Étude et modélisation mécanique de la cristallisation induite par la déformation des polymères

La cristallisation induite par la déformation des polymères ou SIC (pour strain-inducedcrystallization en anglais) est le fait qu’une sollicitation mécanique peut accélérer la cristallisation d’un polymère amorphe. La formation de la phase cristalline résulte de la coopérativité des liaisons entre les chaînes rendue possible par la déformation qui permet de stabiliser les conformations propres à la phase cristalline sur une grande distance au détriment de l’amorphe. Après la déformation, la phase cristalline peut, selon le polymère, disparaître progressivement lorsque le matériau est ramené à déformation nulle ou être irréversible, ce qui peut s’expliquer par des différences d’énergies de liaisons inter-chaînes. Ainsi le caoutchouc est le siège d’une cristallisation réversible lors de la décharge tandis que le PET conserve une microstructure organisée à l’issue d’un cycle charge-décharge. Dans tous les cas, le phénomène est bénéfique. On sait que la SIC apporte au caoutchouc une excellente durée de vie sous sollicitation cyclique et c’est une des raisons pour laquelle on l’utilise pour la fabrication de pneumatiques. La phase cristalline qui se forme renforce le matériau notamment en entravant la propagation des fissures. Quant au PET, la SIC est le seul moyen de générer la microstructure optimale pour fabriquer des parois minces résistantes et optimiser la perméabilité aux gaz. C’est ce qui fait du PET un excellent matériau dans les domaines des fibres textiles, des emballages et des films techniques.

Quel que soit le polymère, la déformation doit amener un nombre suffisant de segments adjacents dans une conformation propice au développement d’un cristal. C’est à dire que localement, il faut donner la possibilité aux segments de chaînes de s’arranger de manière coopérative afin de former une structure cristalline. Un niveau de déformation minimal pour qu’une phase cristalline se développe est donc généralement observé. Il faut aussi que l’énergie mécanique soit utilisée à déformer les chaînes et non à provoquer un écoulement visqueux sous lequel les chaînes polymères n’interagissent que très faiblement. C’est à dire que la SIC est maximale lorsque le matériau présente un comportement caoutchoutique de type hyperélastique. La littérature est riche de données sur les caractéristiques de la SIC pour les deux matériaux. Les effets des conditions de déformation ont été analysés, pas toujours dans des conditions très bien contrôlées du point de vue du mécanicien. Toutefois l’influence de la densité de réticulation ou de l’ajout de charges sur le développement de la phase cristalline semble aussi assez bien documentée en ce qui concerne le caoutchouc naturel. L’effet de l’architecture de chaînes des PET reste moins clair [1].

Pour ces deux matériaux, les auteurs s’accordent à dire que la cristallisation s’accompagne d’un durcissement mécanique. Certains auteurs ont tenté de relier les performances mécaniques à un taux de cristallinité, souvent mesuré post mortem après décharge avec un succès mitigé. De fait, le lien direct entre le comportement mécanique et la cristallisation reste à définir si on veut reproduire un modèle de comportement physique admissible. Ainsi, la nature réversible de la SIC pour le caoutchouc a incité les auteurs dans ce domaine à développer des observations in situ en faisant appel à la technologie synchrotron. Les études ont été, de manière quasi exclusive, réalisées sur des éprouvettes déformées en traction uniaxiale. Dans le cas du caoutchouc naturel réticulé, matériau qui permet d’obtenir un état plus cristallin que les caoutchoucs synthétiques, sollicité en traction uniaxiale, à température ambiante et à des vitesses de déformation pas trop élevées (inférieures à 1s−1 ), on retient deux valeurs importantes du taux d’étirage :
– à partir d’un taux d’étirage de 4, la phase cristalline apparaît. Si on continue de déformer au-delà de cette valeur, la phase cristalline se développe en occupant un volume de plus en plus grand.
– en dessous d’un taux d’étirage de 3, en décharge, la phase cristalline formée au cours de la charge a complètement fondu Ces deux valeurs critiques d’étirage (4 pour le début de la cristallisation et 3 pour la fusion complète) sont celles observées en traction uniaxiale pour les conditions de déformation évoquées. Pour autant, dans ces mêmes conditions, un consensus ne se dégage pas clairement quant à l’évolution des tailles de cristallites. La SIC pour d’autres sollicitations telles que la traction biaxiale ou le cisaillement n’a pas fait l’objet d’études approfondies et on ne sait pas si ces valeurs critiques restent valables dans ces cas. En parallèle, le durcissement structural ne semble pas tout entier dû à un effet de mélange d’une phase rigide (le cristal) et d’une phase plus molle (l’amorphe). En effet, des effets entropiques, i.e l’élongation des chaînes du réseau, semblent impliqués dans le durcissement.

Les matériaux : le caoutchouc naturel et le PET

L’étude proposée se fait sur deux matériaux : le caoutchouc naturel et le PET. Ces deux matériaux très différents dans leur formulation chimique et dans leur application présentent néanmoins la capacité de cristalliser sous déformation. Dans notre développement, nous introduirons brièvement le déroulement de la cristallisation statique de chacun afin de définir les différences avec la cristallisation induite qui est celle qui nous intéressera.

Le caoutchouc naturel

Le caoutchouc naturel provient du latex qui est récolté sur des arbres comme l’hévéa. La première étude sur le matériau a été réalisée au XV III ème siècle en Équateur et en Guyane. Le terme caoutchouc provient de l’expression indienne : bois (« cao ») qui pleure (« tchu »). La vulcanisation du caoutchouc a été inventée par Charles Goodyear en 1839. Celle-ci consiste à créer des ponts atomiques entre les chaînes macromoléculaires. Ces ponts sont constitués d’atomes de soufre ou de carbone. Les ponts de soufre ne contiennent pas tous le même nombre d’atomes, on parle de ponts polysulfure. Les nœuds ainsi obtenus sont appelés nœuds de réticulation. Le premier caoutchouc synthétique a été produit par Fritz Hoffman en 1909. Aujourd’hui le caoutchouc est utilisé dans la fabrication de nombreux produits et principalement dans celle des pneumatiques. Le caoutchouc naturel est principalement constitué de chaînes de polyisoprène cis 1,4 (94 % en masse, figure 1.1 (a)) et le reste est un ensemble de composants (6 % en masse). Ces derniers comprennent des agrégats de protéines (avec des tailles atteignant jusqu’à 50 µm), des cristaux de quebrachitol (hydrates de carbone dont la taille peut atteindre 20 µm) et un ensemble d’acides gras et de phospholipides sous la forme de micelles (d’une dizaine de micromètres). Le caoutchouc synthétique est, quant à lui, constitué de chaînes de polyisoprène cis 1,4 et trans 1,4 mais ne contient pas de résidus végétaux. Les deux matériaux sont susceptibles de cristalliser sous déformation mais dans des proportions différentes (le polyisoprène synthétique cristallise moins que le naturel). Cette différence de comportement est en partie due à la différence de proportion d’isomères cis 1,4 qui constituent la totalité des chaînes polymères naturelles mais seullement 98,5 % des chaînes synthétiques, les chaînes restantes étant constituées d’isomères trans 1,4 (figure 1.1 (b)).

Le PET

Le polyéthylène-téréphtalate ou PET (figure 1.2) est un thermoplastique semi-cristallin appartenant à la famille des polyesters. Il est généralement obtenu par estérification directe et est issu de la réaction de l’acide téréphtalique et de l’éthylène glycol avec l’élimination d’eau (figure 1.3) jusqu’à obtention d’un degré de polymérisation moyen DP n ¯ compris entre 5 et 10 monomères par branche. Cette réaction d’estérification se déroule dans une enceinte pressurisée (de 2 à 6 bars) et chauffée (entre 260 et 280 °C). La polycondensation se poursuit ensuite sous vide avec l’utilisation d’un catalyseur comme l’antimoine. La longueur moyenne des chaînes atteinte à l’issue de cette étape est d’environ 100 monomères. Afin d’atteindre des degrés de polymérisation compris entre 240 et 300, une étape de polycondensation en phase solide est mise en œuvre à l’issue de la polycondensation. Suite à cette dernière étape, des granulés de PET sont récupérés en sortie du réacteur. L’augmentation du degré de polymérisation se fait progressivement par paliers de température.

Le matériau est notamment utilisé pour la mise en forme de bouteilles. Cette application industrielle nécessite la production de préformes injectées pour lesquelles l’on évite la cristallisation au cours de leur mise en forme. Pour cela, le PET utilisé est en fait un copolyester statistique obtenu en présence d’acide isophatique (AIP) et de diéthylène-glycol (DEG). Ces éléments rompent la régularité des chaînes et cela entraîne un ralentissement des cinétiques de cristallisation.

De la déformation à la formation d’une phase cristalline

Imposer une grande déformation à un polymère nécessite que celui-ci fasse évoluer l’organisation du réseau de chaînes enchevêtrées ainsi que la conformation globale des chaînes polymères. Ce changement global se fera par l’accumulation de changements locaux des conformations le long du squelette. Ainsi, si nous considérons une chaîne de PET de manière simplifiée comme une succession de conformations trans et gauche autour du groupement ester, la déformation s’accompagne d’une augmentation du nombre de conformations trans (figure 1.4). Cette dernière permet d’aboutir à la conformation globale la plus étendue.

Deux chaînes étendues et parallèles vont développer des interactions coopératives. Les portions de chaînes s’organisent entre elles périodiquement dans les trois directions de l’espace en stabilisant les conformations par les interactions intermoléculaires. Elles forment des ensembles cristallins dont on définira le système de manière classique par la symétrie des empilements. Ainsi le PET construira un système triclinique alors que le caoutchouc construira un système proche de l’orthorhombique. La littérature propose ainsi des mailles cristallines qui mettent en évidence les symétries du système. Pour les deux matériaux de l’étude, la littérature s’accorde sur la figure 1.5. L’une des différences entre ces deux matériaux est que les interactions intermoléculaires qui sont nécessaires à la cohésion du cristal ont des niveaux d’énergie très différents. Pour le PET, les interactions les plus fortes sont celles entre les noyaux benzéniques qui sont des liaisons π dont le niveau d’énergie moyen est de 250 kJ.mol−1 . Dans les cas du caoutchouc naturel, seules des interactions de type Van der Waals interviennent dont le niveau d’énergie maximal est de 30 kJ.mol−1 . On voit donc que les liaisons à créer pour obtenir une phase cristalline dans un caoutchouc naturel demandent moins d’énergie mais qu’elles sont par conséquent moins coûteuses en énergie être rompues.

Cristallisation induite par la déformation des caoutchoucs naturels réticulés

Maille cristalline

Le système cristallin du caoutchouc naturel a fait l’objet de nombreuses études. Des équipes ont notamment proposé soit un système monoclinique [3–5] soit un système orthorhombique [6–8] . La différence entre ces systèmes se fait notamment à partir du choix du groupe d’espace et de l’interprétation des réflexions de basse intensité. D’un point de vue géométrique la différence entre les deux mailles associées est faible et consiste en une différence de valeur de l’angle β (92° pour Bunn [3] et 90° pour le système orthorhombique). Pour le système orthorhombique les paramètres de maille sont présentés sur le Quels que soient les systèmes cristallins adoptés, le motif est constitué de quatre segments de chaînes, chacune étant composée de deux unités d’isoprène. Parmi ces quatre segments, deux ont leur groupement méthyle (−CH3) dirigés vers le bas et les deux autres sont dirigés vers le haut (figure 1.6).

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Table des matières

Introduction
1 Étude bibliographique
1.1 Les matériaux : le caoutchouc naturel et le PET
1.1.1 Le caoutchouc naturel
1.1.2 Le PET
1.2 De la déformation à la formation d’une phase cristalline
1.3 Cristallisation induite par la déformation des caoutchoucs naturels réticulés
1.3.1 Maille cristalline
1.3.2 Cristallisation thermique du caoutchouc naturel
1.3.3 Orientation des molécules au cours de la déformation
1.3.4 Cristallisation induite par la déformation
1.3.5 De l’importance de la cristallisation induite par la déformation sur le comportement mécanique du matériau
1.4 Cristallisation induite par la déformation du PET
1.4.1 Maille cristalline
1.4.2 Cristallisation thermique du PET
1.4.3 De l’orientation des chaînes à la formation d’une phase cristalline
1.4.4 Nature de la phase cristalline qui se développe au cours de la déformation
2 Matériaux, description des essais et méthodes d’analyse des données WAXS
2.1 Matériaux étudiés
2.1.1 Caractérisation du caoutchouc naturel
2.1.2 Les PET
2.2 Essais in situ : mise en place et analyse des données
2.2.1 Présentation de la machine d’essai TRACY
2.2.2 Acquisition et traitement des données
2.3 Analyse des clichés WAXS
2.3.1 Analyse des clichés relatifs aux essais in situ sur le caoutchouc naturel réticulé
2.3.2 Analyse des clichés relatifs aux essais in situ sur le PET
3 Cristallisation induite par la déformation du caoutchouc naturel réticulé sous traction et cisaillement combinés
3.1 Méthode expérimentale
3.2 Rotation de la phase cristalline et étude des déformations propres
3.2.1 Calcul de la base des déformations principales
3.2.2 Calcul de la rotation de la phase cristalline
3.2.3 Comparaison de la rotation des directions des déformations principales et de la phase cristalline
3.3 Évolution de la phase cristalline en traction et cisaillement
3.3.1 Évolution de la cristallinité
3.3.2 Évolution des tailles de cristallites
4 Étude et caractérisation de la cristallisation induite par la déformation du PET
4.1 Développement d’une phase organisée en traction uniaxiale
4.1.1 Courbes mécaniques
4.1.2 Étude de la microstructure induite
4.1.3 De l’importance d’une étape de relaxation pour la formation d’une phase cristalline
4.1.4 Synthèse
4.2 Développement d’une phase organisée en traction biaxiale
4.2.1 Protocole expérimental
4.2.2 Courbes mécaniques
4.2.3 Étude de la microstructure induite
4.2.4 Synthèse
5 Modélisation du comportement mécanique du PET et du caoutchouc naturel réticulé avec prise en compte de la cristallisation induite par la déformation
5.1 État de l’art concernant la modélisation du comportement mécanique avec prise en compte de la cristallisation induite par la déformation
5.1.1 Modèles phénoménologiques
5.1.2 Modèles analogiques
5.1.3 Modèles thermodynamiques
5.1.4 Modèles micro-mécaniques
5.1.5 Conclusion
5.2 Modélisation visco-hyperélastique
5.2.1 Définition du modèle
5.2.2 Cinétiques d’évolution de la microstructure
5.2.3 Stratégie d’identification
5.3 Résultats de l’identification
5.3.1 Résultats sur les caoutchoucs naturels réticulés
5.3.2 Résultats sur le PET
5.3.3 Comparaison et influence des paramètres
Conclusion générale

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