniens de faible viscosité. Les mécanismes de dispersion sont la rupture et l’érosion. Le polymère peut infiltrer les porosités de la charge, modifier ainsi sa cohésion et par conséquent sa dispersion. Une étude qualitative récente réalisée au CEMEF grâce au développement d’un rhéomètre contra-rotatif transparent a mis en évidence d’autres mécanismes de dispersion cette fois dans des matrices élastomères.

Généralités sur la formulation des caoutchoucs 

Sans charge ni additif, le caoutchouc aurait peu de débouchés. Pour lui conférer un certain nombre de propriétés, il y a nécessité de formuler notamment pour répondre aux fonctions suivantes [CUR 84, LEB 96, CAN 00] :
– améliorer les propriétés d’usage comme l’usure du pneumatique sur route ou la résistance à la rupture d’un caoutchouc en ajoutant des charges renforçantes,
– faciliter la mise en œuvre pendant les étapes de transformation, en utilisant des plastifiants,
– protéger l’élastomère contre l’oxydation, on utilise des agents antioxydants,
– et empêcher l’écoulement après sa mise en œuvre, en réticulant le caoutchouc à l’aide d’agents de vulcanisation.

La dispersion des charges 

Bien disperser, c’est passer d’un granulé initial macroscopique de l’ordre du millimètre à la taille la plus basse accessible d’une centaine de nanomètres, celle d’un agrégat. Ceci s’effectue par l’exercice des forces hydrodynamiques sur le granulé de charge initialement introduit dans le mélangeur. Ce granulé au cours du mélangeage passe donc par différentes échelles de tailles qu’il est bon de rappeler ici.

Les différentes échelles de taille de la charge

Pendant le processus de fabrication du noir de carbone [BLO 87, DON 93], l’élément carbone est d’abord sous forme de PARTICULES colloïdales sphériques et d’agrégats de particules coalescées de taille colloïdale. Ces agrégats constituent la structure primaire des charges, structure indestructible. Ces AGRÉGATS de particules liées par des liaisons fortes se regroupent en amas, parfois aussi appelés agglomérats dans la littérature, assemblages résultant de liaisons plus faibles. Il s’agit de la structure secondaire des charges qui est, elle, destructible. Afin d’éviter toute confusion, nous préférons garder l’appellation d’AMAS pour le regroupement d’agrégats, l’AGGLOMÉRAT étant le noir de carbone mal dispersé en fin de mélange dans l’industrie du caoutchouc. Enfin ces amas sont regroupés en GRANULÉS.

Ce sont ces derniers objets macroscopiques, les granulés, que l’on mélange à l’élastomère car on les manipule plus aisément que les agrégats qui occuperaient un bien trop gros volume à même masse totale de noir de carbone. C’est la taille de l’agrégat qu’il faut atteindre en mélangeage pour un renforcement optimal. La taille de la particule, elle, n’est jamais atteinte. On parlera d’OBJET pour toute charge (granulé, agglomérat, amas, agrégat ou particule).

La qualité du renforcement est, entre autre, contrôlée par l’aptitude des granulés incorporés dans la matrice à se diviser en agrégats sous l’action du mélangeage (dispersibilité). Cette propriété est dépendante des interactions charge-élastomère, et notamment des caractéristiques de la charge.

Les caractéristiques de la charge

Les deux principales caractéristiques d’une charge [ILE 79, BLO 87, DON 93] sont la taille de la particule élémentaire et la structure de l’agrégat. C’est d’ailleurs sur celles-ci qu’est basée la norme ASTM de description d’un noir de carbone.

Prenons le noir de carbone de référence N234. Le premier chiffre de la norme X=2 décrit la finesse de la particule associée à la SURFACE SPÉCIFIQUE DÉVELOPPÉE. Plus la finesse est grande, plus la taille de la particule est faible et plus la surface spécifique développée dans un volume fixé est grande. Différentes techniques permettent de la caractériser. Elles sont basées sur l’adsorption de molécules spécifiques à la surface de la charge :
– la méthode BET (Brunauer, Emmett et Teller) détermine la quantité d’azote adsorbé,
– l’adsorption d’iode (NI2) est une méthode plus simple mais affectée par la chimie de surface,
– enfin la CTAB (Cetyl trimethyl ammonium bromide) repose sur l’adsorption d’une molécule plus grosse que celle d’azote. Elle mesure donc une surface spécifique qui est accessible à de grosses molécules et donc plus proche de celle accessible aux élastomères.

Le deuxième chiffre de la norme Y=3 décrit la STRUCTURE DE L’AGRÉGAT. C’est une notion plus difficile à appréhender. Elle représente la façon dont les particules de noir de carbone s’empilent pour former des agrégats et rend ainsi compte du degré d’encombrement et d’irrégularité des agrégats. Plus la structure est grande, plus l’agrégat passe d’un assemblage compact de particules à un assemblage plus irrégulier avec des branchements ce qui diminue la capacité d’empilement des agrégats et donc diminue la densité des amas d’agrégats. La structure est exprimée en ml/100g, ce qui correspond au volume de liquide (DBP : Dibutylphtalate) requis pour remplir les vides entre agrégats résultant de la structure. Si un traitement mécanique est appliqué au noir avant la mesure (Crushed DBP), cette méthode ne prend en compte que les structures primaires.

Mélangeage, dispersion et distribution

Atteindre facilement une bonne dispersion dépend de la viscosité de l’élastomère, de la nature de la charge, de leurs interactions et de la procédure de mélangeage. Comprendre le processus de mélangeage requiert une considération de tous ces aspects. La partie précédente traitait de la charge, ce paragraphe s’intéresse au mélangeage, à ses différentes étapes, à l’outil et aux modes de dispersion.

Le mélangeur interne

Le mélangeur interne [DIZ 76, MAR 94] comprend essentiellement (Figure 1-6) deux éléments rotatifs (les rotors) enfermés dans une chambre. Une pression est exercée sur la matière par un piston, ce qui réduit la quantité de vides dans la chambre et augmente la vitesse d’incorporation des ingrédients. Il se produit au cours du mélangeage une élévation de température qui nécessite de refroidir l’outil par circulation d’eau.

Il est important de distinguer [MAN 97] :
– l’action dispersive (mélangeage intensif) réalisée dans la zone de passage au fin délimitée par l’espace étroit entre l’extrémité des rotors et la paroi de la chambre,
– de l’action distributive (mélangeage extensif) dans la zone de grand volume entre les rotors. La première permet d’obtenir la dispersion de la charge jusqu’à l’agrégat, la deuxième d’homogénéiser la répartition de ces agrégats dans l’ensemble de la matrice. Bien entendu, ces deux mécanismes apparaissent simultanément. L’idéal, c’est une distribution et une dispersion optimales .

Les séquences du procédé de mélangeage

De nombreux auteurs [DIZ 76, COT 84, COR 92a] ont tenté de construire un modèle des mécanismes de mélangeage. Quatre étapes ont été proposées :
– la DIVISION des granulés, leur INCORPORATION dans la matrice,
– la DISPERSION et la DISTRIBUTION.
Les deux premières concernent un premier broyage des granulés et leur mouillage par la matrice lors de la phase d’introduction. La troisième se rapporte à la fragmentation progressive des amas d’agrégats et la quatrième intervenant pendant tout le cycle assure répartition statistique des charges.

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Table des matières

INTRODUCTION
I Problème posé
II Contexte industriel
III Démarche
Chapitre 1 : BIBLIOGRAPHIE GENERALE
I Généralités sur la formulation du caouthcouc
II La dispersion des charges
II.1 Les différentes échelles de taille de la charge
II.2 Les caractéristiques de la charge
III Mélangeage, dispersion et distribution
III.1 Le mélangeur interne
III.2 Les étapes du mélangeage
III.3 Les mécanismes de dispersion dans le mélangeur
III.3.1 La rupture
III.3.2 Le modèle «onion peeling»
IV Dispersion en rhéo-optique
IV.1 Observation de la dispersion dans les liquides newtoniens
IV.1.1 Dispositifs expérimentaux
IV.1.2 Mécanismes de dispersion : érosion et rupture
IV.1.3 Lois cinétiques d’érosion
IV.1.4 Influence de l’infiltration de la matrice dans la charge
IV.2 Observation de la dispersion dans les élastomères
V Analyse critique
V.1 Les nombreux paramètres entrant en jeu
V.2 Les ambiguïtés de la littérature et leurs conséquences
V.3 Apports et limites de la littérature
V.3.1 Études en mélangeur
V.3.2 Études en rhéo-optique
VI Conclusion et choix des axes de recherche
Chapitre 2 : PRODUITS, CARACTERISATION ET TECHNIQUES EXPERIMENTALES
I Produits et Caractérisation
I.1 Les matrices polymères
I.1.1 Élastomères liquides
I.1.2 Les élastomères
I.1.2.1 Caractéristiques des élastomères
I.1.2.2 Rhéologie des élastomères
I.2 Les granulés de charge
I.2.1 Noir de carbone
I.2.2 Silice
I.2.3 Porosité des charges
I.2.4 Billes de verre
II Techniques expérimentales
II.1 Outils de rhéo-optique utilisés
II.1.1 Le rhéomètre transparent contra-rotatif
II.1.1.1 Principe de l’appareil
II.1.1.2 Préparation des échantillons
II.1.1.3 Incertitude de mesure sur le taux de cisaillement appliqué
II.1.2 La cellule de mise en pression
II.1.2.1 Principe de l’appareil
II.2 Outils de mélangeage pour l’étude en milieu concentré
II.2.1 Le mélangeur interne
II.2.2 Le viscosimètre Mooney (essais réalisés chez Michelin)
II.2.2.1 Échantillonnage
II.2.2.2 Description du viscosimètre Mooney
II.2.2.3 Protocole expérimental
II.3 Outils d’analyse
II.3.1 L’analyse d’images
II.3.2 L’analyse Dispergrader
II.3.2.1 Quantification de l’état de dispersion (principe)
II.3.2.2 Échantillonnage
Chapitre 3 : ÉTUDE DE L’INFILTRATION DE LA CHARGE PAR LA MATRICE
I Étude de l’infiltration d’amas de silice par une matrice
I.1 Littérature : Modèle d’infiltration de Bohin pour les fluides newtoniens
I.2 Partie expérimentale
I.2.1 Dispositif expérimental
I.2.2 Produits utilisés
I.3 Résultats
I.3.1 Cinétique d’infiltration pour un fluide élastomère
I.3.2 Définition des temps caractéristiques de l’infiltration
I.3.3 Cinétique d’infiltration pour les trois élastomères à 140°C
I.4 Discussion et conclusion
II Effet de paramètres intrinsèques sur l’infiltration
II.1 Littérature dans les fluides newtoniens de faible viscosité
II.2 Résultats
II.2.1 Effet des caractéristiques de la charge
II.2.1.1 Effet de la taille des amas de silice Z1115
II.2.1.2 Effet de la taille des porosités Dp
II.2.2 Effet de la viscosité du polymère
II.2.2.1 Effet de la viscosité pour les fluides PDMS
II.2.2.2 Effet de la viscosité pour les fluides PIB
II.2.2.3 Interprétation des résultats pour l’effet de la viscosité PDMS/PIB
II.2.2.4 Effet de la masse molaire des mélanges de PIB
II.2.2.5 Effet de la viscosité pour un élastomère via l’effet de la température
II.2.2.6 Conclusion sur l’effet de la viscosité sur l’infiltration
II.3 Conclusion
II.4 Application à l’étude de la dispersion du noir de carbone
III Effet de paramètres externes sur l’infiltration
III.1 Littérature dans les fluides newtoniens de faible viscosité
III.2 Partie expérimentale
III.3 Résultats
III.3.1 Effet du cisaillement
III.3.1.1 Cas d’un fluide newtonien : PDMS (94 Pa.s)
III.3.1.2 Cas de l’élastomère : EPDM
III.3.1.2.1 Effet du cisaillement sur la cinétique d’infiltration
III.3.1.3 Effet du cisaillement sur les temps caractéristiques
III.3.1.4 Effet du cisaillement : Discussion et conclusion
III.3.2 Effet de la pression
III.3.2.1 Cas d’un fluide newtonien : PDMS (170 Pa.s)
III.3.2.2 Cas de l’élastomère : EPDM
III.3.2.3 Effet de la pression : Conclusion et Discussion
IV Conclusion sur l’infiltration et application
IV.1 Résumé des résultats sur l’infiltration
IV.2 Application à l’étude de la dispersion du noir de carbone
CONCLUSION

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