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Les perspectives d’évolution des réseaux de chaleur
Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), les réseaux de chaleur sont amenés à prendre une part de plus en plus importante parmi les moyens de chauffages existants [22]. D’après Lund et al. [16], cette part peut atteindre jusqu’à 60 % du marché de la chaleur dans les pays d’Europe occidentale d’ici à quelques décennies (contre 10 % en moyenne aujourd’hui) [7].
Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, la France s’est fixé un objectif de 23 % de l’énergie finale consommée d’origine renouvelable, d’ici à 202012. Il y est prévu qu’un quart de l’augmentation absolue de la consommation d’EnR&R soit supportée par les réseaux de chaleur. Le scénario privilégié pour atteindre cet objectif est de tripler la taille du réseau (par rapport à 2006) et de transformer le réseau afin d’arriver à 76 % d’EnR&R dans le mix énergétique. Avec 2,2 millions d’équivalent logement raccordés en 2013, cet objectif ambitieux est loin d’être atteint (Figure 7).13
Concrètement, les perspectives d’évolution et la future compétitivité des réseaux de chaleur reposent sur trois facteurs qui ont été identifiés à l’issue d’une étude réalisée sur 1 700 quartiers, dans 83 villes, à travers quatre pays [24]. Il s’agit de la forme urbaine (densité), de la concurrence sur le marché de la chaleur et de l’évolution des réseaux d’aujourd’hui (le choix d’un mode de chauffage engage pour plusieurs décennies). Un réseau de chaleur a tout intérêt à se densifier et à raccorder un maximum d’usagers au réseau existant afin de répartir les coûts fixes et de fournir plus pour des pertes thermiques égales.
Pour répondre aux besoins d’extension, de modernisation et d’amélioration des réseaux de chaleur, en France, le fond chaleur a été créé en 2009. Son objectif est de subventionner ou financer des projets de « chaleur renouvelable », que ce soit pour l’habitat collectif, le tertiaire ou l’industrie. Sa gestion locale est assurée par le biais de l’ADEME.
Par ailleurs, en France, depuis 1974, la réglementation thermique dicte la conduite à tenir en matière de construction et de rénovation dans le bâtiment. En particulier, une consommation limite d’énergie primaire est imposée. La réglementation la plus récente, la RT-2012, impose une consommation limite d’énergie primaire de 50 kWh/m2/an (modulée selon la localisation géographique, entre autres) pour la norme BBC (Bâtiment basse consommation). La RT-2012 impose également, pour les maisons individuelles, une exigence de moyens sur l’utilisation d’EnR. Parmi les moyens envisageables se trouve le raccordement à un réseau de chaleur alimenté à plus de 50 % par de l’EnR&R [13].
La question qui se pose alors est la suivante : quel avenir pour les réseaux de chaleur dans les quartiers de BBC ? En effet, une consommation d’énergie en diminution se traduit par des ventes d’énergie proportionnellement moindres ; ce qui entraîne invariablement une réduction de la viabilité économique des réseaux de chaleur. La réponse se trouve peut-être dans le développement des réseaux à basse température (BT). Effectivement, à débit constant, si la puissance diminue, alors la différence de température entre les circuits de départ et de retour va diminuer également ; ce qui peut permettre de fonctionner à plus basse température.
Du fait de leur température de fonctionnement peu élevée (<60 °C), les réseaux « basse température » présentent de plus faibles pertes thermiques et permettent de valoriser l’énergie issue des sources d’énergies à très basse température : les eaux usées (10-20 °C), la géothermie superficielle (20-30°C) ou la chaleur fatale issue des centrales électriques nucléaires (40 °C) par exemple. La température est ensuite rehaussée avec une pompe à chaleur. C’est le cas du réseau de chaleur du campus de Paris-Saclay, actuellement en projet, qui va récupérer de l’énergie dans la nappe de l’Albien (géothermique profonde ~700 m) pour alimenter des pompes à chaleur.
Les réseaux de chaleur sont amenés à prendre une place de plus en plus importante dans les grandes agglomérations. Ce développement est contraint par la nécessité de s’adapter aux nouvelles énergies et aux nouveaux profils de consommation. En particulier, les profils de consommation thermique des BBC se distinguent par une demande de chaleur plus faible pour le chauffage, mais des pics de consommation pour l’approvisionnement en ECS qui, eux, sont inchangés. En définitive, il en résulte que les pics de consommation sont relativement plus marqués.
Le stockage de l’énergie est un moyen judicieux pour améliorer la viabilité économique et écologique des réseaux de chaleur, comme cela va être présenté par la suite.
Le stockage thermique
Cette partie traite des systèmes de stockage de l’énergie thermique sous toutes leurs formes : « sensible », « latente » et thermochimique ; journalière et intersaisonnière ; localisée et délocalisée. Une fois cette présentation réalisée, des exemples de réalisations sont donnés. Un premier constat est que les systèmes existants sont tous à énergie « sensible ». La question de l’intégration d’un système de stockage d’énergie thermique par changement de phase sur un réseau de chaleur est alors soulevée.
Le stockage de l’énergie est pressenti comme un enjeu majeur du XXIe siècle [25-27]. C’est, selon Jeremy Rifkin, le 3e des cinq piliers de la troisième révolution industrielle. En outre le développement du stockage de l’énergie sous sa forme « thermique » apparaît comme étant un outil pouvant participer à la compétitivité de nombreux domaines et technologies : les réseaux de chaleur et de froid, mais aussi les centrales solaires thermiques à concentration, l’industrie agroalimentaire, l’habitat, l’électronique, etc.
Le stockage d’énergie thermique a connu ses premières heures de gloire dans les années 80, suite au premier pic pétrolier de 1973. Après ce premier engouement, et tandis que le pétrole redevient bon marché, l’intérêt porté au stockage d’énergie thermique s’estompe. Enfin, depuis le début du millénaire, le nombre de travaux publiés relatifs à ce domaine d’étude augmente exponentiellement (Figure 8).
Sur le graphique ci-dessus, le nombre de publications recensées, entre 2000 et 2014, a octuplé. Néanmoins, pour remettre ce graphique dans le contexte, il faut noter que le nombre total d’articles scientifiques publiés annuellement et recensé par SCOPUS a doublé entre 2000 et 2014. En conséquence, l’augmentation du nombre de publications sur le thème du stockage thermique ne peut pas être attribuée seulement à l’augmentation du volume de publications à l’échelle du globe.
L’intégration d’un système de stockage sur un réseau de chaleur
Les intérêts du stockage
Un réseau de chaleur est caractéristique en ce que son fonctionnement est soumis à de fortes variations de la charge au cours de la journée, de la semaine et de la saison. En conséquence, les avantages liés à l’intégration d’un système de stockage sur un réseau de chaleur sont multiples [28-30], il s’agit de gains énergétiques (valorisation & récupération d’énergie fatale, fonctionnement au nominal) et économiques (meilleurs rendements, optimisation de la tarification horaire), mais cela permet aussi de limiter les séquences d’arrêt/redémarrage des centrales auxiliaires et de diminuer la puissance d’appoint installée [31]. En définitive, cela permet des réductions globales du prix de l’énergie, tout en diminuant les consommations d’énergies primaires et les émissions de GES.
Les principales possibilités qui s’ouvrent aux gestionnaires de réseau via l’intégration d’un système de stockage thermique sont les suivantes :
L’arbitrage énergétique : c’est la possibilité de choisir quelle source d’énergie utiliser parmi plusieurs disponibles, en fonction de leur prix par exemple, et ce indépendamment de la disponibilité immédiate de ces sources. Le stockage permet alors d’augmenter le taux d’utilisation d’une ressource ou d’optimiser le rapport des prix de vente et de production.
Le lissage de la courbe de production : les moyens de production ont un fonctionnement au plus proche de la demande pour éviter les pertes, ce qui entraîne des fluctuations du régime de fonctionnement. Si les surplus de production sont stockables et que les pointes de consommation sont garantissables en déchargeant l’énergie stockée, alors il est possible de faire fonctionner les moyens de productions à leur point de fonctionnement nominal : la courbe de production est ainsi lissée. La centrale de production fonctionne alors à son régime nominal où le rendement de l’installation est optimisé et sa durée de vie prolongée car le fonctionnement est stable et régulier. L’intégration d’énergies renouvelables intermittentes est facilitée, c’est en particulier le cas pour le solaire thermique, extrêmement intermittent, avec des variations aussi bien journalières (jour/nuit) qu’annuelles (saisons). Les systèmes de stockage permettent de pallier ce problème de déphasage entre la disponibilité et la demande en énergie.
La valorisation d’énergies fatales. Une quantité d’énergie est dite « fatale » si elle est inutilisable au cours ou à l’issue du procédé qui est à l’origine de sa formation. Dans le cas des réseaux de chaleur, les énergies fatales récupérables sous forme de chaleur sont issues de procédés industriels, de l’incinération des ordures ménagères, du refroidissement de centre de données,… Ces énergies fatales thermiques sont, par définition, générées par un procédé dont le but n’est pas la production de chaleur. Par conséquent, les rejets thermiques induits par ledit procédé ne sont pas forcément en phase avec une demande d’énergie. Le système de stockage permet de pallier ce problème de déphasage entre la disponibilité et la demande en énergie.
La garantie capacitaire pour assurer le secours ou les pointes de consommation, voire pour la maintenance. Il a été dit que les réseaux de chaleur subissent de fortes variations de charge au cours de la journée, ce qui nécessite au moins une chaudière pour assurer la base et une seconde pour les pointes. En couplant un système de stockage à une chaudière unique le même résultat peut être obtenu.
Le système de stockage peut donc être installé à la place d’une chaudière : il apparaît alors que l’investissement pour l’intégration du système de stockage n’est pas un surplus puisqu’il vient en lieu et place de la chaudière secondaire.
L’aide au traitement des congestions du réseau. Un réseau de chaleur est continuellement amené à évoluer. De ce fait, certaines conduites initialement dimensionnées pour le passage d’une puissance donnée peuvent s’avérer insuffisante à la suite de l’agrandissement du réseau en aval d’un point donné. Ce point devient donc un goulot d’étranglement. En particulier, en aval d’un goulot d’étranglement, les sous-stations ne sont pas suffisamment alimentées, ce qui entraîne une modification de la température de production (la régulation est réalisée de telle sorte que la fourniture d’énergie est toujours assurée aux sous-stations les plus critiques, cf. Chapitre 1, §1.1.4, p.2). Il en résulte que la température du réseau entier est augmentée, alors que le problème est local. Un système de stockage en aval de la zone de congestion peut suffire à désengorger localement le réseau.
Le couplage à une centrale de cogénération. Parmi les nombreux atouts d’un système de stockage thermique, son couplage à une unité de cogénération est prometteur [32]. En effet, les unités de cogénération sont contraintes par la production, soit d’électricité soit de chaleur, selon ce pour quoi elles ont été installées. Il en résulte que l’un des deux vecteurs énergétiques est dépendant de l’autre. Or les prix spot des deux vecteurs ne sont pas nécessairement élevés au même instant. Les systèmes de stockage thermique prennent alors tout leur sens dans ce contexte. Effectivement, l’énergie électrique peut être produite au moment opportun pendant que l’énergie thermique est stockée et valorisée ultérieurement, quand elle sera plus intéressante économiquement. Bien que la combinaison « stockage thermique & cogénération » soit de plus en plus étudiée dans le monde [32-37], ce n’est pas le cas de la France. En effet, en France, peu de systèmes de cogénération existent du fait des faibles coûts de l’électricité.
Journalier ou intersaisonnier
Il est nécessaire de distinguer deux besoins différents de stockage thermique :
– Le stockage intra-saisonnier, ou journalier (stockage la nuit et déstockage le jour par exemple) ;
– Le stockage intersaisonnier (charge en été et décharge en hiver).
Dans le premier cas le système va être beaucoup sollicité, parfois plusieurs fois par jour. Ce qui signifie qu’il doit être conçu pour résister à un très grand nombre de cycles de charge et de décharge. Par ailleurs, le système doit être réactif et son dimensionnement en puissance est essentiel. En effet, ce type de réservoir de stockage va servir pendant les pics de consommation qui sont caractérisés par une forte intensité sur un temps très court.
Concernant les systèmes de stockage intersaisonnier, la problématique est différente. L’énergie récupérée et stockée en été est généralement bon marché, voire gratuite (solaire, chaleur fatale,…). L’isolation du système est un paramètre clé, qui va permettre d’assurer la pérennité du système d’une saison à l’autre. En tout état de cause, la viabilité économique d’un système ne subissant qu’une seule charge et décharge par un an est difficile à obtenir. Pratiquement, ces systèmes fonctionnent sur des cycles plus courts durant les mi-saisons. Les énergies mises en jeu sont alors relativement faibles en regard de la capacité du système.
Le stockage d’énergie à l’échelle de l’heure se fait en surchauffant le réseau à un instant donné en prévision d’une consommation accrue dans les heures qui suivent. Le matériau de stockage, dans ce cas, est le réseau de chaleur lui-même. De même, le contexte des SmartGrids et la mise en place de l’effacement consiste à utiliser les bâtiments des usagers comme milieu de stockage. La température de consigne est alors sciemment dépassée, quelques heures avant le pic de consommation attendu. L’inertie du bâtiment va être utilisée comme appoint pour diminuer le chauffage dans les heures qui suivent sans pour autant que la température du bâtiment descende en dessous de la température de consigne.
Centralisé ou délocalisé
Le réservoir de stockage peut être délocalisé, c’est-à-dire situé au niveau d’une ou de plusieurs sous-stations, ou alors centralisé et installé en proximité de la centrale de chauffe.
Dans le cas d’un système de stockage thermique délocalisé, la contrainte principale est la taille. Le réservoir doit pouvoir s’intégrer au décor urbain ou être installé en local technique, dans les deux cas il faut qu’il soit compact. Au contraire, à proximité des centrales thermiques la place n’est généralement pas un facteur limitant. Qui plus est, les gammes de puissance et d’énergie ne seront pas du tout les mêmes qu’il s’agisse d’un système centralisé ou délocalisé. En effet, les systèmes centralisés doivent être significatifs à l’échelle de la chaufferie à côté de laquelle ils sont installés. Les puissances et les énergies mises en jeux sont de l’ordre de la dizaine de mégawatt et de plusieurs dizaines de mégawattheures respectivement. En ce qui concerne les systèmes délocalisés au niveau des sous-stations, la puissance est de l’ordre du mégawatt et l’énergie stockée de quelques mégawattheures.
Du fait de la longueur des réseaux, il a été dit que le temps de parcours du fluide caloporteur, de la centrale de chauffe jusqu’à l’usager, peut atteindre plusieurs heures [38]. L’intégration d’un système de stockage en proximité des sous-stations (délocalisé) permet une plus grande flexibilité et une meilleure réactivité. Colella et al. [28] ont comparé différentes implantations et différents systèmes de stockage d’énergie. Il apparaît que les meilleures densités de stockage et efficacités sont obtenues par des systèmes de stockage par changement de phase15, implantés en proximité des sous-stations.
En résumé, les systèmes de stockage d’énergie thermique présentent de nombreux intérêts : économique, écologique, énergétique,… Un système est défini par un besoin : il peut donc être journalier ou intersaisonnier, centralisé ou décentralisé. Pour chacun de ces cas de figures, les conditions opératoires sont différentes. Dans la prochaine partie, les différentes technologies de stockage de l’énergie thermique sont présentées. Chaque technologie apparaît être plus ou moins intéressante pour un cas de figure donné.
Les différents types de stockage
Trois phénomènes physiques sont distingués et permettent de classifier les systèmes de stockage : l’échauffement (énergie « sensible »16), le changement de phase ou d’état (énergie « latente ») et les réactions chimiques endo/exothermiques. Le stockage thermique peut donc se présenter sous trois formes différentes :
– Stockage par variation d’enthalpie sensible
– Stockage par enthalpie de changement de phase
– Stockage thermochimique
Le stockage d’énergie par variation d’enthalpie sensible
Le stockage le plus employé actuellement est le stockage par chaleur sensible. Ce type de stockage se présente sous deux formes.
La première consiste en une augmentation de la température du milieu de stockage (liquide ou solide) par contact direct ou indirect avec un fluide caloporteur. Il s’agit d’un procédé non isotherme dans lequel l’énergie absorbée/libérée par le milieu de stockage est proportionnelle à la diminution/l’augmentation de température du fluide caloporteur.
Dans la seconde forme, le fluide caloporteur est à la fois le fluide de travail et le matériau de stockage. C’est le cas, par exemple, des ballons d’eau chaude dans les habitations.
Le stockage thermochimique
Le stockage thermochimique repose sur deux types de réactions : les réactions chimiques endothermiques réversibles et les réactions de sorption.
Réactions chimiques endothermiques réversibles
De par sa nature endothermique la réaction va permettre de stocker de la chaleur, et étant donné que cette réaction est réversible, cette chaleur sera restituée lorsque la réaction inverse (exothermique) sera réalisée.
Soient A, B et C trois composés chimiques distincts et Q une quantité d’énergie thermique, la réaction s’écrit : + ⇌ +
Les produits de la réaction peuvent être conservés à température ambiante et, s’ils sont isolés, ils ne subiront pas ou peu de détérioration chimique. Dans le cas du stockage « sensible » et « latent », les pertes thermiques ramènent invariablement le système dans son état initial, déchargé. Le stockage sous forme thermochimique est peu contraint par la durée de stockage, c’est pourquoi il est essentiellement destinée à du stockage longue durée (intersaisonnier).
Un exemple de matériau utilisé est la chaux. Lors du stockage, la chaux éteinte est séchée par de l’air sec chaud. La phase de déstockage se traduit par l’extinction de la chaux vive par arrosage. La réaction d’extinction s’écrit :
pour lesquels la charge se traduit par une élévation de la quantité d’énergie dans le système. Par extension, et de manière plus générale, le stockage froid regroupe les applications pour lesquels les MCP utilisés ont une température de changement de phase inférieur à la température ambiante dite « normale » (~16 à 20°C). CaO + H2O → CaO + 1155 J/gCaO Réactions de sorption
La sorption comprend l’adsorption (en surface) et l’absorption (dans le volume) qui vont consommer de l’énergie. La transformation inverse, la désorption, résulte en la libération des molécules précédemment sorbées. Alors que la désorption est endothermique (stockage), la sorption est exothermique (déstockage).
Comparaison et conclusion
En première approche, l’ordre de grandeur de la densité énergétique des systèmes thermochimiques est cinq fois plus important que les systèmes par changement de phase qui ont eux-mêmes une densité de stockage de deux à trois fois plus élevé que les systèmes sensibles. Le potentiel des systèmes de stockage par voie thermochimique est important du fait de ses multiples avantages : un temps de stockage infini, un transport simplifié et une densité de stockage supérieure aux autres technologies présentées. La difficulté principale réside dans la réalisation d’un procédé continu pour le stockage ou le déstockage. Aujourd’hui, il faut travailler « par paquet ». Seuls les systèmes par enthalpie « sensible » sont matures industriellement. Ces derniers prennent leur sens dès lors que la différence entre les températures de travail (chaude/froide) est conséquente. Pour limiter les pertes thermiques, ces systèmes vont être massifs (faible rapport surface/volume). Le stockage par changement de phase n’est pas encore mature mais le développement à l’échelle « laboratoire » est dépassé et les premiers prototypes ont vu le jour. En comparaison avec un système par énergie « sensible », le recours à un système de stockage par changement de phase est d’autant plus intéressant que la différence entre les températures de travail est faible.
L’intégration d’un système de stockage thermique sur un réseau de chaleur présente de nombreux avantages potentiels qu’il faut savoir exploiter. Pour ce faire, le type de stockage et son implantation sont cruciaux : ils vont déterminer à la fois le rôle du système ainsi que les conditions opératoires de celui-ci. Les conditions opératoires du futur système de stockage thermique sont les premières pierres de l’édifice. C’est pourquoi elles font l’objet des deux prochaines sous-parties. Après un état des lieux des systèmes de stockage d’énergie thermique existants, les différentes implantations du système de stockage au réseau seront discutées.
Les systèmes existants
Aucun système de stockage d’énergie par changement de phase n’est recensé sur un réseau de chaleur, seuls des systèmes « sensibles » en eau ont été testés et développés à une échelle industrielle.
Pour le stockage journalier, les systèmes les plus usités sont les TTES (tank thermal energy storage). Le plus grand réservoir recensé à l’heure actuelle a un volume de 96 000 m3 et est installé sur le réseau de chaleur de Reykjavik en Islande. Pour le stockage intersaisonnier, il s’agit généralement de PTES (pit thermal energy storage) (jusqu’à 200 000 m3). Toutefois, pour satisfaire la variation de charge saisonnière, il faut non seulement que le système soit volumineux dans l’absolue, mais aussi qu’il le soit relativement à la taille du réseau (Figure 17). De ce point de vue, ce sont les systèmes de stockage du réseau de chaleur de Marstal (85 000 m3) qui sont les plus proches d’atteindre cet objectif avec 740 m 3/TJ (rapport du volume de stockage sur l’énergie injectée sur le réseau annuellement). Selon Gadd et Werner, il faut environ 1 430 m3 de matériau de stockage par térajoule mis au réseau pour assurer le stockage d’énergie nécessaire à la variation saisonnière21.
La Figure 17 représente graphiquement le volume relatif de stockage installé pour 209 réseaux de chaleur installés dans les cinq pays nordiques (Suède, Finlande, Islande, Norvège, Danemark) en fonction de la quantité d’énergie injectée sur le réseau. Ce graphique nous montre qu’il n’existe pas de franche corrélation entre les deux. Au contraire la tendance est plutôt à la dispersion : des systèmes de toutes tailles sont installés sur des réseaux de toutes tailles. Le point le plus haut du graphique représente le réseau de chaleur de Marstal, dont il a été question précédemment.
Le stockage thermique par MCP pour les réseaux de chaleur
Un système de stockage d’énergie par changement de phase est composé d’un échangeur de chaleur et d’un MCP. Ce sont les deux éléments principaux qui constituent le système. Chacun va faire l’objet d’une description détaillée. Dans un premier temps, les familles de MCP ainsi que les propriétés qui distinguent un MCP d’un autre sont présentées. Ensuite les différentes technologies d’échangeurs sont décrites. Enfin, les nombreux systèmes qui permettent d’améliorer les performances thermiques de l’ensemble « échangeur + MCP » sont listés.
Le travail qui fait l’objet de la thèse et qui est présenté par la suite ne concerne, ni la caractérisation de matériaux, ni le choix d’un matériau spécifique. L’ensemble de ce qui traite des MCP est approché d’un point de vue qui se veut complet mais non-approfondi. L’objectif est de présenter les différentes familles de matériaux ainsi que de définir ce qui fait qu’un matériau est un bon candidat, ou non. Au contraire, l’accent sera mis sur les différentes technologies d’échangeurs de chaleur et sur les méthodes d’amélioration des performances thermiques dans le MCP. Car c’est sur ce dernier point que le travail de thèse est focalisé.
D’autres travaux de recherches sont spécifiques au MCP lui-même et seront présentés par la suite.
Les matériaux à changement de phase
Les propriétés recherchées
Les différents critères de sélection d’un MCP sont à la fois thermophysiques, chimiques et cinétiques, mais aussi économiques et écologiques [43-45].
Tout d’abord, il est nécessaire de choisir un MCP dont la température de fusion est cohérente avec les conditions opératoires et si possible avec une plage de température de changement d’état qui est la plus courte possible, afin de concentrer l’enthalpie de changement de phase autour de la température qui nous intéresse. Ensuite, il est préférable que le matériau en question ait une bonne conductivité thermique afin d’optimiser les transferts thermiques. De plus, l’objectif étant d’avoir la plus grande densité de stockage possible, il faut identifier les MCP qui ont la meilleure enthalpie de changement d’état volumique et, dans une moindre mesure, la meilleure capacité thermique volumique. Alors que la conductivité thermique va influer sur la puissance du système, la courbe d’enthalpie caractéristique du MCP va avoir un impact sur l’énergie du système. Il s’agit donc des propriétés thermophysiques.
Les MCP subissent un changement de volume au cours de leur transition de phase23. Ceux dont la variation est relativement faible sont privilégiés. L’expansion volumique présente en effet de nombreux risques de surpressions locales et implique qu’une partie de l’échangeur (s’il y en a un) ne soit pas toujours utilisée, car le changement de volume occasionne un noyage/dénoyage de la partie haute de l’échangeur.
Plus généralement, la cinétique du changement d’état doit être bonne. C’est-à-dire qu’il faut que la surfusion 24 soit minimale, que le taux de nucléation ainsi que la vitesse de cristallisation soient élevés et que le changement d’état soit totalement réversible : les matériaux présentant un changement d’état non-congruent sont à proscrire.
Le système sera d’autant plus viable que le MCP est stable chimiquement et thermiquement et qu’il se recycle facilement. Au contraire, le recours à certains MCP sera rendu plus difficile si ceux-ci sont inflammables, toxiques, explosifs,… Enfin, les MCP retenus pour un passage à l’échelle industrielle doivent être bon marché et abondants.
Dans le cadre des réseaux de chaleur, les MCP visés ont une température de changement de phase qui se situe entre 50 et 120 °C. Certains matériaux ayant une température de changement de phase plus élevée ou plus faible seront présentés à titre indicatif. Toujours pour les réseaux de chaleur, les MCP retenus devront présenter une densité énergétique de stockage supérieure à ce qu’il est possible d’obtenir avec un stockage « sensible » en eau, pour une différence entre la température de charge et de décharge de 30 °C. Cette différence est représentative de la chute de température caractéristique du fluide caloporteur entre l’entrée et la sortie d’un échangeur de sous-station.
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Table des matières
Nomenclature
Chapitre 1 : Introduction & Contexte
1 Les réseaux de chaleur
1.1 Présentation générale [7-9]
1.2 Les réseaux de chaleur en France, en Europe et dans le Monde
1.3 Les perspectives d’évolution des réseaux de chaleur
2 Le stockage thermique
2.1 L’intégration d’un système de stockage sur un réseau de chaleur
2.2 Les différents types de stockage
2.3 Les systèmes existants
2.4 Schémas d’intégration
3 Le stockage thermique par MCP pour les réseaux de chaleur
3.1 Les matériaux à changement de phase
3.2 Les technologies d’échangeurs
3.3 L’amélioration des transferts thermiques dans les MCP
4 Problématique de la thèse
Chapitre 2 : Etat de l’art – les échangeurs à tubes et calandre
1 Les tubes lisses
2 Les tubes ailettés
3 Les mousses métalliques
4 Conclusion et choix expérimentaux
5 Approche analytique
5.1 Problème de Stefan
5.2 Régime d’écoulement dans le fluide caloporteur
5.3 Convection naturelle entre les ailettes
Chapitre 3 : Etude expérimentale des transferts thermiques et des écoulements dans un échangeur à tube ailetté
1 Dispositif expérimental
1.1 La boucle hydraulique
1.2 Les sections d’essais
1.3 L’instrumentation de la section d’essais
1.4 La précision des mesures
1.5 Les propriétés physiques et thermodynamiques
1.6 Les inserts
1.7 Les régimes d’écoulement du fluide caloporteur
1.8 Le bilan d’énergie
1.9 Discussion autour de la méthode d’estimation du temps caractéristique.
2 Campagnes d’essais
2.1 Introduction
2.2 Le cas de référence
2.3 Bilan des résultats avec insert
2.4 Résultats sans les inserts
2.5 Etudes complémentaires
2.6 Conclusion et perspectives
Chapitre 4 : Etude expérimentale des transferts thermiques dans des mousses métalliques à cellules ouvertes
1 La mousse de cuivre stochastique
1.1 Présentation de la section d’essais
1.2 Résultats
1.3 Comparaison avec les autres échangeurs
1.4 Conclusion
2 La mousse d’aluminium régulière
2.1 Présentation de la section d’essais
2.2 Résultats
3 Conclusion générale sur les campagnes d’essais
Chapitre 5 : Etude numérique des transferts thermiques autour de tubes ailettés
1 Bibliographie
1.1 Les modèles à domaine et maillage fixes
1.2 Les modèles avec suivi de l’interface
1.3 Prise en considération du changement de densité lors du changement de phase
1.4 Conclusion
2 Modèle numérique
2.1 Domaine de calcul
2.2 Discrétisation spatio-temporelle
2.3 Conditions aux limites
2.4 Propriétés physiques des matériaux constituants
2.5 Paramétrage du modèle
2.6 Mise en équations
3 Etudes préliminaires
3.1 Modèle purement conductif dans le MCP
3.2 Modèle avec approximation de Boussinesq dans le MCP
3.3 Influence de la méthode de résolution
4 Résultats
4.1 Tube « 7 fpi » – Décharges
4.2 Tube « 7 fpi » – Charges
4.3 Conclusion
5 Modélisation du changement de volume
5.1 Géométries étudiées
5.2 Réglage du modèle
5.3 Résultats avec la géométrie sans ailette
5.4 Résultats avec la géométrie avec ailettes
5.5 Conclusion et perspectives
Chapitre 6 : Etude d’un cas concret
1 Conditions opératoires
2 Approche numérique
2.1 CFD en 2D-axisymétrique
2.2 Modèle semi-analytique
3 Conclusion
Chapitre 7 : Conclusion & Perspectives
1 Conclusion
2 Perspectives
Annexes
1 Annexe 1 : Comparaison de la RT35HC et de l’eicosane
2 Annexe 2 : La méthode d’étalonnage des thermocouples
3 Annexe 3 : Vieillissement de la paraffine
4 Annexe 4 : Supplément à la campagne d’essais avec les tubes ailettés
4.1 Influence du débit sur le temps caractéristique
4.2 Influence du débit sur l’énergie récupérable, sous contrainte de température
5 Annexe 5 : Pertes thermiques
5.1 Calcul avec le refroidissement naturel
5.2 Calcul avec la température du fluide caloporteur
5.3 Calcul pour le modèle numérique
6 Annexe 6 : Influence de l’historique expérimental
7 Annexe 7 : Complément à la validation du modèle numérique
Références
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