Les différentes familles de ferrites
Les matériaux ferrites sont subdivisés en trois familles principales selon leur structure cristallographique. La catégorie des ferrites hexagonaux, encore appelés hexaferrites, est construite autour du ferrite de baryum, de formule BaFe12O19. On y distingue les hexaferrites de types M, Z, W et Y. Les premiers sont des ferrites durs. C’est ce qui constitue le grand intérêt de cette classe de ferrites. Leur forte anisotropie magnétique axiale en fait l’aimant de choix dans la plupart des cas. Les trois types Z, W et Y présentent une anisotropie planaire, permettant de bénéficier d’une perméabilité élevée dans la gamme des UHF. La deuxième famille de ferrites est relative à la structure spinelle. A l’image du composé MgAl2O4, les ferrites spinelles cristallisent selon un réseau cubique à faces centrées. Ce sont des ferrites doux utilisés dans les inductances et les transformateurs. La gamme des fréquences d’utilisation de cette famille de ferrites se situe entre 10 kHz et 500 MHz. La dernière famille de ferrites, celle qui nous intéresse ici est celle des grenats. A l’instar des spinelles, ce sont des ferrites doux, mais dont l’usage se situe dans des fréquences au delàdu gigahertz. La structure grenat est cubique, isomorphe du modèle Ca3Al2Si3O12. Les ferrites grenats sont donc de la forme R3Fe5O12, où R désigne une terre rare ou l’yttrium. Le plus courant est le grenat d’yttrium fer, plus connu sous le nom de YIG (pour Yttrium Iron Garnet), que nous détaillons ici.
Le grenat d’yttrium-fer (YIG)
Le grenat d’yttrium–fer s’avère être un matériau de choix dans les domaines hautes fréquences. En effet, avec une résistivité de l’ordre de 1012 Ω.m, c’est un excellent milieu de propagation pour les ondes électromagnétiques. Pour cette raison, il est depuis longtemps employé dans les dispositifs hyperfréquences (radiocommunications, radars…) sous forme de matériau massif polycristallin. Outres ses propriétés dans la gamme de fréquences visées (bande X), le YIG présente l’avantage d’avoir une structure cristallographique très stable, à laquelle on associe d’excellentes performances en terme de pertes magnétiques et diélectriques. Cette stabilité, à la fois chimique et thermique provient du haut degré de symétrie de la maille, ainsi que de sa compacité, peu favorable à l’existence de défauts de type insertion ou lacune. Citons à cet égard une tangente de pertes diélectriques (tanδε) voisine de 10-4 à 10 GHz, et une largeur de raie de pertes magnétiques (∆H) de quelques oersteds. Les performances du YIG aux hyperfréquences en font donc un bon candidat pour les applications radio-fréquences. L’usage de ce matériau s’est aussi imposé parce qu’il peut être fabriqué selon un processus industriel, utilisant les méthodes conventionnelles de fabrication des céramiques massives polycristallines. Néanmoins, cette stabilité chimique est aussi un inconvénient, puisque la synthèse du YIG nécessite des températures de traitement très élevées (voisines de 1500°C) pour sa fabrication. Cet apport d’énergie est nécessaire pour parvenir à former la phase, ainsi que pour densifier le matériau. Ces températures sont nécessaires pour obtenir la qualité cristallographique, la microstructure et la densité nécessaires à de bonnes performances. D’autre part, le YIG doit sa popularité à sa large gamme d’utilisation. Cette polyvalence est due aux nombreuses substitutions que l’on peut effectuer pour adapter ses propriétés, comme l’aimantation à saturation, qui est le paramètre à accorder en fonction de la fréquence de fonctionnement visée ; ou encore la tenue en puissance, nécessitant l’introduction d’ions relaxants dans la structure. Le principal point négatif de ce matériau est donc sa très haute température de synthèse. Pour contourner ce problème, l’utilisation d’un autre matériau de structure grenat a été envisagée, un grenat toujours à base fer, mais contenant du bismuth à la place de l’yttrium.
Le grenat de bismuth-fer
Le principal handicap du YIG étant les 1500°C nécessaires à son élaboration, il est apparu nécessaire d’abaisser de façon drastique les températures nécessaires à l’obtention d’un matériau présentant les caractéristiques visées. Le but recherché étant déjà la compatibilité à des fins d’intégration dans des structures multi-matériaux, ou l’utilisation de méthodes de fabrication moins lourdes. L’oxyde de bismuth est connu pour son utilisation comme fondant, et l’ion bismuth présente la même structure de valence que l’yttrium, conduisant à des structures cristallographiques semblables. Du fait de la température de fusion de Bi2O3, dans la gamme 820-860°C, l’idée est venue de synthétiser un grenat de bismuth-fer afin de mettre à profit cette relative facilité de synthèse.
Aimantation à saturation et température de Curie
En dessous de la température de Curie, tous les grenats de fer sont ferrimagnétiques. Afin d’illustrer ceci, nous retenons les cas des grenats Y3Fe5O12 et Gd3Fe5O12, qui montrent des comportement différents. La différence entre ces deux matériaux provient du comportement magnétique des ions Y3+ et Gd3+. Le premier n’est porteur d’aucun moment magnétique, tandis que le second possède un moment magnétique de 7 µb. Comme on le verra plus loin, l’aimantation à saturation totale est la somme des aimantations de chaque sous-réseau. Les comportements différents de chaque sous-réseau en fonction de la température expliquent les différentes variations de σs en fonction de la température sur la Figure 3. On retient qu’aux basses températures, se sont les interactions avec les terres rares qui prédominent, alors que les sous-réseaux du fer sont à considérer à température ambiante.
Anisotropie magnétocristalline et axes de facile aimantation
Si l’ordre magnétique a pour origine l’énergie d’échange qui favorise l’alignement des spins voisins, il existe une autre énergie beaucoup plus faible qui tend à orienter la direction des spins avec des directions cristallines particulières, nommées directions de facile aimantation. Si un moment atomique est orienté dans une direction différente des directions de facile aimantation, il possède une certaine énergie potentielle d’anisotropie dépendant de l’angle du moment avec les directions de facile aimantation. Cette énergie est minimale lorsque le moment est orienté suivant l’axe de facile aimantation. Une origine possible de cette énergie est le recouvrement des distributions électroniques autour d’ions voisins : le couplage spin-orbite rompt la sphéricité des orbitales, et l’énergie du système varie lors d’une rotation des spins par rapport aux axes cristallins. L’anisotropie magnétique est la dépendance de l’énergie interne d’un système vis-à-vis de la direction de son aimantation, et relativement à ses axes de facile aimantation. Généralement l’énergie d’anisotropie magnétique a la même symétrie que le cristal, et nous l’appelons énergie magnétocristalline. Les origines de l’anisotropie magnétique peuvent être multiples ; elles peuvent être d’origine cristalline, de forme, ou de contrainte [Pas98, Phy78, Smi59]. Pour un corps ferromagnétique, l’orientation des domaines peut être modifiée par l’application d’un champ externe. Cette orientation des domaines va provoquer une aimantation résultante de l’ensemble du cristal et la courbe fournissant M en fonction de H pourra être tracée.
Pertes magnétiques à haut niveau de puissance hyperfréquence
Tout ce qui est indiqué précédemment est valable tant que le champ magnétique hyperfréquence est suffisamment petit. Au delà d’un certain champ critique apparaissent des phénomènes non-linéaires [Spa64] se traduisant par des pertes magnétiques supplémentaires rapidement prohibitives dans les dispositifs. On peut distinguer parmi ces effets non linéaires ceux du premier ordre qui apparaissent généralement à des champs Ha inférieurs au champ de résonance Hr , et ceux du deuxième ordre qui affectent la résonance elle-même. Les effets du premier ordre ont un seuil plus bas que ceux du deuxième ordre, et ils se produisent dans une zone de champs magnétiques statiques très souvent utilisée dans les applications. Ce sont donc les plus gênants en pratique. Les effets non linéaires sont dus, d’après Suhl [Suh54, Suh57], au fait que les spins électroniques, porteurs de moments magnétiques, ne restent pas parallèles entre eux dans leurs mouvements et que se produisent des ondes de spins [Pas68, Hoe03]. Le champ critique hyperfréquence hc à partir duquel de tels effets apparaissent est fonction du champ statique appliqué. Le champ hyperfréquence appliqué hc passe par un minimum pour le champ subsidiaire Hsub, et tend vers une valeur très grande pour le champ limite Hlim. La théorie de Suhl est en bon accord avec les résultats expérimentaux. L’existence des ondes de spins est liée à l’amortissement du mouvement des spins. Ces ondes se produisent d’autant plus facilement que le mouvement est moins amorti.
Densification
La principale caractéristique de ces nouveaux matériaux est, outre le fait que le matériau soit synthétisé à relativement basse température, leur température de densification [Leb04]. L’état de l’art montre que la densification des ferrites grenats est favorisée dans une atmosphère riche en oxygène [Lev64]. De ce fait, les opérations de frittage (autre nom donné à la densification) sont conduites dans un four tubulaire, sous un balayage d’oxygène. Le four utilisé étant maintenu en surpression, le contrôle de l’environnement gazeux est effectué par un balayage de gaz (débitmètre massique, avec 3 bar en amont). Il est aussi utile de rappeler ici que nous cherchons la température minimale de densification pour deux raisons :
• Du point de vue du procédé, cela permet la compatibilité avec d’autres matériaux (cofrittage), et de limiter les inter-diffusions dans une structure multi-matériaux ;
• Du point de vue propriétés, l’apport minimal d’énergie conduit à une microstructure à petits grains, favorable à de bonnes performances en puissance [Ing73]. Préliminairement au traitement thermique de densification, les poudres doivent être pressées pour rapprocher les grains de poudre qui vont coalescer sous l’effet de la température. Le choix a été fixé sur un pressage isostatique, sans introduction de liant organique dans la poudre de ferrite. Les membranes utilisées sont cylindriques et sont maintenues en extension lors du remplissage. Le bain de compression est porté à 1500 bars. Cette pression est maintenue quelques secondes (sur des échantillons cylindriques de longueur 10 cm et diamètre 2 cm environ), avant d’être progressivement relâchée. Les bâtonnets de poudre pressés sont alors sciés aux dimensions requises pour les différentes mesures qui seront entreprises par la suite. La densité de l’échantillon avant le frittage est voisine de 3,15 ; comparativement à la densité théorique du cristal YIG (pur), qui est de l’ordre de 5,17 (soit un taux de compaction de 61%). La densité s’avère être un paramètre important pour nos matériaux (Figure 26). En effet, la largeur de raie de résonance est directement influencée par cette grandeur, comme l’a mis en évidence Simonet [Sim77], sur deux échantillons de grenat de densités 5,151 et 5,128. Les propriétés remarquables du YIG dans le domaine hyperfréquence dépendent donc étroitement de la capacité à produire un matériau dense. A température ambiante, la largeur de raie ∆H peut ainsi passer de 18 à 30 Oe pour les matériaux de l’état de l’art. La composition utilisée pour déterminer la température de densification est celle pour laquelle le paramètre x visé est 0,28. Lors de l’optimisation du chamottage, nous avions pu observer un début de solidification à 1100°C. Nous partons donc de ce point. La densité est le premier critère indiquant si le frittage s’est bien passé. Compte tenu des géométries quelconques des échantillons solides obtenus, cette grandeur est mesurée de manière hydrostatique.
|
Table des matières
Sommaire
Introduction
Chapitre I : Ferrites polycristallins de structure grenat
I.1 : Les différentes familles de ferrites
I.2 : Utilisation des ferrites dans le domaine des hyperfréquences
I.3 : Les grenats ferrimagnétiques
I.3.1 : Le grenat d’yttrium-fer (YIG)
I.3.2 : Le grenat de bismuth-fer
I.3.3 : Substitutions par le cuivre
I.4 : Situation de ce travail
I.5 : Composition chimique et structure cristallographique du YIG
I.5.1 : Géométrie de la maille
I.5.2 : Distribution des ions dans les sites cationiques
I.6 : Propriétés magnétiques des ferrites grenat
I.6.1 : Aimantation à saturation et température de Curie
I.6.2 : Interactions magnétiques dans les grenats – structure en sous-réseaux
I.6.3 : Anisotropie magnétocristalline et axes de facile aimantation
I.6.4 : Magnétostriction
I.6.5 : Propriétés dynamiques des ferrites
I.6.5.1 : Principe général de fonctionnement des ferrites pour hyperfréquences
I.6.5.2 : Pertes dans les ferritee
Chapitre II : Etude des grenats d’yttrium – fer substitués par le cuivre
II.1 : Etude préliminaire
II.2 : Préparation des poudres
II.2.1 : Formation de la phase cristallographique grenat
II.2.2 : Granulométrie des poudres
II.2.3 : Analyses thermogravimétriques et thermodifférentielles
II.2.4 : Paramètre de maille et densité cristallographique
II.3 : Densification
II.3.1 : Analyse thermomécanique
II.3.2 : Aimantation à saturation à température ambiante
II.3.3 : Mesures d’aimantation à basse température
II.4 : Modèle d’insertion du cuivre dans la structure grenat
II.5 : Etude microstructurale des échantillons frittés
II.6 : Analyses élémentaires – Répartition des ions
II.7 : Conclusions sur les mécanismes d’action du cuivre
II.8 : Mesures électromagnétiques
II.8.1 : Mesures de la permittivité et de la tangente de pertes associée
II.8.2 : Mesures magnétiques hyperfréquences
II.9 : Conclusion
Chapitre III : Optimisation du procédé d’élaboration
III.1 : Introduction d’inhibiteurs et contrôle de la taille des grains
III.2 : Influence de la stœchiométrie
III.2.1 : Comparaison des formulations électroneutres avec des compositions stœchiométriques
III.2.2 : Importance de la reprise en fer
III.3 : Influence de l’oxydoréduction de CuO
III.4 : Atmosphère de chamottage
III.5 : Influence de l’atmosphère de frittage
III.5.1 : Conséquences sur l’aimantation à saturation
III.5.2 : Conséquences sur la densification
III.6 : Conclusion
Chapitre IV : Généralisation de la substitution par le cuivre dans les grenats ferrimagnétiques
IV.1 : Substitution du fer par l’aluminium
IV.1.1 : Intérêt de cette famille de grenats
IV.1.2 : Conditions de synthèse
IV.2 : Substitution de l’yttrium par le gadolinium
IV.2.1 : Intérêt de cette famille de matériaux
IV.2.2 : Conditions de synthèse
IV.3 : Substitution de l’yttrium par le dysprosium
IV.3.1 : Intérêt de cette famille de compositions
IV.3.2 : Conditions de synthèse
IV.4 : Autres substitutions
IV.5 : Substitutions par le bismuth
IV.5.1 : Diffraction X et densité
IV.5.2 : Aimantation à saturation
IV.5.3 : Mesures électromagnétiques
IV.5.4 : Substitution mixte Bi / Cu et cofrittage
IV.6 : Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Annexe A : Procédés céramiques
A.1 : Description générale
A.2 : Les différentes étapes du procédé de fabrication des céramiques
A.2.1 : Préparation de la poudre
A.2.2 : Mise en forme de la pièce crue
A.2.3 : Frittage (ou densification)
Annexe B : Techniques expérimentales
B.1 : Caractérisations physico-chimiques
B.1.1 : La diffraction des rayons X
B.1.2 : Microscopie électronique à balayage et spectroscopie à sélection d’énergie
B.2 : Caractérisation magnétique : le magnétomètre SQUID
B.3 : Montages de caractérisations hyperfréquences
B.3.1 : Détermination des propriétés diélectriques
B.3.2 : Détermination de la largeur de raie de résonance gyromagnétique ∆H
B.3.3 : Détermination de la largeur de raie de résonance gyromagnétique effective ∆Heff
B.3.4 : Détermination du seuil de non-linéarité ∆HK
Annexe C : Le circulateur à ferrite
Télécharger le rapport complet