Santé psychique et droits de l’enfant
Le pan psychique de la santé encore peu commenté Les principaux traités sur les droits humains , déjà anciens il est vrai, évoquent peu la santé, encore moins la santé psychique : seul le Pacte I relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) exprime en son art. 12, al. 1 que les « Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ». Même les traités les plus connus sur la santé (Déclaration d’Alma-Ata, 1978 ; Constitution de l’OMS, 1985 ; Charte d’Ottawa, 1986) font à peine allusion à la santé psychique6. Quant aux normes internationales sur les droits de l’enfant, elles sous-entendent de même l’importance du bien-être général, y compris mental, sans approfondir la question. La santé est un thème qui traverse les préoccupations de la CDE, et le Comité des droits de l’enfant (le Comité) a édité deux Observations générales (OG) sur la santé. L’OG 4 sur la santé des adolescents, en 2003, se souciait déjà de la fréquence des troubles mentaux et des maladies psychosociales chez les adolescents (point 22). Elle demandait aux Etats parties d’assurer aux adolescents concernés un traitement médical et « de protéger les adolescents de toutes pressions excessives, y compris du stress psychosocial » (point 29).
Elle recommandait également de « mettre en oeuvre des mesures visant à prévenir les maladies mentales et à promouvoir la santé mentale des adolescents » (point 39 i). L’OG 15 sur le droit de l’enfant à la santé, datant de 2013, reconnaît « qu’il faudrait prêter une plus grande attention aux problèmes de comportement et sociaux qui nuisent à la santé mentale, au bien-être psychologique et au développement affectif ». Parmi les différents traités internationaux sur la santé psychique8, il semble que seule la Déclaration sur la santé mentale pour l’Europe de l’OMS (2005) mentionne la CDE (point 5) et stipule que les ministres de la Santé des Etats membres s’engagent à « encourager la spécialisation du personnel travaillant dans le domaine de la santé mentale afin de répondre aux besoins spécifiques de groupes particuliers (par exemple, les enfants, les jeunes, les personnes âgées et les personnes atteintes de problèmes mentaux graves et chroniques) » (OMS, 2005, point 8 xv, nous soulignons). S’il est bien clair que les normes sur la santé mentale s’appliquent aussi aux enfants (puisqu’ils sont sujets de droits), on peut s’étonner qu’il y ait si peu de directives spécifiques pour eux, vu les enjeux soulignés par les deux OG notamment9. Les droits dans le cadre d’un traitement Par ailleurs, la question de la santé (somatique comme psychique) dans le champ des droits humains nous a paru plus souvent abordée à un niveau global, invitant les Etats à garantir des services de santé pour tous.
Or, lorsqu’on parle de droit et de santé, il convient peut-être de distinguer deux sujets de réflexion : le droit à la santé et les droits dans la santé. Le premier concerne le droit de tout un chacun à atteindre le meilleur état de santé possible, le deuxième renvoie au respect des droits humains dans le cadre des prises en charge – pour respecter la CDE, il faut aussi s’assurer que les pratiques des professionnels ne violent pas les droits (Lansdown, 2000). Pour être différents, ces deux sujets de réflexion n’en sont pas moins liés : le respect des droits dans la santé contribue certainement à réaliser le droit à la santé. Le Manuel d’application de la CDE met du reste l’article 24 sur la santé en lien avec beaucoup d’autres articles10 (Unicef, 2002). Kilkelly & Savage (2013) notent également qu’une approche holistique des droits de l’enfant à et dans la santé requiert un système qui relie les droits concernant la santé aux autres droits. Nous avons ainsi jugé intéressant de nous pencher davantage sur la question des droits dans la santé, plus précisément dans le cadre d’un traitement.
En effet, s’il existe passablement de directives sur les politiques et stratégies globales à adopter pour les services de santé psychique pour enfants et adolescents, visant la collectivité des enfants, on en trouve un peu moins sur les bonnes pratiques pendant une consultation, qui se concentreraient plus sur les individus. On trouve tout de même des recommandations concernant le suivi – mais toujours pour la santé en général – émises par l’OMS, laquelle propose des standards pour la qualité des services de santé pour adolescents (WHO11, 2015a et 2015b). Elle met en avant l’importance de la compétence des professionnels, de leur connaissance du développement des adolescents, de leur capacité à interagir avec eux (WHO, 2015a), et de respecter les droits à l’information, à la non-discrimination, à la confidentialité, avec une attitude de non-jugement et de respect (standard 4 des Global Standards for quality health-care services for adolescents, WHO, 2015b)12. On trouve des recommandations pour des prises en charge child-friendly dans la littérature sur les droits de l’enfant : « Les Etats doivent offrir un environnement sûr aux enfants pour qu’ils puissent exercer leurs droits dans des conditions favorables et respectueuses de leurs besoins propres ; des procédures child-friendly, appropriées aux enfants » (Zermatten, 2009, p. 30). On en trouve aussi dans la littérature sur les politiques de santé : Baltag & Mathieson (2010) présentent les aspects clés qui favorisent des services youth-friendly, parmi lesquels figure la reconnaissance des droits des jeunes, des besoins différents chez les filles et les garçons.
Ces auteurs relèvent que pour les adolescents les plus à risque, les services efficaces sont ceux qui respectent notamment l’intérêt supérieur et les droits. Dans la même ligne, Kilkelly & Savage (2013) rappellent que, selon les lignes directrices du Conseil de l’Europe de 2011, les soins child-friendly sont une approche concordant avec les droits de l’enfant.
Considérations éthiques
L’enquête de satisfaction de 2013 s’est faite avec l’accord préalable de la commission d’éthique de l’Université de Lausanne pour contacter les jeunes patients et leurs familles. Après avoir été informé du contexte et des buts de l’étude, chaque répondant a été invité à s’exprimer, mais sans obligation (consentement libre et éclairé). Par ailleurs, les personnes ont été informées de la confidentialité des données recueillies et de l’indépendance de leurs réponses avec tout traitement actuel ou futur (Kapp et al., 2015). Le temps que les participants ont dû consacrer à cette enquête n’était pas excessif (la passation du questionnaire a duré de 20 à 60 minutes par personne). La préparation et le recueil des données ont été faits dans des conditions conformes aux exigences éthiques en vigueur en Suisse. Ajoutons qu’ils nous semblent aussi en accord avec les principes clés relatés et encouragés par Morrow pour la recherche avec des enfants : justice, respect, éviter de faire du tort (Morrow, 2009). Pour notre recherche sur le respect des droits de l’enfant, nous avons simplement utilisé les réponses déjà existantes.
Les adolescents n’ont pas eu à « subir » nos questions sur le respect de ces droits. Par ailleurs, parmi les thèmes proposés par Morrow (2008) concernant la recherche avec des enfants, quelques-uns sont importants pour notre recherche. D’abord, le but de la recherche ne semble pas contraire à l’intérêt des répondants ni de la population adolescente en général.
La confidentialité, quant à elle, a été respectée : toutes les données consultées étaient anonymisées, et nous n’avons personnellement aucun moyen de connaître les noms des répondants. Concernant la diffusion des résultats de l’enquête de satisfaction de 2013, elle n’a jusqu’ici eu lieu que sous forme de conférences aux professionnels. Les participants, eux, n’ont pas eu de restitution, mais les personnes intéressées ont été informées qu’elles pouvaient demander à connaître le détail des résultats.
Quant aux résultats de notre étude sur les droits de l’enfant, ils devraient être restitués au monde pédopsychiatrique, d’une manière qui invite les soignants à travailler dans le respect des enfants et adolescents. Une restitution aux répondants ferait aussi sens : ils ont donné de leur temps pour l’amélioration générale des services de santé. Une répondante adolescente le dit d’ailleurs : « Contente qu’une telle étude soit faite dans le but d’une amélioration future des consultations. » Cette lecture différente des données peut en effet nous aider à en apprendre encore davantage sur « ce que les parents et les enfants pensent qui serait utile pour eux » (Morrow, 2009, p. 18).
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Table des matières
Introduction
Cadre théorique
Santé psychique et droits de l’enfant
Les adolescents, quelles particularités ?
L’abandon de suivi thérapeutique (« drop out »)
Problématique
Méthodologie
Enquête de satisfaction
Etude du respect des droits de l’enfant
Considérations éthiques
Méthode
Résultats
Analyses préliminaires
Perception de l’abandon de suivi
Spécificités des soins psychiques
Découvertes : catégorie « Autres »
Résultats statistiques
Analyse : fréquences d’apparition des droits
Corrélations avec les scores quantitatifs : alliance et satisfaction
Discussion
Respect des droits de l’enfant et abandon de suivi
Les droits les plus sensibles
Les groupes les plus sensibles
Des droits respectés : un bon indice du degré d’alliance et de satisfaction
Dans la pratique : droits dans la santé, droit à la santé
Droits, besoins, bonne santé : des notions au carrefour des disciplines
Un outil pour la clinique
Au-‐delà du respect : pour une mise en oeuvre des droits
Limites et forces de l’étude
Conclusion
Références
Annexe
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