Etude du ”bichique” à La Réunion : du recrutement d’une espèce amphidrome à l’éco-socio-système

L’émergence d’un sujet de recherche

L’amphidromie : une stratégie de vie développée en milieu insulaire

La diadromie caractérise des organismes, crustacés, mollusques ou poissons, qui doivent migrer entre l’eau douce et la mer, d’une manière régulière et prévisible, à des stades de leur cycle de vie (McDowall 1992 ; Myers 1949). Trois catégories de diadromie sont définies, en fonction de l’emplacement des zones de frai et de croissance, et suivant la direction de la migration. Si la migration est liée à un événement de frai, il est question d’anadromie : les organismes migrent vers la rivière pour se reproduire (ex : saumon), soit de catadromie : les organismes migrent vers la mer pour se reproduire (ex : anguille). Si la migration entre l’eau douce et l’eau de mer n’est pas liée aux événements de frai, c’est l’amphidromie (ex : gobies) (McDowall 1992) .

L’amphidromie est la stratégie de vie diadromique la plus répandue (environ 273 espèces sur 435 espèces diadromes) (Augspurger et al., 2017) tant chez les poissons que chez les crustacés et se scinde en deux sous-catégories : l’amphidromie d’eau douce où le poisson rejoint l’océan à l’état de larve mais retourne en rivière pour grandir et se reproduire ; l’amphidromie marine où le poisson rejoint l’océan à l’état de larve, revient en rivière quelques temps, puis retourne dans l’océan pour grandir et se reproduire. L’amphidromie est répandue dans les régions insulaires tropicales (Abdou et al., 2015 ; Keith 2003 ; Teichert et al., 2012), mais se retrouve également en milieu tempéré, de la Nouvelle-Zélande au Japon (Iida et al., 2015 ; Jarvis et Closs 2015 ; McDowall 2007). Dans les milieux insulaires tropicaux, en particulier dans les îles des Caraïbes et de l’IndoPacifique, les milieux dulçaquicoles sont généralement composés de jeunes rivières oligotrophes, subissant de fortes variations hydrologiques saisonnières (Keith et al., 2009). Ces rivières sont influencées par l’alternance des saisons sèche et humide qui se traduisent respectivement par des crues et des sécheresses. En conséquence de ces variations hydrologiques, les rivières insulaires sont souvent soumises à des extinctions locales de leur faune (McDowall 2003 ; Keith 2003). Les organismes amphidromes, étant capables de recoloniser ces milieux fragmentés après une phase de dispersion marine, possèdent donc une stratégie de vie particulièrement bien adaptée à la colonisation de milieux émergents et à la recolonisation de milieux perturbés. En effet, à leur émergence, les îles volcaniques ne possèdent pas de rivières et la faune dulçaquicole est donc inexistante. Les organismes qui réussissent à coloniser ces milieux insulaires ultérieurement, possèdent le plus souvent un cycle de vie diadrome (Banarescu 1990). La durée de la phase larvaire des amphidromes est d’ailleurs l’une des plus longues qui existent (environ 50 à 300 jours) en comparaison avec les espèces marines démersales (souvent inférieure à 60 jours) (Brothers et al., 1983 ; Hoareau et al., 2007b ; Teichert et al., 2012), ce qui leur permet de disperser sur de très grandes distances, parfois à une échelle transocéanique. Le phénomène de retour des larves en rivière, correspond en écologie et chez les organismes amphidromes, à la phase de recrutement larvaire (Keith et al., 2008), c’est-à-dire à la fin de la dispersion océanique des larves et à leur retour en rivière à l’état de post-larve, pour devenir, dans le cas des amphidromes d’eau douce, des juvéniles puis des adultes en milieu dulçaquicole.

Dans les cours d’eau insulaires de l’Indo-Pacifique, la diversité des communautés de poissons repose essentiellement sur les gobies amphidromes (Taillebois et al., 2012 ; Keith 2003 ; Keith et al., 2005). L’intérêt majeur de ces espèces, en plus de contribuer fortement à la biodiversité faunistique des rivières, consiste en leur très grande valeur économique et patrimoniale. Les gobies constituent une ressource alimentaire importante pour les populations locales, mais une ressource au bord de l’extinction dans certaines régions, en raison des multiples pressions qui s’exercent sur leurs populations (pêche, barrage, pollution) et qui conduisent à la fragmentation de leurs habitats. Il est donc nécessaire d’élaborer des programmes de gestion pour ces espèces au cycle de vie complexe, ce qui implique de connaître leur biologie (i.e cycle de vie) et leur écologie (i.e les traits de vie, la structure et dynamique des populations, leurs exigences écologiques…). Ainsi, pour aborder ces questions, nous utilisons le modèle « Gobie » à La Réunion, car les gobies amphidromes contribuent fortement à la diversité faunistique des rivières réunionnaises, en plus d’être la cible d’une pêcherie traditionnelle qui revêt une grande importance économique et sociale, localement.

La sous-famille des Gobies Sicydiinae, des amphidromes largement distribués et diversifiés dans l’Indo-Pacifique 

La famille des Gobiidae forme l’une des plus grandes familles de poissons. En milieu tropical, elle comprend la plupart des espèces de poissons amphidromes avec la famille des Eleotridae, toutes deux appartenant au sous-ordre des Gobioidei. La plupart des espèces de Gobies sont marines mais la sous-famille des Sicydiinae au sein des Gobiidae, est uniquement composée d’espèces migratrices amphidromes (Keith et al., 2011). Elle est largement distribuée dans les régions de l’Indo-Pacifique. Ainsi, les espèces de Gobies Sicydiinae contribuent significativement à la diversité faunistique des rivières en milieu tropical insulaire et ont le plus fort taux d’endémisme dans ces habitats (Lejeune et al., 2016 ; Radtke et Kinzie, 1996). Plus précisément, c’est le genre Sicyopterus qui est le plus diversifié chez les Sicydiinae, avec 25 espèces décrites à ce jour (Lord et al., 2011). L’espèce Sicyopterus lagocephalus est la plus largement distribuée, habitant les rivières des îles de l’océan Indien à l’océan Pacifique . Elle possède notamment la plus longue phase de dispersion larvaire océanique qui dure entre 4 et 9 mois (Teichert 2012). Une particularité morphologique caractérise ces gobies (Gobiidae : Sicydiinae) : les nageoires pelviennes ont fusionné en une puissante ventouse ventrale, qu’ils utilisent pour remonter les cours d’eau et franchir des obstacles naturels (cascade)  (Keith et al., 2008). Ces espèces constituent dans certains archipels, une ressource alimentaire importante, à l’état larvaire essentiellement, lorsque les post-larves entament leur recrutement dans les rivières.

Ce que l’on appelle les « Goby-fry-fisheries » : des pêcheries larvaires en région tropicale et intertropicale

En milieux tropical et intertropical, des pêcheries traditionnelles se sont développées autour de ces remontées périodiques et massives de post-larves dans les rivières (phase de recrutement en écologie). Ces pêcheries spécialisées dans les gobiidés d’eau douce amphidromes existent depuis des siècles et sont présentes dans diverses régions du monde. On les appelle des « Goby-fryfisheries» (Bell 1999). Elle sont référencées à La Réunion (Augier de Moussac 1983 ; Cuvier et Valenciennes, 1837 ; Delacroix 1987 ; Vaillant 1890), dans la grande île voisine à Madagascar (Kiener 1963 ; Pellegrin 1933), en Indonésie, aux Philippines (Blanco 1956 ; Manacop 1954 ; Montilla 1931 ; Vedra et Ocampo, 2014), à Java (Koumans 1953), à Hawaï (Bell et al., 2009), en Polynésie (Keith et al., 2002 ; Plessis 1973), en Colombie (Castellanos-Galindo et al., 2011), aux Antilles, en Jamaïque (Townsend 1895), à Porto Rico (Erdman 1961), en Guadeloupe (Lejeune et al., 2016), en Dominique (Bell 1999) et en Afrique de l’ouest dans les îles du Golfe de Guinée, au Cameroun et en Côte d’Ivoire (Bell et al., 2009 ; Risch et Van Den Audenaerde, 1979). Les différentes « Goby- fry-fisheries » référencées sont géolocalisées dans la figure 6. Plus précisément, c’est le genre Sicyopterus qui est le plus exploité, notamment en Indonésie et à La Réunion (Manacop 1954 ; Delacroix 1987 ; Bell 1999). Au sein de ce genre, l’espèce Sicyopterus lagocephalus est la plus répandue et donc la plus communément exploitée. Manacop estime en 1953, que 20 000 tonnes de post larves sont pêchées par an, sur l’île de Luçon aux Philippines (ce qui comprend S. lagocephalus et S. lacrymosus). Cet approvisionnement larvaire, historiquement massif et régulier, constitue depuis toujours une source d’alimentation considérable pour les populations humaines insulaires. On peut notamment citer le zoologiste Louis Vaillant, témoin en 1890 d’une pêche prodigieuse à La Réunion : «L’abondance du poisson est si grande dans certains cas que les embouchures en sont littéralement encombrées, et l’eau en contient une quantité si prodigieuse que les pêcheurs, faisant allusion à la forme des vagues, disent que les bichiques montent en rouleau ».

Les pêcheries larvaires dans le monde ne concernent pas seulement des gobies amphidromes en milieu tropical. On peut citer la célèbre pêche des civelles, aussi appelée « pibales » (Anguilla anguilla, cycle catadrome), qui se pratique en Europe depuis des décennies, et qui est aujourd’hui professionnalisée et réglementée .Une autre pêcherie larvaire reconnue en région tempérée (au moins depuis le XVIIe siècle), est désormais très réglementée dans l’Union européenne, il s’agit de la pêche à la poutine (du niçois « poutina ») ou au nonnat (qui signifie « non né »). Elle se pratique en Méditerranée (La Mesa 1999) et concernent des larves de gobie transparent, d’anchois et de sardines (Aphya minuta, Engraulidae encrasicolus et Sardina pilchardus).

Les stocks de civelles et de poutine ont drastiquement chuté au cours du XXe siècle (Feunteun 2002), de même que les stocks de gobies amphidromes ont manifestement chuté en régions tropicales (Bell et al., 2009). Manacop écrivait déjà en 1953, « qu’un déclin continu est observé » faisant référence à la pêche des « ipon » aux Philippines. Le déclin est aussi rapporté en Polynésie française à Tahiti (Keith et al., 2002) et dans l’océan Indien à La Réunion (Delacroix 1987 ; Hoareau 2005). Certaines pêcheries proches de l’extinction seraient aujourd’hui interdites comme la pêche des « hinana » à Hawaï (Division of aquatic resources 2016). En conséquence, le prix de vente des post-larves a considérablement augmenté. On parle désormais de « caviar » lorsque l’on fait référence aux bichiques, aux civelles et à la poutine. L’importance économique des post-larves à La Réunion est souvent comparée à celle des civelles en Europe, bien que le prix de ces dernières soit nettement supérieur (en moyenne 500 euros le kg) (Duheca et al., 2009). La Réunion est notamment l’une des régions tropicales où la pêche des post-larves de gobies revêt une très grande importance économique (Schübel 1998), en moyenne 35 euros le kilo, au maximum 80 euros (observation en 2016).

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I. L’émergence d’un sujet de recherche
1. L’amphidromie : une stratégie de vie développée en milieu insulaire
2. La sous-famille des Gobies Sicydiinae, des amphidromes largement distribués et diversifiés dans l’IndoPacifique
3. Ce que l’on appelle les « Goby-fry-fisheries » : des pêcheries larvaires en région tropicale et intertropicale
II. Contexte de la thèse
1. L’importance socio-économique de la pêche des bichiques à La Réunion face aux enjeux écologiques
2. Objectifs de recherche et organisation de la thèse
MATERIEL ET METHODE GENERAL
I. Le site d’étude : l’île de La Réunion
II. Ecologie de Sicyopterus lagocephalus (Pallas, 1770)
III. La pêche des bichiques, une activité de saison
CHAPITRE 1. VARIABILITE SPATIO-TEMPORELLE DES TRAITS D’HISTOIRE DE VIE DES POST-LARVES DE SICYOPTERUS LAGOCEPHALUS AU RECRUTEMENT
I. Introduction
II. Stratégie d’échantillonnage et méthode
1. Echantillonnage
1.1 La collecte d’échantillons
1. 2 Les sites et périodes d’échantillonnage
2. Traitement des échantillons
2.1 Etude de la taille et du poids
2.2 Etude de l’âge
3. Structure du jeu de données
4. Analyses des données
III. Résultats
1. Exploration du jeu de données
2. Analyses de la variabilité spatiale du recrutement
2.1 Variabilité spatiale du recrutement en février 2015
2.2 Variabilité spatiale du recrutement en novembre 2015
3. Analyses de la variabilité temporelle du recrutement
3.1 Analyse temporelle du recrutement sur l’ensemble du jeu de données
3.2 Analyse de l’effet débit à l’échelle d’une saison
4. Analyses de la variabilité spatio-temporelle du recrutement
IV. Discussion
1. L’effet de la saison sur la variabilité des traits de vie des post-larves au recrutement
2. L’impact de l’épisode climatique El Niño 2015 sur la variabilité inter-annuelle des traits de vie des postlarves au recrutement
3. L’influence du site de recrutement sur l’île et de la situation géographique de l’engin de pêche en rivière, sur la taille et le poids des post-larves en fin de phase larvaire
CHAPITRE 2. LES PECHERIES DE « BICHIQUES » : CONTEXTE SOCIO-ECONOMIQUE ET TECHNIQUE
I. Introduction
II. Stratégie d’échantillonnage et méthode
1. Les acteurs ciblés par l’enquête
2. Lieux et périodes de l’enquête
3. Conduite des entretiens
4. Approche diachronique dans la cartographie des espaces de pêche
5. Les articles de presse, recueil d’informations historiques
6. Analyses
1. Retranscription des entretiens et analyse de contenu avec l’outil NVivo11
2. L’analyse des relations linéaires entre le prix et les quantités pêchées au cours du temps
3. L’analyse du discours des acteurs
III. Résultats & Discussion
1. Les bichiques : de l’eau à la bouche
1.1 Un héritage culturel
1.2 Qui sont les pêcheurs ?
1.3 Où pêche-t-on sur l’île ?
1.4 Les bichiques
1.5 Des pratiques et savoirs en mutation
1.6 La pêche des bichiques, une filière informelle
2. La pêche vue du ciel
2.1 Appropriation de la rivière : Des installations de pêche éphémères pour des territoires historiques
2.2 La pêche des bichiques à l’embouchure des rivières: un exemple de co-évolution nature-société
3. Collapse socio-écologique
3.1. Suivi des captures d’octobre 2014 à février 2016
3.2 Reconstruction historique des captures
3.3 Le prix au kilo, un proxy pour estimer les quantités pêchées ?
3.4 Recensement et occurrence des problèmes soulevés par les pêcheurs de bichiques
4. « Mise en conformité de l’activité de pêche », un pas vers la résilience ?
4.1 Vers une intégration des pêcheurs à la gestion
4.2 Le ressenti des acteurs sur la pêche des bichiques
4.3 Discussion sur la démarche de mise en conformité des pêcheries de bichiques
IV. Conclusion
CHAPITRE 3. LE SOCIO-ECOSYSTEME
I. L’embouchure, un écosystème de transition sous haute pression
1. Confluence des pressions anthropiques à l’embouchure
2. La tragédie des biens communs
3. Répercussions sur les autres espèces et la qualité de l’eau
II. Et si les pêcheurs traditionnels disparaissaient avant le poisson ?
III. Modélisation du socio-écosystème : un outil de réflexion et de sensibilisation
IV. La gestion de la pêche aux embouchures : une action en faveur de la résilience du socioécosystème
SYNTHESE
CONCLUSIONS GENERALES

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