Étude expérimentale des mécanismes et des conditions d’envol des poussières

Poussière : définition et réglementation

    Selon l’article R4222-3 du Code du Travail français, « les poussières sont des petites particules solides, dont le diamètre aérodynamique est inférieur à 100 µm, qui peuvent rester en suspension dans l’air pendant un certain temps ». Les particules solides présentes dans l’atmosphère sont généralement désignées par le sigle PM (Particulate Matter) suivi du diamètre aérodynamique des particules. Ainsi, PM10 correspond aux particules de diamètre aérodynamique inférieur à 10 µm et PM2,5 à celles de diamètre aérodynamique inférieur à 2,5 µm. Une poussière est ici caractérisée par son diamètre « aérodynamique » qui ne correspond pas au diamètre géométrique de la particule mais plutôt à celui d’une sphère de densité unitaire ayant la même vitesse de sédimentation que ladite particule. Cette notion permet de standardiser la forme et la densité des particules afin de comparer leur comportement aérodynamique (Kulkarni et al., 2011). Les poussières minérales ont une forte densité mais également une forme très irrégulière. Certains auteurs considèrent que leur diamètre aérodynamique est très proche de leur diamètre dit « géométrique » (Baron et Willeke, 2005). Il faut néanmoins manier avec prudence le concept de « diamètre géométrique » qui n’a pas véritablement de sens physique pour une particule non sphérique. D’une manière générale, les PM atmosphériques sont quantifiées par leur concentration massique par unité de volume d’air (en μg.m-3). Il est également possible de mesurer les concentrations en nombre, notées PN, généralement exprimées en nombre de particules par centimètre cube. La présence de ces particules dans l’air génère des nuisances qui seront détaillées plus loin dans ce document. Pour ce qui est des enjeux sanitaires, des seuils de concentration massiques en PM10 et en PM2,5 sont définis par l’Organisation Mondiale de la Santé et par le Parlement Européen (Tableau 1.1) pour les environnements extérieurs. En France, les directives européennes s’appliquent. Pour ce qui est du monde professionnel, l’article R4222-10 du Code du Travail impose de ne pas dépasser une concentration en PM10 de 5 mg.m-3 inhalée par un travailleur sur une période de huit heures consécutives. Cette valeur est beaucoup plus élevée que les seuils établis par l’OMS. Il s’agit d’une législation pour des travaux dans des locaux à pollution spécifique, c’est-à-dire des lieux cloisonnés dans lesquels des polluants sont émis (gaz, poussières…). Elle ne s’applique pas pour des activités en plein air comme les chantiers de terrassement, même si ces derniers sont une source importante d’émissions de particules fines solides. Ce dernier point sera analysé par la suite. Les émissions de poussières des chantiers de terrassement doivent normalement être quantifiées au préalable dans une Evaluation des Risques Sanitaires (ERS). Celle-ci doit être réalisée dans le cadre d’une « étude d’impact d’un chantier de construction », comme stipulé par la directive 2011/92/UE du Parlement Européen. Dans les faits, ces émissions sont très difficiles à quantifier car elles proviennent de sources diffuses et ne sont donc généralement pas prises en compte dans l’étude d’impact (ADEME, 2017). On peut toutefois noter que l’article 96 du Règlement Sanitaire Départemental (RSD, 1978), intitulé Protection des lieux publics contre la poussière, stipule que « […] les travaux de plein air s’effectuent de manière à ne pas disperser de poussière dans l’air, ni porter atteinte à la santé ou causer une gêne pour le voisinage. ». Cet article reste cependant très vague. Il ne quantifie pas ce qui constitue une « atteinte à la santé » ni ne décrit ce à quoi correspond une « gêne pour le voisinage ». Un vide juridique subsiste en ce qui concerne les émissions de poussière sur les chantiers de terrassement. Il apparaît néanmoins primordial de limiter ces émissions pour au moins deux raisons. D’une part, ce vide juridique n’est peut-être que temporaire et, d’autre part, il est de la responsabilité sociétale des entreprises de réduire l’envol des poussières car elles sont garantes de la santé et de la sécurité de leurs salariés. Les sources d’émission de celles-ci sont détaillées dans la partie suivante.

Moyens de lutte contre la mise en suspension des poussières

     Actuellement, sur les chantiers de terrassement, la limitation de l’envol des poussières est principalement assurée par arrosage (Cowherd et Kinsey, 1986 ; USEPA, 1988 ; ADEME, 2017 ; Zuo et al., 2017). En effet, l’envol des particules est fortement atténué lorsque celles-ci sont agglomérées par les gouttelettes d’eau (Hagen et al., 1988 ; McKenna-Neuman et Nickling, 1988 ; Fécan et al., 1999 ; Ishizuka et al., 2005 ; Gras, 2011 ; Li et Zhang, 2014). L’arrosage est efficace mais son usage doit être optimisé car il requiert de grandes quantités d’eau et peut entraîner une surconsommation de cette ressource si on arrose arbitrairement et de façon non maîtrisée. En France, la consommation d’eau sur les chantiers de terrassement était estimée à environ 12 litres d’eau par m3 de matériaux déplacés (déblais et remblais) en 2010 (SPTF, 2011). Il a été établi, lors de la signature d’une convention d’engagement volontaire des professionnels des terrassements, de diviser par deux l’utilisation de l’eau sur les chantiers (Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, 2009). A titre informatif, le chantier de la ligne TGV Paris-Nancy a représenté 49 millions de m3 de terrassements, soit une estimation de 588 000 m3 d’eau utilisés pour arroser les sols sur ce chantier. Ce sujet est d’autant plus important que les problèmes liés aux ressources en eau risquent d’être accrus dans les décennies à venir à cause du changement climatique, de l’urbanisation et de l’augmentation de la population (Bates et al., 2008, Flörke et al., 2018). L’utilisation de stabilisants chimiques (agents tensioactifs, émulsions, résines, polymères…) sur le sol permet de diminuer les émissions de poussières tout en utilisant moins d’eau (Gillies et al., 1999 ; Skorseth et Selim, 2000). Toutefois, l’usage de ces produits onéreux peut entraîner un surcout financier. De plus, une fois déversés sur le sol, ils peuvent se répandre dans la nature du fait des conditions climatiques. Cela est préjudiciable pour l’environnement car ces produits sont toxiques (Gucinski et al., 2001 ; Peichota et al., 2002 ; Poulin, 2010). Il est rare de voir les professionnels en faire usage sur les pistes temporaires des chantiers de terrassement. Ceux-ci doivent généralement se contenter d’utiliser uniquement de l’eau (Western Regional Air Partnership, 2006, ADEME, 2017). Foley et al. (1996) ainsi que Gambatese et James (2001) préconisent des applications d’eau fréquentes et en petites quantités plutôt que des arrosages importants qui entraînent un gaspillage et dégradent la surface du sol en transportant les particules fines par ruissellement. Cependant, de telles préconisations sont difficiles à mettre en place sur les chantiers avec les moyens à dispositions qui sont en général des tracteurs équipés de citernes à eau (Figure 1-7). En effet, ces équipements circulent lentement et mettent du temps à s’approvisionner. Ils déversent donc généralement de grandes quantités d’eau afin d’éviter une évaporation trop rapide des pistes sur lesquelles ils ne peuvent pas passer régulièrement.

Dégradation des sols sous sollicitations de trafic

     Les agrégats formés par le compactage du sol peuvent être arrachés de la surface puis déstructurés sous l’effet de la circulation des véhicules. Ces processus entraînent l’apparition de particules fines en surface qui ne sont plus liées à la matrice granulaire et qui sont donc susceptibles de s’envoler en générant des nuages de poussières (Lohnes et Coree, 2002, Sediki, 2018). La circulation d’un engin sur une surface se caractérise par la transmission au sol de deux types d’efforts : des efforts de compression dus au poids de l’engin et des efforts de cisaillement dus au déplacement par l’intermédiaire des pneus. Ce cisaillement résulte des frottements des pneumatiques avec le sol qui sont générés par le glissement (adhérence) et le roulement des roues sur la surface (Karafiath et Nowatzki, 1978). L’essai de cisaillement direct à la boîte de Casagrande (Figure 3-12-a) permet de caractériser ce mécanisme. Il consiste à placer un sol dans un récipient constitué de deux boîtes et d’exercer une force verticale sur celui-ci. L’une des boîtes est fixe et l’autre se déplace progressivement. Ce déplacement entraîne la création d’une force de cisaillement dans le sol qui est mesurée par une cellule de force. En traçant l’évolution de la contrainte de cisaillement en fonction du déplacement, il est possible de déterminer la résistance au cisaillement du sol (τmax sur la Figure 3-12-b) sous une certaine contrainte normale σn.

Effet de la mise en œuvre et des sollicitations de trafic sur la dégradation des sols

    Cette thèse se situe dans la continuité des travaux de Sediki (2018) sur la dégradation de surface de sols compactés vis-à-vis des sollicitations de trafic. Il s’agit de compléter l’étude qui visait à mettre en évidence l’effet du compactage sur la microstructure du sol et à analyser son instabilité de surface en lien avec l’hydratation. Dans ses travaux, Sediki (2018) a étudié l’initiation de la dégradation de surface des sols lors de la circulation d’un pneu lisse. Afin de s’approcher d’une configuration rencontrée sur les chantiers de terrassement, il est nécessaire de mettre en évidence l’influence de la sculpture des pneus sur la dégradation de surface. L’une des finalités est de pouvoir établir un lien entre les propriétés des sols et leur propension à générer de la poussière. Ce dernier point est absent des caractérisations géotechniques à l’heure actuelle.

Granulomètres optiques

    Un granulomètre optique est un appareil qui permet de mesurer la concentration en nombre des particules dans l’air. Les appareils utilisés sont un analyseur de poussière PALAS Fidas Mobile (Figure 4-11-a) et Fidas 200 (Figure 4-11-b). Ils sont équipés d’une pompe qui aspire les particules contenues dans l’air ambiant. Ces particules passent à travers un faisceau de lumière LED qui est alors diffusé suivant un angle qui dépend de la taille de la particule (Mie, 1908). La mesure de la taille des particules est réalisée avec un photomultiplicateur qui capte l’onde diffusée. Associé à un algorithme de comptage, la concentration massique en particules par unité de volume (µg.m-3) peut être estimée en faisant l’hypothèse de sphéricité des particules. Le prélèvement est réalisé avec un tuyau de 8 mm de diamètre à un débit de 1,4 l.min-1 pour le Fidas Mobile et de 4,8 L.min-1 pour le Fidas 200. Cela correspond à des vitesses d’aspiration de 0,47 m.s-1 et 1,61 m.s-1 , respectivement. Les deux appareils fournissent la granulométrie des particules sur 71 gammes de tailles allant de 0,17 à 26 µm (paramétrages du constructeur). Ils ont été calibrés à l’aide de particules « MonoDust 1500 », préconisées par le constructeur (PALAS, 2016).

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Table des matières

Introduction
Partie I : État de l’art
Chapitre 1 : Problématiques liées aux envols de poussière
1.1 Poussière : définition et réglementation
1.2 Sources d’émissions
1.2.1 Origines des poussières
1.2.2 Impact des chantiers de terrassement sur les émissions
1.3 Nuisances liées aux particules fines solides en suspension dans l’air
1.3.1 Impacts sanitaires
1.3.2 Dommages environnementaux
1.3.3 Atténuation de la visibilité
1.4 Moyens de lutte contre la mise en suspension des poussières
1.5 Conclusion
Chapitre 2 : Conditions aérodynamiques d’envol des poussières
2.1 Couches limites laminaires et turbulentes
2.2 Erosion éolienne
2.2.1 Envol des poussières par saltation
2.2.2 Envol des poussières lors de phénomènes turbulents
2.2.3 Transport des poussières dans les structures turbulentes cohérentes
2.3 Effets de la rugosité de surface
2.4 Poussières générées par la circulation sur les pistes non revêtues
2.5 Ecoulements de sillage
2.5.1 Sillage des roues
2.5.2 Sillage des véhicules
2.6 Conclusion
Chapitre 3 : Propriétés, mise en œuvre et sollicitations des sols
3.1 Caractéristiques physiques et structure des sols
3.1.1 Phases et granulométrie des sols
3.1.2 Paramètres d’état
3.1.3 Classification des sols selon le Guide des Terrassements Routiers
3.2 Comportement des sols au compactage
3.2.1 Généralités sur le compactage
3.2.2 Modification de la microstructure du sol en lien avec le compactage
3.2.3 Comportement volumétrique des sols partiellement saturés lors du compactage
3.3 Dégradation des sols sous sollicitations de trafic
3.4 Interactions entre l’eau et les particules du sol
3.5 Conclusion
3.6 Bilan de l’état de l’art et intérêts des travaux
3.6.1 Verrous scientifiques
3.6.2 Objectifs de la thèse
Partie II : Dispositifs expérimentaux et méthodologie
Chapitre 4 : Dispositifs expérimentaux
4.1 Mise en œuvre et dégradation des sols
4.1.1 Compacteur roulant de laboratoire
4.1.2 Simulateur de trafic
4.2 Étude aérodynamique
4.2.1 Souffleries
4.2.2 Maquettes
4.2.3 Vélocimètres LASER
4.3 Mesures in-situ
4.3.1 Visibilimètre et station météo
4.3.2 Granulomètres optiques
4.3.3 Roue dynamométrique
4.4 Conclusion
Chapitre 5 : Méthodologie
5.1 Dégradabilité par le trafic des sols compactés
5.1.1 Sols d’étude
5.1.2 Mise en œuvre des sols
5.1.3 Dégradation de surface par roulement d’un pneu
5.1.4 Vernissage et mesure de rugosité de surface
5.2 Champs de vitesse en couche limite
5.2.1 Protocole
5.2.2 Campagne de mesures sur les sols compactés
5.2.3 Campagne de mesures sur les sols dégradés
5.3 Écoulements dans le sillage des maquettes
5.3.1 Mesures de sillage avec LDV
5.3.2 Mesures de sillage avec PIV
5.4 Envol de poussières par circulation de véhicules sur piste
5.4.1 Essais avec véhicule de tourisme et 4×4
5.4.2 Essais avec camion 8×4
5.4.3 Méthodes d’analyse des résultats des essais in-situ
5.5 Conclusion
Partie III : Résultats et discussions
Chapitre 6 : Mise en œuvre, dégradation des sols et interaction sol-atmosphère
6.1 Interaction sol-atmosphère sur les sols compactés
6.1.1 Propriétés des écoulements de couche limite
6.1.2 Initiation de l’envol des particules par saltation
6.1.3 Conclusion
6.2 Évaluation des émissions de poussières sur sols dégradés
6.2.1 Modèle d’envol des poussières
6.2.2 Dégradation des sols par le trafic
6.2.3 Caractérisation de couche limite sur les sols dégradés
6.2.4 Estimation des émission et comparaison avec des données de terrain
6.2.5 Conclusion
6.3 Effet de la sculpture des pneus et évaluation du modèle de dégradation
6.3.1 Effet de la sculpture des pneus
6.3.2 Modèle unifié de dégradation des sols avec pneu sculpté
6.3.3 Comparaison entre le modèle développé et celui de l’USEPA
6.3.4 Conclusion
Chapitre 7 : Écoulements dans le sillage des engins de chantier
7.1 Champs des vitesses moyennes
7.2 Champs des grandeurs turbulentes
7.2.1 Cartographies des contraintes de Reynolds
7.2.2 Évaluation de l’anisotropie de la turbulence
7.2.3 Contraintes de Reynolds en proche paroi
7.3 Analyse par quadrants
7.4 Conclusion
Chapitre 8 : Envol des particules lors de la circulation d’un véhicule
8.1 Remise en suspension des particules directement derrière les pneus
8.1.1 Analyse de la répétabilité des résultats
8.1.2 Coefficients d’émission des véhicules légers
8.1.3 Coefficients d’émission du camion 8×4
8.1.4 Conclusion
8.2 Évaluation des émissions de poussières sur le bas-côté de la route
8.2.1 Facteurs d’émission
8.2.2 Atténuation de visibilité
8.2.3 Conclusion
Conclusions et perspectives
Références

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