L’utilisation des enzymes en chimie organique est maintenant bien établie et les biotransformations sont devenues actuellement parmi les méthodologies auxquelles fait appel le chimiste pour accéder à de nombreux composés relevant de domaines aussi variés que ceux de la chimie fine, des médicaments, de la cosmétologie et de l’industrie agroalimentaire. Parmi ces enzymes, les lipases (EC 3.1.1.3) sont largement employées aussi bien en milieu aqueux pour l’hydrolyse d’esters, qu’en milieu organique dans des réactions d’alcoolyse et d’aminolyse par exemple.
L’action des lipases intervient au niveau de l’interface phase organique (contenant le substrat)/phase aqueuse (contenant l’enzyme). Il a été montré que c’est à ce niveau que la lipase est plus active et que l’acte catalytique se produit. Cette activation interfaciale de l’enzyme est expliquée par des arrangements structuraux de la protéine au contact de l’interface facilitant alors l’accès du substrat au site catalytique. Cette interface, qui est inévitablement affectée par la nature de la phase organique, a une grande influence sur les performances catalytiques de l’enzyme. Cependant, si de nombreux travaux, ayant trait aussi bien aux réactions en milieu aqueux que celles se déroulant en milieu organique, montrent que la présence d’un solvant organique dans le milieu réactionnel influe sur l’activité et sur la sélectivité des lipases, peu d’entre eux se sont intéressés à la nature de celle-ci, bien que ces dernières années, des recherches dans ce sens commencent à se développer. Par ailleurs, dans la description de la relation « solvant-activité (sélectivité) enzymatique», il est fait appel à quasiment un seul paramètre physico-chimique des solvants, à savoir LogP.
L’action d’un solvant dans un milieu réactionnel est le résultat de différents types d’interactions entre ce dernier et les entités présentes dans le milieu réactionnel. A fortiori, dans les réactions biocatalysées où ces interactions concernent en même temps le substrat et le biocatalyseur. Par conséquent, sachant qu’un seul paramètre physico-chimique ne peut à lui tout seul décrire l’ensemble des propriétés d’un solvant, surtout dans un système aussi complexe, il nous a semblé qu’il était plus judicieux de faire appels à d’autres descripteurs des solvants pour une meilleure compréhension de la relation « solvant-enzyme-substrat ».
GENERALITES SUR LES ENZYMES
Les enzymes sont des catalyseurs biologiques de nature protéique remarquablement efficaces et douées d’une grande spécificité fonctionnelle. In vivo, elles interviennent dans tous les processus métaboliques de synthèse, de régulation, de reproduction et de dégradation et permettent à toutes ces réactions de se dérouler dans des conditions de température, de pression, de concentration, de pH et de milieu, remarquablement « douces ». Comme les catalyseurs chimiques, les enzymes n’interviennent que dans les réactions métaboliques thermodynamiquement possibles qu’elles accélèrent en diminuant l’énergie d’activation de la réaction, c’est-à-dire en stabilisant l’état de transition par rapport à l’état fondamental.
Différents types d’interactions sont utilisés par les enzymes afin d’augmenter leur affinité pour le substrat et stabiliser l’état de transition :
– Liaison covalente (stabilisation de 40 à 110 kcal/mole)
– Interactions électrostatiques (stabilisation d’environ 5 kcal/mole)
– Interactions ion-dipôle et dipôle-dipôle (stabilisation de 1 kcal/mole)
– Liaisons hydrogènes (stabilisation de 3-10 kcal/mole)
– Complexes de transfert de charge (implique les électrons π des anneaux aromatiques) (stabilisation < 3 kcal/mole)
– Interactions hydrophobes (stabilisation de 0,5 kcal/mole)
– Forces de Van der Waals (stabilisation de 0,5 kcal/mole) .
STRUCTURE DES ENZYMES
Comme toutes les protéines, les enzymes sont constituées d’un enchaînement d’acides aminés, appelé séquence ou structure primaire de la protéine. Cette chaîne se replie et s’enroule sur elle-même pour finalement adopter une structure spatiale compacte qu’on appelle structure tertiaire. Diverses forces provenant toutes des chaînes latérales des acides aminés constituant la protéine, interviennent pour stabiliser cette grosse molécule : ponts disulfures, liaisons hydrogènes .
Cette structure tertiaire est importante car elle permet l’aménagement d’une poche, appelée site actif de l’enzyme, où a lieu la complexation du substrat et l’activation de la réaction. C’est également la géométrie de ce site qui détermine la sélectivité des enzymes. En effet, pour que la catalyse ait lieu, la géométrie du substrat et celle du site actif, doit être compatibles. Il en résulte la formation d’un complexe « enzyme-substrat » qui a lieu, soit par simple complémentarité stérique, soit par ajustement induit, facilité par la plasticité dont est dotée fondamentalement la protéine.
CLASSIFICATION DES ENZYMES
Une enzyme est en général spécifique à une réaction et à un substrat donné. Une classification a été adoptée et chaque enzyme complètement caractérisée reçoit un numéro de code de quatre chiffres précédé de E.C (Enzyme Classification) :
• 1er chiffre : type de réaction catalysée (il existe 6 classes ou groupes).
• 2ème chiffre : (sous classe) type de groupement chimique ou de liaisons.
• 3ème chiffre : nature précise des groupes et les mécanismes réactionnels en jeu.
• 4ème chiffre : numéro d’ordre dans le groupe et dans le sous-groupe. Lorsqu’une enzyme se termine par 99, cela signifie qu’elle est incomplètement caractérisée.
LES HYDROLASES – CAS DES LIPASES
Parmi les enzymes les plus utilisées par les chimistes, dans le domaine de la recherche ou celui de l’industrie, les hydrolases sont les plus importantes et ce, en raison de leur faible coût et de facilité de manipulation. Elles peuvent être utilisées sous forme de poudre lyophilisée ou immobilisée sur un support. Dans cette classe d’enzymes, on trouve les lipases (EC 3.1.1.3) qui sont les plus employées par les chimistes organiciens [2,3] Comme pour tous les biocatalyseurs auxquels fait appel le chimiste, les lipases sont sollicitées pour leur sélectivité et particulièrement leur énantiosélectivité qui permet l’accès à des molécules chirales dont l’intérêt, en pharmacie par exemple, n’est plus à démontrer.
Mécanisme d’action des lipases
Les lipases diffèrent entre elles par le nombre d’acides aminés constituant leur structure primaire. Par exemple, la lipase Candida rugosa contient plus de 500 acides aminés tandis que la lipase de Candida antarctica B en contient 317. Cependant, la caractéristique commune de toutes les lipases est que leurs sites actifs sont constitués de trois acides aminés, appelés la triade sérine, aspartate ou glutamate et histidine [3] Cette triade d’acides aminés, ajoutée à quelques autres résidus, constitue le site actif de l’enzyme. Celui-ci est protégé par un « couvercle » (en fait un segment hélicoïdal hydrophobe) qui en bloque l’accès et ne s’ouvre qu’au contact d’une phase hydrophobe pour permettre la complexation du substrat, lipide hydrophobe, et faciliter ainsi la catalyse de la réaction. Cette activation interfaciale du biocatalyseur constitue la caractéristique principale des lipases [4] Par ailleurs, il a été montré que l’absence de ce « couvercle » abaisse l’activité de l’enzyme. Ainsi, en comparant l’activité de la lipase gastrique humaine (HGL) avec la même lipase obtenue par mutation génétique, dépourvue de ce « couvercle » .
Aspect cinétique
Cinétique de Michaelis-Menten
La vitesse de réaction enzymatique est mesurée à partir de la quantité de produit formée en un temps donné. L’affinité de l’enzyme pour son substrat est donnée par son Km ou constante de Michaelis. Celle-ci est définie comme la concentration de substrat pour laquelle la vitesse de réaction enzymatique est la moitié de la vitesse de réaction maximale, elle a la même unité : mol.L-1 . De nombreux facteurs peuvent modifier la vitesse de réaction enzymatique tel que:
-Les concentrations en enzyme et en substrat
-Les caractéristiques physico-chimiques du milieu de réaction (température, pH, …)
La présence d’inhibiteurs de la réaction enzymatique. Un inhibiteur compétitif augmente la constante de Michaelis.
La constante de Michaelis est spécifique à chaque enzyme. C’est une constante cinétique caractérisant une réaction enzymatique. Elle est symbolisée par Km et reflète l’affinité de l’enzyme pour son substrat :
● Plus sa valeur est élevée, plus l’affinité du substrat pour l’enzyme est faible ;
● Plus elle est faible, plus l’affinité du substrat pour l’enzyme est grande.
APPLICATIONS DES LIPASES EN SYNTHESE ORGANIQUE
Les enzymes d’une manière générale et les lipases en particulier, sont devenues des outils de choix pour le chimiste organicien. En raison de leur grande sélectivité et des conditions réactionnelles douces dans lesquelles elles opèrent, les enzymes sont maintenant incontournables, en particulier dans la synthèse de composés chiraux qui sont très demandés par l’industrie pharmaceutique. Par ailleurs, en raison principalement des restrictions de plus en plus fortes en matière de pollution et de protection de l’environnement, d’autres industries intègrent les biotechnologies dans leurs processus de production. Parmi les biocatalyseurs utilisés, les lipases constituent le groupe le plus important. Elles sont non seulement capable d’assurer leur fonction naturelle d’hydrolyse des esters, mais peuvent également catalyser des réactions de transestérification, d’estérification, d’interestériication et d’aminolyse, en milieu non aqueux. Ces propriétés, ajoutées au label « naturel » qu’elles confèrent aux produits issues des processus biotechnologiques, permettent de retrouver les lipases impliquées dans la synthèse de nombreux produits aussi variés que les médicaments, les biopolymères, le biodiesel, les arômes, etc.
Afin de situer notre travail par rapport à la littérature, nous rapportons dans ce chapitre les résultats obtenus dans les réactions catalysées par les lipases, en milieu aqueux et non aqueux. Pour ne pas alourdir l’exposé, nous nous contenterons de commenter les résultats qui nous paraissent les plus significatifs.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Première partie
CHAPITRE I. GENERALITE SUR LES ENZYMES
I- INTRODUCTION
II- STRUCTURE DES ENZYMES
III- CLASSIFICATION DES ENZYMES
IV- LES HYDROLASES – CAS DES LIPASES
IV-1- Mécanisme d’action des lipases
IV-2-Aspect cinétique
IV-2-1- Cinétique de Michaelis-Menten
IV-2-2- Modélisation de l’énantiosélectivité
CHAPITRE II. APPLICATIONS DES LIPASES EN SYNTHESES ORGANIQUE
I- INTRODUCTION
II- REACTIONS EN MILIEU AQUEUX
II-1-Régiosélectivité
II-2-Stéréosélectivité
III- REACTIONS EN MILIEU ORGANIQUE
III-1-Régiosélectivité
III-2-Stéréosélectivité
IV- Effets des solvants
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Deuxième partie
CHAPITRE I. METHODES D’ANALYSES STATISTIQUES UTILISEES
I- ANALYSE STATISTIQUE UNIVARIEE
II- ANALYSE STATISTIQUE BIVARIEE
III- ANALYSE STATISTIQUE MULTIVARIEE
III-1- Base théorique de la régression linéaire multiple
III-2- Méthodes de sélection des variables explicatives
III-3- Calcul des modèles
a) Le coefficient de détermination R2
b) Le coefficient de détermination ajusté R2 adj
c) La valeur de Fobs de Fisher
d) La probabilité P
e) L’écart type résiduel (sy.xi )
III-4- Validation des modèles calculés
a) Introduction
b) Les sources d’erreur de prédiction
c) Les paramètres de mesure de l’erreur de prédiction
CHAPITRE II. INFLUENCE DES CO-SOLVANTS ORGANIQUES SUR L’ACTIVITE LIPASIQUE DANS LES REACTIONS D’HYDROLYSE
I- COLLECTE DES DONNEES
II- ANALYSES ET RESULTATS STATISTIQUE
II-1- Cas de la lipase CRL
II-1-1- L’analyse statistique univariée
II-1-2- Analyse statistique bivariée
II-1-3- Analyse statistique multivariée
II-2- Cas de la lipase LPP
II-2-1- Analyse statistique univariée
II-2-2- Analyse statistique bivariée
II-2-3- Analyse statistique multivariée
CHAPITRE III. INFLUENCE DES SOLVANTS ORGANIQUES SUR L’ACTIVITE LIPASIQUE DANS LES REACTIONS DE TRANSESTERIFICATION
I- COLLECTE DES DONNEES
II- ANALYSES ET RESULTATS STATISTIQUE
II-1-Cas de la lipase CAL-B
II-1-1- Analyse statistique univariée
II-1-2- Analyse statistique bivariée
II-1-3- Analyse statistique multivariée
II-2- Cas de la lipase CRL
II-2-1- Analyse statistique univariée
II-2-2- Analyse statistique bivariée
II-2-3- Analyse statistique multivariée
CHAPITRE IV. INFLUENCE DES SOLVANTS SUR L’ENANTIOSELECTIVITE
I- COLLECTE DES DONNEES
II- ANALYSE ET RESULTATS STATISTIQUES
II-1- Analyse statistique univariée
II-2-Analyse statistique bivariée
II-3-Analyse statistique multivariée
II-4- Recherche de modèles avec la variable dépendante 1/E
II-4-1- Analyse statistique univariée
II-4-2-Analyse statistique bivariée
II-4-3-Analyse statistique multivariée
CONCLUSION