Étude par absorption transitoire de naphtopyranes liés à des oligothiophènes par différents types de jonctions

L’électronique moléculaire est un domaine pluridisciplinaire mêlant chimie, physique et science des matériaux. Les grandes étapes de ce récent domaine débutent au milieu des années 70 où Aviram et Ratner exposent une théorie montrant un effet de redressement du courant par une molécule organique[1]. Puis, en 1981, Binnig et Rohrer inventent le microscope à effet tunnel permettant ainsi à Reed et al[2] de mesurer pour la première fois la conductance d’une molécule isolée. Ces dix dernières années ont vu émerger une grande quantité de résultats autour de l’électronique moléculaire et de nombreux composants et circuits moléculaires (diodes moléculaires, transistors à base de nanotubes de carbone, circuits à mémoire moléculaire…) sont étudiés dans beaucoup de laboratoires. Un des objectifs majeurs de la recherche dans le domaine de l’électronique moléculaire est le couplage, à l’échelle microscopique, de groupes moléculaires présentant des fonctionnalités différentes et complémentaires de façon à générer des nanocomposants ou même des nanomachines moléculaires. Partant du principe que l’on peut assimiler les chaînes de polymère conducteur à des « fils moléculaires » permettant la circulation d’un flux d’électron, on peut imaginer qu’un composé créé à partir de l’association de deux de ces chaînes via une molécule de jonction ayant des propriétés de conjugaison électronique photo-modulables, puisse exprimer les propriétés d’un interrupteur moléculaire photo-commandable au sein d’un  » fil moléculaire conducteur « .

Le photochromisme

Définition

Le photochromisme est la transformation réversible entre deux espèces chimiques A et B possédant des spectres d’absorption différents. Cette transformation doit être induite au moins dans un sens par absorption d’une onde électromagnétique. La réaction de retour peut se faire de façon thermique ou photochimique.

La plupart des systèmes photochromiques font intervenir des réactions unimoléculaires. Le plus souvent, la forme A est incolore ou très faiblement colorée (jaune pâle) et la forme B colorée (rouge ou bleue). D’une manière générale, lorsque la longueur d’onde maximale d’absorption de la forme A (λmaxA) est inférieure à celle de B (λmaxB) on est en présence d’un photochromisme dit positif. Au contraire, lorsque λmaxA est supérieure à λmaxB, le photochromisme est dit négatif ou inverse. Pour les composés présentés dans cette étude, l’espèce B est thermiquement instable, et est appelée photomérocyanine.

Histoire

Les premiers phénomènes photochromiques furent rapportés par Fritzsche, en 1867, qui observa le blanchiment d’une solution orangée de tétracène par la lumière du jour et la régénération de sa couleur durant la nuit[9]. Plus tard, Ter Meer remarqua le changement de couleur, passage du jaune dans l’obscurité au rouge à la lumière, d’un sel potassique de dinitroéthane à l’état solide[10]. En 1899, Markwald étudia le changement de couleur réversible du 2,3,4,4- tétrachloronapthtalène-1(4H)-one à l’état solide et supposa que ce phénomène était purement physique. Il l’appela  » phototropie « . Ce terme, utilisé à cette époque, a aujourd’hui été abandonné au vu de son apparentement à  » phototropisme « , qui décrit des phénomènes biologiques. C’est en 1950 que Hirshberg suggéra le terme  » photochromisme « , du grecque phos, la lumière et chroma, la couleur[11]. Ce nom est toujours utilisé et n’est pas limité à des composés dont la couleur change de manière visible. Le photochromisme englobe aussi les systèmes absorbants[12] de l’ultraviolet lointain (UV) à l’infrarouge (IR), ainsi que les réactions très rapides et très lentes. Le photochromisme connut un véritable essor durant les années 60 avec, d’une part, la perfection des méthodes physiques d’observation (IR, RMN, X-Ray, spectroscopie à éclair et résolue en temps) et, d’autre part, la synthèse organique. C’est à cette période qu’apparaissent les premiers verres photochromiques. Pourtant les phénomènes de photodégradation des familles de photochromes connues limitèrent considérablement leurs applications[13]. Cet essor ne reprit que dans les années 80 avec le développement de dérivés de spirooxazines et de chromènes résistants à la fatigue (peu affectés par la photodégradation). Ces composés coïncident avec la fabrication et la commercialisation de verres photochromiques ophtalmiques. Depuis, de nombreux systèmes photochromiques ont été découverts, de nombreux livres et articles ont été écrits, et un symposium international sur le photochromisme, créé par le professeur Guglielmetti en 1993, est organisé tous les trois ans.

Les diverses applications

La différence spectrale entre les formes A et B et la possibilité d’interconvertion entre ces deux espèces par le biais de la lumière ont permis d’envisager des applications dans des domaines tels que :
◊ Les matériaux optiques à transmission variable[14].
◊ le stockage et l’affichage optique de l’information[15].
◊ La cosmétique et la protection solaire de la peau[16].
◊ Les systèmes de codage et d’authentification[17].
◊ La visualisation d’écoulement fluide complexe[18, 19].

Toutefois, la transformation photochromique s’accompagne d’autres modifications des propriétés physicochimiques entre les deux formes A et B conduisant par exemple à des applications telles que :
◊ Les systèmes optoélectroniques (interrupteur moléculaire, diode…)[20, 21]
◊ Les polymères semi-conducteurs greffés[22].

La famille des naphtopyranes

On remarque en premier lieu que cette famille est proche de celle des spiro-naphtopyranes et spiro-naphtooxazines dont la structure générale est décrite sur la Fig. 1.3. Chez les naphtopyranes, les groupements R1 et R2 ne sont pas combinés pour former un groupe hétérocyclique spiranique, ce qui rend cette classe de photochromes bien différente des deux autres. C’est dans les années 1900, que le terme de chromène a été pour la première fois employé pour désigner le 2H-1 benzopyrane et ses dérivés. Ce nom d’usage s’est ensuite étendu jusqu’aux naphtopyranes, appelés encore aujourd’hui benzochromènes. Bien que leur chimie (préparation, propriétés et réactions) ait été largement étudiée[23, 24], jusque dans les années 1990, peu d’articles, dans la littérature, relatent leurs propriétés photochromiques.

En 1966, Becker et Michl[25] sont les premiers à aborder le photochromisme des 2H-1- benzopyranes en exposant le comportement d’environ 25 composés naturels ou synthétiques à 77 K en solution liquide ou dans des matrices solides. Ils remarquent qu’une substitution par un benzène en position 5, 6 et 7, 8 (composés 2 et 4) augmente la stabilité de la forme colorée du photochrome alors qu’une substitution en position 6, 7 (composé 3) la diminue. Les études se sont alors naturellement tournées vers les 3H-naphto[2,1-b]pyranes et les 3H-naphto[1,2- b]pyranes[26-30]. Lors de cette thèse, notre intérêt s’est porté sur des composés dérivés du 3H-naphto[2,1- b]pyrane et plus particulièrement sur des dérivés du 3,3-diphényl-3H-naphto[2,1-b]pyrane (7, noté par la suite CHRS) où le carbone sp3 est substitué par deux groupements phényles. Une première approche de préparation de ce composé a été proposée par Wizinger[31] et Wenning en 1940, puis améliorée par Livingston et al.[32] en 1960. C’est dans un brevet américain[33] que Becker, en 1971, décrit le photochromisme de CHRS, et en 1986 il en propose, avec Lenoble[34], une étude plus complète par photolyse laser. On retient de ces études que la substitution du carbone sp3 (3) par des groupements aromatiques ou conjugués augmente la stabilité de la forme colorée du photochrome ainsi que sa résistance à la fatigue[35-39].

Spectroscopie des oligothiophènes

De très nombreuses études ont été réalisées sur les oligothiophènes. Les premiers à proposer leurs spectres d’absorption sont Sease et Zechmeister[53] en 1947 lors d’une étude portant sur les oligomères de n = 1 à 4 (Fig. 2.1). Ils remarquent que l’extension du système πconjugué lors de l’augmentation du nombre de motifs thiophéniques dans la chaîne est responsable d’un déplacement bathochrome de la bande d’absorption principale. Il est aussi mentionné un second pic, dont la position, centrée sur 250 nm, est indépendante du nombre de cycles (Fig. 2.2).

Il faut attendre la fin des années 80 pour recenser les premières études d’absorption transitoire nanoseconde sur les oligothiophènes. Il est mis en évidence la formation d’un état transitoire triplet (T1), par croisement intersystème, possédant un temps de vie de l’ordre de la dizaine de microsecondes[54-57]. Le spectre d’absorption triplet-triplet du bithiophène (Fig. 2.4) est composé d’une bande centrée à 370 nm, tandis que celui du terthiophène est composé d’une bande centrée à 460 nm (Fig. 2.5). Parallèlement des mesures de fluorescence ont aussi été réalisées[58-60]. Il en résulte que lorsque le nombre de motifs thiophènes augmente, le rendement de formation de triplet diminue et le rendement de fluorescence augmente (pour 2T : φT ~ 0,93, φF < 0,1 ; pour 5T : φT ~ 0,63, φF ~ 0,28).

En 1995 Rentsch et al.[59] proposent une étude détaillée par absorption transitoire dans le domaine de la picoseconde (impulsion de 25 ps à 349 nm) de ces composés (n = 0 à 4). Ils observent une bande d’absorption qui croît rapidement puis qui disparaît avec la même cinétique que l’émission stimulée. Cette bande, présente pour tous les oligothiophènes, a pu être attribuée, par sa cinétique, à la transition de l’état S1 vers les états Sn. Le spectre d’absorption singulet-singulet du bithiophène est composé d’une bande centrée à 495 nm (Fig. 2.3), tandis que celui du terthiophène montre une bande centrée à 600 nm (Fig. 2.5). Enfin, ils remarquent l’apparition d’un spectre attribué, par analogie aux études nanosecondes précédentes, au premier état triplet excité (T1).

Enfin, dans les années 2000, Rentsch et al. présentent une étude en absorption transitoire dans le domaine de la femtoseconde du croisement intersystème présent dans les oligothiophènes[61-65]. La cinétique de formation de l’état triplet fait intervenir deux temps de vie, un premier assez court (2 ps) et un autre plus long et dépendant de la longueur d’onde d’excitation (de 50 à 120 ps). Ce dernier temps est relatif au croisement intersystème s’effectuant à partir du plus faible niveau vibrationnel de l’état S1. La composante rapide met en jeu un état intermédiaire vibrationnellement excité (S1*), proche en énergie de l’état triplet T2. On sait, par de précédents calculs, que l’état fondamental des oligothiophènes est nonplanaire alors que l’état excité S1 est caractérisé par une géométrie plane[66, 67]. Il est proposé, pour l’état intermédiaire responsable de la composante rapide du croisement intersystème, une géométrie non-plane héritée de l’état fondamental. Son énergie est alors supérieure à celle de l’état S1 relaxé et voisine de l’état triplet T2 ce qui rend le croisement intersystème si efficient.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 Présentation de l’étude
1.1 Le photochromisme
1.1.1 Définition.
1.1.2 Histoire.
1.1.3 Les diverses applications
1.1.4 La famille des naphtopyranes
1.2 Enjeux de l’étude
1.3 Nomenclature des molécules étudiées.
Chapitre 2 Contexte Bibliographique
2.1 Spectroscopie des oligothiophènes
2.2 Les naphtopyranes
2.2.1 Mécanisme photochromique.
2.2.2 Spectroscopie du 3,3-diphényl-3H-naphto[2,1-b]pyrane
2.3 3H-naphto[2,1-b]pyranes substitués par des oligothiophènes.
2.3.1 Mécanisme photochromique.
2.3.2 Propriétés photochromiques.
2.3.3 Spectroscopie d’absorption transitoire
Chapitre 3 Partie Expérimentale
3.1 Introduction
3.2 Spectroscopie transitoire femtoseconde dans le domaine UV-Visible.
3.2.1 Principe
3.2.2 Système laser
3.2.3 Acquisition des données
3.2.4 Artéfacts de mesure.
3.3 Spectroscopie transitoire nanoseconde dans le domaine UV-Visible
3.3.1 Description du montage expérimental
3.3.2 Traitement des cinétiques et des spectres
3.3.3 Détermination de rendements quantiques de croisement intersystème.
3.3.3.1 Coefficient d’extinction molaire triplet-triplet
3.3.3.2 Rendement quantique de croisement intersystème
3.3.4 Artéfact de mesure
3.4 Irradiation continue
3.4.1 Montage expérimental
3.4.2 Calcul des rendements de photocoloration.
Chapitre 4 2H-Chromènes liés via différents types de jonction à des oligothiophènes
4.1 Influence d’une chaîne oligothiophénique substituée via une jonction acétylénique.
4.1.1 3,3-Diphénylchromène substitué par un groupement acétylénique en position 8 (0AC).
4.1.1.1 Spectre d’absorption stationnaire
4.1.1.2 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.1.1.3 Absorption transitoire nano/microseconde.
4.1.1.4 Discussion.
4.1.1.5 Influence du solvant
4.1.2 3,3-Diphénylchromène substitué par un thiophène en position 8 via une liaison acétylénique (1AC)
4.1.2.1 Spectre d’absorption stationnaire
4.1.2.2 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.1.2.3 Absorption transitoire nano/microseconde
4.1.2.4 Discussion.
4.1.2.5 Influence du solvant
4.1.3 3,3-Diphénylchromène substitué par un bithiophène en position 8 via une liaison acétylénique (2AC)
4.1.3.1 Spectre d’absorption stationnaire
4.1.3.2 Absorption transitoire femtoseconde.
4.1.3.3 Spectre d’absorption nano/microseconde.
4.1.3.4 Discussion.
4.1.3.5 Caractérisation de l’espèce fugace X.
4.1.3.6 Influence du solvant
4.1.4 3,3Diphénylchromène substitué par un terthiophène en position 8 via une liaison acétylénique (3AC)
4.1.4.1 Spectre d’absorption stationnaire
4.1.4.2 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.1.4.3 Spectre d’absorption nano/microseconde.
4.1.4.4 Discussion
4.1.4.5 Influence du solvant
4.1.5 Conclusion : Influence de la longueur de la chaîne pour les composés à liaison acétylénique.
4.2 Influence d’une chaîne oligothiophénique substituée via une jonction éthylénique.
4.2.1 3,3-Diphénylchromène substitué par un thiophène en position 8 via une liaison éthylénique (1ET).
4.2.1.1 Spectre d’absorption stationnaire
4.2.1.2 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.2.1.3 Absorption transitoire nano/microseconde.
4.2.1.4 Discussion.
4.2.1.5 Influence du solvant
4.2.2 3,3-Diphénylchromène substitué par un bithiophène en position 8 via une liaison éthylénique (2ET).
4.2.2.1 Spectre d’absorption stationnaire
4.2.2.2 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.2.2.3 Absorption transitoire nano/microseconde
4.2.2.4 Discussion
4.2.2.5 Influence du solvant
4.2.3 3,3-Diphénylchromène substitué par un terthiophène en position 8 via une liaison éthylénique (3ET).
4.2.3.1 Absorption stationnaire
4.2.3.2 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.2.3.3 Absorption transitoire nano/microseconde
4.2.3.4 Discussion.
4.2.3.5 Influence du solvant
4.2.4 Conclusion : Influence de la longueur de la chaîne pour les composés à liaison éthylénique
4.3 Influence d’une chaîne oligothiophénique substituée via une jonction de type ester.
4.3.1 3,3-Diphénylchromène substitué par un thiophène en position 8 via une liaison de type ester (1ES).
4.3.1.1 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.3.1.2 Absorption transitoire nano/microseconde
4.3.1.3 Discussion.
4.3.1.4 Influence du solvant
4.3.2 3,3-Diphénylchromène substitué par un bithiophène en position 8 via une liaison de type ester (2ES).
4.3.2.1 Absorption stationnaire
4.3.2.2 Absorption transitoire femto/picoseconde
4.3.2.3 Absorption transitoire nano/microseconde
4.3.2.4 Discussion.
4.3.2.5 Influence du solvant
4.3.3 3,3-Diphénylchromène substitué par un terthiophène en position 8 via une liaison de type ester (3ES).
4.3.3.1 Absorption stationnaire
4.3.3.2 Absorption transitoire femtoseconde.
4.3.3.3 Absorption transitoire nano/microseconde
4.3.3.4 Discussion.
4.3.3.5 Influence du solvant
4.3.4 Influence de la longueur de la chaîne pour la liaison de type ester
Conclusion

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