Étude d’interfaces magnétiques par doublage de fréquence optique

Les propriétés magnétiques des films ultraminces à base de matériaux ferromagnétiques sont largement conditionnées par les caractéristiques de leurs interfaces. La mise au point de techniques permettant de caractériser ces interfaces enterrées paraît donc souhaitable. En particulier, le doublage de fréquence optique est spécifiquement sensible aux interfaces. Il est en effet interdit dans les matériaux centrosymétriques, mais est possible aux interfaces, où se produit une brisure de la symétrie. Récemment, il a également été prouvé expérimentalement [REI91.] que l’aimantation à l’interface influe également sur le doublage de fréquence. Les objectifs du travail présenté dans ce mémoire sont de montrer pourquoi et comment ces phénomènes peuvent être utilisés afin d’obtenir des informations sur les caractéristiques morphologiques et magnétiques des interfaces, puis d’utiliser cet outil pour l’étude de couches métalliques ultra minces.

Motivations

Accompagnant l’essor de l’informatique, les capacités de stockage de l’information ont été multipliées par près d’un million en moins de vingt ans. L’unité usuelle en terme de capacité n’est plus le kilo octet, mais le giga octet. Les phénomènes magnétiques et l’effet mémoire qui leur est souvent associé jouent un rôle prédominant dans le stockage de l’information. Les matériaux magnétiques ont donc suivi cette évolution, en fournissant des supports de stockage permanent (disques magnétiques ou magnéto-optiques) ou temporaires (MRAM), mais aussi des composants permettant la lecture ou l’écriture de l’information. Les découvertes récentes laissent à penser que les matériaux magnétiques conserveront à moyen terme une importance de tout premier plan. Ainsi, le phénomène de magnéto résistance géante dans les couches minces métalliques est à la base de têtes de lecture pour disques durs, qui remplaceront bientôt les têtes inductives actuelles, mais aussi de magnétodiodes et de magnétotransistors, déjà opérationnels. Par ailleurs, l’orientation vers des media de stockage amovibles a favorisé l’émergence de techniques de stockage optiques ou magnéto-optiques, relativement robustes et sans contact. L’écriture s’y effectue actuellement au moyen de diodes laser émettant dans l’infrarouge proche. L’accroissement des capacités passe alors, pour ces technologies, par l’utilisation de longueurs d’onde plus faibles, pour lesquelles le facteur de mérite des alliages actuels est fortement diminué. Parmi les matériaux susceptibles d’être utilisés en remplacement figurent les multicouches ColPt, (Co,Ni)/Pt ou FeIPt. Utilisés en couches ultraminces en alternance avec un matériau paramagnétique, ces matériaux permettent d’obtenir, grâce à l’anisotropie d’interface, de fortes anisotropies perpendiculaires (ce qui autorise de fortes densités d’enregistrement et d’importants effets magnéto-optiques).

Les techniques de caractérisation d’interfaces

La grande majorité de ces techniques permettent d’accéder à une information concernant la seule interface supérieure, ou les tous premiers plans atomiques.

Caractérisation non magnétique 

Ainsi, la Diffraction d’Électrons de Haute Énergie en Réflexion (RHEED en anglais) la Diffraction d’Électrons de basse Énergie (LEED) ou encore la spectroscopie par électrons Auger (AES) apportent des informations très pertinentes sur la qualité des surfaces, mais ne peuvent être utilisées que sous ultravide, et ne sauraient être appliquées à l’étude d’interfaces enterrées. De plus, leur résolution spatiale est actuellement limitée. D’autres techniques permettent d’accéder à de très bonnes résolutions spatiales. C’est notamment le cas de diverses formes de microscopie: optique, électronique, à effet tunnel ou à force atomique (AFM). Cette dernière technique, relativement récente, permet d’obtenir des résolutions de l’ordre de l’angstrom suivant trois axes, et donc une bonne image de la morphologie des surfaces. Cependant, aucune de ces techniques ne permet l’étude d’interfaces enterrées. Une techniques apparue récemment permettent d’accéder à des informations sur les interfaces enterrées de multicouches en étudiant la propagation d’ondes acoustiques générées par une impulsion lumineuse [BER98].

Caractérisation magnétiaue 

L’accès à l’aimantation d’interfaces implique l’utilisation de méthodes sensiblement plus lourdes. La réflexion de neutrons polarisés en incidence rasante permet d’accéder à certaines information sur l’organisation des moments magnétiques dans les couches minces (moyennant quelques calculs) [TRA96]. L’orientation de l’aimantation dans le plan de l’échantillon peut également être déterminée, mais la technique n’est pas sensible aux composantes perpendiculaires à ce plan. Cette technique performante n’a cependant aucune sensibilité intrinsèque aux interfaces, et sa résolution en profondeur semble actuellement limitée à 20 A environ [MAA93]. Par ailleurs, l’utilisation de faisceaux relativement larges (1 mm) en incidence rasante nécessite des échantillons relativement grands et homogènes. Certaines techniques utilisent des électrons polarisés en spin pour l’étude de surfaces, comme la diffraction d’électrons de faible énergie polarisés en spin (SPLEED en anglais), ou la spectroscopie des pertes d’énergie d’électrons polarisés en spin (SPEELS) (sur ces techniques, voir par exemple[FED85]). Cependant, la faible profondeur de pénétration des électrons rend leur utilisation délicate pour l’étude d’interfaces enterrées. Enfin, la spectroscopie Mossbauer est un outil permettant l’étude des atomes magnétiques. Après absorption d’un photon y, le noyau Mossbauer (il s’agit généralement de l’isotope 57 du fer) se désexcite en émettant des photons y, X, ou des électrons Auger, dont l’étude permet d’accéder à certains paramètres de l’aimantation. La sensibilité à l’aimantation d’une interface peut éventuellement être obtenue en y plaçant les isotopes du fer[KOR85].

Les techniaues optiques 

Parmi les techniques de caractérisation des interfaces, les techniques optiques présentent un certain nombre d’avantages: elles ne contaminent les échantillons ni par des particules, ni par des charges , elles sont non destructives, utilisables sous ultravide aussi bien qu’à l’air libre, et permettent d’accéder à d’excellentes résolutions spatiales et temporelles. Enfin, les faisceaux optiques, dont la profondeur de pénétration dans la matière est de plusieurs ordres de grandeur supérieure à celle des électrons, permettent de sonder des interfaces enterrées. Les techniques optiques de caractérisation des surfaces sont nombreuses, au point que le terme générique «epioptique» (du grec epi, sur) a été proposé pour les désigner [MCG95A] (on trouvera par ailleurs dans cet ouvrage une bonne synthèse sur le sujet). Elles sont largement utilisées par la recherche et l’industrie, notamment pour la caractérisation des surfaces en cours de croissance. Le débouché essentiel de ces méthodes concerne l’industrie des semi-conducteurs (ellipsométrie sur semi-conducteurs en particulier). Les techniques optiques linéaires, telles que la spectroscopie Raman, l’ellipsométrie, la photoabsorption de surface ou la photoluminescence sont essentiellement sensibles au volume (à l’échelle d’une couche ultramince). Cependant, il est parfois possible d’extraire du signal qu’elles délivrent les contributions dues aux interfaces. L’effet Kerr magnéto-optique (Magneto-Optical Kerr Effect, ou MOKE, en anglais) est assurément la principale technique optjque de caractérisation des matériaux magnétiques. Elle consiste à détecter le (faible) changement de polarisation de la lumière qui se produit à la traversée d’un matériau magnétique (voir le chapitre IV.2), en raison de la modification de la susceptibilité linéaire due au champ magnétique. 11 est possible d’obtenir des informations sur l’aimantation d’interfaces à l’aide de cette technique, et l’on parle alors de SMOKE (pour Surface MOKE) iBAD86, QIU981. Cependant, cet effet n’a aucune sensibilité intrinsèque aux interfaces, et l’information sur leur état d’aimantation est obtenue de manière indirecte.

Les techniques non linéaires telles que la somme ou le doublage de fréquence aux interfaces ont l’avantage d’être exclusivement sensibles aux interfaces. Le signal qu’elles délivrent, quoique relativement faible, provient exclusivement des interfaces, et n’est donc pas noyé dans un signal de fond provenant du volume du matériau.

Principe général et apports du doublage de fréquence 

Jusqu’en 1960, l’optique supposait la polarisation induite proportionnelle à l’amplitude du champ électromagnétique appliqué. À partir de l’invention du laser par Maiman, il a été possible d’obtenir à l’aide de faisceaux optiques des champs électriques dont l’ordre de grandeur s’approchait de celui des champs électriques assurant la cohésion entre les électrons et le noyau des atomes. L’approximation linéaire n’est alors plus valable, et on a recours à un développement de la polarisation en série de puissances du champ électrique. une excitation par un champ électrique optique se traduit par une polarisation contenant des harmoniques: p=p(O)+p( 1 )+p(2)+p(3)+. Les deux premiers termes décrivent l’optique dite linéaire. Les termes suivants correspondent à divers phénomènes optiques non linéaires, dont la génération d’harmoniques. En particulier, le doublage de fréquence fut le premier effet optique non linéaire jamais observé [FRAol]: le faisceau (rouge) d’un laser à rubis, focalisé dans un cristal de quartz, engendrait un faible faisceau bleu, observable après dispersion par un prisme sur une plaque photographique. Dans un milieu à structure centrosymétrique ou amorphe, le doublage de fréquence est impossible. Par contre, dans un milieu à structure non centrosymétrique (tel que le quartz), les électrons peuvent, si l’excitation est suffisamment forte, osciller dans un potentiel anharmonique. La réponse non linéaire du matériau se traduit alors par une polarisation contenant des harmoniques, qui se comporte comme un terme source à la fréquence correspondante .

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Table des matières

Chapitre 1 . Introduction
1 . Motivations
2 . Les techniques de caractérisation d’interfaces
Caractérisation non magnétique
Caracterisation magnetique
Les techniques optiques
3 . Principe général et apports du doublage de fréquence
Applications du doublage de fréquence
Sensibilite a l’aimantation
L’approximation dipolaire électrique
Principe des mesures
Problématiques
Organisation du mémoire
Remarques préliminaires
Chapitre II . Origine et spécificités du doublage de fréquence
1 . Phénoménologie : Considérations de symétrie
1.1 Tenseur ~(2) associé à une interface
1.2 Éléments du tenseur ~(2) pour une surface non magnétique
1.3 Éléments du tenseur ~(2) pour une interface magnétique
1.3.1 Configuration longitudinale
1.3.2 Configuration transverse
1.3.3 Configuration polaire
1.4. Commentaires et approfondissements
1.4.1 Relations entre les tenseurs en configurations longitudinale et transverse
1.4.2 Implications de la symétrie d’inversion temporelle
1.4.3 Interfaces symetriques
2 . Les configurations expérimentales particularités et ordres de grandeur
2.1. Les configurations expérimentales
2.1.1 Mesure en fonction du sens de l’aimantatioii
2.1.2 Etudes polarimétriques
2.2. Ordres de grandeur
2.2.1. Prédictions théoriques
2.24. Ordres de grandeur expérimentaux
2.3. Etude des effets thermiques
2.3.1 Modélisation des effets thermiques rapides
Approche simple transmission instantanée de l’énergie au réseau cristallin
Approche plus complète modèle à deux températures
2.3.2 Les effets thermiques lents . Exemples expérimentaux
3 . Doublage de fréquence dans les multicouches
3.1 Définition du problème
3.2 Formulation du problème pour quatre couches
3.2.1 Calcul des champs en tout point pour la fréquence fondamentale
Répartition des champs électriques : exemple d’une structure Au/Co/Au
3.2.2 calcul des termes sources à l’interface j
3.2.3 Calcul des champs à 2cù en tout point pour la polarisation p
Conditions de continuité
Expressions des champs en polarisation p
3.4.4 Calcul des champs à 2w en tout point pour la polarisation s
Conditions de continuité
Expressions des champs en polarisation s
3.3 Le codage . Exemples de calculs
3.3.1. Etude du doublage en fonction de l’épaisseur de l’une des couches
3.3.2. Etude du doublage de fréquence en fonction de l’angle d’incidence
Chapitre III . Montage et résultats expérimentaux
1 . Configuration expérimentale en réflexion
1.1. Principes
1.1.1. L’oscillateur Ti:Saphir
1.1.2. Les filtrages
Filtrage du faisceau fondamental
Filtrage du faisceau doublé en fréquence
1.1.3. La caméra CCD
Caractéristiques de la caméra
Etalonnage expérimental de la caméra
1.2 Description du montage
1.2.1 Suivi des fluctuations du faisceau (1)
1.2.2 Système de mesure à la fréquence double (II)
La focalisation du faisceau sur l’échantillon
Les supports d’échantillons
1.2.3 Contrôle et mesure des champs magnétiques
1.3. Méthodes de mesure et automatisation du montage
1.3.1 Méthode de mesure
Utilisation des images pour des mesures quantitatives
Analyse des images en temps réel
1.3.2. Instrumentation et automatisation des mesures
1.3.3. Principaux logiciels développés
1.4 Mesures fondamentales et validations
1.4.1 Démonstration du caractère quadratique en éclairement
1.4.2 Interfaces non magnétiques films d’or . Influence de la rugosité
Introduction
Couche d’or d’épaisseur variable
Mesures à la fréquence fondamentale
Mesures à la fréquence double
Mesures par Microscopie à Force Atomique (AFM)
1.4.3 Interfaces magnétiques enterrées
2 . Configuration Plasmons de surface
2.1 Introduction
2.2. Conditions d’existence d’un plasmon de surface
2.3 Caractérisation à la fréquence fondamentale
2.3.1 Système et résultats expérimentaux
2.3.2 Modélisation du phénomène . Détermination des indices et des
épaisseurs
2.4 Caractérisation à la fréquence double
2.4.1 Système et résultats expérimentaux
Mesures polarimètriques en configuration longitudinale
Mesures en fonction de l’angle d’incidence
2.4.2 Modélisation
Modèle basé sur la propagation dans les multicouches
Le modèle non local
2.5 Possibilités de la méthode
3 . Imagerie par doublage de fréquence
3.1. Introduction
3.1.1 Etat de l’art
3.1.2 Comparaison des méthodes d’imagerie par balayage et parallèle
3.2 Imagerie par balayage
3.2.1 Imagerie non magnétique par balayage
3.2.2 Imagerie magnétique par balayage
3.3 Imagerie parallèle
3.3.1 Dispositif expérimen ta1
3.3.2 Imagerie non magnétique
3.3.3 Imagerie magnétique
Echantillon FePd
Échantillon ColPt
3.4 Développements de la technique d’imagerie
3.4.1 Assemblage d’images
3.4.2 Amplificateur régénératif
3.4.3 Autres configurations envisageables
Chapitre IV Conclusion

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