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Origine de la charge de surface – Définition des groupes fonctionnels de surface
La plupart des solides rencontrés dans les solutions naturelles présentent une charge de surface. De plus, cette charge, qui peut être mise en évidence par électrophorèse par exemple, est souvent dépendante du pH. La charge de surface peut avoir deux origines principales :
Défauts cristallins et/ou des substitutions isomorphes d’un cation du réseau par un cation de valence différente. La charge qui en découle est alors indépendante du pH de la solution. Nous verrons que les argiles minéralogiques (phyllosilicates de type kaolinite ou smectite par exemple) montrent une charge négative permanente due à de telles substitutions.
Réactions chimiques entre ions de la solution et groupements fonctionnels ionisables de la surface. Dans ce cas, la charge dépend du degré d’ionisation et, de ce fait, du pH de la solution.
Pratiquement tous les solides, qu’ils soient organiques ou inorganiques, présentent de tels groupes fonctionnels en surface. Dans le cas des phases solides organiques (débris de végétaux et d’animaux, bactéries…), la charge peut être due à la protolyse de fonctions amines ou carboxyliques par exemple. Pour les phases solides inorganiques, il existe deux modèles conceptuels permettant de définir la nature des sites de surface. Le plus ancien, et le plus communément utilisé, a été proposé par Parks en 1965. Dans ce modèle, la chimie-sorption de molécules d’eau à la surface des solides, puis leur dissociation, amènent à la formation de groupes hydroxylés de type ≡SOH°, où ≡S représente un cation de la surface.
Ces groupes présentent un caractère amphotère suivant les réactions :
≡SOH° + H+ = ≡SOH2+ Réaction 1.1
≡SOH° = ≡ SO- + H+ Réaction 1.2
auxquelles sont associées les constantes Ka1 et Ka2.
Les groupes ≡SOH° ainsi définis peuvent également interagir avec des cations métalliques ou des ligands présents en solution d’après les réactions générales :
≡SOH° + Mz+ = ≡SOM(z-1)+ + H+
≡SOH° + Ly- = ≡SL(1-y) + OH-
Cette approche est connue sous le nom de modèle à 2pK puisque deux constantes d’acidité sont associées au site ≡SOH°.
La deuxième approche est basée sur la structure cristallographique du minéral et sur le principe de distribution de charge (Pauling, 1929). Ce modèle a d’abord été proposé par Bolt et Van Riemdsijk en 1982, puis modifié par Hiemstra et al. en 1989. Dans le principe de distribution de charge, on définit la valence de liaison formelle γ, comme la charge d’un cation z, divisée par son nombre de coordination, CN : γ = z Equation 1.1
Les modèles de complexation de surface
D’un point de vue conceptuel, ces modèles sont tous basés sur le schéma de la double couche électrique dans lequel la charge de surface est compensée par une couche plus ou moins diffuse de contre-ions (couche diffuse).
D’un point de vue thermodynamique, la variation d’énergie libre liée au processus d’adsorption (ΔrGadsorption) s’écrit comme la somme de deux termes :
ΔrGadsorption = ΔrGintrinsèque + ΔrGcoulombien Equation 1.8
avec : – ΔrGadsorption = -2,3.RT.log Kapp Equation 1.9
où Kapp est la constante apparente de la réaction (écrite en concentrations)
– ΔrGintrinsèque = -2,3.RT.log Kint Equation 1.10
où ΔrGintrinsèque représente le terme d’interaction chimique, indépendant de la charge de surface (terme valable pour une surface non chargée, qui correspond à l’état standard hypothétique pour les espèces de surface).
Le terme coulombien (i.e. électrostatique) ΔrGcoulombien, rend compte de l’effet du potentiel, créé par les espèces chargées adsorbées, sur les ions en solution. Ce terme correspond donc au travail qu’il faut fournir pour amener un ion depuis le cœur de la solution jusqu’au site de surface au potentiel Ψ0. Cette composante électrostatique peut s’écrire de la manière suivante :
ΔrGcoulombien = zFΨ0 Equation 1.11
Structures cristallines et sites de rétention de la kaolinite et de la montmorillonite.
Structures cristallines
La kaolinite et la montmorillonite sont des minéraux secondaires, c’est à dire des minéraux issus soit de l’altération de minéraux primaires (péridots, amphiboles, pyroxènes, feldspaths), soit de la transformation d’autres minéraux secondaires (illites, vermiculites). Kaolinite et montmorillonite se trouvent donc dans les sols et, plus particulièrement, dans la fraction fine des sols. Ces minéraux présentent, en effet, une surface spécifique relativement élevée.
La kaolinite et la montmorillonite appartiennent à la famille des phyllosilicates ou silicates en feuillets. De manière générale, la structure cristalline des phyllosilicates est constituée par l’empilement de deux types de couches :
• des couches tétraédriques (couches T). Les tétraèdres sont généralement occupés par des ions Si4+, mais ceux-ci peuvent parfois être substitués par des cations trivalents (Al3+, Fe3+ par exemple).
• des couches octaédriques (couches O). Les couches octaédriques sont dites trioctaédriques lorsque tous les octaèdres sont occupés par des cations bivalents (Fe2+,
Mg2+ par exemple) et dioctaédriques lorsque les cations sont trivalents (Al3+, Fe3+).
Dans ce dernier cas, seulement 2/3 des octaèdres sont occupés.
Différents modes d’association des couches T et O forment des feuillets. Il existe 3 grands types de feuillet :
– le feuillet TO ou feuillet 1 : 1, où une couche T est liée à une couche O,
– le feuillet TOT ou feuillet 2 : 1, où une couche O est insérée entre 2 couches T,
– le feuillet TOTO ou feuillet 2 : 1 : 1, où une couche O est insérée entre 2 feuillets TOT. Les feuillets se superposent enfin pour former des tactoïdes.
Les différents types de feuillet, associés à de nombreuses possibilités de substitutions des cations dans les tétraèdres et/ou les octaèdres, font qu’il existe de très nombreuses espèces de phyllosilicates.
La kaolinite est un phyllosilicate à feuillet 1 :1, ou feuillet TO. Elle est donc formée par liaison d’une couche tétraédrique à une couche di-octaédrique essentiellement alumineuse (figure 1.3). La formule structurale théorique de la demi maille de la kaolinite est donc Al2Si2O5(OH)4.
Rétention de Cs+, Ni2+ et Ln3+ sur les matériaux argileux
Les termes de « matériaux argileux » sont utilisés ici au sens large dans la mesure où les travaux antérieurs ne concernent pas uniquement la montmorillonite et la kaolinite, mais des phases telles que des sols, des mélanges illite/smectite, des bentonites et parfois même des oxydes. La plupart des données antérieures ont été obtenues à 25°C (ou température ambiante). Pour les rares études menées à plus haute température, des données thermodynamiques sont parfois déduites d’isothermes d’adsorption ou de valeurs de log (Kd) en fonction de 1/T (K-1). Lorsque les données sur les matériaux argileux sont modélisées, les auteurs prennent en compte un ou plusieurs sites d’échange, un ou plusieurs sites de complexation de surface ou plusieurs sites d’échange et de complexation.
Le césium (Cs+)
Le comportement du césium (Cs+) au contact de matériaux argileux, en conditions expérimentales ou naturelles, est très largement documenté, particulièrement dans la littérature nucléaire (radio césium). Il est admis que l’adsorption du césium augmente clairement lorsque la force ionique du milieu diminue et est peu sensible au pH (Bar-Yosef et al., 1988 ; Satmark et Albinsson, 1993 ; Gutierrez et Fuentes, 1996 ; Ly, 1998). Les débats se situent actuellement sur les spéciations de surface (sites d’échange et/ou de bordure) et les modèles d’interfaces les mieux adaptés pour décrire le comportement de cet élément. L’effet thermique n’est que très rarement étudié (Komarneni, 1979 ; Komarneni et Roy, 1980 ; Liu et al., 2003). Le travail de Liu et al. (2003), mené sur les sédiments d’Hanford (comportant 80% de matériaux argileux de type smectite, illite et interstratifiés) porte sur l’adsorption du césium entre 30 et 65°C. Cette étude, réalisée à une force ionique de 0,5 M (NaNO3) et à des pH proches de 7, montre une diminution des Kd d’un facteur 2 lorsque la température s’élève de 30 à 45°C et d’un facteur 5 lorsque celle-ci passe de 30 à 65°C. Un modèle à 2 sites d’échange (site fort et site faible) est proposé et des données thermodynamiques en sont extraites. Pour les sites de forte et faible affinité respectivement, des enthalpies de –17,87 ± 2,01 kJ.mol-1 et –4,82 ± 0,44 kJ.mol-1 sont reportées. Pour Komarneni (1979), l’adsorption du césium sur des minéraux argileux (montmorillonite, illite, mica et kaolinite) décroît également lorsque la température augmente. Dans des suspensions de montmorillonite de faible force ionique (0,02 M) et à des pH proches de 6, cet auteur mesure, en effet, une diminution de la quantité totale de césium adsorbé lorsque la température s’élève de 25 à 80°C (1 meq/100g à 25°C ; 0,7 meq/100g à 80°C). Par ailleurs, une étude menée de 25 à 80°C a également été réalisée avec K+ (considéré comme un analogue chimique du césium) sur une montmorillonite (Gaucher et al., 1998). Pour interpréter les données, ces auteurs proposent un modèle d’échange d’ions basé sur deux sites d’échange (site fort et site faible). Par simple ajustement mathématique des valeurs de densité de sites aux données expérimentales, Gaucher et al. (1998) montrent que les densités des deux types de sites ne sont pas affectées par la température alors que les coefficients de sélectivité correspondants (K*K/H) le sont modérément. En effet, le coefficient de sélectivité pour le site de forte affinité n’est pas affecté par la température, alors que celui du site de faible affinité décroît d’un facteur 2 lorsque la température s’élève de 25 à 80°C.
En conclusion, malgré le peu d’études réalisées à différentes températures, une légère diminution de l’adsorption du césium lorsque la température augmente tend à être mise en évidence.
Le nickel (Ni2+)
Les travaux menés essentiellement au Paul Scherrer Institut (Suisse) par Bradbury et Baeyens (1997 et 1999) et Baeyens et Bradbury (1997) ont permis d’établir une description mécanistique de la sorption du nickel (Ni2+) sur la montmorillonite, à 25°C. Les données sont issues de titrages acide-base et d’isothermes d’adsorption, réalisés à des forces ioniques comprises entre 0,001 et 0,5 M environ. Ces auteurs établissent que l’adsorption du nickel augmente fortement quand la force ionique diminue et lorsque le pH du milieu augmente. Ils montrent, par exemple, qu’à un pH de 6 le log Kd (Kd en ml/g) qui est d’environ 2,5 pour I=0,1 M (NaClO4) est de 4 pour I=0,01 M (NaClO4). Pour un pH de 8, le log Kd augmente de 4 à 4,5 lorsque la force ionique décroît de 0,1 à 0,01 M. L’échange cationique et la complexation de surface sont pris en compte dans la modélisation. Trois sites de bordure sont considérés (un site fort et deux sites faibles), et des coefficients de sélectivité Ni-Na et Ni-Ca sont proposés.
A notre connaissance, aucune étude antérieure ne concerne l’effet de la température sur l’adsorption du nickel sur une montmorillonite. En revanche, Echeverria et al. (2003) étudient l’adsorption du nickel sur une illite entre 5 et 45°C par des isothermes d’adsorption obtenues à des pH proches de la neutralité. Ces auteurs observent une légère augmentation de la rétention lorsque la température augmente et calculent une enthalpie d’adsorption proche de 17 kJ/mol. De plus, si on élargit cette revue bibliographique à l’adsorption de cations bivalents (Cd2+, Pb2+, Co2+ …) sur d’autres matériaux argileux ou sur des oxydes simples, nous pouvons citer les travaux de Brady (1992 et 1994), Angove et al. (1998) et Karasyova et al. (1999). Angove et al. (1998) réalisent des isothermes d’adsorption de Cd2+ et Co2+ sur une kaolinite entre 10 et 70°C et montrent une augmentation significative de l’adsorption lorsque la température augmente. Par un modèle de complexation de surface prenant en compte sites d’échange et sites de bordure, ils calculent ainsi pour l’adsorption des deux cations, des enthalpies endothermiques d’environ 10 kJ/mol pour l’adsorption sur les sites d’échange et 70kJ/mol pour celles sur les sites de bordure. Les études de Brady (1992 et 1994) portent, quant à elles, sur l’adsorption du plomb et du cadmium, entre 25 et 60°C, sur une silice et une alumine. Lorsque la température s’élève de 25 à 60°C, l’auteur observe, pour les 2 éléments, une augmentation des log Kd d’un facteur 0,3 pour SiO2 et 2 pour Al2O3. A titre d’exemple, les enthalpies d’adsorption déterminées avec l’alumine sont de 21,3 kJ/mol et 81,3 kJ/mol pour Pb2+ et Cd2+ respectivement. Cet auteur met enfin en parallèle les valeurs d’enthalpies qu’il détermine pour les réactions d’adsorption avec celles proposées pour les réactions d’hydrolyse, elles aussi endothermiques et du même ordre de grandeur.
D’après cette brève revue bibliographique, ces études, menées avec différents matériaux (argileux ou non), tendent à mettre en évidence une augmentation de l’adsorption des cations des éléments de transition lorsque la température augmente. Les réactions d’adsorption apparaissent donc endothermiques avec des valeurs d’enthalpies de réaction généralement inférieures à 100kJ/mol.
Les lanthanides
A température ambiante, les études menées sur l’interaction des lanthanides avec des minéraux argileux sont très hétérogènes. Elles ont été réalisées soit avec une seule terre rare (Miller et al., 1983 ; Laufer et al., 1984 ; Aja, 1998), soit avec plusieurs d’entre elles (Bruque et al., 1980; Bonnot-Courtois et Jaffrezic-Renault, 1982; Miller et al., 1982; Maza-Rodriguez et al., 1992; Nagasaki et al., 1997; Coppin et al., 2002). De plus, les argiles utilisées diffèrent d’une étude à l’autre. Miller et al. (1982 et 1983), Maza-Rodriguez et al. (1992), Nagasaki et al. (1997) et Coppin et al. (2002) ont utilisé une montmorillonite, Laufer et al. (1984) et Aja (1998) une kaolinite et Bonnot-Courtois et Jaffrezic-Renault (1982) une illite et une kaolinite.
Enfin, les conditions expérimentales varient d’une étude à l’autre, en particulier en ce qui concerne la force ionique de la solution, le pH et les concentrations en terres rares. De cet ensemble d’études, réalisées dans des conditions opératoires très variables, il est difficile d’extraire des règles claires concernant les mécanismes des réactions d’adsorption des terres rares sur les argiles. Néanmoins, le comportement des lanthanides semble comparable à celui du nickel avec une forte augmentation des Kd lorsque la force ionique diminue et que le pH augmente. Ainsi, pour une montmorillonite-Na, à I=0,1 M (NaClO4), le log Kd varie de 4 à 6 entre pH=6 et 8 (Bradbury et Baeyens, 2002). Une étude récente réalisée par Coppin et al. (2002), a fait intervenir simultanément, et compétitivement, les 14 éléments du groupe dans la même solution expérimentale. Ces auteurs ont testé, de façon systématique, l’effet du pH et de la force ionique de la solution sur l’adsorption des terres rares sur deux argiles aux caractères cristallochimiques contrastés: une kaolinite et une montmorillonite. L’analyse des paramètres physico-chimiques et cristallochimiques qui contrôlent la sorption des lanthanides a été complétée par une détermination plus précise de la nature et de la stabilité des complexes formés, à l’aide de la spectroscopie laser et d’une étude sur la réversibilité de l’adsorption utilisant des marqueurs isotopiques. Ce travail a montré que l’adsorption sur les sites amphotères était faiblement réversible et impliquait des complexes de sphère interne. En revanche, l’échange interfoliaire, qui met en jeu des complexes de sphère externe, semble totalement réversible.
En revanche, l’effet de la température sur l’adsorption des lanthanides a été peu étudié. Les seules données dont nous disposons actuellement sont celles proposées par Guillaud et al. (2003) et concernent la sorption de l’europium sur une alumine et une silice. A partir de mesures micro-calorimétriques réalisées entre 25 et 70°C, et à I=0,1 M, ces auteurs déterminent des enthalpies d’adsorption de Eu3+ de 21 et 130 kJ/mol pour Al2O3 et SiO2 respectivement. De plus, cette équipe mentionne que les valeurs d’enthalpies obtenues ne reflètent rien d’autre que les variations des pKa des groupements aluminols et silanols avec la température.
Réversibilité des réactions de sorption des cations sur les minéraux argileux
Tous les modèles utilisés dans la littérature pour décrire les propriétés des interfaces solide/solution sont basés sur la loi d’action de masse, et impliquent de ce fait une réversibilité des réactions qui s’y déroulent. Cependant, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, cette réversibilité n’est pas toujours observée et on peut donc se poser la question de la validité de l’équilibre chimique dans ces conditions. D’autres réactions que celles de sorption peuvent également « sembler » ou être irréversibles. C’est le cas bien connu par exemple de la dissolution du quartz. A basse température, l’état stationnaire obtenu lors de la dissolution de ce minéral reflète l’équilibre, alors que sa précipitation est cinétiquement inhibée ou, tout du moins, très fortement ralentie (Rimstidt et Barnes, 1980). De même, l’état stationnaire obtenu pour les réactions de dissolution des feldspaths en conditions hydrothermales (Berger et al., 2002) ne représente pas la solubilité réelle de ces minéraux. Cette question de réversibilité des réactions est donc à approfondir au cas par cas, et le sera en particulier pour les réactions de sorption tout au long de ce manuscrit.
De nombreuses études traitent de la sorption mais peu d’entre elles sont dédiées à la désorption et donc à la réversibilité des réactions sorption/désorption. Généralement, les études traitant de désorption proposent, une fois l’équilibre de la réaction de sorption atteint, d’imposer au système un déséquilibre. On suit alors le retour ou non du système à l’équilibre, le plus souvent par mesure des concentrations des espèces en solution. Les déséquilibres imposés au système sont le plus souvent de nature macroscopique et peuvent, par exemple, consister en l’acidification de la solution ou une diminution de la concentration de l’espèce en solution par dilution (Bonnot-Courtois et Jaffrezic-Renault, 1982 ; Undabeytia et al., 1998 ; Undabeytia et al., 1998; Wang et al., 2000 ; Koning et Comans, 2004). A l’échelle microscopique, quelques auteurs imposent quant à eux un déséquilibre isotopique (Comans et al., 1991; Coppin et al., 2004).
Une brève revue bibliographique montre que les résultats obtenus divergent beaucoup d’une étude à l’autre. En effet, Bonnot-Courtois et Jaffrezic-Renault (1982) n’observent aucune réversibilité de la réaction d’adsorption de lanthanides sur une smectite et une illite alors que Turner et al. (1998) et Undabeytia et al. (1998) mentionnent une réversibilité totale de la réaction d’adsorption du neptunium et du cadmium, pour le même minéral. D’autres auteurs mettent en évidence une réversibilité partielle suivant les conditions physicochimiques dans lesquelles les expériences sont réalisées (Pan et al., 1999 ; Coppin et al., 2004 ; Koning et Comans, 2004). Par exemple, Coppin et al. (2004) montrent, par l’introduction d’un déséquilibre isotopique, que les réactions d’adsorption du samarium et de l’ytterbium sur des minéraux argileux sont partiellement réversibles. Ces auteurs relient directement le taux de réversibilité au pourcentage de complexes de sphère externe formés. Lorsque le lanthanide est adsorbé sur un site d’échange, il forme un complexe de sphère externe et le processus est complètement réversible. En revanche, s’il est adsorbé sur des sites spécifiques (i.e. aluminol, silanol) il forme un complexe de sphère interne et la réaction ne semble pas réversible, tout du moins sur une durée expérimentale de 14 jours. Les conclusions de cette étude, obtenues par l’utilisation conjointe de la réversibilité isotopique et de la SLRT (spectroscopie laser résolue dans le temps) sont en accord avec les études de Pan et al. (1999). Cet auteur mentionne en effet que la réaction d’adsorption est de moins en moins réversible lorsqu’elle entraîne une perte de molécule d’eau dans la première sphère d’hydratation de l’ion considéré.
En conclusion, à température ambiante, il semble qu’une réversibilité partielle de la réaction de sorption soit le plus souvent mentionnée. En revanche, à notre connaissance, l’effet de la température sur la réversibilité de cette réaction n’a pas été étudié.
Propriétés acido/basiques des surfaces des matériaux argileux
Avant de proposer un modèle mécanistique de rétention d’un élément sur un solide donné, il est primordial de déterminer les caractéristiques acido-basiques du solide et, en particulier, sa charge de surface. Les charges de surface des matériaux argileux ont souvent été étudiées à température ambiante par mesures potentiométriques au cours de titrages acido/basiques.
Nous pouvons citer par exemple les études de Wanner et al. (1994), Avena et De Pauli (1998), Baeyens et Bradbury (1997), Tombacz et al. (2004) sur les smectites, celles de Angove et al. (1998), Huertas et al. (1998) sur les kaolinites et celles de Du et al. (1997), Sinitsyn et al.
(2000) sur les illites. Néanmoins, en dépit du nombre important d’études réalisées à 25°C, les résultats obtenus pour un même minéral (kaolinite, par exemple) sont souvent très dispersés même lorsque les expériences sont réalisées à la même force ionique. Par exemple, Wieland et Stumm (1992), Schroth et Sposito (1997a et 1997b), Ward et Brady (1998), Fournier (2002) et Huertas et al. (1998) ont réalisé des titrages en mode continu sur différentes kaolinites, à 25°C, et pour une force ionique de 0,1 M. Les résultats de ces études sont reportés dans la figure 2.1, en fonction du pH.
Apport de la spectroscopie laser résolue dans le temps (SLRT) à la caractérisation des complexes de surface
Le principe de la spectroscopie laser résolue dans le temps (SLRT) sera détaillé dans le chapitre 6. Nous ne donnerons ici que les principales informations que cette technique peut apporter lors d’études de sorption.
La SLRT a d’abord été utilisée pour déterminer le degré d’hydratation d’espèces aqueuses, tels que les ions trivalents des lanthanides ou des actinides (Kimura et Kato, 1998 ; Kimura et al., 1996 ; Wimmer et al., 1992). Par exemple, il est communément admis que la première sphère d’hydratation des ions Ln3+, à 25°C, est constituée de 8 à 9 molécules d’eau (Kimura et Kato, 1998). Cependant, ces mêmes auteurs montrent également que l’état d’hydratation peut largement être influencé par les conditions physicochimiques du milieu (pH, force ionique, nature des ions de l’électrolyte…). Moulin et al. (1999) et Plancque et al. (2003) montrent également que les espèces aqueuses de Eu3+ hydrolysées ou carbonatées ont des temps de fluorescence radicalement différents de celui de l’espèce aqueuse libre. Cette technique est donc très sensible à la spéciation aqueuse de Eu3+.
Depuis les années 90, la SLRT a aussi été utilisée afin de caractériser les espèces sorbées sur les surfaces solides (Takahashi et al., 1998 ; Rabung et al., 2000 ; Stumpf et al., 2001 et 2002). Par exemple, Stumpf et al. (2001) mettent en évidence l’existence de 2 complexes de sphère interne lors de l’adsorption de Cm3+ sur l’alumine-γ : Al-O-Cm2+(H2O)5 et Al-O-Cm+(OH)(H2O)4. Cette technique a également permis de différencier 2 complexes de nature différente lors de l’adsorption de Cm3+ (Stumpf et al., 2001 ; Coppin, 2002) ou Eu3+ (Kowal Fouchard, 2002) sur une montmorillonite. Un complexe de sphère externe serait formé par adsorption sur les sites échangeables, alors qu’un complexe de sphère interne serait favorisé à pH élevé et serait caractéristique d’une adsorption en bordure des feuillets.
A notre connaissance aucune étude de SLRT n’a été dédiée à la spéciation des espèces sorbées à des températures supérieures à 25°C. En revanche, Kimura et al. (2002) et Kirishima et al. (2004) ont respectivement déterminé la spéciation aqueuse de lanthanides et d’uranyle dans des conditions hydrothermales (100°C et plus). Ils montrent que les temps de vie des espèces aqueuses libres diminuent lorsque la température augmente et mettent directement en relation cette diminution avec l’augmentation de la contribution des espèces hydrolysées.
Effet de la température sur la nature et la cristallinité des minéraux argileux
En ce qui concerne les transformations minéralogiques, nous pouvons faire une distinction sur l’effet de la température sur les argiles sèches et son effet sur les argiles saturées en eau. Dans le premier cas, les structures cristallographiques résistent jusqu’à des températures élevées (>300°C). Par exemple, des expériences de calcination ont montré que la fraction argileuse d’une bentonite ne commençait à s’altérer (deshydroxylation) que pour une durée d’exposition de 3 h à 300°C. En ce qui concerne les argiles saturées en eau, la principale transformation minéralogique due à un échauffement est l’illitisation des pôles smectitiques en présence de potassium en solution. Nous pouvons, par exemple, citer les travaux de Pytte et Reynolds (1989) qui prévoient qu’après 1 million d’années à 127°C et en présence de potassium en solution, 80% de la fraction smectitique d’une bentonite se transforme en interstratifiés illite/smectite. En présence de calcium et en absence de potassium, les minéraux smectitiques sont remarquablement stables du point de vue de l’illitisation. Une smectite saturée en sodium a, quant à elle, un comportement intermédiaire entre ces deux pôles. Outre la présence de potassium en solution, un fort pH (pH>12) semble également être un facteur supplémentaire déclenchant les processus d’illitisation.
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Table des matières
Introduction générale
1 Généralités
1.1 Origine de la charge de surface – Définition des groupes fonctionnels de surface
1.2 Quantification des réactions aux interfaces
1.2.1 Les modèles dits « non électrostatiques »
1.2.2 Les modèles de complexation de surface
1.3 Structures cristallines et sites de rétention de la kaolinite et de la montmorillonite
1.3.1 Structures cristallines
1.3.2 Sites de rétention
2 Revue bibliographique
2.1 Rétention de Cs+, Ni2+ et Ln3+ sur les matériaux argileux
2.1.1 Le césium (Cs+)
2.1.2 Le nickel (Ni2+)
2.1.3 Les lanthanides
2.1.4 Conclusion
2.2 Réversibilité des réactions de sorption des cations sur les minéraux argileux
2.3 Propriétés acido/basiques des surfaces des matériaux argileux
2.4 Apport de la spectroscopie laser résolue dans le temps (SLRT) à la caractérisation des complexes de surface
2.5 Effet de la température sur la nature et la cristallinité des minéraux argileux
2.6 Conclusion
3 Matériaux et méthodes
3.1 Caractérisation des matériaux étudiés
3.1.1 Montmorillonite
3.1.2 Kaolinite
3.2 Spéciation aqueuse des éléments étudiés
3.2.1 Le césium
3.2.2 Le nickel
3.2.3 L’europium
3.2.4 Précipitation éventuelle de phases minérales
3.3 Protocoles expérimentaux
3.3.1 Expérience de sorption
3.4 Méthodologie
3.4.1 Blancs de sorption
3.4.2 Eléments libérés par les argiles
3.4.3 Stabilité minéralogique et dissolution des argiles au cours des expériences
3.5 Expériences de réversibilité macroscopique
3.6 Titrages acide/base par mesures potentiométriques
3.7 Mesures par spectroscopie laser résolue dans le temps (SLRT)
4 Etude macroscopique de la sorption et de la désorption du Cs+, Ni2+ et des lanthanides (Ln3+) sur les minéraux argileux en fonction de la température
4.1 Introduction
4.2 Sorption et désorption du césium
4.2.1 Sorption de Cs+ à 25°C
4.2.2 Effet de la température sur la sorption du Cs+
4.2.3 Etude de désorption du Cs+ sur une montmorillonite-Na
4.3 Sorption et désorption des lanthanides
4.3.1 Sorption de Eu3+ à 25°C
4.3.2 Effet de la température sur la sorption de Eu3+
4.3.3 Etude de désorption du Eu3+ sur une montmorillonite-Na
4.3.4 Compétition éventuelle des 14 lanthanides lors de la phase de sorption
4.4 Sorption du nickel
4.4.1 Sorption de Ni2+ à 25°C
4.4.2 Effet de la température sur la sorption du Ni2+
4.5 Enthalpies de sorption de Cs+, Ni2+ et Ln3+ sur les phyllosilicates – Interprétations
5 Propriétés acido/basiques de surface de la montmorillonite et de la kaolinite. Etude expérimentale et modélisation
5.1 Introduction
5.2 Méthode et résultats expérimentaux
5.2.1 Calcul de la densité de charge surfacique
5.2.2 Comparaison des données obtenues par les méthodes continue et discontinue (méthode batch)
5.2.3 Effet de la force ionique et de la température sur la densité surfacique de charges de la montmorillonite et de la kaolinite
5.3 Modélisation des propriétés acido-basiques de surface de la montmorillonite et de la kaolinite
5.3.1 Tests et discussion des modèles proposés dans la littérature
5.3.2 Modèle proposé dans cette étude
5.4 Conclusion
6 Etude microscopique de la réaction de sorption de Eu(III) en température – Modélisation des réactions d’adsorption
6.1 Généralités sur la technique SLRT
6.2 Résultats expérimentaux de SLRT
6.2.1 Spéciation aqueuse de Eu(III)
6.2.2 Précipités de Eu(III)
6.2.3 Interactions Eu(III)/minéraux argileux
6.2.4 Conclusion de l’étude spectroscopique
6.3 Modèle mécanistique et numérique de l’adsorption
7 Etude macroscopique de la sorption des lanthanides sur un basalte par des expériences en colonnes – Modélisation dynamique
7.1 Bibliographie
7.2 Caractérisation et méthodes
7.2.1 Caractéristiques du basalte étudié
7.2.2 Méthodes expérimentales
7.3 Résultats expérimentaux
7.3.1 Résultats des expériences en colonne
7.3.2 Résultats des expériences batch
7.4 Modélisation
7.4.1 Modélisation des données issues des expériences en batch
7.4.2 Modélisation des données de sorptions issues des expériences de percolation
Conclusion générale
Références Bibliographiques
Liste des tableaux
Liste des figures
Annexes
Annexe n°1 : Protocole de lavage et rinçage de la montmorillonite
Annexe n°2 : Concentrations des éléments traces exprimées en mol/L utilisées pour les expériences de sorption
Annexe n°3 : Protocoles de mesures et de calcul des pH
Annexe n°4 : Méthode d’analyse des éléments traces
Annexe n°5 : Coefficients de distribution de Cs+, Ni2+ et Eu3+ obtenus avec la montmorillonite-Na et la kaolinite, en fonction du pH, de la force ionique et de la température
Annexe n°6 : Données expérimentales relatives aux titrages acido/basiques des minéraux argileux, obtenues par la méthode continue.
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