Ces dernières années, les besoins en électronique de puissance s’orientent vers la miniaturisation globale des cartes électroniques, parallèlement à une augmentation des puissances de travail. Si le domaine de l’électronique a récemment connu un fort développement (micro-informatique, téléphonie, etc…), et a entraîné une focalisation de la recherche sur l’intégration des composants actifs, pour des applications à plus forte puissance, le problème de la miniaturisation des composants passifs se pose. En effet, ces derniers occupent actuellement la plus grande partie du volume global des alimentations à découpage, largement utilisées dans les systèmes d’électronique de puissance. L’intégration des fonctions passives, principalement représentées par des inductances et transformateurs, représente donc le point de départ de ces travaux de thèse. Un intérêt particulier sera cependant apporté à l’intégration des inductances.
L’intégration des composants et l’augmentation des densités de puissance imposent d’élaborer de nouveaux matériaux magnétiques pouvant à la fois présenter de bonnes propriétés en puissance et être adaptés aux procédés d’intégration. Des densités de puissance plus élevées entraînant une élévation de la température des cartes électroniques, le matériau magnétique choisi pour remplir les fonctions passives devra conserver ses bonnes performances jusqu’à des températures atteignant 100°C, le tout à la fréquence de travail du convertisseur de puissance. Les matériaux magnétiques utilisés en électronique dépendent de la fréquence à laquelle ils sont utilisés. Chaque type de matériau possède une plage de fréquence pour laquelle sa perméabilité est élevée et stable, et ses pertes sont les plus faibles possibles. Il convient donc de choisir la « famille» de matériaux utilisés en fonction de l’application que l’on veut en faire. De nombreux critères sont donc à prendre en compte pour le choix des matériaux magnétiques. Les mieux adaptés aux systèmes d’électronique de puissance à haute et très haute fréquence qui nous intéressent sont les ferrites Ni-Zn, de formule NixZn1-xFe2O4.
Il existe d’autres ferrites couramment utilisés en électronique de puissance, notamment les ferrites Mn-Zn, de formule MnxZn1-xFe2O4, mais ces derniers montrent une chute de leur perméabilité dans les hautes fréquences. L’avantage des ferrites Ni-Zn est que leur perméabilité peut s’étendre de 10 à environ 1000, en fonction du rapport Ni/Zn, mais surtout que leur perméabilité reste constante jusqu’aux hautes fréquences.
Leur résistivité électrique élevée à haute fréquence leur confère également une bonne isolation pour des utilisations comme inductances ou transformateurs intégrés. Ces matériaux sont disponibles dans le commerce. Ils sont fabriqués industriellement par des procédés classiques de synthèse des matériaux céramiques, obtenus par frittage à des températures avoisinant les 1250°C. Ces températures permettent d’obtenir la phase ferrimagnétique et un matériau céramique magnétique dense. Cependant, leurs performances en puissance restent néanmoins assez médiocres et les composants inductifs couramment utilisés restent de taille trop importante. Il est donc actuellement nécessaire de développer ces matériaux en suivant deux points de vue différents. Un premier objectif est d’améliorer la tenue en puissance et à haute fréquence de ces ferrites pour mieux répondre aux spécifications des nouvelles applications.
ETAT DE L’ART SUR LES FERRITES NI-ZN-CU POUR INTEGRATION DE PUISSANCE
CONTEXTE
Cette thèse s’est déroulée dans un milieu industriel, en collaboration avec Thales Systèmes Aéroportés (TSA), localisé à Brest. Elle s’inscrit donc dans des besoins spécifiques actuels de l’aéronautique, et les travaux se sont orientés vers une application particulière des secteurs de la défense et de l’aérien : les antennes actives, innovation majeure dans le domaine des radars aéroportés.
Ces antennes sont constituées par plusieurs centaines de mini-modules fonctionnant comme des émetteurs/récepteurs. Ils sont tous pilotés électroniquement, ce qui permet d’orienter le faisceau global dans la direction souhaitée sans déplacement mécanique. Ces nouveaux radars , permettent donc de repérer un plus grand nombre de cibles que les radars classiques, et ce quasiment instantanément. Leur portée est également augmentée, permettant à la fois de percevoir des cibles de plus loin, ou pour une même distance voir des cibles plus petites.
Derrière cette antenne se trouve une variété de composants, parmi lesquels on trouve des filtres pour limiter les perturbations électromagnétiques et des convertisseurs AC/DC. Chaque module de l’antenne est alimenté par une alimentation à découpage, de taille la plus faible possible, fonctionnant à haute fréquence et devant être capable de transmettre de très fortes densités de puissance.
Les alimentations à découpage se sont fortement développées depuis les années 1980 pour pallier les inconvénients des alimentations linéaires : poids élevé et faible rendement. Elles sont utilisées désormais dans tous les appareils électroniques « grand public ». Elles sont généralement composées de différents composants dits « actifs », des filtres, diodes, condensateurs et transistors qui commutent à haute fréquence, et de composants « passifs », principalement pour le stockage et la conversion d’énergie, via des inductances et des transformateurs. Ces derniers sont des composants constitués de matériaux magnétiques bobinés par un ou plusieurs conducteurs.
Le champ magnétique généré par le bobinage peut être stocké dans ces matériaux, puis restitué sous forme d’énergie électrique. Le choix du matériau est important, car ces systèmes électriques possèdent une fréquence de travail bien spécifique, pour laquelle les performances du matériau magnétique doivent être optimisées. La fréquence de travail dépend du domaine d’application. Les matériaux magnétiques des composants d’électronique de puissance sont donc choisis en fonction de leur application. Dans le cas de transformateurs large bande pour les appareils de télécommunications, les ferrites pour radiofréquences sont utilisés, en particulier des ferrites Ni-Zn, plus simples à réaliser et mieux adaptés à cette gamme de fréquence, jusqu’à 500 MHz, que les ferrites Mn-Zn, très largement utilisés en électronique de puissance.
LES RECHERCHES PRELIMINAIRES
Une des dates les plus marquantes concernant les travaux sur les ferrites Ni-Zn pour application en électronique de puissance est l’année 1992. Lors de cette année s’est déroulée la sixième conférence internationale sur les ferrites, se tenant au Japon, au cours de laquelle plusieurs articles s’intéressant à l’intégration de ces ferrites ont été publiés. Avant cette date, les études réalisées sur ces ferrites ont principalement un caractère fondamental, et s’intéressent, pour la plus grande partie, à l’influence du taux de cuivre sur les propriétés magnétiques de ces ferrites [Sri][Sch]. Cependant l’intérêt d’améliorer les performances des ferrites Ni-Zn n’est pas récent, car dès 1958, les premières publications ayant pour objectif l’amélioration des ferrites pour application à haute fréquence apparaissent. F.J. Schnettler s’est en effet intéressé à l’influence du dopage par le cobalt dans les ferrites Ni-Zn et a montré que le cobalt induisait une anisotropie qui avait pour conséquence de stabiliser les parois des domaines magnétiques [Sch]. Or c’est principalement le mouvement de ces parois sous l’influence d’un champ magnétique extérieur qui régit la perméabilité à basse fréquence de ces ferrites, ainsi que leurs pertes.
L’ajout de cobalt va alors avoir deux effets qui sont liés entre eux : la diminution de la perméabilité initiale et l’augmentation de la fréquence de résonance. Or, afin de diminuer les pertes dans le matériau magnétique, on cherche à s’éloigner de la fréquence de résonance. L’augmentation de cette dernière permet donc une utilisation du matériau magnétique sur une gamme de fréquence plus large vers les hautes fréquences.
Cependant l’intégration de puissance n’est pas, à cette époque, un thème focalisant la recherche, et même lors de la cinquième conférence internationale sur les ferrites, se tenant en Inde, seulement quatre articles traitant des ferrites Ni-Zn-Cu sont publiés. Le premier article se focalise sur un nouveau procédé de synthèse de ferrites Ni-Zn auxquels est ajoutée une faible quantité d’oxyde de cuivre (0,03 mol de cuivre dans la formulation), une synthèse par co-précipitation à partir d’hydroxydes et d’oxalates [Xu]. Ce procédé est comparé au procédé d’élaboration de céramiques classique, par broyage des oxydes précurseurs, mélange et traitement thermique. L’auteur constate alors une bien meilleure densification après frittage entre 1100°C et 1300°C des ferrites réalisés par co-précipitation, autour de 97% de la densité théorique, contrairement aux ferrites réalisés par voie céramique classique, dont la densité (comprendre « masse volumique » pour les céramistes), reste faible, entre 3,9 et 4,5 g/cm3. Cependant l’intérêt de la présence d’oxyde de cuivre dans la formulation n’est pas montré dans cet article, la bonne densification entraînée par la méthode par co-précipitation étant principalement due au fait que la synthèse par voie chimique permet d’obtenir des poudres bien plus réactives, frittant donc à des températures nettement inférieures à 1300°C. Le second article, quant à lui, s’intéresse concrètement à la problématique, novatrice à l’époque, de l’intégration de fonctions passives en électronique, et plus précisément à l’élaboration de micro-inductances bobinées, encapsulées dans du ferrite [Kum].
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I – ETAT DE L’ART SUR LES FERRITES NI-ZN-CU POUR INTEGRATION DE PUISSANCE
1. Contexte
2. Les recherches préliminaires
3. Les premiers pas de l’intégration des ferrites Ni-Zn-Cu
4. Les ajouts aux ferrites Ni-Zn-Cu : Avantages et contraintes
5. Le rôle de la microstructure des ferrites Ni-Zn-Cu
6. Les performances des ferrites Ni-Zn-Cu pour intégration de puissance
7. Le cofrittage pour intégration de puissance : Réalisations et performances
CHAPITRE II – GENERALITES SUR LES FERRITES NI-ZN
1. Composition chimique et structure cristallographique des ferrites spinelles
2. Propriétés magnétiques
2.1. Structure magnétique
2.2. Aimantation à saturation
2.2.1. Définition et exemples
2.2.2. Aimantation à saturation en fonction de la température
2.2.3. Anisotropie magnétique
2.2.4. Anisotropie magnéto-cristalline
2.2.5. Anisotropie magnéto-élastique
2.2.6. Anisotropie induite
2.3. Mécanismes d’aimantation
2.3.1. Domaines magnétiques et parois de Bloch
2.3.2. Cycle d’hystérésis d’aimantation
2.4. Perméabilité initiale complexe
2.5. Mécanismes d’aimantation
2.5.1. Rotation des moments magnétiques : Modèle de Snoek
2.5.2. Déplacements de parois : Modèle de Globus-Guyot
2.5.3. Conclusions sur les mécanismes d’aimantation
3. Facteurs influant sur la perméabilité des ferrites
3.1. Influence du champ magnétique appliqué : perméabilité d’amplitude
3.2. Influence de la température sur la perméabilité initiale
3.2.1. Cas général des ferrites
3.2.2. Cas particulier des ferrites substitués par le cobalt
3.2.3. Influence de la microstructure sur la perméabilité initiale
4. Pertes à fort niveau d’induction
4.1. Pertes par hystérésis
4.2. Pertes par courants de Foucault
4.3. Pertes par résonances-relaxations
5. Propriétés diélectriques
5.1. Résistivité électrique
5.2. Conductivité et permittivité diélectriques en fonction de la fréquence
CHAPITRE III – SYNTHESE ET CARACTERISATION DES FERRITES SPINELLES
1. La technologie céramique
1.1. Préparation de la poudre
1.1.1. Pesée des matières premières
1.1.2. Premier broyage en milieu humide : le broyage en jarre
1.1.3. Chamottage des poudres récupérées
1.1.4. Le broyage par attrition
1.2. Mise en forme des pièces céramiques
1.2.1. Enrobage
1.2.2. Mise en forme de la pièce crue
1.3. Traitement thermique final : le frittage
2. Méthodes d’analyse et de caractérisation
2.1. Caractérisations physico-chimiques
2.1.1. Mesures de densité
2.1.2. Mesures de surface spécifique : BET
2.1.3. Analyses thermomécaniques
2.1.4. Analyses thermogravimétriques (ATD/ATG)
2.2. Caractérisations microstructurales
2.2.1. Analyses par diffraction des rayons X
2.2.2. Microscopie électronique à balayage
2.3. Caractérisations magnétiques
2.3.1. Mesure de l’aimantation à saturation
2.3.2. Mesure de la perméabilité initiale complexe
2.3.3. Mesure de la perméabilité d’amplitude
2.3.4. Mesure des pertes totales en puissance et en température
CHAPITRE IV – OPTIMISATION DU MATERIAU MAGNETIQUE
1. Ajouts et substitutions
1.1. Ajout d’oxyde de cuivre CuO
1.2. Ajout d’oxyde de cobalt Co3O4
1.3. Ajout d’oxyde de Bismuth Bi2O3
1.4. Défaut de fer
2. Influence de l’oxyde de cobalt
2.1. Optimisation du taux de cobalt
2.2. Etude du procédé d’ajout de Co3O4 au ferrite
2.3. Mesures préliminaires : Surface spécifique (BET)
2.4. Densification, perméabilité et pertes en puissance
2.4.1. Méthode A : Ajout d’oxyde avant chamottage
2.4.2. Méthode B : Ajout d’oxyde avec compensation du défaut de fer
2.4.3. Méthode C : Ajout de ferrite de cobalt
2.5. Mesures d’aimantation
2.6. Conclusions sur l’effet de l’oxyde de cobalt
3. Influence du rapport Ni/Zn, réalisation de ferrites à faible perméabilité
3.1. Formulations et procédé d’élaboration
3.2. Densification et perméabilité initiale statique
3.2.1. Frittages et densification
3.2.2. Analyse microstructurale
3.2.3. Perméabilité initiale
3.3. Pertes totales
3.3.1. Mesures au wattmètre
3.3.2. Mesures à l’analyseur B/H
3.4. Conclusions sur l’effet du rapport Ni/Zn
4. Influence de la stœchiométrie en fer sur les ferrites NiZnCu
4.1. Densification
4.1.1. Mesures de densité
4.1.2. Analyse microstructurale
4.2. Perméabilité initiale statique
4.2.1. Série µ60 : Rapport Ni/Zn = 3
4.2.2. Série µ500 : Rapport Ni/Zn = 0,64
4.3. Pertes totales
4.3.1. Perméabilités faibles (µ=60)
4.3.2. Perméabilités élevées (µ=500)
4.4. Conclusions sur l’effet du défaut de fer
CONCLUSION GENERALE