L’extrusion
Présentation du procédé d’extrusion
L’extrusion [2] est, avec l’injection, le procédé de mise en forme des polymères le plus utilisé dans l’industrie de la plasturgie depuis un siècle. Contrairement à l’injection, il s’agit d’un procédé continu, consistant à introduire, via une trémie, des granulés d’un polymère (généralement thermoplastique) dans un fourreau cylindrique chauffé dans lequel tourne une vis sans fin (on parle alors d’extrusion monovis). Le cisaillement ainsi que la température permettent la plastification du polymère (passage de l’état solide à liquide visco-élastique), la matière étant ensuite transportée par la rotation de la vis vers la filière donnant la forme finale à l’extrudat. Celui-ci, par refroidissement hors de l’extrudeuse, permet d’aboutir au matériau solide final . L’extrusion permet d’obtenir des matériaux de grand rapport d’aspect (longueur et largeur >> épaisseur, elle-même de l’ordre du millimètre ou de la centaine de micromètres) et de section constante, comme les films, tubes, jonc, fils, profilés….
La coextrusion
Pour un certain nombre d’applications (par exemple l’emballage alimentaire), il est avantageux de combiner les propriétés ou caractéristiques de plusieurs polymères (flexibilité, barrière à l’eau ou aux gaz, coût, contact direct avec le contenant…). Dans le cas de films, on va donc chercher à réaliser un matériau multicouches. Pour cela, on combine deux (ou plus) extrudeuses, chacune alimentée par l’un des polymères choisis, et connectées par un bloc d’alimentation (feedblock) permettant de combiner les flux des deux polymères. Selon le design du bloc d’alimentation, on peut obtenir, par exemple avec initialement 2 ou 3 polymères, une structure à 2, 3 ou 5 couches (dans le schéma ci-dessous, un exemple de films contenant 5 couches obtenu à partir de 3 polymères différents).
La coextrusion multinanocouche
Lorsque les chaînes macromoléculaires constitutives des matériaux polymères sont confinées dans des dimensions de l’ordre de la dizaine de nanomètres, les réorganisations importantes qu’elles subissent peuvent faire apparaître des propriétés macroscopiques singulières (propriétés barrière, diélectrique, optiques, mécaniques, …) [4]. En effet, tant les tailles caractéristiques des phases amorphes (rayon de giration des pelotes) que des phases cristallines (épaisseur des lamelles) sont de cet ordre de grandeur et les réarrangements morphologiques et structuraux induits par le confinement et la présence de nombreuses interfaces peuvent impacter drastiquement les propriétés. Dans cette perspective, il peut être intéressant de chercher à développer de nouveaux procédés de mise en oeuvre permettant d’obtenir des matériaux polymériques présentant cette nanostructuration, selon une approche dite « top-down », par opposition à l’approche « bottom-up » dont l’exemple le plus classique est l’auto-assemblage des copolymères. L’un de ces procédés, la coextrusion multinanocouche, est dérivé de la coextrusion présentée ci-dessus, et a été développé par Dow dans les années 60 et 70. Ce procédé permet l’élaboration d’un matériau présentant une nanostructuration littéralement en « millefeuille », autrement dit une nanostratification. Suite à plusieurs brevets déposés par Sluijters [5] et Tollar [6] (1966), Schrenk [7] (Dow Chemical, Inc.) fut le premier à proposer une nouvelle approche technologique permettant un contrôle submicrométrique sur les épaisseurs des couches. Ce contrôle est basé sur l’utilisation de mélangeurs statiques, également appelés éléments multiplicateurs de couches (EMC).
Le fonctionnement de ces éléments est basé sur la transformation dite « du boulanger ». Le principe de cette transformation est de couper puis recombiner les flux, à épaisseur totale constante, chaque recombinaison permettant le doublement du nombre de couches tout en divisant leur épaisseur individuelle par deux .
En plaçant un grand nombre (typiquement 10) d’EMC entre le bloc d’alimentation et la filière , on peut par coupage et combinaisons successifs des flux, obtenir un matériau constitué de plusieurs milliers de couches alternées de polymères différents. Cette transformation se faisant, comme précisé précédemment, à épaisseur totale des flux constante, et le film final ayant une épaisseur de l’ordre de 0.1 à 1 mm, chaque couche est alors d’épaisseur nanométrique. L’épaisseur nominale (ou visée) des couches peut-être contrôlée en maîtrisant la composition volumique des deux matériaux, le nombre de couches alternées et l’épaisseur totale finale du film. Ainsi, dans le cas d’un film multinanocouche de deux polymères A et B initialement coextrudés sous la forme d’un tricouches A-B-A , l’épaisseur des couches du polymère B peut être estimée suivant l’équation (1.1) : hB = hf ilm ∗ volB/NB (1.1) .
où, hf ilm est l’épaisseur totale du film, volB la fraction volumique en polymère B dans le film, et NB le nombre de couches de B donné par NB = 2n , où n est le nombre d’éléments multiplicateurs. L’épaisseur totale du film peut notamment être contrôlée par l’ouverture de la filière, mais aussi par l’utilisation de rouleaux de refroidissement positionnés en sortie de filière, qui étirent plus ou moins le film polymère après extrusion. Leur vitesse de rotation réglable peut être rapportée à la vitesse de sortie du flux de matière de la filière pour définir un taux d’étirage. L’épaisseur finale du film obtenu varie de façon inversement proportionnelle à ce taux d’étirage.
Les ruptures de couches dans les films multinanocouches : caractérisation et origine
Une limite du procédé de coextrusion multinanocouche présenté précédemment réside dans le fait que les couches se rompent lorsque l’on cherche à réduire leur épaisseur. Ces phénomènes de rupture de couche, bien qu’observés dans la littérature pour de nombreux couples de polymères, n’avaient jamais constitué l’objet d’une étude systématique. Les travaux de thèse d’A. Bironeau se sont attachés à comprendre l’origine physique de ces ruptures. Cette étude a d’abord nécessité la mise en place de méthodes de caractérisation de la structure multinanocouche présentée brièvement ci-dessous.
Caractérisation de la structure multinanocouche et observation des ruptures de couches
Les films nanostratifiés obtenus avec le procédé de coextrusion multinanocouche sont difficiles à caractériser dans la mesure où ils sont composés de nombreuses couches très fines. L’étude d’A. Bironeau a montré la nécessité, pour obtenir une caractérisation complète de la structure multinanocouche (épaisseur des couches, distribution des épaisseurs, continuité des couches), de combiner une méthode microscopique très locale avec une approche statistique (inspirée des approches de type volume élémentaire représentatif développées pour les systèmes composites). Le microscope à force atomique (AFM) est la technique d’observation qui s’avère la plus adaptée pour mesurer l’épaisseur moyenne des couches obtenues et la comparer avec l’épaisseur nominale (visée) donnée par l’équation 1.1. Son principe de fonctionnement repose sur l’interaction éléctrostatique de type van der Waals entre la nano-pointe de tungstène et la surface de l’échantillon. Lorsque l’AFM fonctionne en mode tapping la pointe oscille à sa fréquence propre de résonance. Dès lors que l’échantillon est suffisamment rapproché de la pointe, les forces d’interaction pointe/échantillon provoquent une déviation du levier et l’amplitude d’oscillation change. Cette déviation est détectée par le mouvement du faisceau laser qui se réfléchit sur le levier tenant la pointe .
Différentes informations sont obtenues simultanément : l’image de hauteur représente la topographie de la surface, l’image d’amplitude correspond aux variations d’amplitude d’oscillation de la pointe tandis que l’image de phase correspond au déphasage entre la vibration de la pointe et le signal de réponse observé dans le photo-détecteur. Le signal de phase permet souvent d’obtenir une meilleure résolution morphologique. Malgré des propriétés viscoélastiques en général proches, le contraste obtenu entre les différents polymères est en pratique quasiment toujours suffisamment bon pour effectuer des mesures .
Cette image de phase (1.7) analysée par un logiciel de traitement d’images (ici Gwyddion) permet de mesurer les épaisseurs avec une précision de l’ordre du nm. Une première étude [10] a consisté à évaluer le volume élémentaire représentatif pour ces échantillons et à déterminer le nombre de couches devant être mesuré pour une obtenir des données quantitatives pour un échantillon donné.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 Contexte général de l’étude
1.1 L’extrusion
1.1.1 Présentation du procédé d’extrusion
1.1.2 La coextrusion
1.1.3 La coextrusion multinanocouche
1.2 Les ruptures de couches dans les films multinanocouches : caractérisation et origine
1.2.1 Caractérisation de la structure multinanocouche et observation des ruptures de couches
1.3 Mécanisme probable expliquant la rupture des multinanocouches
2 Étude bibliographique
2.1 Démouillage de films de polymère ultra-minces
2.1.1 Mouillage
2.1.2 Stabilité d’un film mince vis-à-vis du phénomène de démouillage
2.1.3 Origine de l’instabilité interfaciale
2.1.4 Mécanisme de démouillage en statique
2.1.5 Équation des films minces
2.2 Rupture dans les multicouches
2.2.1 Systèmes bicouches
2.2.2 Systèmes tricouches
2.3 Effet du cisaillement sur le démouillage de films minces
2.3.1 Études expérimentales
2.3.2 Études théoriques
2.4 Conclusion
3 Résolution numérique de l’équation des films minces
3.1 Position du problème
3.1.1 Valeurs réelles
3.1.2 Variables et équation adimensionnées
3.2 Résolution numérique
3.2.1 Méthode numérique
3.2.2 Validation du code : influence de la pression de Laplace
3.2.3 Équation des films minces : ajout du terme de van der Waals
3.3 Rupture d’un film mince
3.3.1 Profil initial sinusoïdal
3.3.2 Discussions et interprétations des résultats
3.3.3 Effet de l’amplitude initiale sur le temps de rupture
3.3.4 Effet du nombre de périodes du profil initial sinusoïdal sur le temps de rupture
3.4 Profil initial sous forme de bruit gaussien
3.5 Conclusion
4 Effet du cisaillement sur la stabilité d’un film mince : étude numérique
4.1 Introduction
4.2 Équation des films minces avec cisaillement
4.2.1 De l’équation dimensionnée à l’équation adimensionnée
4.2.2 Valeurs réelles
4.3 Résolution numérique
4.3.1 Hypothèses de la simulation numérique
4.3.2 Méthode numérique
4.3.3 Analyse de stabilité linéaire : taux d’accroissement de la perturbation
4.4 Résultats
4.4.1 Observation de l’effet du cisaillement à l’aide du diagramme spatio-temporel (DST)
4.4.2 Analyse quantitative de l’onde progressive
4.4.3 Augmentation du temps de rupture avec le cisaillement
4.4.4 Passage d’un régime de rupture du film vers un régime sans rupture
4.5 Conclusion
5 Démouillage d’un système tricouche : étude expérimentale
CONCLUSION
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