La naissance prématurée, définie comme une naissance avant 37 semaines d’aménorrhée (SA) complètes, reste la principale cause de décès et de morbidité pendant la période néonatale. Les nouveau-nés modérément prématurés (MP) dont l’âge gestationnel (AG) se situe entre 32 et 34 SA complètes représentent 20 à 30 % des naissances prématurées (1, 2). Bien que les complications sévères soient rares, les nouveau-nés MP ont une incidence 2 à 10 fois plus élevée de complications légères à modérées que les nouveau-nés à terme (3, 4, 5, 6, 7). Ils présentent des vulnérabilités médicales uniques et peu reconnues et sont souvent considérés à tort comme des nouveau-nés en bonne santé. La nutrition précoce est un déterminant important de la croissance néonatale, de la morbidité/mortalité néonatale et du développement psychomoteur des nouveau-nés prématurés (8). Les déterminants de la croissance et de la nutrition ont été largement étudiés chez les nouveau-nés très prématurés (TP) et extrêmement prématurés (EP), mais les connaissances sont moindres sur leur influence sur la santé des nouveau-nés MP. Le retard de croissance postnatal est associé à un impact négatif à court et à long terme sur la santé et le développement neurologique des nouveau-nés TP et EP (9, 10, 11, 12, 13). Les apports recommandés, basés sur les besoins fœtaux, sont proportionnellement plus élevés chez les nouveau-nés immatures et devraient idéalement être atteints au cours de la première semaine de vie (14, 15). Par rapport aux nouveau-nés à terme, les nouveau-nés MP naissent à un moment de développement rapide où les besoins en nutriments sont élevés ; cependant, ils sont à tort traités sur le plan nutritionnel comme des nouveau-nés à terme (16). Contrairement aux nourrissons TP et EP, ils sont moins souvent alimentés par voie parentérale (17) et reçoivent principalement leurs apports nutritionnels par voie entérale. Il y a un manque d’information et de cohérence dans la gestion nutritionnelle de cette population vulnérable et négligée. Quelques études ont montré que les nouveau-nés MP sont à risque de retard de croissance postnatale, et ont relevé des variations significatives dans les pratiques nutritionnelles selon les unités de soins intensifs néonataux (18, 19, 20). Récemment, comme pour les nouveau-nés TP et EP, il a été constaté que l’apport moyen en protéines de la première semaine influence positivement la croissance du poids et du périmètre crânien chez les nouveau-nés MP (21). Ainsi, les données disponibles sont rares et des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux évaluer le rôle des macronutriments et des apports énergétiques et protéiques sur la croissance néonatale.
Patients et méthodes
Conception de l’étude et population
Cette étude était une étude de cohorte observationnelle, non interventionnelle, basée sur une population. Les parents étaient informés de l’étude et pouvaient s’opposer à la collecte de données sur leur enfant. Comme il s’agissait d’une étude non interventionnelle, le consentement des parents n’était pas nécessaire. Les dossiers des nouveau-nés ont été anonymisés pour être analysés. Cette étude a été déclarée à la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) sous le numéro 1979318 et approuvée par le comité scientifique du réseau régional de santé périnatale. Ont été inclus tous les nouveau-nés MP nés entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2017 avec un AG de 32 0/7 à 34 6/7 SA, qui étaient admis dans les unités néonatales de la région PACA-Corse-Monaco dans le sud-est de la France. La région PACA-Corse-Monaco compte près de 61 000 naissances par an et comprend 3 unités de soins intensifs néonataux de niveau III et 18 unités de néonatalogie de niveau II. Les 21 centres de médecine néonatale ont tous participé à l’étude. Les nouveau-nés décédés avant leur sortie des unités de néonatologie, présentant des anomalies congénitales ou génétiques majeures ou pour lesquels il manquait des données concernant les paramètres de croissance (à la naissance, au septième jour et à la sortie) ont été exclus.
Paramètres de nutrition et de croissance
Les apports nutritionnels ont été recueillis et calculés au 1er jour de vie (J1), au 7 ième jour de vie (J7) et à la sortie à domicile (S/D). Le volume d’alimentation et les apports en énergie, protéines, lipides et glucose ont été calculés à partir de l’alimentation entérale quotidienne (incluant le lait maternel (LM) et le lait artificiel) et de la nutrition parentérale. Les quantités d’enrichissement du LM et la date de l’initiation de cet enrichissement ont également été notées. Le LM de don, provenant de mères de nouveau-nés matures, était considéré comme contenant 1.2 g de protéines, 3.2 g de lipides et 7.8 g de glucides pour 100 ml, alors que le LM de mère de nouveau-né MP était considéré comme contenant 1.9 g de protéines, 4.8 g de lipides et 7.5 g de glucose pour 100 ml (22). La durée et le type d’alimentation parentérale, l’utilisation d’un cathéter veineux central (y compris un cathéter veineux ombilical), ont également été relevés. Nous avons recueilli le poids (P), la taille et le périmètre crânien à J1, J7 et à la S/D. Le petit poids pour l’âge gestationnel (PAG), défini comme un poids à la naissance inférieur à -1,28 déviation standard (DS) en dessous du poids moyen pour l’AG, et les z-score pour le P, la taille et le périmètre crânien à J1, J7 et à la S/D, ainsi que leurs variations dans le temps (delta zscore) ont été calculés en utilisant les courbes de croissance de Fenton (https://peditools.org/fenton2013). Le retard de croissance extra utérin (RCEU) a été défini comme une diminution du delta z-score P de plus de 1 DS de la naissance (J1) à la S/D des unités de néonatologie. Comme il s’agissait d’une étude non interventionnelle, la gestion nutritionnelle a été laissée à la discrétion du personnel médical.
Recueil des données
Les données obstétricales et néonatales ont été recueillies à partir des dossiers médicaux des nouveau-nés. L’âge maternel, les grossesses multiples, l’administration d’une corticothérapie anténatale, les complications obstétricales et le mode d’accouchement ont été notés. L’AG a été calculé en fonction de la date des dernières menstruations et/ou de l’estimation de la date de début de grossesse lors de l’échographie obstétricale précoce. La morbidité néonatale incluait le syndrome de détresse respiratoire sévère (SDR) défini par la nécessité d’instillation endotrachéale de surfactant exogène, l’utilisation d’une pression positive nasale continue (nPPC), l’entérocolite ulcéro-nécrosante (ECUN) ≥ stade II selon la définition de Bell, les infections précoces (dans les trois premiers jours), les lésions cérébrales graves (hémorragie intraventriculaire ≥ stade III selon la définition de Papile ou leucomalacie périventriculaire diagnostiquée par échographie transfontanellaire ou par imagerie par résonance magnétique cérébrale), la dysplasie broncho-pulmonaire définie comme le besoin d’oxygène ou d’un support ventilatoire au 28ième jour de vie, les bactériémies liées au cathéter, définies comme au moins une hémoculture positive associée à des manifestations cliniques ou à l’utilisation d’antibiotiques pendant au moins 5 jours, et la durée d’hospitalisation. Les unités de médecine néonatale ont été divisées en trois groupes selon le nombre de nouveau nés MP admis pendant la période d’étude : Groupe 1, moins de 20, Groupe 2, 20 à 50 et Groupe 3, plus de 50 nouveaunés.
Analyse statistique
Nous avons tout d’abord décrit la population, puis nous avons comparé les groupes avec ou sans RCEU. Nous avons effectué des analyses statistiques pour ces comparaisons en utilisant le test du Chi² ou le test exact de Fisher pour les variables qualitatives et le test T de Student ou le test non paramétrique de Kruskal – Wallis (lorsque les conditions du test T de Student n’étaient pas remplies) pour les variables quantitatives. Les variables ayant une valeur p < 0,20 dans les analyses bivariables ont été introduites dans une analyse multivariée de régression logistique pas à pas descendante afin d’identifier les facteurs associés au RCEU. Nous avons effectué une régression logistique généralisée multivariable (PROC GLIMMIX dans SAS ®), avec le lieu d’hospitalisation comme effet aléatoire pour prendre en compte la corrélation des données due à l’effet de centre. Les facteurs confondants ont été éliminés, les calories totales à J7 ont été retenues pour représenter les apports nutritionnels dans un premier modèle, et les protéines totales à J7 dans un second modèle. Les résultats sont présentés sous forme d’Odds Ratios (OR) et de leurs intervalles de confiance (IC) à 95 %. Le seuil de valeur p pour définir la signification statistique était < 0,05. Les analyses ont été effectuées à l’aide des logiciels IBM SPSS Statistics for Windows, Version 20.0, et SAS ®, Version 9.4.
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Table des matières
Introduction
Matériel et méthodes
Conception de l’étude et population
Paramètres de nutrition et de croissance
Recueil des données
Analyse statistique
Résultats
Paramètres de nutrition et de croissance
Apports énergétiques précoces et RCEU
Discussion
Conclusion
Références
Abréviation
Annexes
Tableau