Le champ de connaissance sur le travail collectif a connu un élan considérable sous l’impulsion des courants de la sociologie et le développement des théories managériales. La diversité d’approches théoriques et d’études empiriques ayant traités ce champ lui confère un caractère vaste et « nomade ». Sa mise en œuvre engendre plusieurs implications et suppose des perspectives différentes.
Au niveau des courants sociologiques, l’appréhension du travail collectif s’est faite principalement sous l’égide de deux grandes conceptualisations : l’individualisme méthodologique et les théories sociologiques des interactions (Weick et Roberts, 1993 ; Weick, 2000). Au-delà de ce clivage, plusieurs auteurs s’inscrivent dans une logique qui reconnaît la dialectique entre l’individuel et le collectif, la structure et les acteurs, l’action et l’interaction (Giddens, 1984 ; Weick, 2000). Ce regard permet d’adopter une perspective d’analyse du travail collectif à partir des structures relationnelles qui permettent de dépasser le dualisme entre les niveaux des pratiques méthodologiques individualistes et holistes (Granovetter, 1985). Elle nous offre un spectre d’étude plus large composé par des relations complexes avec des nécessités de coordination (Fernandez et al, 2013). Ces relations complexes s’inscrivent dans le cadre de la collectivité qui sert de référentiels pour les individus et conditionne leur coordination (Barthe et Quéinnec, 1999). Ainsi, les interactions entre les individus sont analysées selon une optique collective et dynamique (idem, 1999). Les courants de la sociologie contemporaine se sont intéressés à l’étude des phénomènes d’interaction entre les individus au sein d’une même société et les influences entre ces acteurs et leurs sociétés (Fernandez et al, 2013). Plusieurs acceptions ont été développées pour expliquer les influences mutuelles entre structures sociales et acteurs sociaux (Weick, 2000).
D’autre part, le développement de nouvelles formes de management orientées vers des modèles participatifs de prise de décision a permis l’émergence d’une nouvelle réflexion sur le travail collectif et de ce fait de nouvelles façons pour l’appréhender (Clark et al, 1991 ; Barthe et Quéinnec, 1999). Ces modèles sont basés sur la répartition des responsabilités et des projets entre des groupes de travail transversaux et pluridisciplinaires (Clark et al, 1991).
Identifier les principales dimensions de la CIP et les sous-dimensions respectives
Esquisser le(s) lien(s) entre les dimensions
Pour ce faire, cette recherche s’articule autour de six chapitres. Les deux premiers recensent les écrits sur la CIP. Le premier chapitre décrit l’état des connaissances et les concepts voisins. Le deuxième porte sur la CIP dans la sociologie des organisations et des professions (à l’instar des travaux de D’Amour et al, 2003a ; 2008). Le troisième chapitre étudie le cadre de référence et les théories mobilisées. Le quatrième chapitre développe le design méthodologique de la recherche. Le cinquième sert à éditer et présenter les principaux résultats de la recherche. Le sixième concerne l’interprétation et la discussion des résultats. La conclusion générale résume les points essentiels de la thèse. Elle présente les apports, les limites et les voies futures de recherche.
Descriptif du contexte
Étudier la collaboration interprofessionnelle dans le milieu hospitalier se fait par enchevêtrement de plusieurs niveaux d’analyse. D’une part, la pluralité des regards posés sur le concept lui-même requérant une clarification conceptuelle succincte (ceci fera l’objet de la section suivante). D’autre part, la complexité et la « densité » de l’examen du terrain qu’est l’hôpital fait appel à une analyse à géométrie variable. Le descriptif du contexte met à nue deux grandes transformations ayant touchées l’hôpital ; l’intégration des soins et les réformes. Les réformes du secteur de la santé s’inscrivent dans une orientation internationale motivée par une volonté accrue d’amélioration de la santé et des prestations de soin. Une présentation du contexte particulier de la recherche sera aussi esquissée. Nous présenterons quelques éléments cruciaux de l’organisation de l’hôpital public tunisien.
L’intégration des soins
Plusieurs changements ont touché le système de santé et les prestations de soin. En particulier, l’introduction de l’intégration des soins dans le fonctionnement du système de santé. Ce recours est motivé par plusieurs raisons, notamment plusieurs lacunes ayant affaiblies les systèmes de santé. Dans leur article, Contandriopoulos et al (2001) mettent en relief ces raisons ainsi qu’une définition de l’intégration des soins.
L’intégration des soins est une manière d’organiser le système de santé afin de maîtriser les coûts liés aux prestations de soins et d’apporter une solution aux dysfonctionnements du système (Contandriopoulos et al, 2001, p.39). Selon les auteurs, l’intégration fait appel à la notion de l’interdépendance et de la coopération. C’est une façon de joindre les efforts pour apporter une réponse collective plus efficace aux problèmes « L’intégration est le processus qui consiste à créer et à maintenir, au cours du temps, une gouverne entre des acteurs (et des organisations) autonomes dans le but de coordonner leurs interdépendances pour leur permettre de coopérer à la réalisation d’un projet collectif » (p.41). Quatre grands facteurs expliquent le recours à l’intégration des soins (Contandriopoulos et al ,2001) :
1- L’accès à la santé devient une valeur fondamentale des sociétés modernes. Elle représente aussi une vocation sociale particulière. Les populations développent des attentes de plus en plus exigeantes à l’égard des prestations de soins. Pour ce faire, l’Etat doit mettre en place un système de santé équitable et permettant l’accès sécurisé aux différentes prestations de soins. C’est par le biais de l’intégration des soins que le respect de ces valeurs devient possible « L’intégration des soins est le processus qui permet de sortir de l’impasse. En améliorant l’efficience des ressources, il rend possible le maintien de l’équité et le respect des libertés individuelles » (ibid, p.39)
2- La croissance des prestations de soins au niveau technologique mais aussi au niveau de la médecine préventive et de la médecine gériatrique a engendré des dépenses considérables. En parallèle, l’Etat subit des pressions économiques suite à une rétrogradation au niveau des financements publics (Contandriopoulos, 1998 ; cité dans Contandriopoulos et al, 2001, p.39). Ce déséquilibre entre la croissance des systèmes de santé et la décroissance au niveau des finances publiques oblige l’Etat à prendre les mesures nécessaires pour maintenir un niveau de croissance vitale de la santé. Cette dynamique est possible grâce à l’intégration des soins « […] ce processus consiste en un moyen pour redynamiser le système de soin et mobiliser les innovations qui lui permettront de répondre aux attentes de la société […] » (ibid, p.39).
3- L’organisation des systèmes de santé se fonde sur l’emmêlement de quatre niveaux de régulation soient : technocratique, professionnelle, marchande et démocratique. L’articulation entre ces niveaux est difficile (Contandriopoulos et Souteyrand, 1996 ; cité dans Contandriopoulos et al, 2001). Cette articulation montre la pluralité des acteurs qui interviennent dans le système de santé (Les professionnels de santé, les gestionnaires, les planificateurs et le monde politique) (ibid, p.40). L’évolution positive du système de santé est contingente à la cohésion efficiente entre ces parties prenantes. Selon les auteurs « […] Il faut repenser le rôle et les fonctions de chacune des quatre logiques de régulation et donc, le rôle et les fonctions des acteurs du système de soins. » (ibid, p.40)
4- Le bon dosage entre le traitement et la prévention des maladies permet de mieux centrer les efforts sur le patient. Dans ce sens « L’intégration favorise le recentrage du système de soins sur la maladie […] Elle résulte non pas seulement de la réduction du poids de la maladie mais beaucoup plus de la redistribution des ressources » (ibid.p.40) .
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Table des matières
Introduction générale
Premier chapitre : Analyses conceptuelles de la CIP
Introduction
I- Définitions
I-1 La collaboration fait l’objet de plusieurs disciplines
I-2 La collaboration n’a pas de définitions précises : absence d’un cadre théorique consensuel
I-3 Les principales formes de la pratique collaborative
I-3-1 La collaboration renvoie à plusieurs autres concepts voisins
II- Attributs de la CIP
II-1 La CIP est un processus évolutif
II-2 La CIP fait intervenir deux ou plusieurs « entités »
II-2-1 La CIP est réciproque
II-2-2 La CIP nécessite une activité jointe « participation in joint activities»
II-2-3 La CIP doit être en mesure de réaliser des objectifs communs
III- Les Déterminants de la collaboration interprofessionnelle
III-1 Les déterminants organisationnels
Deuxième Chapitre : La CIP dans la sociologie
Introduction
I- La CIP dans la sociologie des organisations
I-1 Les théories de l’échange
I-2 Les théories d’attraction
I-3 Les théories de conflits et de pouvoirs
I-4 Les théories de modélisation « modeling theories »
I-5 Les théories de la structuration sociale
I-5-1 Modèle de la structuration sociale
II- La collaboration dans les organisations de santé: principaux modèles
II-1 Les modèles qui étudient l’impact de la CIP
II-1-1 Le modèle de Mogran, Pullon et McKinley (2015)
II-1-2 Le modèle de la formation interdisciplinaire pour une pratique en collaboration centrée sur le patient ( D’amour et Oandasan, 2005)
II-2 Les modèles qui étudient la dynamique de la CIP
II-2-1 Modèle d`Ewashen et autre (2013)
II-2-2 Le modèle proposé par Gitlin, Lyons et Kolodner (1994)
II-3 Les études qui examinent les déterminants de la CIP
II-3-1 The structure model of collaboration de Vincent, Decker et Mumford (2002)
II-3-2 Le cadre d’analyse de la collaboration interdisciplinaire
II-3-3 Le modèle d’Asmar (2011)
II-3-4 Le modèle conceptuel des interactions de collaboration médico- infirmière (Corser, 1998)
II-3-5 Le modèle de West, Borril et Unsworth (1998)
II-3-6 Modèle de Miller et Swartz (1990)
II-3-7 La recherche de Murphy (1995) sur la pratique collaborative interdisciplinaire
III- La CIP dans la sociologie des professions
III-1 La constitution des professions
III-2 De la logique de la professionnalisation à la logique de la collaboration
IV-Analyse critique de la théorie recensée autour de la CIP
Conclusion
Troisiéme chapitre : Le cadre de référence théorique
Introduction
I- Le modèle de la structuration de la Collaboration interprofessionnelle (D’Amour, 1997 ; D’Amour et al, 2008)
I-1 Les dimensions de la CIP selon le modèle de D’Amour (1997)
I-2 La typologie de la collaboration interprofessionnelle
I-2-1 la collaboration en action
I-2-2 La collaboration en latence
I-2-3 La collaboration en « inertie »
II- Le fondement théorique du modèle de la structuration de la CIP
II-1 L’acteur et sa rationalité
II-2 La régulation mixte des cadres d’action
II-3 L’instabilité des ordres locaux
II-4 Le pouvoir comme capacité d’action
III- Rapprochement entre la théorie de l’action organisée et la théorie de la régulation sociale
III-1 La théorie de la régulation sociale
III-2 Rapprochement entre la théorie de la régulation sociale et l’approche organisationnelle de Friedberg et Crozier
Conclusion générale
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