L’histoire du couplage magnéto-électrique remonte à 1865, quand James Clerk Maxwell parvient à décrire la dynamique des champs électrique et magnétique et leur couplage avec les charges électriques. Les champs électrique et magnétique qui jusque là étaient considérés comme deux objets distincts deviennent deux facettes d’une même entité : le champ électromagnétique.
Les milieux matériels contiennent des charges électriques (électrons, protons) qui portent un moment dipolaire magnétique (le spin). Dans la plupart des matériaux, le barycentre des charges positives est confondu avec celui des charges négatives conduisant à une polarisation électrique nulle. Lorsqu’on peut séparer les charges positives et négatives en appliquant un champ électrique, on dit que le matériau est polarisable électriquement. Généralement, lorsqu’on supprime le champ, les charges retournent à leur position initiale et la polarisation électrique s’annule. Il existe néanmoins un sous-ensemble de ces matériaux dont la polarisation subsiste même en l’absence de champ, on dit qu’ils sont ferroélectriques (la polarisation doit également pouvoir être inversée par application d’un champ électrique). Un phénomène similaire se produit avec les dipôles magnétiques, en l’absence de champ, ils sont orientés aléatoirement par l’agitation thermique conduisant à un dipôle magnétique globalement nul. Un champ magnétique appliqué aura tendance à les orienter préférentiellement dans sa direction, conduisant à un aimantation du milieu : ces matériaux sont polarisables magnétiquement. Parmi ces matériaux, certains conservent leur aimantation lorsque le champ magnétique est supprimé, ils sont ferromagnétiques.
Les polarisations électriques et magnétiques des solides ont longtemps été considérées comme indépendantes. La première évocation d’un possible couplage entre magnétisme et électricité dans la matière remonte à un article de 1894 dans lequel Pierre Curie montre que du point de vue des symétries, rien n’empêche qu’un corps puisse se polariser magnétiquement lorsqu’on lui applique un champ électrique (ou vice versa). Les matériaux possédant cette propriété sont appelés magnéto-électriques.
Le sujet en est resté à ce point jusqu’à ce qu’en 1959 Dzyaloshinskii prédise l’existence d’un couplage magnéto-électrique linéaire, c’est-à-dire l’apparition d’une aimantation proportionnelle au champ électrique appliqué dans certains matériaux antiferromagnétiques (Dzyaloshinskii, 1960). Ce couplage a été observé expérimentalement peu de temps après par Astrov (1960). Cet effet a depuis été détecté dans beaucoup de matériaux différents, et une classification précise des groupes de symétrie l’autorisant a été établie. Le couplage magnéto-électrique traduit un couplage entre la réponse magnétique et le champ électrique (et inversement entre la réponse électrique et le champ magnétique), on a alors imaginé que ce couplage pourrait exister entre l’aimantation et la polarisation d’un matériau qui présente simultanément un ordre magnétique et électrique. En 1994, H. Schmid introduit le terme multiferroïque pour désigner les matériaux qui possèdent simultanément plusieurs ordres ferroïques. Un matériau qui présente un ordre ferroïque possède une polarisation non nulle en l’absence de champ associé à cette polarisation. La polarisation doit également pouvoir être inversé par application d’un champ extérieur. A cette époque, les ordres ferroïques considérés étaient les ordres ferromagnétique (polarisation magnétique ou aimantation), ferroélectrique (polarisation électrique) et ferroélastique (déformation).
Cependant, les recherches sur les matériaux multiferroïques ont peu à peu décliné à partir des années 70 certainement en raison de la rareté de matériaux ferromagnétiques et ferroélectriques, et probablement à cause de l’apparition des supraconducteurs à haute température critique qui ont concentré beaucoup d’efforts de recherche dans les années 80-90. L’intérêt pour les multiferroïques a été ravivé au début des années 2000 par des avancées expérimentales majeures. La première est l’amélioration des techniques de fabrication des matériaux qui ont permis de faire croitre des couches minces de BiFeO3. Ce composé est ferroélectrique en dessous de 1100 K et antiferromagnétique en dessous d’environ 600 K. Dans les cristaux massifs de BiFeO3 le couplage magnéto-électrique est relativement faible mais il augmente considérablement dans les couches minces et permet une réorientation de l’ordre antiferromagnétique par application d’un champ électrique (Zhao et al., 2006). La deuxième avancée majeure est la découverte, en 2003, d’un nouveau type de matériaux multiferroïques dans lesquels l’ordre ferroélectrique est induit par un ordre magnétique. Cet effet a été mesuré par Kimura et al. (2003) dans TbMnO3 et par Hur et al. (2004) dans TbMn2O5. Dans ces deux matériaux, la polarisation ferroélectrique apparait à la même température qu’un ordre antiferromagnétique qui brise la symétrie d’inversion spatiale. L’application d’un champ magnétique réoriente la polarisation de TbMnO3 et inverse celle de TbMn2O5.
Interaction d’échange
Nous avons montré dans la partie précédente que les interactions purement magnétiques sont incapables d’expliquer les températures de Curie observées expérimentalement. L’existence du ferromagnétisme à des températures de l’ordre de 1000 K (pour le fer) nécessite des énergies d’interaction entre spins bien supérieures aux interactions dipolaires magnétiques. Heisenberg (1928) a montré que cette interaction trouve son origine dans le principe d’incertitude de Pauli associé à la répulsion coulombienne entre les électrons.
Superéchange
On a vu au paragraphe précédent que le ferromagnétisme peut être compris en prenant en compte l’interaction d’échange entre les électrons qui se traduit par l’ajout d’un terme −JS1 · S2 dans le Hamiltonien du système, avec J > 0. Cependant il existe beaucoup de matériaux au sein desquels existe un ordre antiferromagnétique, c’est à dire que des spins premiers voisins sont anti-alignés. Un état antiferromagnétique est l’état le plus stable dans un système où l’interaction d’échange est telle que J < 0. Or on a mentionné que pour un système de deux électrons en interaction électrostatique, l’intégrale d’échange J est toujours positive. Et même si la théorie plus réaliste de Heisenberg prévoit une intégrale d’échange qui peut être négative, la plupart des matériaux antiferromagnétiques sont des oxydes isolants dans lesquels les électrons sont localisés et les ions magnétiques sont éloignés les uns des autres et souvent séparés par des ions non magnétiques. Dans ces composés, l’échange direct est donc très faible et pourrait difficilement expliquer les hautes températures de transition observées. La nature des atomes séparant les ions magnétiques semble également jouer un rôle important dans l’intensité des interactions antiferromagnétiques.
Toutes ces raisons ont conduit Anderson (1950) à développer un modèle de couplage indirect dans lequel l’interaction entre les ions magnétiques passe par l’intermédiaire des ions non magnétiques les séparant. Cette interaction d’échange indirect est appelée superéchange.
Interaction de Dzyaloshinskii-Moriya
L’interaction de Dzyaloshinskii-Moriya (DM) a été découverte en cherchant à expliquer le ferromagnétisme faible des matériaux principalement antiferromagnétiques. En 1958, Dzyaloshinskii montre que dans αFe2O3, le système a la même symétrie lorsque les spins sont colinéaires parallèles à l’axe de symétrie 3 que lorsqu’ils sont non colinéaires, induisant une composante ferromagnétique.
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Table des matières
1 Introduction
2 Ordres ferroïques
2.1 Magnétisme
2.1.1 Paramagnétisme
2.1.2 Ferromagnétisme
2.1.3 Interaction d’échange
2.1.4 Superéchange
2.1.5 Interaction de Dzyaloshinskii-Moriya
2.2 Ferroélectricité
2.2.1 Définitions
2.2.2 Théorie phénoménologique
2.2.3 Mode mou
2.2.4 Théorie microscopique de champ moyen
2.3 Synthèse
3 Les multiferroïques
3.1 Résultats expérimentaux
3.1.1 Couplage magnétoélectrique statique, polarisation électrique
3.1.2 Couplage dynamique, électromagnons
3.2 Théories
3.2.1 Théories du couplage statique
3.2.2 Théories du couplage dynamique, les électromagnons
3.2.3 Calculs ab initio
3.3 Questions ouvertes
4 La spectroscopie Infrarouge
4.1 Modes de vibration d’un réseau cristallin
4.1.1 Chaîne linéaire infinie diatomique 1D
4.1.2 Cas du cristal réel
4.2 Théorie des groupes et modes de vibration
4.2.1 Théorie des groupes et représentations
4.2.2 Application au dénombrement des modes normaux
4.2.3 Activité infrarouge des modes de vibration
4.3 Interaction de la lumière avec la matière
4.3.1 Le champ électromagnétique : équations de Maxwell
4.3.2 Fonctions optiques
4.3.3 Oscillateur harmonique amorti
4.3.4 Le polariton
5 Méthodes expérimentales
5.1 La spectroscopie à transformée de Fourier
5.1.1 Principe de la méthode
5.1.2 Aspects pratiques
5.2 Les spectromètres
5.2.1 Bruker IFS66v/s
5.2.2 Bruker IFS113v
5.2.3 Autres composants
5.3 Méthodes de mesure
6 Analyse des données
6.1 Modélisation de la réflectivité
6.1.1 Cas général
6.1.2 Composés orthorhombiques
6.1.3 Composés monocliniques
6.2 Analyse de la transmission
6.3 Relations de Kramers-Kronig
6.3.1 Réponse linéaire et relations de Kramers-Kronig
6.3.2 Relations de Kramers-Kronig pour les fonctions optiques
6.4 Règles de somme
7 Conclusion
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