Etude épidémio-clinique des psychoses puerpérales dans le service de psychiatrie du CHU du poit G
Dans toutes les cultures, la grossesse et l’accouchement font l’objet d’un certain nombre de représentations mentales d’ordre mystique, magique, ou religieux qui sont à la base de nombreuses pratiques. Ainsi dans la quasi-totalité des cultures, il existe des pratiques et des rituels qui visent à protéger la mère et l’enfant à venir. Dès lors on comprend que les risques inhérents à la grossesse et à l’accouchement sont reconnus dans toutes les cultures depuis longtemps.
Parmi les multiples risques encourus (hémorragies, dystocies, fausses couches…) pour la mère, les troubles psychiques de la grossesse et de l’accouchement ont été identifiés et seraient selon certaines croyances traditionnelles la conséquence d’agression extérieure maléfique, de perturbation à l’intérieur du corps ou liés à l’individu lui-même. [1].
La recherche d’une étiologie connue a fait l’objet de nombreuses controverses. Aucune hypothèse formulée n’a pu jusqu’à présent aboutir à des conclusions satisfaisantes et surtout concordantes.
Le concept de psychose puerpérale diffère selon les écoles. Si l’école française reconnaît à la psychose puerpérale comme étant une entité clinique autonome, il n’en est pas de même dans la nosographie anglaise [1].
L’évolution clinique pose un problème de diagnostic ; pour certains auteurs, les rechutes fréquentes en dehors d’une grossesse ultérieure doivent faire réviser le diagnostic de psychose puerpérale pour celui de psychose <> ; le passage à la chronicité pose le problème de diagnostic de départ. [1]. En 1976, GUEYE. M au Sénégal [1] a rapporté que sur 3ans d’hospitalisation psychiatrique dans le service des femmes, les psychoses puerpérales s’élevaient à 27,5%.
Selon DURANT- COMIOT M.L. la pathologie psychiatrique fréquemment rencontrée chez la femme en Afrique, est du groupe des psychoses puerpérales et certaines statistiques font état d’une hospitalisation sur trois portant ce diagnostic, proportion énorme par rapport aux chiffres retenus en Europe depuis le siècle dernier qui retenait 0 à 5% selon les auteurs et les lieux.
GENERALITES
DEFINITION
Le terme puerpéralité (du latin puerpera : femme accouchée) désigne la période qui suit l’accouchement jusqu’au retour des couches c’est-à-dire jusqu’à la réapparition des règles. [1]. Les psychoses puerpérales sont décrites comme des bouffées délirantes polymorphes avec éléments confusionnels et thymiques, de symptomatologies changeantes et d’évolution fluctuante. [3].
HISTORIQUE ET CLASSIFICATION
C’est au XIXe siècle que l’attention se porte pour la première fois sur les troubles psychiques liés à la puerpéralité. Les pionniers dans ce domaine furent Esquirol (1839) et surtout son élève Louis Victor Marcé qui écrira en 1858 un livre intitulé : « le traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices et considérations médicolégales « . Ces auteurs, tout en soulignant les particularités cliniques et évolutives des tableaux décrits, ne leur trouvaient pas de différences fondamentales avec les formes aigües d’aliénation hors puerpéralité, manie et mélancolie notamment. Par la suite, leur statut nosographique a été très controversé. Les classifications actuelles ne leur accordent guère de spécificité.
Au niveau de la CIM-10, on retrouve la catégorie peu spécifique des « troubles mentaux et du comportement associés à la puerpéralité non classés ailleurs » avec une limitation dans le temps aux 6 semaines suivant l’accouchement. Le DSM-IV évoque les « troubles thymiques » ou le « trouble psychotique bref » survenant dans les 4 semaines qui suivent l’accouchement, période des changements hormonaux supposés contribuer au déclenchement de ces troubles. Toutefois, dans la mesure où des facteurs psychosociaux seraient également en jeu, la plupart des auteurs et chercheurs dans ce domaine retiennent une période de 6 mois pour le post-partum et d’autres vont jusqu’à un an après l’accouchement.
EPIDEMIOLOGIE
Les statistiques sont difficiles à établir : La fréquentation des hôpitaux psychiatriques, tous diagnostiques confondus au cours de la puerpéralité varie de 1 à 2 pour milles accouchements dans la population générale. La fréquence des psychoses puerpérales est de 2 à 5% de l’ensemble des troubles psychiques.
➧ La dépression gravidique touche environ 10 à 15 % des femmes enceintes.
➧ La dépression du post-partum touche environ 15 % des accouchées.
➧ Seule 10 % des dépressions du post-partum seraient diagnostiquées et traitées.
➧ L’incidence des psychoses puerpérales est estimée à 0,2 % de la population.
Il faut noter que le syndrome dépressif et les troubles névrotiques sont plus fréquents pendant la grossesse, tandis que le post-partum blues, la dépression du post-partum et la psychose puerpérale sont plus fréquents après l’accouchement.
ETIOPATHOGENIE
Les manifestations psychiatriques de la grossesse et du post-partum ne peuvent se comprendre que parce que l’événement de la maternité est à resituer dans le développement de la personnalité de la femme. L’ambivalence maternelle, les difficultés de l’accès à la fonction maternelle ainsi que la fragilité et les remaniements psychiques, riches en résonances inconscientes, et inhérents à cette période, rendent la jeune mère particulièrement vulnérable. Une maternité, qu’elle soit première ou multiple, demande des exigences adaptatives particulièrement fortes. Le début de la grossesse est une crise narcissique que vit la femme avec un sentiment de plénitude, de toute puissance, mais aussi parfois d’inquiétude et de repli sur soi. Le désir d’enfants représente un ensemble complexe qui mêle des sentiments (conscients et inconscients) plus ou moins ambivalents et doit être distingué de la volonté d’avoir un enfant. Le désir d’enfant permet, au fil des mois de la grossesse, la prise de conscience de l’existence de cet enfant et sa véritable attente. Au début, le fœtus est indistinct de la mère. Progressivement celle-ci construit des représentations imaginaires de son bébé à partir de ses rêveries, de la perception des mouvements fœtaux, mais aussi des images échographiques. Les représentations mentales qu’elle se fait sont doubles, imaginaires et conscientes d’une part, fantasmatiques et inconscientes d’autre part, car s’appuyant sur son histoire œdipienne. L’accouchement permet l’avènement de l’enfant réel.
L’état psychique maternel évolue depuis les dernières semaines de la grossesse jusqu’au post-partum pour permettre l’installation de ce que Winnicott a nommé « la préoccupation maternelle primaire » c’est-à-dire une hypersensibilité transitoire de la mère à son nouveau-né et une attention toute particulière de celle-ci aux besoins de l’enfant. Cet état physiologique et transitoire permet d’assurer au nouveau-né un sentiment de continuité psychique et aux liens mèrebébé de s’établir, ce qui est essentiel pour le devenir psychique du bébé. Plusieurs types de facteurs sont à prendre en compte dans le déclenchement des pathologies puerpérales :
►Les facteurs psycho dynamiques semblent avoir un rôle essentiel : le travail psychique de la maternité remet en question les étapes du développement psychosexuel de la petite fille et réactualise ses fantasmes œdipiens infantiles. Il interroge également le désir d’enfant. La grossesse peut s’intégrer alors dans une expérience œdipienne non élaborée, laissant affleurer des fantasmes d’inceste avec sentiments de honte et de culpabilité, d’autant plus qu’il y a eu expérience(s) réelle(s) d’inceste. Il modifie de plus le statut de la femme qui de fille devient mère.
►Les facteurs liés à une vulnérabilité psychique antérieure à la grossesse représentent des facteurs de risque certains pour le développement d’une pathologie du post-partum : épisode de psychose dysthymique puerpérale ; maladie maniaco-dépressive ; personnalité immature, schizoïde ; psychose chronique schizophrénique ; névrose grave.
►Les facteurs de stress :
– Facteurs biologiques : l’ampleur des bouleversements endocriniens est évoquée comme facteur étiologique des pathologies puerpérales.
– Facteurs gynécologiques et obstétricaux : mort in utero, interruption médicale de grossesse lors d’une précédente grossesse, craintes pour la santé de l’enfant, accouchement difficile et douloureux, hémorragies, dystocie, césarienne (surtout sous anesthésie générale), accouchement prématuré, primiparité.
►Les facteurs psychosociaux et l’histoire personnelle des parents sont également importants à prendre en compte. Il s’agit de facteurs socioéconomiques, environnementaux, circonstanciels. L’absence de support social et le stress existentiel favorisent une désorganisation pathologique (mère seule ou sans repères familiaux, dissensions conjugales, perte d’un parent ou d’un enfant antérieurement, conditions sociales défavorables).
►Les facteurs culturels sont importants comme l’ont montré les travaux récents sur les femmes migrantes. La migration est en particulier un facteur de risque pour la dépression tardive du post-partum. La langue et les représentations culturelles de la grossesse et de l’enfant doivent être prises en compte dans la prévention et le soin des femmes migrantes enceintes ou récemment accouchées.
CONCLUSION
Le concept de psychose puerpérale diffère selon les écoles. Pour l’école française, il s’agit d’une entité nosographique autonome. Cette étude hospitalière, rétrospective a porté sur dix ans d’activité du service de psychiatrie du CHU du Point G. Sur cette période allant de Janvier 2004 à Décembre 2014, 329 cas de psychose puerpérale ont été colligés, ce qui représente une fréquence hospitalière de 1,6%. La BDA était le tableau clinique qui prédominait (64,7%) et la période de maternité la plus touchée était le post-partum immédiat. Dans la série, les patientes de la tranche d’âge 21 – 30 ans prédominaient (47,7%). Tout âge confondu, les patientes étaient pour la plupart mariées, primipares, non scolarisées et venaient surtout du district de Bamako. Dans 16,1% des cas, elles avaient des antécédents psychiatriques personnels avec surtout 12,8% d’antécédents personnels de puerpéralité. Les antécédents familiaux étaient retrouvés dans 29,5% des cas. L’évolution avec le traitement conventionnel qui a été le mode de prise en charge de première intention, a été favorable dans 81,2% des cas. Sur le plan socioculturel, la notion de djinè bana a été le modèle explicatif le plus évoqué.
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Table des matières
INTRODUCTION
I- OBJECTIFS
II- GENERALITES
III- METHODOLOGIE
IV- RESULTATS
V- COMMENTAIRES ET DISCUSIONS
CONCLUSION
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