Madagascar compte parmi les pays tropicaux les plus riches en biodiversité au monde. En effet, la diversité et le taux d’endémisme de presque tous les groupes taxonomiques sont exceptionnellement élevés (Mittermeier et al., 1997 ; 1999). Parmi les groupes les plus riches figure l’herpétofaune avec 136 espèces d’amphibiens et 409 reptiles déjà décrites (Amphibiaweb, 2016; Glaw et al., 2016). Mais de nombreuses formes nouvelles restent encore à décrire et à identifier (Glaw & Vences, 2007 ; Vieites et al., 2009 ; Glaw et al., 2012 ; Kucharzewski et al., 2014). La majorité des espèces d’amphibiens est confinée à la forêt dense humide de l’Est (Andreone et al., 2005 ; Raselimanana, 2008). Cependant, il existe aussi des reptiles qui ont une affinité particulière à ce type d’écosystème entre autres les caméléons (Raselimanana et al., 2000).
Les forêts humides comprennent des habitats naturels hétérogènes qui jouent un rôle important dans la préservation de la biodiversité unique de Madagascar. Les différentes investigations biologiques menées dans ces types d’habitats dans la grande île ont montré que les espèces d’amphibiens et des reptiles présentent une distribution selon des gradients écologiques entre autre l’humidité et l’altitude (Nussbaum et al., 1999 ; Raselimanana et al., 2000 ; Ramanamanjato, 2007 ). De plus, la plupart des espèces sont aussi caractérisées par une spécificité écologique particulière (Raxworthy & Nussbaum, 1997 ; Wilmé et al., 2012 ; Brown et al., 2016). Les zones de basse altitude de la région orientale sont parmi les endroits privilégiés des espèces herpétofauniques, mais elles figurent aussi dans les écosystèmes les plus menacées de l’île (Ganzhorn et al., 1997). Une grande partie est déjà détruite et il n’en reste plus que des fractions de la couverture forestière originelle (Du Puy & Moat, 1996). Effectivement, la zone de basse altitude fait l’objet de pressions et de menaces d’origine anthropique. Elles sont liées à la pratique de la culture sur brûlis, la chasse et à toutes sortes d’exploitations y compris l’extraction minière, les coupes sélectives qui sont tous à l’origine du défrichement. Il en résulte une dégradation de l’écosystème forestier. Ainsi, une perturbation quasi-permanente conduisant vers la perte massive en biodiversité qui s’accentue de jour en jour (Green & Sussman, 1990). Outre cette importante perte en superficie, la fragmentation des habitats mène directement vers la formation de plusieurs blocs isolés, entraînant l’isolement des populations. Les conséquences de cette fragmentation pourraient être fatales car elles seraient à l’origine d’extirpation locale et constituerait un obstacle pour les échanges entre ces populations (Vallan, 2002).
Depuis plus d’une vingtaine d’années, de nombreuses investigations biologiques ont déjà été menées par différents chercheurs à travers l’île (Raxworthy & Nusssbaum, 1997 ; Glaw & Vences, 2007 ; Wilmé et al., 2012). Les données obtenues ont pu aider les acteurs dans le domaine de la conservation et les décideurs, à identifier les zones prioritaires pouvant être intégrés dans le système des aires protégées. Il s’avère également que les informations relatives à la biodiversité sont capitales dans la conception de plan d’aménagement et de gestion d’une aire protégée (Kremen et al., 1998). L’inventaire des sites au sein ou en dehors de ces zones de conservation, et les informations détaillées sur la faune ainsi que sur l’histoire naturelle des zones déjà inventoriées sont cependant loin d’être complets. Et parmi les groupes où l’on connaît plus de lacune d’informations figure l’herpétofaune malgache, tant sur le plan systématique que sur l’aspect écologique et biologique.
GENERALITES
Madagascar est considéré comme l’une des priorités mondiales pour la conservation (Mittermeier et al., 1988 ; Myers et al., 2000), à cause de sa biodiversité exceptionnellement riche et originelle. Ce niveau d’endémisme extrêmement élevé est lié aux 160 millions d’années d’évolution en isolation (Harcourt et al., 1996 ; Mittermeier et al., 1997). Ainsi, au niveau des espèces, l’endémisme dépasse généralement 90 % pour la plupart des groupes taxonomiques (Goodman & Patterson, 1997). Madagascar possède en outre des écosystèmes d’une diversité remarquable. Ses habitats naturels vont de forêts tropicales humides, allant du niveau de la mer jusqu’à plusde 2000 m d’altitude, occupant la partie Est et Nord-ouest, aux forêts sèches décidues de l’Ouest et les forêts épineuses de l’extrême Sud de l’île (Nicoll & Langrand, 1989 ; Moat & Smith, 2007).
Lors de la revalorisation des hots pots (régions prioritaires pour la conservation de la biodiversité) par Conservation International, Madagascar a été identifié comme étant l’une des 25 premières régions possédant une concentration exceptionnelle d’espèces endémiques, mais avec un degré très élevé de déforestation (Myers et al., 2000). La protection des dernières communautés biotiques et des écosystèmes restants devient désormais une priorité à l’échelle mondiale, pour éviter la perte définitive de patrimoine biologique naturel unique. Il a été malheureusement estimé que près de 80% des forêts malgaches ont disparu depuis 1500-2000 au cours de l’arrivée de l’homme sur la grande île (Mac Phee & Burney, 1991). Cette disparition serait principalement due à la conversion des zones forestières en terres agricoles, l’extraction des ressources ligneuses et des bois pour la construction, ainsi que l’exploitation commerciale des bois (Green & Sussman, 1990). La pratique de l’agriculture sur brûlis itinérant, appelée localement tavy, est probablement la principale cause de la destruction rapide de la forêt. Ce défi de préserver les ressources naturelles biologiques dans un ensemble complexe fait aujourd’hui partie intégrante de la mission principale de la biologie de la conservation.
Il s’avère que 80 % de la biodiversité terrestre se trouvent dans les forêts tropicales humides (Raven & Wilson, 1992). Toutefois, cette biodiversité n’y est pas nécessairement distribuée d’une manière uniforme. Par ailleurs, au sein de ces écosystèmes hétérogènes et complexes se trouvent les espèces vulnérables au extinction (Kramer & van Schaik, 1997). La meilleure connaissance des différents aspects biologiques et écologiques est ainsi importante pour la conservation et la gestion à long terme (Kremen et al., 1998). Il faut noter aussi que dans le monde de la conservation, les moyens financiers et techniques sont limités, alors, il faut savoir prioriser les actions. Ainsi, afin de garantir la préservation efficace d’une proportion importante de sa biodiversité, Madagascar a lancé un défi de tripler la superficie de ses aires protégées. En 2003, à Durban, en Afrique du Sud, le gouvernement malgache a annoncé une vision d’élargir ses aires protégées, allant de 1,7 millions d’hectares à 6 millions d’hectares. Cette vision, connue sous l’appellation «Vision Durban», et dont la mise en œuvre a permis la création du Système des Aires Protégées de Madagascar (SAPM). La réalisation d’une telle mission d’envergure a discerné la participation active des différents secteurs, y compris la recherche. Depuis le milieu des années 1980, les travaux de terrain ont repris et de nombreuses autres régions isolées qui étaient peu explorées jusqu’alors ont été inventoriées avec un accent particulier porté sur les aires protégées (Raxworthy, 2003).
Effectivement, depuis 1927, Madagascar a déjà commencé à établir des aires protégées ou des sites d’intérêts biologiques, couvrant au total plus de 1 000 000 ha (Nicoll & Langrand, 1989) pour 16 Parcs Nationaux (PN), cinq Réserves Naturelles Intégrales (RNI) et 23 Réserves Spéciales (RS). La mise en place d’une coordination efficace au sein de la gestion à l’échelle nationale est d’une importance capitale. C’est ainsi que le Programme National pour l’Environnement comprenant trois phases quinquennales a prévu la création de l’Association Nationale pour la Gestion des Aires Protégées (ANGAP). Cette dernière est devenue l’actuel Madagascar National Park (MNP) qui a pour mission d’assurer cette coordination en tant qu’organe d’exécution. En outre, la Grande île dispose un vaste réseau de Forêts Classées (FC) et de Réserves Forestières (RF) couvrant plus de 4 000 000 ha. Ces forêts non protégées sont placées sous la juridiction de la Direction des Eaux et Forêts (DEF). L’exploitation forestière, l’activité minière et la conversion en terres agricoles sont autorisées dans les forêts classées alors que ces activités sont interdites dans les aires protégées.
A part cette structure institutionnelle, le Plan d’Aménagement Environnemental ou PAE, prévoit aussi la responsabilisation et l’intégration des populations locales. En effet, les communautés de base s’impliquent dans le système de gestion pour limiter les pressions sur les ressources naturelles. Ainsi, l’Etat a procédé à déléguer la gestion de ces richesses naturelles par le biais du transfert de gestion (TGRN) ou à travers la Gestion Participative des Forêts. Les acquis de ces années de mise en œuvre de la PAE ont permis par la suite de renforcer les partages de responsabilités dans la gestion des Nouvelles Aires Protégées (NAP). Il est noté également que c’est une réalisation importante du Pays dans la mise en œuvre de la Vision Durban (GIZ, 2014). Le défi consiste à responsabiliser les acteurs locaux pour le maintien de la biodiversité, la restauration des zones dégradées et la valorisation durable des ressources naturelles (RN) dans leur territoire. En outre, il s’agit de renforcer tant l’accès aux avantages générés par la gestion que la sécurisation à long terme des droits d’utilisation de ces ressources (GIZ, 2014).
Ces différentes approches sont dans le but de préserver les quelques 250 000 espèces animales et végétales malgaches ; soit 5% de l’ensemble des plantes et des animaux connus sur Terre et dont plus de 70% de ces espèces ne se trouvent qu’à Madagascar (WWF, 2010). Parmi les groupes fauniques les plus diversifiés et avec un fort taux d’endémisme, figure l’herpétofaune. La découverte des nouvelles formes ne cesse pas d’augmenter (Vences & Glaw, 2001 ; Kosuch et al, 2001, Glaw & Vences, 2007 ; Vieites et al., 2009 ; Glaw et al., 2012 ; Kucharzewski et al., 2014).). La situation de la richesse en amphibiens citée par Vietes et ses collaborateurs en 2009 a connu une augmentation de 16,39 % juste trois ans après (Vietes et al., 2009). L’augmentation des efforts d’investigation biologique menée par les différents chercheurs et biologistes de terrain, et l’utilisation des approches intégratives dans la systématique, ainsi que les publications des résultats de recherches sont à l’origine de cette amélioration des connaissances sur l’herpétofaune malgache. Concernant les reptiles, le taux d’endémicité avoisine 95%. L’endémisme touche même le niveau de sous- famille, c’est entre autres le cas des Oplurinae et des Gerrhosaurinae (Raxworthy, 2003). Par ailleurs, un grand nombre de ces espèces herpétofauniques sont menacées d’extinction. Selon la liste rouge d’IUCN, l’évaluation de cette richesse a donné que 136 espèces d’amphibiens sont classées menacées dont 20 CR (En danger critique), 74 EN (En Danger) et 42Vu (Vulnérable) et pour 409 espèces de reptiles 21 CR, 54 EN et 55 Vu (UICN, 2016). Malgré tous ces efforts d’investigation, beaucoup restent encore à faire pour avancer les actions qui permettront de fournir les connaissances pertinentes pour la préservation de la biodiversité. Plusieurs sites restent insuffisamment étudiées le long des côtes Est et Nord-est à savoir la forêt d’Analalava, bien que des inventaires et des évaluations rapides aient été effectuées partout dans les régions de l’île (Andreone et al, 2005 ; Boumans et al, 2007). Heureusement, des vestiges forestiers dans la grande île comme Analalava ont acquis le statut de NAP pour une meilleure gestion de conservation et de compenser les lacunes des recherches scientifiques.
PRESENTATION DU SITE D’ETUDE : la Nouvelle Aire Protégée d’Analalava
Situation géographique
La forêt d’Analalava se trouve dans la partie Est de Madagascar, à 7 km suivant la route secondaire au sud-ouest de la Commune Rurale de Foulpointe, District de Toamasina II, Région Atsinanana. Elle est accessible par la route reliant Foulpointe à la Commune Rurale d’Andondabe. Elle est comprise entre 17°41′ – 17°42′ de latitude Sud et 49°27′ – 49°26′ de longitude Est, l’altitude varie de 10 à 79 m. Le site est géré par Missouri Botanical Garden (MBG) et l’association communautaire VELONALA. En 2006, la forêt d’Analalava a reçu le statut temporaire d’Aire Protégée, mais depuis 2015, elle est officiellement classée dans le rang de Parc Naturelle (MBG, 2015).
Historique
Depuis 1975 jusqu’à maintenant, avec sa superficie totale de 229 ha, la forêt d’Analalava portait le statut de Forêt Domaniale et dont la gestion incombe au Ministère de l’Environnement et des Eaux et Forêts. Des agents et des chefs de cantonnement du Ministère ont succédé pour assurer la protection de la forêt d’Analalava. Le retrait du Service Forestier sur place (Foulpointe) en 1997 a accéléré la vitesse de dégradation de la forêt. De 1992 à 2001, la gestion des parcelles de reboisement autour de la forêt (Coté Est et Sud-Ouest), également avec une responsabilité implicite de la forêt naturelle, a été confiée par le Service des Eaux et Forêts à l’institution (MBG, 2015).
Climatologie
La région de Foulpointe est soumise à un climat de plaine côtière, bénéficiant de précipitations abondantes apportées par l’Alizé, vent du Sud-est. La précipitation moyenne annuelle entre 2008 à 2011 est de 2843,3 mm et repartie en 208 jours (Dufournet, 1972). La saison de pluie s’étale du mois de décembre au mois d’avril et progressivement avec un pic en mars. A partir du mois de mai, la précipitation diminue, mais il n’existe pratiquement pas de saison sèche. La température moyenne annuelle est de 28,87°C. La forêt d’Analalava est soumise en effet à un bioclimat du type perhumide chaud (Cornet, 1972 ; 1974).
Hydrologie
La NAP d’Analalava s’allonge dans une direction est-ouest suivant la ligne d’une crête, ayant comme altitude maximale 79 m. Les plaines et les versants de part et d’autre de cette ligne sont drainés par cinq rivières qui prennent sources dans la forêt d’Analalava dont : Sahamamy (Ouest et Sud), Antaranahary (Nord et Nord ouest), Sahavary (Nord-est), Soavina (Est), et celle de Mandenakaratra (Sud-est) . La forêt d’Analalava représente en effet une importante réserve d’eau pour les zones périphériques et elle attribue aux zones adjacentes une forte potentialité agricole. Par ailleurs, ces différentes sources alimentent les lacs environnants, favorisant par conséquent les activités des pêcheurs.
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Table des matières
INTRODUCTION
GENERALITES
I. MATERIELS ET METHODES
I.1. PRESENTATION DU SITE D’ETUDE : la Nouvelle Aire Protégée d’Analalava
I.1.1. Situation géographique
I.1.2. Historique
I.1.3. Climatologie
I.1.4. Hydrologie
I.1.5. Géologie et géomorphologie
I.1.6. Flore et végétation
I.2. METHODOLOGIE
I.2.1. Echantillonnage
I.2.2. Techniques d’inventaire de l’herpétofaune
I.2.3. Caractérisation des sites d’échantillonnage
I.2.4. Traitement et analyse des données
I.2.5. Calcul de la diversité et de l’abondance relative
I.2.6. Analyse de la distribution écologique
I.2.7. Analyse de la variation de l’assemblage biologique
I.2.8. Collecte d’informations sur les pressions et les menaces potentielles
II. RESULTATS ET INTERPRETATIONS
II.1. Caractéristiques de la communauté herpétofaunique
II.1.1. Richesse spécifique
II.1.2. Composition taxinomique ou groupement
II.1.3. Abondance relative
II.1.4. Distribution, endémisme et statut de conservation
II.1.5. Indice de diversité H’ et indice d’équitabilité E
II.2. Aspects écologiques
II.2.1. Caractéristiques de l’habitat
II.2.2. Profil de la végétation
II.2.3. Affinité écologique et mœurs
II.3. Variation de l’assemblage biologique
II.4. Pressions et menaces
III. DISCUSSIONS
Richesse spécifique
Abondance relative
Répartition écologique
Extension de la distribution géographique
Variation de l’assemblage biologique
Pressions et menaces, implication à la conservation
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES