Étude génomique des fonctions du facteur de transcription Otx2 dans la rétine de souris adulte

La question générale posée par la biologie du développement est de comprendre comment à partir d’un zygote transmettant une information génétique identique à toutes ses cellulesfilles, un organisme parvient à se développer dans toute sa complexité avec des cellules, des tissus et des organes spécialisés. Pour ce faire, chaque cellule va exprimer un répertoire spécifique de gènes, lui permettant d’acquérir une identité propre. Ce lien entre identité et gènes exprimés est si fort qu’on définit un type cellulaire par les différents marqueurs qu’il exprime spécifiquement par rapport à d’autres types cellulaires. Dans les situations pathologiques, les gènes s’exprimant à tort sont particulièrement intéressants car ils constituent un moyen d’identifier et de corriger ou de détruire les cellules qui dysfonctionnent.

Nous savons aujourd’hui que l’expression des gènes résulte de l’action combinée de deux types de facteurs :
– Les facteurs extrinsèques, qui sont les molécules de signalisation et tout autre signal perçu par la cellule et auquel celle-ci est sensible
– Les facteurs intrinsèques, qui sont l’ensemble des protéines que la cellule exprime, responsables de la réponse de celle-ci : récepteurs, voies de signalisation, facteurs de transcription ; mais aussi l’état de la chromatine.

Ce sont les facteurs de transcription qui interviennent en bout de chaîne, et qui sont donc les éléments décisifs sur lesquels nous devons porter une attention particulière. Ils ont souvent une multiplicité de rôles connus et identifiés. Parmi ceux-ci, les homéogènes sont sans doute les effecteurs les plus impressionnants car ils sont les chefs d’orchestre qui coordonnent des programmes de développement complets amenant à la formation des organes. Après une étude détaillée du rôle de ces acteurs à l’échelle phénotypique, nous sommes entrés dans l’ère moléculaire où les gènes cibles précis ainsi que la combinatoire d’un facteur de transcription deviennent accessibles.

Le facteur de transcription homéotique Otx2 contrôle des fonctions essentielles au cours du développement et, étonnamment pour une protéine ayant un rôle aussi développemental, continue à être exprimé à l’âge adulte, notamment au niveau de la rétine.

Le fonctionnement de ce facteur de transcription au niveau de la rétine de souris adulte est étudié dans le présent travail à différents niveaux :
– caractérisation des fonctions précises de ce facteur de transcription par une approche de puces à ADN en condition de knockout conditionnel inductible,
– identification des sites de liaison de ce facteur de transcription par une approche d’immunoprécipitation de la chromatine suivie de séquençage de masse,
– développement d’outils permettant l’identification des partenaires protéiques de ce facteur de transcription in vivo.

OTX2 : UN FACTEUR DE TRANSCRIPTION AUX FONCTIONS MULTIPLES

PRESENTATION DE LA FAMILLE OTX

La famille Otx est composée d’au moins trois paralogues chez les gnathostomes, principal groupe des vertébrés : Otx1, Otx2 et Otx5/Crx. Ceux-ci sont les plus fréquemment retrouvés et conservés à travers les espèces, bien que certains poissons puissent avoir plus de 6 membres de cette famille génique. Les premiers représentants de cette famille ont été identifiés il y a plus de 20 ans (Simeone et al. 1992). Il y a une forte conservation entre espèces (figure 1) dans cette famille génique qui joue un rôle majeur dans le développement des structures antérieures dans divers organismes. Celle-ci est telle qu’il est possible d’échanger différents représentants de la famille génique originaires d’espèces différentes pour assurer les fonctions essentielles : c’est le cas des gènes humains OTX1 et OTX2 prenant le relais chez la drosophile dont le gène otd est mutant (Leuzinger et al. 1998). La réciproque est également vraie : otd peut corriger une grande partie des défauts chez les souris knockout Otx1 (Acampora et al. 1998a) et enfin Otx2 peut remplacer Otx1 (Acampora et al. 1998b).

Tous les membres de la famille Otx ont un homéodomaine extrêmement conservé des facteurs de transcription paired-like du type bicoïd, possédant une Lysine en 50ème position, qui est le 9ème acide aminé de la troisième hélice alpha (Galliot et al. 1999). Cet homéodomaine de 61 acides aminés ne diffère que de quelques acides aminés (moins d’une douzaine) entre les espèces dans lesquelles sa séquence est connue. Il se lie à l’ADN en ciblant spécifiquement la séquence 5’-TAATCC-3’ (Chatelain et al. 2006).

BIOLOGIE MOLECULAIRE DU GENE OTX2 

Le gène Otx2 murin possède une organisation semblable à celle du gène OTX2 humain, avec 8 exons dont les 3 derniers codent les deux isoformes connues de protéines Otx2 et Otx2L (Courtois et al. 2003) (figure 2A). Il possède également 3 promoteurs alternatifs. Le promoteur A, le plus en amont du gène, est exprimé principalement chez l’adulte, au niveau de l’œil, tandis que le plus proche du gène, le promoteur C, s’exprime plutôt dans les stades embryonnaires précoces (Fossat et al. 2005). Des souris mutantes pour le site d’épissage 5’ de l’exon 1 permettent en théorie d’obtenir des souris n’exprimant la protéine Otx2 que par le biais du promoteur C. Celles-ci ne présentent pas les défauts les plus précoces liés à l’invalidation du gèneOtx2, mais leur développement embryonnaire est caractérisé par une réduction importante du développement de la tête (Acampora et al. 2001).

Ainsi, les promoteurs A et B interviennent dans les phases plus tardives de développement. La régulation de l’expression du gène Otx2 dépend de séquences très distales, au-delà de 90 kb en amont et 115 kb en aval du site d’initiation de la traduction (Kurokawa et al. 2004a; Kurokawa et al. 2004b). Cependant, quel que soit le promoteur ou le tissu, seules deux isoformes de la protéine sont produites (figure 2B et 2C). Ces deux isoformes sont très proches car elles ne diffèrent que de 8 acides aminés (GPWASCPA) codés par 24 paires de bases ajoutées au niveau de l’exon 2 dans la forme longue de la protéine Otx2, notée Otx2L. Cette forme longue est minoritaire, mais l’élongation se trouvant juste en amont de l’homéodomaine elle pourrait modifier les propriétés de liaison à l’ADN. Son rôle reste encore à élucider. In vitro, les deux formes de protéines Otx2 présentent la même activité transactivatrice. L’analyse en western-blot de chaque isoforme montre la présence de 2 espèces, d’un poids moléculaire apparent supérieur à la valeur théorique, suggérant que les protéines Otx2 et Otx2L subissent des modifications post traductionnelles (nos données non publiées). Cependant, jusqu’à aujourd’hui, aucun site de phosphorylation ou de modification post-traductionnelle n’est encore décrit pour ces protéines.

ROLES MULTIPLES DU FACTEUR DE TRANSCRIPTION OTX2

Pourtant, malgré le peu de variation structurelle de ce facteur de transcription, il a été possible de montrer son implication dans des processus développementaux extrêmement diversifiés, allant des stades les plus précoces et essentiels à des rôles très fins et précis dans des tissus spécialisés.

GASTRULATION ET ETABLISSEMENT DE L’AXE ANTERO-POSTERIEUR

Le gène codant pour le facteur de transcription Otx2 est exprimé très précocement dans le développement puisque des ARNm sont détectés dès 3,5 jours après fécondation (Kimura et al. 2001). Son expression est retrouvée deux jours plus tard dans l’endoderme viscéral et l’épiblaste de l’embryon. L’expression du gène Otx2 est plus forte du côté distal de cet endoderme avant gastrulation. Ces cellules vont migrer vers le jour embryonnaire 6 pour former l’endoderme viscéral antérieur, établissant ainsi l’axe antéro-postérieur (Kimura et al. 2000).

Dans le cas de souris mutantes Otx2-/- , la migration de l’endoderme viscéral distal n’a pas lieu. La réexpression d’un ADNc Otx2 dans ce tissu la rétablit. Cette migration dépend donc strictement de l’expression du gène Otx2 dans l’endoderme viscéral distal (Kimura et al. 2000). En conséquence, chez les embryons mutants Otx2-/- , la gastrulation n’a pas lieu correctement. Observés 8,5 jours après fécondation, les embryons homozygotes mutants ont une taille extrêmement réduite comparée à des hétérozygotes ou des homozygotes sauvages (Acampora et al. 1995) (figure 3). Ils sont incapables d’établir un axe antéropostérieur complet. L’absence totale de protéine Otx2 conduit à l’absence de prosencéphale et de mésencéphale, ainsi que de la région antérieure du rhombencéphale, le premier rhombomère (marqué par Pax2) ne pouvant se former. Pour mieux comprendre la fonction du gène Otx2 dans ces stades développementaux précoces, des souris chimères composées de cellules sauvages et de cellules homozygotes mutantes pour le gène Otx2 ont été produites (Rhinn et al. 1998). En rétablissant une expression partielle du gène Otx2 dans ces souris chimères, il a été possible de rétablir la formation d’une plaque neurale. Ce rétablissement présente une caractéristique impressionnante puisqu’il suffit que les cellules de l’endoderme viscéral antérieur expriment Otx2 pour que le neuro-ectoderme soit induit correctement, même avec tout l’épiblaste Otx2-/- . L’expression du facteur de transcription Otx2 dans l’endoderme viscéral antérieur est donc nécessaire et suffisante pour réprimer les signaux postériorisants de l’épiblaste, les cellules mutantes pouvant participer à la formation de cette plaque (Rhinn et al. 1998). Mais très rapidement, une autre fonction du gène Otx2 intervient : cette plaque neurale ne pourra pas se différencier correctement en son absence. Les chimères n’exprimeront pas ou peu certains marqueurs du cerveau antérieur tels que Six3, Hesx1, Rpx ou encore Pax2 qui marque la limite entre mésencéphale et métencéphale.

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Table des matières

RESUME
ABSTRACT
INTRODUCTION
I) Otx2 : un facteur de transcription aux fonctions multiples
A) Présentation de la famille Otx
B) Biologie moléculaire du gène Otx2
C) Rôles multiples du facteur de transcription Otx2
1) Gastrulation et établissement de l’axe antéro-postérieur
2) Régionalisation et maturation du cerveau antérieur
3) Identité du mésencéphale
4) Cervelet
5) Développement des organes sensoriels
6) Autres fonctions connues
7) Pathologies associées
II) La rétine de souris adulte
A) Structure de la rétine de souris
1) La rétine neurale
2) La rétine pigmentée
B) Développement de la rétine de souris
1) Spécification de la rétine pigmentée
2) Spécification de la rétine neurale
3) Développement
C) Otx2 dans la rétine
1) La rétine pigmentée
2) Les photorécepteurs
3) Les cellules bipolaires
4) La rétine adulte
III) Apport des Techniques d’études Genomiques à la compréhension mécanistique
des facteurs de transcription
A) Connaissances mécanistiques des fonctions d’Otx2
1) Les gènes cibles
2) Les partenaires protéiques
B) Apports de la génomique
1) Transcriptome
2) Séquençage de masse : RNA-seq et ChIP-seq
3) Interactome
OBJECTIFS
RESULTATS
I) Mécanisme de dégénérescence des photorécepteurs dans le modèle de souris selfknockout Otx2
II) Fonctionnement d’Otx2 dans la rétine neurale et dans la rétine pigmentée
III) Production d’outils permettant d’identifier l’interactome d’Otx2
A) Matériel et Méthodes
1) Cellules Embryonnaires Souches
2) Purification de complexes protéiques
3) Souris Otx2-TAP-tag
B) Production d’une souris Otx2-TAP-tag
C) Purifications protéiques
DISCUSSION
I) Rôle du facteur de transcription Otx2 dans la rétine de souris adulte
A) Fonctions D’Otx2 dans la rétine de souris adulte
B) Sites de liaison d’Otx2 dans le génome de souris adulte
C) La lignée self-knockout : un modèle de pathologies rétiniennes
II) Bases moléculaires de l’action d’Otx2 dans la rétine de souris adulte
A) Un mécanisme cellule non-autonome
B) Chromatine et Interactome
III) Vers une vision intégrative de la régulation génique
A) Pertinence des gènes à proximité des sites de liaison d’Otx2
B) Plasticité des cellules de la rétine
C) Perspectives de chronomique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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