La période de l’ancien français (du 9ème au 13ème siècle)
Après une longue évolution, la naissance du français sera finalement attestée en 842 par les Serments de Strasbourg qui, selon Le bon usage, « sont le plus ancien témoignage de cette nouvelle langue » (Grevisse, 1993 : 11). Ce premier texte français connu scellait un pacte d’alliance et d’assistance mutuelle entre deux petits-fils de l’empereur Charlemagne, Louis le Germanique et Charles le Chauve, contre leur frère Lothaire pour le partage de l’Empire. La naissance de la langue française n’a pas pour autant consacré la stabilisation de celle-ci, encore moins sa normalisation, c’est-à-dire la tendance spontanée d’une langue à la régularité de son système linguistique et à son homogénéité sociolinguistique (De Robillard, 1997 : 214). En effet, aussitôt après sa naissance, le français a entamé un processus dynamique de véhicularisation et de mutation dans un contexte à la fois de rivalités entres dialectes de France et d’émancipation vis-à-vis du latin. Les dialectes d’oïl prirent le dessus sur ceux d’oc et constituèrent donc, au sens large, ce qu’il est convenu d’appeler l’ancien français. Il s’agit surtout du francien, dialecte de l’Ile de France, parlé par les rois, qui s’érigea en étalon de référence grâce au coup de main de ces derniers qui ont fini par l’imposer progressivement, d’une manière définitive.
La période saharienne (premier millénaire de notre ère)
Elle est équivalente à la préhistoire Seereer. Pour des raisons non encore formellement établies mais probablement liées au climat et à un environnement devenu défavorable au bord du Nil, les Sereer-cosaan se seraient déplacés selon la direction que Gravrand appelle « l’axe normal des migrations africaines de ce secteur, d’est en ouest » (Gravrand, 1990 : 11) pour s’installer dans le Sahara, terre alors fertile et bien arrosée par des pluies abondantes. Ces habitants du Sahara d’alors, les ancêtres des Seereer ou Sereer-cosaan, constituaient une communauté ethnique et linguistique encore indifférenciée que Senghor et Boubou Hama appellent les Protosérères (Gravrand, 1983 : 59 et Senghor, 1983 :10); ceux-ci regroupaient les ancêtres des Seereer, des Lébu, des Wolof, des Tukulëër, etc. La langue-mère parlée était le sereer-cosaan ou protosérère, de laquelle auraient dérivé plusieurs dialectes qui se transformeront, par différenciations successives, en plusieurs langues autonomes que sont le lébu, le seereer, le wolof, le pulaar ; les Seereer ayant continué à garder la langue-mère avec le moins de modifications (Senghor, 1983 : 10). Le dessèchement du Sahara va conduire ces peuples à migrer en bordure du fleuve Sénégal. Les exactions des Berbères, des Almoravides plus précisément, vont amener ces populations à regagner la rive gauche du fleuve Sénégal appelée Ñamandiru ou « mangeailles », nom qui exprimait l’abondance de pâturage qui caractérisait à l’époque cet espace qui deviendra plus tard le FuutaTooro. Très attachés à leur religion traditionnelle monothéiste au même titre que les religions révélées, les Seereer vont poursuivre leur migration vers le sud pour échapper à l’islamisation. C’est ce que Biram Ngom explique en ces termes. « Les traditions orales et les sources écrites donnent par ailleurs comme motif principal du départ des Seereer du Fuuta, la poussée du mouvement almoravide dont les chefs se proposaient d’islamiser les populations par la force. Les Seereer préférèrent l’exil à la renonciation à la religion de leurs ancêtres » (Ngom, 1992).
L’étape de l’indifférenciation ethnique Seereer- Lébu
Le substrat humain du Tékruur serait constitué de deux groupes principaux, Seereer et Lébu. Le processus de différenciation des Sereer-cosaan, avant son achèvement, aurait laissé indifférencié, et cela pendant longtemps, le substrat humain du peuplement le plus ancien de la mosaïque des peuples noirs du Tékruur constitué par ce groupe Seereer-Lébu.
La variation linguistique
Selon Labov (1973), les langues sont des systèmes essentiellement marqués par leur variabilité. Toute langue est composée d’un ensemble de lectes, c’est-àdire de variétés linguistiques qui sont des produits de la variation sociolinguistique, laquelle peut résulter de toute variable identitaire telle que la profession, l’âge, le groupe social, l’appartenance géographique, etc.. Classiquement, l’on distingue quatre grands types de variations (Moreau, 1997 : 284).
• La variation diachronique : elle est liée au temps ; la langue évolue et subit des mutations en fonction du temps. Ainsi, il est possible de suivre les différents stades de l’évolution d’une langue, de distinguer les traits anciens des traits récents. L’étude diachronique est cependant plus difficile, si elle porte sur des langues n’ayant pas une tradition écrite, à l’image du seereer et du wolof. Vu le caractère récent des écrits qui existent dans ces langues, il est quasi impossible de faire l’étude diachronique de celle-ci à partir de la naissance de chacune d’elles, comme c’est le cas pour le français.
• La variation diatopique : elle est synonyme de régiolectes, de géolectes ou de topolectes. La langue varie en fonction de l’espace géographique. Ainsi, les Seereer du Sine, vivant aux environs de la ville de Fatick prononcent /r/ là où ceux de l’île de Fadiouth, près de Joal, prononcent /l/ ; de ce fait, les mots « gar » (venir) et « rok » (entrer) en seereer du Sine deviennent respectivement « gal » et « lok » dans la variante dialectale de Fadhiout, tout en maintenant le même signifié. De même, des expressions telles que : « a cek ale » (la poule) et « xa ñafa® axe » (les chaussures) en seereer du Sine (ou seereer singandum) donnent respectivement « a cek al » et « xa ñaa® ax », dans la variante dialectale de Ndiaganiao, un bourg du département de Mbour, « a cek ee » et « xa ñaa® ee » à Fayil dans le département de Fatick, le sens de ces termes demeurant toujours le même. Donc, du Saloum au Baol en passant par le Sine et la Petite-Côte, l’on peut recenser plusieurs variantes dialectales du seereer singandum. Souvent même, dans chacune de ces variantes dialectales, les locuteurs se différencient par leur parler qui varie d’une extrémité à l’autre d’une même communauté rurale, comme illustré dans le tableau suivant. Donc, au sein de la variante dialectale de Ndiaganiao, le parler du village de Gitir situé à l’est est différent de celui des villages du centre de Ndiaganiao (Mbalaxaat, Øot, Tiitin) dont le parler est différent de celui des villages de la contrée de Sandook qui se trouvent plus à l’ouest, du côté de la ville de Thiès. Il en est de même pour la langue wolof. A propos de cette dernière langue d’ailleurs, Ndao (1996 : 302) parle de langue polynomique. Il fait remarquer que les références dialectales dans la langue wolof mettent en évidence une praxis diffuse où les variables s’entremêlent dans un continuum de formes lexicales, phonologiques et morphosyntaxiques comprises entre :
– le parler du Kajoor et du Bawol ;
– celui du Waalo ;
– celui du Jolof ;
– celui du Saalum ;
– celui de Dakar, fortement influencé par le français.
A une échelle plus large, le seereer présente également une situation de polynomie. En effet, les parler saalum-saalum, siin-siin, ñoominka, jegemjegem, ool, en passant par le paajta et le cañaaw sont tous sentis comme les formes d’une même langue, avec des modalités différentes non hiérarchisées entre elles. Ce qui est confirmé par la définition de Dubois et al. (2007) selon laquelle l’existence d’une langue polynomique est fondée sur la décision massive de ceux qui la parlent de la considérer comme une, de lui donner un nom particulier et de la déclarer autonome des autres langues reconnues.
• La variation diaphasique : elle se fait suivant la situation du discours, c’est à-dire le contexte d’énonciation, selon que le discours revête un caractère formel ou non formel. Cette variation se matérialise en termes de registres de langues ou de styles différents. Elle se remarque très nettement chez beaucoup de cadres (inspecteurs, ingénieurs, enseignants, administrateurs civiles, etc.), lorsque l’on compare leur discours surveillé, dans un cadre solennel, à celui qu’ils prononcent en se taquinant entre pairs ou lorsqu’ils discutent à table.
• La variation diastratique : elle est sous-tendue par la différence de classes sociales. L’on parle également de sociolectes (ou de technolectes quand il s’agit de variétés linguistiques propres à une catégorie socioprofessionnelle). Chaque catégorie socioprofessionnelle développe un parler qui lui est spécifique. Il en est ainsi des catégories sociales. De ce fait, lorsque les jeunes Wolof considèrent le wolof parlé par les personnes âgées comme archaïque, ces dernières trouvent par contre que les jeunes ne parlent plus un wolof pur et limpide. Les mêmes considérations sont également présentes, chez les locuteurs du seereer, entre jeunes citadins et personnes âgées vivant en milieu rural. Le lecte peut aussi être considéré comme une variante phonologique, syntaxique ou sémantique dans ses rapports oppositifs à l’intérieur du système linguistique et étudié sans corrélation avec le temps, l’aire géographique, la classe sociale ou le registre de langue (Bavoux, 1997 : 200).
|
Table des matières
INTRODUCTION
I – LES DONNEES HISTORIQUES, SOCIOCULTURELLES ET LINGUISTIQUES
1-1: Les données historiques et socioculturelles
1-1-1 : La langue française
1.1.1.1 : Les données historiques
1.1.1.2 : Les données socioculturelles
1-1-2 : La langue seereer
1.1.2.1 : Les données historiques
1.1.2.2 : Les données socioculturelles
1-1-3 : La langue wolof
1.1.3.1 : Les données historiques
1.1.3.2 : Les données socioculturelles
1-2 : Les données sociolinguistiques et psycholinguistiques
1-2-1 : Les données psycholinguistiques
1.2.1.1 : Le contact de langues
1.2.1.2 : L’interférence linguistique
1.2.1.3 : La bilingualité
1.2.1.4 : L’insécurité linguistique
1-2-2 : Les données sociolinguistiques
1.2.2.1 : La variation
1.2.2.2 : L’emprunt lexical
1.2.2.3 : Le bilinguisme
1.2.2.4 : La diglossie
1-3 : Le code-switching
1-3-1 : Essai de définition
1-3-2 : Bref rappel historique
1-3-3 : Les classifications du code-switching
1-3-4 : Les approches sociolinguistiques
1.3.4.1 : Le code-switching, un compromis ?
1.3.4.2 : Le code-switching, une étape du développement linguistique ?
1.3.4.3 : Le code-switching, objet propre de recherche
1-3-5 : Les approches psycholinguistiques
1.3.5.1 : Le modèle à aiguillage unique (single switch model)
1.3.5.2 : Le modèle à double aiguillage (two switch model)
II – LA METHODE, L’ANALYSE DU CORPUS ET LES RESULTATS
2-1 : Le cadre de l’étude
2-2 : Les instruments de recueil de données
2-3 : La méthode de recherche
2-3-1 : L’enregistrement des discours
2-3-2 : La transcription des discours
2-3-3 : L’élaboration du questionnaire
2-3-4 : Le recueil de données
2-3-5 : L’analyse du corpus et des données recueillies
2-3-6 Les fondements scientifiques
2-4 : Le corpus et les conventions
2-4-1 : La constitution du corpus
2-4-2 : Les conventions mises en œuvre
2-5 : La description et l’analyse sociolinguistique du discours
2-5-1 : Les résultats
2-5-2 : Le « niveau d’études »
2.5.2.1 : Les analphabètes
2.5.2.2 : Le niveau « élémentaire »
2.5.2.3 : Le niveau « moyen/secondaire »
2.5.2.4 : Le niveau « supérieur »
2-5-3 : La compétence linguistique1
2.5.3.1 : Les trilingues effectifs : français-seereer-wolof
2.5.3.2 : Les trilingues non effectifs : français-wolof avec un seereer passif
2.5.3.3 : Les trilingues non effectifs : seereer-wolof avec un français passif
2.5.3.4 : Les bilingues effectifs : français-wolof
2-5-4 : Le contexte d’énonciation du discours
2-5-5 : L’environnement sociolinguistique en milieu urbain
2-6 : Les différents types de code-switching réalisés dans les discours
2-6-1 : L’alternance interphrastique ou inter-sentential code switching
2-6-2 : L’alternance intraphrastique ou intra-sentential code switching
2-6-3 : L’alternance extraphrastique
2-6-4 : L’alternance inter prises de paroles
2-6-5 : L’alternance « intraverbale » ou « inter morphémique »
2-7 : Les motivations du code-switching français- seereer –wolof
2-7-1 : Les facteurs conscients
2.7.1.1 : Les représentations sociales du locuteur
2.7.1.2 : L’accommodation linguistique
2.7.1.3 : Le déficit lexical au niveau de la langue d’usage
2.7.1.4 : Le désir de s’affranchir du modèle des parents
2.7.1.5 : L’environnement linguistique
2.7.1.6 : Le penchant linguistique linguistique
2.7.1.7 : La terminologie scientifique et technologique limitée
2.7.1.8 : L’influence consciente de la langue de l’interlocuteur
2-7-2 : Les facteurs inconscients
2.7.2.1 : L’influence linguistique
2.7.2.2 : L’influence inconsciente de la langue de l’interlocuteur
2.7.2.3 : L’habitude et l’inattention du locuteur
2.7.2.4 : La disponibilité instantanée du mot ou expression adéquat
2.7.2.5 : La spontanéité
2-8 : Le code-switching français-seereer-wolof : quelles perspectives ?
2-8-1 : Absence de décision ?
2-8-2 : Politique linguistique réelle de promotion de toutes les langues nationales ?
2.8.2.1 :L’« introduction descendante » des langues nationales dans le système éducatif formel
2.8.2.2 : La mise en place d’une véritable politique de promotion et de revalorisation sociale des langues nationales ethniques
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
Télécharger le rapport complet