Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), la Tunisie se situe en 9ème place du classement mondial des pays menacés de pénurie d’eau . L’eau pluviale constitue 58% des ressources en eau conventionnelles potentielles de tout le pays (Lebdi, 2005), d’où l’importance de l’étude des précipitations.Selon Frigui et Touzi (2009), depuis l’année 1900, la Tunisie a vécu 20 sécheresses et 14 inondations. En d’autres termes une année sur 3 est extrêmement humide ou sèche. L’occurrence des sécheresses pluviométriques sur le bassin de la Medjerda a été modélisée à l’aide de la méthode des déficits-surplus (Kebaili Bargaoui, 1989). L’étude de la variabilité des pluies en Tunisie a constitué un sujet qui a préoccupé de nombreux chercheurs depuis des décennies (Kassab, 1979, Henia,1980, Thirriot et Kebaili-Bargaoui, 1983, Bousnina, 1986,Bargaoui, 1994, Zahar 1997, Ellouze, 2010).La variabilité des précipitations a un impact direct sur la satisfaction des besoins liés à la production d’eau potable, à l’industrie et à l’irrigation. Dans la quantification des précipitations pour l’estimation des ressources en eau, la variabilité spatiale et temporelle de l’intensité des précipitations présente un enjeu aussi bien sociétal majeur que scientifique. En effet, la variabilité des précipitations à court terme (évènements pluvieux extrêmes), comme à long terme (occurrence de sécheresse), est à l’origine de catastrophes naturelles extrêmement coûteuses en vies humaines et responsable d’innombrables dommages matériels. D’après la base internationale des catastrophes , entre 1900 et 2013, l’inondation en Tunisie (i) a touché 586667 victimes, (ii) a causé 962 morts et (iii) a eu des dégâts matériels estimés à 44,08 .10⁷US$. Quant à la sécheresse, dans la même base de données, on trouve un nombre de victimes pour la même période qui est égal à 31400 victimes.
La question de la variabilité se trouve au cœur de l’étude des précipitations. En effet, le phénomène de précipitation s’étend de l’échelle des cellules associées à la convection de cumulus qui se déroule sur 1 km en quelques minutes aux échelles d’espace synoptiques liées aux systèmes frontaux qui se développent à l’échelle de 1000 km en plus d’une journée (Austin et Houze, 1972, Orlanski, 1975). Les précipitations ne présentent pas d’échelle caractéristique et doivent être considérées dans une gamme d’échelle importante (Gupta et Waymire, 1993). La variabilité des précipitations intervient cependant dans des applications liées aux modèles hydrologiques qui présentent des échelles typiques (Bloschl et Sivapalan 1995) à savoir : l’échelle locale (1 m), l’échelle versants (100 m), l’échelle du bassin versant (10 km) et l’échelle régionale (1000 km). Dans le temps, les échelles de modélisation typiques sont: l’échelle de l’événement (1 jour), l’échelle saisonnière (1 an) et l’échelle à long terme (100 ans). Le modèle multifractal universel MU proposé par Schertzer et Lovejoy (1987) permet de modéliser les relations d’échelles des processus sur une grande gamme d’échelles spatiales ou temporelles. L’analyse multifractale a été appliquée avec succès dans la caractérisation des processus géophysiques à grande variabilité. Lovejoy et Schertzer (1995) ont étudié avec le modèle MU une vingtaine de processus géophysiques parmi lesquels les radiations des nuages, les débits de cours d’eaux, la température, la pollution, la densité des stations de mesures météorologiques, les surfaces de fissuration des roches, les champs géomagnétique. Les propriétés scalantes représentées par le modèle MU sont les conséquences directes du caractère non linéaire des processus en jeu dans de nombreux champs géophysiques. Particulièrement, la variabilité des précipitations résulte de différents processus non linéaires couvrant différentes échelles en interaction (échelles de turbulence, évaporation, collision, coalescence et break-up) (Leporini., 2005). Des travaux récents ont permis d’évaluer la pertinence de ce modèle pour la modélisation de la variabilité des précipitations de la sub_mésoéchelle (Verrier et al., 2009, Verrier, 2011).
ELABORATION DES DONNEES D’ETUDE
Plusieurs études permettent d’illustrer concrètement l’hétérogénéité exceptionnelle des intensités qui ont eu lieu dans la région de Tunis : D’après Poncet (1970),les grandes pluies orageuses de l’automne 1969 ont affecté, en plusieurs séries orageuses, une très grande partie de la Tunisie particulièrement les régions centrales et méridionales de la Tunisie. Ces orages ont été qualifiés de « millénaire » et ont engendré des inondations qui ont causé des dégâts humains et matériels catastrophiques. Des maxima dépassant les 100 mm en 24 h ont été enregistrés. Dans l’histoire des précipitations en Tunisie on peut aussi citer la crue dévastatrice produite du 27 mars au 1er avril 1973 (Claude et al., 1977). Cette dernière est due plus particulièrement aux pluies abondantes au cours du mois de mars 1973, tombées sur le nord de la Tunisie et de l’Algérie entretenant une très forte humidité des sols déjà bien humectés au sortir de l’hiver ; les pluies du 25 au 28 mars ont déclenché un fort ruissellement, provoquant une crue exceptionnellement forte de l’oued Medjerda lui-même aboutissant à des inondations catastrophiques dans la moyenne et surtout la basse vallée(Claude et al., 1977). Plus récemment en 2007, Slimani et al.,(2007) ont eu recours à une analyse géostatistique pour examiner la structure spatiale de la pluviométrie annuelleet mensuelle sur toute la Tunisie. Ils ont souligné la variation rapide de la pluie dans deux directions à savoir nord/sud et nord-ouest/sud-est qui est attribuée essentiellement à la distribution altimétrique du territoire.
La région de Tunis, en particulier, a fait l’objet de plusieurs études pluviographiques. De Montmarin (1951), a étudié les intensités de pluie torrentielle de Tunis Manoubia. Puis en 1954, il a présenté l’intensité des pluies annuelles, décennales pour des durées d’averses allant de 20 minutes à 6 heures après dépouillement des diagrammes des pluviomètres enregistreurs de Tunis sur une durée de 41 ans. Il a proposé une formule permettant de calculer l’intensité d’une pluie correspondant à une période de récurrence donnée en fonction de la durée de l’averse. Saïdi (1977a) a étudié les intensités maximales moyennes des averses de la station de Tunis Carthage puis il a élaboré les courbes IDF. Saïdi (1977b) a classé les périodes de pluie en fonction de la situation météorologique. Particulièrement, il a expliqué la quantité de pluie importante enregistrée le 25 octobre 1973 à Tunis Carthage (92.4 mm) qui est due aux perturbations qu’il a appelé perturbations de Nord Est. Ces perturbations sont le produit d’une cellule anticyclonique formée à partir de l’anticyclone des Açores qui évolue vers l’Est pour joindre celui de la Sibérie produisant ainsi un flux d’air froid qui atteint le nord de la Tunisie. Benzarti (2003) a analysé les données pluviographiques de la station de Tunis Manoubia pour dégager les caractéristiques de la pluviométrie à une échelle fine.
Particulièrement dans la dernière décennie, le Grand Tunis a vécu deux évènements extrêmes pendant les automnes 2003 et 2007. En effet, le 17 septembre 2003 un cumul exceptionnel de 187.8 mm en 24 heures (DGRE) a été enregistré à la station de Soukra Ariana Nord, réparti en plusieurs averses avec des intensités maximales relativement faibles de 48mm/h sur 15 minutes, 42mm/h sur 30 minutes, 35mm/h sur une heure. Ces intensités maximales correspondant à des périodes de retour de 5 à 10 ans (Ennesser et al., 2011). Le total accumulé en une journée correspond à 38% du total annuel moyen et 19 % du total annuel de l‘année dans cette station sur la période 1999 – 2009. Ce cumul journalier constitue un record jamais atteint dans le passé. En effet, la valeur maximale la plus grande enregistrée était 133.5mm à la station de Tunis-Carthage sur la période 1950-2002. Le 24 septembre 2003, une pluie de 101 millimètres (DGRE), avec des intensités maximales exceptionnelles qui ont atteint 131 mm/h sur 15 minutes, 114mm/h sur 30 minutes, 82 mm/h en une heure et 49 mm/h sur deux heures, a été enregistré à Tunis Carthage (Chouari, 2013). Cette pluie de deux heures avec des intensités de pluie de période de retour quasiment centennale pendant toute la durée de la pluie a engendré une crue estimée centennale (Ennesser et al., 2011).
Le 25 septembre et le 14 octobre 2007 une crue éclair a touché la région de Tunis sur une ligne reliant Bizerte au Cap Bon. Particulièrement, un cumul exceptionnel de 103.4 mm et 107.2 mm a été enregistré respectivement aux stations de Ariana centre d’étude et Mnihla-ex-ville Saint-Jacques en 24 heures aux dates respectifs de 25 septembre et 14 octobre 2007 (DGRE). Dans ce qui suit on décrit tout d’abord le milieu climatique puis on cite le jeu de données disponible.
Données climatiques
Les données climatiques sont prises du rapport SIRUS, (2006). La zone d’étude est caractérisée par un climat méditerranéen humide et doux qui passe de l’étage bioclimatique humide à l’étage sub-humide. La mer agissant par son effet modérateur, donne une composante tempérée en particulier en hiver. Ainsi les principales caractéristiques du climat sont :
– une chaleur permanente et forte en été;
– une stabilité du climat pendant le reste de l’année;
– des précipitations faibles et irrégulières.
Données d’étude
Pour réaliser l’étude et la modélisation de la variabilité spatiale et temporelle des précipitations à différentes échelles de la région de Tunis nous avons recueilli différents jeux de données. Les données utilisées dans le cadre de cette thèse proviennent de la base de données de la Direction Générale des Ressources en Eau (DGRE) du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche. Elles ont été obtenues dans le cadre d’une coopération de la DGRE avec le projet CMCU.
Les données disponibles sont :
– des séries chronologiques d’intensités de pluie mesurées entre 2007 et 2010 à haute résolution (5 minutes) en 4 stations de la zone du Grand Tunis à savoir TunisManoubia, Mornag, Sidi Thabet et Soukra (Tableau 5).
– des séries de fortes intensités de pluie sur des résolutions temporelles fixées (entre 5 minutes à 4 heures) pour une quinzaine de stations réparties dans la région du Grand Tunis ainsi qu’au Nord de la Tunisie qui incluse le Grand Tunis.
– des séries chronologiques à l’échelle journalière observées entre 1873 et 2012 pour un réseau de 41 stations localisées dans toute la zone du Grand Tunis ainsi que quelques stations à proximité Est du Grand Tunis appartenant au gouvernorat de Nabeul.
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Table des matières
CHAPITRE I. INTRODUCTION
I. 1. Contexte Général
I. 2. Cadre et objectifs de la thèse
I. 3. Résultats attendus
I. 4. Plan de la thèse
CHAPITRE II. ELABORATION DES DONNEES D’ETUDE
II. 1. Introduction
II. 2. Données climatique
II. 2. 1. Pluviométrie
II. 2. 2. Le vent
II. 2. 3. La température
II. 3. Données d’étude
II. 3. 1. Séries chronologiques de pluie à haute résolution
II. 3. 1. 1. Etude de la variabilité des pluies à pas de temps 5 minutes
II. 3. 2. Séries de fortes intensités de pluie
II. 3. 3. Données de pluie journalière
II. 4. Conclusion
CHAPITRE III. CONTEXTE THEORIQUE
III. 1. Théorie des valeurs extrêmes
III. 1. 1. Théorème limite de Fisher-Tippet
III. 1. 2. Mode de l’échantillonnage
III. 1. 2. 1. La Méthode d’analyse des maxima par blocs
III. 1. 2. 2. Méthode de dépassement de seuil (POT)
III. 1. 3. Le théorème de Pickands-Balkema-de Haan
III. 2. Courbes IDF et IDAF
III. 2. 1. Revue sur l’étude des averses et courbes IDF en Tunisie
III. 2. 2. Mise en évidence du caractère d’invariance d’échelle simple
III. 2. 3. Régionalisation des courbes IDF
III. 2. 4. Courbes IDAF
III. 2. 4. 1. Le facteur de réduction surfacique
vii Estimation des courbes IDAF de la région de Tunis dans un contexte multifractal
III. 3. Le processus de pluie observé dans un contexte fractal et multifractal
III. 3. 1. Relation processus de pluie – objet fractal
III. 3. 1. 1. La dimension fractale de pluie
III. 3. 1. 2. La dimension fractale de support de pluie dans la littérature
III. 3. 2. La pluie est un processus multifractal
III. 3. 2. 1. Cascade multiplicative continue et multifractales universelles (MU)
III. 3. 2. 2. Modèle FIF
III. 3. 2. 1. Isotropie/ anisotropie spatio-temporelle
III. 3. 2. 2. Discussion
III. 3. 3. La divergence des moments
III. 3. 3. 1. Dimension d’échantillon (Ds) et ordre critique d’échantillon (qs)
III. 3. 3. 1. 1 Un seul échantillon
III. 3. 3. 1. 2 Présence de plusieurs échantillons indépendants
III. 3. 3. 2. Cas non conservatif
III. 3. 3. 3. Relation entre modèle MU et loi de Pareto généralisée
III. 3. 4. Étude des propriétés multifractales
III. 4. Relation multifractales -courbes IDF
III. 5. Relation multifractales -courbes IDAF
III. 6. Conclusion
CHAPITRE IV. METHODOLOGIE
IV. 1. La dimension fractale du support de la pluie
IV. 2. Etude multifractale des intensités de pluie
IV. 2. 1. Analyse des spectres
IV. 2. 2. Estimation du paramètre de non conservation de processus H
IV. 2. 3. Estimation des paramètres du Modèle Multifractal Universel
IV. 2. 4. Correction des biais dû à l’intermittence des précipitations
IV. 3. Courbes IDF
IV. 3. 1. Analyse de l’invariance d’échelle simple et les courbes IDF
IV. 3. 2. Régionalisation des courbes IDF
IV. 3. 3. Relation courbes IDF – multifractales
IV. 4. Courbes IDAF
IV. 5. Conclusion
CHAPITRE V. RESULTATS : Etude monofractale et multifractale de la pluie
V. 1. Introduction
viii Estimation des courbes IDAF de la région de Tunis dans un contexte multifractal
V. 2. Occurrence de pluie des précipitations : Etude de la dimension fractale du support de la pluie
V. 2. 1. Etude de la structure du support de pluie par la méthode de comptage des boîtes
V. 2. 1. 1. Etude des séries à pas de temps 5 minutes
V. 2. 1. 2. Etude des séries journalières
V. 2. 1. 3. Interprétation des régimes obtenus
V. 2. 1. 4. Etude de l’effet des différents seuils d’intensité de pluie
V. 2. 1. 4. 1 Séries pluviographiques à pas de temps 5 mn
V. 2. 1. 4. 2 Série journalière
V. 2. 1. 5. Evolution temporelle de la dimension fractale
V. 2. 1. 6. Discussion
V. 3. Intensité des précipitations : Analyse spectrale et multifractale des séries chronologiques
V. 3. 1. Détermination des régimes d’invariance d’échelles et du facteur de non conservation
V. 3. 1. 1. Analyse spectrale des données de pluie à résolution 5 minutes
V. 3. 1. 2. Analyse spectrale de la pluie journalière de la station de Tunis-Manoubia
V. 3. 1. 3. Interprétation
V. 3. 1. 4. Calcul de la fonction de structure : paramètre H
V. 3. 2. Estimation des paramètres du Modèle Multifractal Universel
V. 3. 2. 1. Analyse de séries continues
V. 3. 2. 2. Calcul des paramètres du modèle multifractal α et C1 pour des séquences de pluie continue
CHAPITRE VI. CONCLUSION