L’optimisation multi-critères est un axe de recherche fondamental depuis les débuts de l’aviation civile. Les avions de ligne sont des appareils extrêmement complexes et nécessitent de nombreux compromis entre plusieurs paramètres pour fonctionner avec efficacité. Au cours des dernières années, de nouveaux enjeux sont entrés en ligne de compte dans la conception globale des avions de ligne, notamment depuis le protocole de Kyoto qui a fait du changement climatique l’un des principaux enjeux du XXIe siècle. Tous les secteurs industriels, y compris le secteur aéronautique, sont donc contraints de réduire leur rejet d’émissions polluantes dans l’atmosphère. Les acteurs de ce secteur s’accordent également sur le fait que le trafic aérien et donc les émissions polluantes vont croître à long terme. À ces nouvelles exigences environnementales, s’ajoutent celles des compagnies aériennes qui demandent des produits plus compétitifs tant au niveau de la fiabilité que du coût de fonctionnement (maintenance, consommation de carburant, etc.). La production de nouveaux avions plus performants et efficients passe donc par l’amélioration de l’aérodynamisme de l’appareil, le rendement de ses moteurs et surtout l’allègement de sa structure afin de réduire la consommation de kérozène, et donc l’émission de gaz polluants. La compétition entre les matériaux métalliques mieux maîtrisés et les matériaux composites plus innovants a donc été relancée, et l’utilisation de ces derniers ne cesse de s’amplifier dans ce domaine.
Au départ, l’utilisation de ces matériaux était cantonnée à des structures secondaires faiblement chargées mécaniquement. Une meilleure compréhension du comportement matériau et une meilleure maîtrise des procédés de fabrication a permis leur utilisation pour la fabrication de structures primaires assurant l’intégrité structural de l’avion. Par exemple, pour l’Airbus A380, le caisson central de voilure a été entièrement réalisé en matériaux composites et a ainsi permis une diminution de la masse de plus de 1.5 tonne en comparaison d’une solution métallique. Les derniers avions en date des constructeurs Boeing et Airbus comportent une part prédominante de matériaux composites. Le 787 est composé à hauteur de 50% de matériaux composites, tandis que dans l’A350, ceux-ci représentent 53% de la masse de l’appareil. L’avantage de ces matériaux est qu’ils possèdent un rapport masse/rigidité/résistance important par rapport aux matériaux métalliques et une plus grande durée de vie, réduisant ainsi les coûts de maintenance et les intervalles d’inspection.
Outre ces nouveaux enjeux, la conception d’un nouvel appareil est un processus très long et complexe, qui met en œuvre différents champs de compétences très éloignés les uns des autres. Au cours des années, ses différentes étapes ont été améliorées au fur et à mesure des progrès réalisés dans les technologies associées. Les souffleries ont permis de vérifier au sol le comportement de la structure sans faire d’essais en vol. Grâce aux équations d’Euler et de Navier Stockes, il a été possible de définir de façon rigoureuse un cadre physique permettant de caractériser le comportement de l’avion en fonction de différents paramètres, comme la vitesse ou le nombre de Mach. Le développement des outils informatiques et de la modélisation numérique a permis aux ingénieurs de créer des modèles numériques de plus en plus réalistes, permettant de se passer des feuilles de dessin, de réaliser de nombreux tests numériques, d’obtenir une grande souplesse de manipulation de ces modèles, et surtout d’accélérer drastiquement la phase de conception d’un nouvel appareil. Les modèles à éléments finis ont permis une grande simplification de la représentation d’un modèle d’avion et de sa structure, ainsi que la manière dont il réagit à l’effort.
À l’image des autres domaines de l’industrie, la recherche en optimisation est donc intense dans le secteur aéronautique [85, 96]. Une évolution importante de la fin des années 80 est l’introduction de paramètres incertains dans les modèles numériques [15, 18, 45, 52, 60, 61, 68, 69, 70, 71, 73, 74, 75]. L’étude de techniques d’optimisation en présence d’incertitudes en aéroélasticité est plus récente et n’a commencé qu’au début des années 2000, bien qu’il y ait déjà eu des recherches en optimisation stochastique de design dans d’autres domaines industriels bien avant cette époque [12, 13, 19, 84, 88]. Cette incorporation a été effectuée pour tenir compte de certaines situations pouvant rendre difficile une évaluation précise du comportement de l’avion. Par exemple, au cours de la phase de conception d’un avion, afin de répondre à différents critères ou dans le but d’éliminer certains problèmes que rencontre le modèle, ce dernier est amené à évoluer pour répondre efficacement aux demandes et aux besoins qu’il est censé satisfaire. Le modèle n’est pas figé dès les premières ébauches, mais pour des raisons de sécurité, il est nécessaire de vérifier, tout au long du processus de développement, que la structure est capable de résister aux contraintes auxquelles elle est susceptible d’être soumise durant son exploitation. Pour tenir compte de ces possibles modifications, une procédure envisageable est d’introduire des incertitudes dans le modèle.
Une autre source d’incertitudes potentielle est l’emploi précédemment évoqué de matériaux composites. Un matériau composite est en général un matériau hybride, le plus souvent composé de plusieurs couches de matériaux non miscibles, afin d’octroyer à l’ensemble ainsi fabriqué des propriétés que les matériaux naturels ne possèdent pas séparément. Néanmoins, contrairement au cas des matériaux dits classiques, les propriétés physiques des matériaux composites sont parfois difficiles à prévoir et à quantifier de par leur variété. Elles dépendent de la nature des matériaux qui la composent, du nombre de ces matériaux, de la manière dont ils sont empilés, et même de l’orientation des fibres à l’intérieur des couches successives. Une légère erreur au niveau du processus de fabrication, notamment, peut suffire à provoquer une variation non négligeable sur les propriétés physiques. Les constructeurs peuvent affiner autant qu’ils le souhaitent les valeurs des paramètres des matériaux, comme par exemple le module d’Young qui représente la rigidité du matériau. Cependant, pour obtenir un matériau avec les caractéristiques souhaitées, il faut notamment du matériel de grande précision et du personnel hautement qualifié, des éléments qui représentent un coût et un investissement très importants pour les industriels. Ainsi, plus la précision voulue est fine, plus le coût de production du matériau est élevé. Le plus souvent, les constructeurs produisent donc des matériaux composites avec un pourcentage de précision par rapport aux valeurs nominales, afin de garder dans une fenêtre raisonnable le coût de production et des pièces de rechange des avions.
De plus, lors de la conception d’un avion, les constructeurs souhaitent naturellement optimiser les performances du véhicules : réduire les émissions polluantes, le bruit, la traînée, étendre le rayon d’action, maximiser sa stabilité, etc. La minimisation de la masse de la structure est un objectif important pour les constructeurs, qui aura pour impact de satisfaire d’autres critères d’optimisation, comme la réduction des pollutions ou l’allongement du rayon d’action. Mais cela aura également un effet négatif sur d’autres critères, notamment la stabilité de l’appareil en vol, pouvant entraîner le phénomène de « flottement ».
Il s’agit d’un état instable lié au couplage aéroélastique entre la structure et les forces aérodynamiques, et qui provoque la destruction de l’appareil. Ce phénomène se produit généralement au niveau des ailes et correspond au rapprochement de deux modes structuraux de l’aile. En général, plus le poids d’une aile est faible, plus celle-ci est sensible au flottement. Le constructeur doit donc réaliser une optimisation sous contraintes : minimiser le poids de l’aile tout en s’assurant que le phénomène de flottement ne pourra pas affecter l’avion dans son domaine de vol. Les problèmes d’optimisation en aéroélasticité sont des problèmes multidisciplinaires car mettant en jeu à la fois les comportements structurel et aérodynamique.
État de l’art
Les ingénieurs aéronautiques ont développé plusieurs types de techniques d’optimisation afin de répondre aux différents enjeux d’un aéronef. Cela va du choix de l’orientation des pales dans les moteurs d’avion à la répartition du carburant dans les ailes au cours du vol. Des techniques employant des outils déterministes ont été mises en place et appliquées à de nombreux niveaux, mais celles-ci ne tiennent pas compte d’éventuels paramètres incertains dans la structure. La prise en compte des incertitudes est un sujet d’étude depuis les années 50, et dans de nombreux domaines de recherche [84, 88], mais pendant longtemps dans la recherche aéronautique, il n’a pas été possible de prendre en compte, voire de quantifier, ces incertitudes structurelles dans les procédures d’optimisation à cause de la limitation des outils numériques et de la connaissance théorique de leur impact dans les études de fiabilité. Les ingénieurs ont donc dû mettre en place des procédures alternatives permettant de simplifier l’incorporation des incertitudes structurelles dans les modèles développés. Ce n’est que depuis les années 90 que des études sont menées sur ce sujet dans le secteur aérien et que ce domaine de recherche commence à produire des résultats tangibles. Une revue des principales manières de modéliser l’incertain et de l’incorporer dans les modèles physiques dans les problème aéronautiques est présentée dans l’article [99].
Parmi ces approches, la plus développée et la plus utilisée chez les industriels est l’optimisation robuste [7]. Elle consiste à approcher l’ensemble de solutions admissibles défini par les contraintes stochastiques par une famille de contraintes linéaires. L’idée est d’exclure les cas les plus improbables statistiquement et physiquement non réalistes, afin de rendre convexe l’ensemble des solutions admissibles. Ainsi, il devient possible d’employer des méthodes tirées de l’optimisation déterministe en utilisant le caractère convexe de l’ensemble de définition restreint. Cependant, cette méthode est rapidement très limitée si les contraintes stochastiques sont trop complexes. De plus, elle s’adresse généralement à des problèmes d’optimisation linéaire et n’est pas aussi efficace en optimisation non linéaire. Il existe dans la littérature de nombreuses d’études d’optimisation robuste appliquées à l’aéronautique, dont on peut en trouver une revue dans [88].
Un autre type d’algorithmes classiquement employés est la méthode par scénario [27, 93]. Ces techniques s’appliquent lorsque le problème requiert la vérification de contraintes en probabilité. Le principe est d’effectuer un certain nombre de réalisations des variables aléatoires du système et de remplacer les contraintes en probabilité du problème par un sous-ensemble des contraintes déterministes ainsi obtenues, le cardinal du sous-ensemble dépendant de la valeur en probabilité de la contrainte. Ensuite, il s’agit d’effectuer une optimisation déterministe à l’aide d’outils classiques.
En ce qui concerne les problèmes d’optimisation sous contraintes probabilistes, l’optimisation fiabiliste, très répandue dans le milieu industriel, substitue à la contrainte probabiliste un second problème d’optimisation déterministe par le biais de techniques d’approximation FORM-SORM [23, 36, 54, 57]. Ces approches, en se plaçant dans un espace de variables gaussiennes, permettent d’exprimer la contrainte sous la forme d’un quantile de la loi gaussienne. Cependant, comme pour l’optimisation robuste et la méthode par scénario, ce type d’optimisation nécessite généralement de réécrire le problème sous forme linéaire ou de façon à pouvoir employer des techniques essentiellement déterministes [90]. Ces dernières années, des méthodes d’optimisation moins conventionnelles commencent à voir le jour. On peut citer par exemple l’emploi d’un algorithme hybride gradient génétique [17]. Néanmoins, le nombre d’études utilisant des outils stochastiques en optimisation dans l’aéronautique reste encore faible.
Les équations de l’aéroélasticité
De manière schématique, les forces exercées sur une structure par l’écoulement d’un fluide autour de celle-ci vont la déformer, ce qui aura pour effet de modifier ces mêmes forces, car elles dépendent de la géométrie de la surface portante. Leurs actions sur la structure vont s’en trouver alors modifiées, entraînant une nouvelle déformation de son profil aérodynamique. Cela induit un couplage entre le fluide et la structure qui, dans certains cas, peut entraîner des mouvements oscillatoires explosifs.
L’étude du comportement de ce système couplé et plus particulièrement de sa stabilité passe par la construction d’un modèle réduit de la structure grâce à la méthode des éléments finis et par l’utilisation de codes aérodynamiques permettant d’évaluer les forces aérodynamiques s’exerçant sur la structure. Afin de réduire la dimension du problème qui peut être très grande dans un cas industriel (un million de degrés de liberté), le mouvement de la structure en basse fréquence est décrit par un modèle réduit de quelques dizaines de modes propres.
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Table des matières
Introduction
Notations
1 Introduction et état de l’art
1.1 État de l’art
1.2 Plan de la thèse
2 Les équations de l’aéroélasticité
2.1 Modélisation de la partie structure
2.2 Introduction d’incertitudes dans le modèle
3 Algorithmes d’optimisation
3.1 Poser un problème d’optimisation
3.2 Le cadre déterministe
3.3 Le recuit simulé
3.4 Le cadre stochastique
3.5 Algorithme de Arrow-Hurwicz stochastique
3.6 Le recuit simulé stochastique
4 Optimisation d’une maquette d’aile d’avion
4.1 Le modèle structure
4.2 Le modèle aérodynamique
4.3 Optimisation de la répartition de masse
4.4 Minimisation de la masse de la maquette
4.5 Cas pathologiques
5 Conclusions et discussions
5.1 Apport de la thèse
5.2 Difficultés rencontrées non résolues
5.3 Perspectives
A Projection sur un espace convexe non trivial
B Rappels en probabilités
B.1 Mesure et espérance
B.2 Chaînes de Markov
C Suites finies à discrépance faible
C.1 Propriétés de ces suites
C.2 Construction de suites à discrépance faible
D Convergence du gradient stochastique en norme L2
E Calcul de la probabilité approchée pour Arrow-Hurwicz stochastique
E.1 Formules des contraintes approchées
E.2 Choix des paramètres
F Chaîne CAPRI
F.1 Description
F.2 Programmes utilisés
Bibliographie