Évolution de la viviparit
Définitions
Dans le règne animal, les stratégies de reproduction prédominantes sont l’oviparité et la viviparité. Chez les animaux ovipares, le développement embryonnaire a lieu dans l’œuf pondu à l’extérieur de l’organisme maternel, alors que chez les animaux vivipares, les femelles portent leurs œufs jusqu’au terme du développement et donnent naissance à des jeunes vivants (Blackburn 1994). Cependant, l’existence de différentes sources de nutriments pour assurer le développement des jeunes avant la naissance a compliqué la distinction entre les modes de reproduction. On peut distinguer les espèces lécithotrophes, où les nutriments proviennent du vitellus, et les espèces matrotrophes, où les nutriments proviennent directement de la mère (souvent via un placenta). Lécithotrophie et matrotrophie sont des extrêmes d’un continuum, à part pour les mammifères euthériens, et donc les espèces sont classifiées selon la source prédominante des nutriments (Stewart 1992; Blackburn 1999). Toutes les combinaisons entre mode de développement embryonnaire et origine des nutriments existent et les espèces vivipares ne sont pas toujours matrotrophiques .
La viviparité est le mode de reproduction quasi-exclusif des mammifères (seules les quelques espèces de mammifères monotrèmes, comme l’ornithorynque, sont ovipares) mais d’autres organismes sont également concernés (Blackburn 1999) : il existe des espèces vivipares parmi les arthropodes, les mollusques, les échinodermes et les tuniciers (voir les références dans Lombardi 1996), chez les vertébrés, quelques espèces d’amphibiens (Wake 1993) et de poissons osseux (Dulvy & Reynolds 1997) sont vivipares (2-3%), alors que c’est le cas chez la majorité (environ 60%) des poissons cartilagineux (requins et raies) (Goodwin et al. 2002) et beaucoup (environ 20%) de squamates (lézards et serpents) (Blackburn 2006). Le modèle squamate est utilisé depuis de nombreuses années pour l’étude de l’évolution de la viviparité. À part des avantages pratiques, tels qu’une facilité de capture et de mise en élevage, ce modèle est intéressant pour plusieurs raisons (Blackburn 2006) : (i) les origines indépendantes de la viviparité sont extrêmement nombreuses (> 100), ce qui représentent 76% des origines de la viviparité chez les vertébrés, (ii) avec 20% d’espèces vivipares, ce groupe est le deuxième en nombre d’espèces, (iii) la viviparité a souvent évolué récemment (Pléistocène : 0,1-2,5 Ma), (iv) la viviparité est apparue à des niveaux taxonomiques faibles (au niveau du genre ou même de l’espèce) et il existe au moins trois espèces avec une bimodalité reproductrice : Lerista Bougainvillii (Qualls & Shine 1998a) et Saiphos equalis (Smith & Shine 1997) en Australie et Zootoca vivipara (Surget-Groba et al. 2006) en Europe (voir aussi Tinkle & Gibbons 1977 pour d’autres exemples possibles). L’utilisation des squamates dans de nombreuses études a abouti à un cadre conceptuel solide sur l’évolution de la viviparité chez les squamates.
Théories sur l’évolution de la viviparité chez les squamates
La viviparité est une stratégie de reproduction à laquelle est associée différents avantages et inconvénients (Encadré 2). Néanmoins, le climat et les effets maternels sont reconnus comme étant les forces évolutives majeures de la viviparité. Ces deux hypothèses (et les autres présentées dans l’encadré) ne sont pas incompatibles entre elles, et ce qui est déterminant pour comprendre l’évolution de la viviparité est leur importance relative, qui peut d’ailleurs variée selon la biologie des espèces et les conditions environnementales (latitude, taux de prédation, etc.…). Il faut rappeler que les lézards, comme tous les squamates, sont des animaux ectothermes. Ils ne régulent pas eux-mêmes leur température interne qui dépend de la température du milieu (Huey 1982). Leur comportement de thermorégulation actif leur permet néanmoins de maintenir une température donnée pour optimiser les différents processus physiologiques, par exemple digestion ou vitesse de course (Van Damme et al. 1991).
L’hypothèse des climats froids soutient que la viviparité a évolué suite aux avantages conférés par un temps de développement embryonnaire réduit (Shine 1983) : les jeunes incubés dans l’organisme maternel à des températures élevées se développent plus rapidement que les jeunes incubés à l’extérieur. Un temps de développement plus court limite le risque d’un échec de développement du à des conditions climatiques délétères, et aussi procure une saison d’activité plus longue, ce qui confère des avantages sur la croissance et la survie des jeunes après la naissance. Cette hypothèse est soutenue par de nombreux résultats expérimentaux (e.g. Braña & Ji 2007; Radder et al. 2008; Wapstra et al. 2010; RodríguezDíaz & Braña 2011) et l’observation que les espèces vivipares sont souvent dans des endroits plus froids, à des latitudes ou à des altitudes plus élevées (Shine 1983; mais voir aussi Tinkle & Gibbons 1977; Guillette 1993). Néanmoins, la distribution actuelle des espèces vivipares peut refléter la nécessité de la viviparité pour coloniser des habitats plus rudes et non pas l’importance de la sélection liée au climat pour son apparition (Tinkle & Gibbons 1977). De plus, l’hypothèse des climats froids ne s’applique pas aux espèces vivipares dans les tropiques.
L’hypothèse de manipulation maternelle soutient que la thermorégulation active des femelles pendant la gestation peut conférer un avantage lors du développement embryonnaire non pas parce que le développement est accéléré mais parce qu’il est amélioré. En fournissant une température plus optimale aux jeunes, les femelles produisent des jeunes avec un meilleur phénotype (Shine 1995). Cette hypothèse est également supportée par des résultats expérimentaux (e.g. Qualls & Andrews 1999; Ji et al. 2007; Li et al. 2008), et d’ailleurs n’est pas opposée à l’hypothèse des climats froids : les femelles peuvent sélectionnées des températures qui à la fois accélèrent et améliorent le développement des jeunes (e.g. Rodríguez-Díaz et al. 2010). Cette hypothèse est plus générale, et souligne aussi un possible effet de la variance de la température d’incubation plutôt que de la moyenne (Shine 2004; Webb et al. 2006). D’autre part, la manipulation maternelle n’est pas limitée aux effets liés au climat. Il existe d’autres effets maternels pendant la gestation qui augmentent la valeur sélective des jeunes produits, e.g. préadaptation à la présence d’un prédateur (Downes & Shine 1999). L’existence d’effets maternels plus importants pourrait ainsi être un avantage majeur de la viviparité.
Lors de cette thèse, je me suis basée sur ce cadre conceptuel pour étudier plus précisément certains des inconvénients et avantages principaux liés à la viviparité au sein d’une espèce de lézard. J’ai utilisé le lézard vivipare, Zootoca vivipara, pour ce travail car la viviparité a évolué récemment dans cette espèce et c’est une des rares espèces au sein de laquelle on peut trouver à la fois des femelles ovipares et vivipares. Une grande partie de mon travail est basée sur l’étude des coûts de la reproduction et des effets maternels.
Contexte de l’étude en écologie évolutive
Les coûts de la reproduction
La valeur sélective d’un individu peut être approximée par son succès reproducteur total (sur l’ensemble de sa vie) et peut être maximisée par différentes stratégies. Effectivement, il existe des compromis entre les différents traits d’histoire de vie, par exemple, un individu ne peut pas investir indépendamment et sans limite dans sa croissance et sa production de descendants. Ces compromis sont liés au fait qu’il existe des corrélations génétiques et/ou physiologiques entre l’expression de plusieurs traits (Stearns 1992; Roff 2002). L’étude de ces compromis évolutifs a mis en évidence que l’investissement dans la reproduction peut résulter en une diminution de la survie ou de la fécondité future des individus reproducteurs (diminution de leur valeur reproductive résiduelle (Fisher 1930; Williams 1966)). L’existence de tels coûts relève de coûts de reproduction intra-générationnels. Ces coûts de reproduction intra-générationnels ont souvent été mis en évidence grâce à des manipulations expérimentales de l’effort reproducteur, et en particulier avec des manipulations de la taille de portée/ponte (souvent augmentation mais parfois diminution ou élimination de la reproduction) : chez les oiseaux (e.g. Dijkstra et al. 1990; Golet et al. 1998; Visser & Lessells 2001; Hanssen et al. 2005), mammifères (e.g. Oksanen et al. 2002; Koivula et al. 2003; Bårdsen et al. 2009), insectes (e.g. Maynard Smith 1958; Buzatto et al. 2007) et squamates (e.g. Landwer 1994; Miles et al. 2000; Cox & Calsbeek 2010). Les approches nonexpérimentales reposent sur des corrélations entre effort reproducteur et survie ou fécondité future, par exemple à l’aide de suivis individuels en conditions naturelles (e.g. Clutton-Brock et al. 1983; Zink 2003; Descamps et al. 2009a; Massot et al. 2011).
|
Table des matières
Chapitre 1. Introduction générale
1.1. Évolution de la viviparité
1.2. Contexte de l’étude en écologie évolutive
1.3. Approches utilisées et questions abordées
Chapitre 2. Ajustement de la reproduction
2.1. Déterminants de l’investissement reproducteur
2.2. Étude menée chez le lézard vivipare
2.3. Synthèse
Chapitre 3. Coûts de la gestation
3.1. Coûts de la gestation chez les squamates
3.2. Étude expérimentale et comparative chez le lézard vivipare
3.3. Synthèse
Chapitre 4. Effets maternels
4.1. Effets maternels et viviparité
4.2. Tests expérimentaux sur les effets maternels chez le lézard vivipare
4.3. Effets de l’âge grand-maternel
4.4. Synthèse
Chapitre 5. Conclusions
5.1. Chez le lézard vivipare et les squamates
5.2. Perspectives
Bibliographie
Annexe 1 : L’accouplement n’influence pas l’investissement dans la reproduction, chez un lézard vivipare
Annexe 2 : Les précipitations actuelles et la corpulence passée affectent l’investissement dans la reproduction chez un lézard vivipare
Annexe 3 : Une réduction expérimentale de la taille de portée révèle des coûts de la gestation et des effets décalés sur les descendants chez un lézard vivipare
Annexe 4 : Méthodes et résultats d’une diminution expérimentale de la taille de portée pendant la gestation à l’aide d’une manipulation hormonale
Annexe 5 : Coûts du début de la reproduction chez des lézards ovipares et vivipares conspécifiques : une étude expérimentale
Annexe 6 : Incubations in vitro d’embryons vivipares de lézards
Télécharger le rapport complet