ESSILOR, leader mondial de la fabrication de verres ophtalmiques, a depuis de nombreuses années fortement contribué aux grandes évolutions technologiques de ce domaine. Ainsi cette entreprise, née de la fusion des sociétés ESSEL et SILOR en 1972, est à l’origine de grandes innovations telles que le verre progressif (Varilux®) ou le remplacement des verres minéraux trop fragiles par des verres organiques de plus en plus résistants. Ainsi, les techniques de fabrication, les matériaux utilisés et les traitements de surface ont largement été optimisés afin d’améliorer la production industrielle et le confort du porteur. Cependant, ces dernières années, l’optique lunetière proposée tend à atteindre son apogée technologique. C’est pourquoi ESSILOR a imaginé un saut technologique afin de proposer de nouveaux produits dont la conception est en rupture totale avec ce qui est actuellement proposé sur le marché.
L’idée centrale de cette innovation technologique est l’introduction de fonctions actives à la surface du verre. Nous pouvons alors imaginer un verre dont la puissance optique s’adapterait automatiquement à la vision du porteur, qui s’obscurcirait rapidement au soleil, ou encore sur lequel des informations pourraient apparaître dans le champ de vision. Ainsi, introduire une certaine forme d’intelligence permettrait au verre de lunette d’interagir avec son environnement et aboutirait à une révolution du domaine de l’optique ophtalmique.
Le verre pixellisé
Descriptif du projet
Avec la création du projet en 2003, ESSILOR a choisi de miser sur un saut technologique d’importance: l’optique digitale. Ce projet, basé sur de nombreux brevets , consiste à discrétiser la surface du verre par l’application d’un film microstructuré sur l’une de ses faces. Ce film est composé d’une matrice de pixels, sous forme de microcuves contenant des liquides fonctionnels. La nature des liquides utilisés et le profil de remplissage définissent la fonctionnalité du film pixellisé et donc du verre sur lequel il est reporté.
Rupture technologique
L’idée centrale de cette rupture technologique, présentée dans l’introduction générale, repose sur l’intégration de fonctions actives à la surface du verre, le rendant ainsi capable d’interagir avec son environnement. Le développement d’un tel dispositif est un objectif techniquement ambitieux. Il nécessite l’étude de nombreuses briques technologiques, incluant la réalisation de surfaces microtexturées, l’étude de l’impact de la pixellisation sur la réponse optique, la formulation de matériaux fonctionnels, l’encapsulation de liquides et le développement d’une source d’énergie embarquée… Le concept technologique de certaines de ces briques n’a pas encore été validé et demande encore du temps de développement.
Les travaux, présentés dans ce manuscrit, se focalisent sur la dispense des liquides fonctionnels par impression jet d’encre. L’utilisation du procédé jet d’encre prend tout son sens dans le projet dès lors que la fonctionnalisation du film nécessite un remplissage discrétisé des microcuves. Nous nous limiterons donc dans ce manuscrit aux études consacrées à la réalisation de profils de phase sur nos films texturés, permettant de corriger une aberration optique. Ceci nécessite de contrôler parfaitement le profil de remplissage de la microstructure afin de faire varier l’indice de réfraction local des différents pixels. Cette première étape permettra de valider le concept de correction optique par un verre pixellisé et de préparer le développement de composant actif par l’intégration de cristaux liquides.
Il est intéressant de noter que d’autres études focalisées sur l’intégration de matériaux actifs ont été initiées parallèlement, mais ne seront pas évoquées dans ce manuscrit. Par ailleurs, le premier produit issu du concept d’optique digitale devrait être mis sur le marché en 2010 par ESSILOR. Il s’agit de proposer des verres pixellisés photochromiques dans lesquels le colorant photochrome est maintenu en phase liquide. Ceci permet d’augmenter la cinétique d’assombrissement et d’éclaircissement des verres face aux rayonnements UV et ainsi d’avoir un produit plus performant que les verres de lunettes photochromiques actuellement vendus sur le marché (notamment les verres Transition®), dans lesquels le colorant est piégé dans une matrice solide. Pour bien comprendre le fonctionnement de l’optique correctrice digitale, nous allons comparer cette technologie au principe de fonctionnement du verre correcteur traditionnel.
Principe du verre correcteur traditionnel
Traditionnellement les amétropies [3] de l’œil sont corrigées par des verres de lunettes, fabriqués en mettant en forme un matériau transparent (de nos jours, majoritairement plastique) dont l’indice de réfraction est fixe. Le verre est moulé, puis surfacé de manière à ce que la vision du porteur soit corrigée et que la focalisation de son œil se fasse sur sa rétine. Il existe deux principaux défauts visuels nécessitant une correction ophtalmique : l’hypermétropie et la myopie. Les personnes atteintes d’hypermétropie ont une mauvaise vision de près car leur œil n’est pas assez convergent et leur plan focal se situe en arrière de la rétine. A l’inverse, les personnes souffrant de myopie ont une mauvaise vision de loin car leur œil converge en amont de la rétine. L’optique lunettière permettant de corriger ces amétropies est basée sur le principe de FERMAT, énoncé en 1657 et servant de fondement à l’optique géométrique, stipulant que :
» La lumière se propage d’un point à un autre sur des trajectoires telles que la durée du parcours soit extrémale » .
Ce principe signifie que tous les rayons lumineux allant d’un point source S vers un point image I parcourent le même chemin optique L défini par:
L(S, I) = n SI I-1
Avec n l’indice de réfraction du milieu traversé et SI la distance entre la source et l’image.
Les lois de Snell-Descartes plus couramment utilisées en optique géométrique peuvent être facilement retrouvées à partir du principe de FERMAT et de l’équation I-1. L’indice de réfraction n [5] d’un milieu est égal à la célérité de la lumière dans le vide c divisée par la vitesse de propagation de la lumière dans ce milieu v (n=c/v). Ainsi, plus l’indice de réfraction du milieu est grand, plus l’onde lumineuse est ralentie par celui-ci, plus son chemin optique sera grand.
Le verre d’une personne souffrant d’hypermétropie va donc être taillé sous forme convexe, pour que les rayons passant par le centre du verre traversent une épaisseur plus importante du verre d’indice de réfraction n. Le rayon 1 parcourt alors une distance plus courte que le rayon 2, mais est ralenti par l’épaisseur du verre afin que les deux rayons aient le même chemin optique.
Principe du verre correcteur pixellisé
Le projet d’optique pixellisée propose un concept révolutionnaire de fabrication des verres ophtalmiques en corrigeant les amétropies non plus par variation de l’épaisseur d’un verre d’indice de réfraction constant, mais en appliquant un film d’indice de réfraction variable sur un verre équi-épais. Ceci aurait pour avantages d’éviter l’utilisation peu esthétique de verres épais pour la correction des fortes amétropies et surtout de pouvoir intégrer d’autres fonctionnalités (photochromisme, électrochromisme) dans le verre.
Sur l’ensemble du verre correcteur, les épaisseurs des différentes couches ne varient pas. Par ailleurs, le verre équi-épais est homogène en indice, il n’a donc aucun effet optique sur les rayons le traversant. Seule la variation des indices de réfraction des liquides contenus dans les cuves permet de corriger l’amétropie.
Si l’indice de réfraction du liquide fonctionnel est plus élevé au centre du film qu’au bord, le verre sera convergent et corrigera l’hypermétropie. Inversement, si l’indice de réfraction est plus faible au centre, le verre sera divergent et corrigera la myopie. La puissance du verre, qui correspond au nombre de dioptries corrigées, est définie par la dynamique de la variation de phase. Plus la variation d’indice est forte (grande variation sur une distance faible), plus la puissance du verre sera importante. Par analogie, une forte variation d’indice correspond à une forte pente (faible rayon de courbure) sur un verre traditionnel. L’échantillonnage de la surface microstructurée doit être suffisamment fin pour assurer une bonne discrétisation de la phase sans imposer de trop fortes ruptures. Cependant, il reste limité en raison des problèmes de diffraction important, engendrés par la présence des parois de la microstructure, et par l’augmentation de la difficulté de remplissage des cuves de très petites tailles. En effet, plus le taux de recouvrement de la surface du film par des parois est grand, plus celles-ci auront tendance à diffracter et à générer des interférences de diffraction altérant la réponse optique du film. Des solutions sont actuellement à l’étude pour limiter se phénomène faisant notamment évoluer la forme géométrique des microcuves, néanmoins celles-ci ne sont pas encore optimales. Par ailleurs, plus les microcuves sont petites plus les spécifications requises en terme de taille de goutte et de précision de dépôt sont importantes pour le procédé jet d’encre. Ce sujet sera développé ultérieurement dans ce manuscrit. Ainsi, le profil de phase donné au film pixellisé par la dispense locale des différents liquides d’indice, détermine la fonction optique du verre. D’autres corrections ophtalmiques plus complexes, telles que l’astigmatisme et la presbytie pourraient elles aussi être corrigées par impression sur les microstructures d’un profil de phase spécifique.
Spécifications pour le procédé jet d’encre
La réalisation d’un profil de phase sur la surface d’un film pixellisé nécessite de contrôler l’indice de réfraction de chaque pixel de la microstructure. Pour cela, deux liquides parfaitement miscibles, dont l’écart d’indice de réfraction est le plus grand possible, vont être dispensés avec précision sur le film. En jouant sur la proportion locale de chacun des liquides, nous pouvons faire varier l’indice de chacune des cuves et définir un profil de phase sur le film. Le procédé qui a été choisi pour réaliser la dispense de ces liquides d’indice est le procédé d’impression jet d’encre. L’utilisation du procédé jet d’encre dans le projet prend tout son sens dans la réalisation d’un verre pixellisé correcteur. En effet, ce procédé offre la possibilité de déposer de petites quantités de matière (quelques picolitres), avec une précision de l’ordre de quelques micromètres, sur n’importe quel type de substrat. De plus, il ne nécessite pas de contact direct avec le substrat, ce qui permet d’éviter la pollution ou la dégradation de la microstructure. Enfin, le procédé jet d’encre étant une technologie additive, il permet de remplir les microstructures avec la quantité de liquides fonctionnels strictement nécessaire. La matière dispensée étant généralement très couteuse, il est intéressant de pouvoir l’économiser. Ce procédé émergent implique la maîtrise de nombreux paramètres d’impression qui seront détaillés ultérieurement dans ce manuscrit. La principale difficulté reste la maîtrise de la qualité du remplissage à l’échelle des cuves, afin d’éviter le sur-remplissage et le sousremplissage, pouvant générer des défauts optiques .
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Table des matières
Introduction générale
Contexte de la thèse et positionnement du sujet
Chapitre 1 – Le verre pixellisé
I – Descriptif du projet
1 – Rupture technologique
1.1 – Principe du verre correcteur traditionnel
1.2 – Principe du verre correcteur pixellisé
2 – Spécifications pour le procédé jet d’encre
3 – Les différentes étapes de fabrication d’un verre pixellisé
3.1 – Fabrication des microstructures
3.2 – Remplissage des microstructures
3.3 – Scellement des microstructures
3.4 – Report du micro-dispositif
3.5 – Protection du micro-dispositif
3.6 – Alimentation des microdispositifs actifs
II – Technologie d’impression jet d’encre
1 – Historique
2 – Jet continu
2.1 – Déflection binaire
2.2 – Déflection multiple
3 – Goutte à la demande
3.1 – Le procédé thermique
3.2 – Le procédé piézo-électrique
3.3 – La thermofusion
4 – Choix de la technologie à utiliser
4.1 – Tête d’impression piézoélectrique
4.2 – Multibuses ou monobuse
4.3 – Propriétés des têtes multibuses
5 – Quelques applications du procédé jet d’encre
III – Conclusion
Chapitre 2 – Etude et développement technologique du procédé jet d’encre
I – Plateforme d’impression
1 – Les têtes d’impression de la société XAAR
1.1 – Constituants
1.2 – Gestion du cristal piézoélectrique
2 – Logiciel de gestion des têtes
3 – Déplacement du substrat
II – Propriétés des gouttes déposées et influence sur la qualité des dépôts
1 – Cahier des charges des liquides
2 – Liquides utilisés
2.1 – Encres UV
2.2 – Huiles
2.3 – Cristaux liquides
3 – Qualité des impressions
3.1 – Variation de volume
3.2 – Variation de vitesse d’éjection
3.3 – Conclusion
III – Etude de l’influence des paramètres d’impression sur les propriétés des gouttes éjectées
1 – Etude expérimentale de l’influence des paramètres d’impression
1.1 – Influence de la durée de l’impulsion
1.2 – Stabilité de l’éjection en fréquence
1.3 – Influence du vide
1.4 – Influence de la tension appliquée au PZT
1.5 – Influence de la température
1.6 – Expression de la vitesse en fonction de l’amplitude de l’impulsion électrique et de la viscosité
2 – Stabilisation de l’éjection par compensation de température
2.1 – Etude réalisée
2.2 – Comparaison avec l’outil de XAAR
2.3 – Validation de la stabilisation de la vitesse
IV – Etude de l’éjection de cristaux liquides par procédé jet d’encre
1 – Intérêts du E7
2 – Propriétés physico-chimiques du cristal liquide E7
2.1 – Influence de la température sur la viscosité
2.2 – Influence du champ électrique
3 – Etude de la variation de vitesse d’éjection du E7
3.1 – Influence de la tension appliquée au PZT
3.2 – Influence de température
3.3 – Discussion
3.4 – Stabilisation de l’éjection en température
V – Conclusion
Chapitre 3 – Etude du remplissage des microstructures
I – Problématique de remplissage
1 – Présentation des microstructures
1.1 – Fabrication
1.2 – Forme géométrique
1.3 – Conséquence sur le remplissage
2 – Interaction gouttes/ microstructure
2.1 – Observations avec la caméra rapide
2.2 – Evolution du ménisque lors du remplissage des cuves
3 – Stratégie d’impression
3.1 – Méthodes globales de remplissage
3.2 – Définition des images d’impression en remplissage statistique
3.3 – Définition des paramètres d’impression classique
3.4 – Impression en mode binaire avec des petites gouttes
II – Caractérisation des remplissages
1 – Microscope digital holographique
2 – Scanner
III – Inhomogénéités de remplissage
1 – Dispersion de volume des gouttes
2 – Disfonctionnement des buses
2.1 – Buses bouchées
2.2 – Buses déviées
3 – Moiré
4 – Rapport entre volume des cuves et volume des gouttes
IV – Optimisation du remplissage
1 – Correction des buses déviées
2 – Suppression du moiré
2.1 – Forme géométrique des microstructures
2.2 – Angle d’impression
3 – Evolution de la stratégie d’impression
V – Gestion des volumes
1 – Variation d’indices de réfraction d’un mélange homogène
2 – Densité surfacique de gouttes
3 – Définition du profil de phase
4 – Procédé de tramage
4.1 – Définition de la cellule de trame
4.2 – Redimensionnement de l’image du profil de phase
4.3 – Tramage de l’image correspondant au liquide de référence
4.4 – Tramage correspondant au liquide complémentaire
5 – Résultats
VI – Conclusion
Chapitre 4 – Réalisation de profils de phase
Conclusion générale