Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
La crise et l’urgence
Selon l’OMS, « la santé est un état de complet bien être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Le bien être est un état de ressenti dynamique.
D’un point de vue étymologique, le mot crise vient du grec krisis qui signifie rupture d’un état d’équilibre. Le concept de crise peut se comprendre comme une perturbation aiguë du fonctionnement structurel et relationnel du patient et une rupture d’équilibre avec son environnement social et familial face à une difficulté existentielle, devant un changement à affronter. (59)
La crise se définit comme la manifestation brutale d’un état morbide, survenant en pleine santé apparente, une dégradation brutale ; elle est un paroxysme des souffrances. La crise représente un appel à l’aide, une tentative désespérée de communication qui se manifeste souvent de manière non verbale avec une incapacité à formuler une demande.
La personne éprouve un sentiment de débordement incontenable avec un danger imminent. Comme le souligne le psychiatre P Barlet, on se trouve dans un monde où l’élaboration verbale est difficile, douloureuse ou trop pauvre par rapport à l’intensité des émotions à exprimer. Ainsi, le suicide, l’alcoolisme, la toxicomanie, la délinquance, sont des formes d’appels non verbaux. Ces patients qui passent à l’acte, « agissent » leurs émotions, leurs angoisses, leurs souffrances. Souvent, chez ses patients et dans leur famille, la parole est plus dangereuse, plus difficile à manier que l’agir. Face à l’impossibilité du patient ou de la famille à résoudre ce problème et à sortir de cette difficulté, la situation amène souvent l’apparition d’un symptôme somatique ou psychique. La crise se présente comme une impasse douloureuse avec la conviction qu’il n’y a plus d’issue. Ceci explique le mode résolutif relativement fréquent du passage à l’acte comme issue agie entrainant momentanément le soulagement de la souffrance. Cette situation de crise va rarement rester contenue et va souvent se manifester de manière paroxystique, excessive, explosive, « folle », qui va rapidement dépasser les limites de la famille. Les idées suicidaires, les conduites addictives, les troubles du comportement (agitation ou délire) expriment une même souffrance. (52) Mais ces troubles du comportement, qui flirtent avec la mort, suscitent la même réprobation et mise à distance par la société. Ce symptôme apparaitra rapidement insupportable pour le patient et/ou son entourage et amènera à un appel à l’aide lancé à un tier tels que la police, le SAMU ou les pompiers et impliquent souvent un recours à l’hôpital « dépositaire du savoir ». Le recours aux urgences parvient souvent dans un sentiment d’échec, de désespoir, d’angoisses et de culpabilité. C’est dans ce contexte qu’apparait la dimension d’urgence. (52).
L’urgence psychiatrique n’est donc pas un symptôme mais un moment qui peut nécessiter un accompagnement par un tiers, initialement par l’entourage puis par le professionnel de santé lorsque les capacités d’adaptation de l’entourage sont dépassées.
L’urgence se définit comme une situation aux conséquences graves, désastreuses et irréversible dont le pronostic s’aggraverait en l’absence d’une réponse adaptée et immédiate voir avec un possible engagement du risque vital.
Selon l’OMS, il existe 4 degrés d’urgence :
– Urgence 1 : situation pathologique pouvant entrainer la mort, la perte d’un membre ou d’un organe, si la prise en charge n’est pas immédiate
– Urgence 2 : situation pathologique n’engageant pas le pronostic vital, mais susceptible de s’aggraver dans l’immédiat
– Urgence 3 : situation pathologique où le temps ne constitue pas un facteur critique. L’état du patient à son arrivée est jugé stable
– Urgence 4 : situation pathologique jugée stable et ne nécessitant pas de soins dans le service des urgences
L’urgence psychiatrique est donc liée à :
-l’état du patient lui même
-à la notion de danger pour le patient et son entourage
-au ressenti de l’entourage, du voisinage ou de la famille qui estime nécessaire une intervention médicale immédiate, sans attendre une consultation programmée.
« Le nouveau rapport au temps, de l’imaginaire social, est fondé sur l’instantanéité des réponses à nos besoins, et sur cette exigence d’immédiateté, s’accompagnant d’un refus de différer toute réponse à leur besoin, toute frustration de leur désir et toute restriction à la saturation de leurs jouissances ». (82)
Les différents acteurs
Les patients concernés
Aujourd’hui, la psychiatrie ne se limite plus au seul traitement des maladies mentales répertoriées, elle s’ouvre maintenant à des souffrances existentielles qui relèvent de la santé mentale. La psychiatrie est souvent interpellée pour faire face à ces situations explosives, à ces moments de débordement, le plus souvent, plus révélateurs de difficultés de communication au sein d’un groupe d’individus (conjugal/familial ou social) que de pathologie psychiatrique lourde. (25)
Ainsi, dans une étude menée aux urgences de la clinique Saint Luc à Bruxelles, parmi les patients pour lesquels un avis psychiatrique avait été demandé en urgence, seul 20% des patients reçus correspondaient à un état psychotique selon la classification international du DSM–IV ; mais dans près de 70% des cas, les cliniciens exprimaient être dans l’incapacité d’établir un diagnostic en urgence et les attribuaient à la notion de crise (22,23).
Aux urgences psychiatriques, on retrouve :
– les tentatives et idéations suicidaires : 60% des motifs de consultation aux urgences psychiatriques. Le plus souvent à type d’intoxication médicamenteuse volontaire. Elles sont souvent associées à une comorbidité psychiatrique.
– les troubles thymiques : Il s’agit très souvent de patients déjà connus du service, qui tentent d’avoir une consultation en urgence pour exprimer leur émotion, leurs angoisses, leurs souffrances.
– les troubles anxieux : le plus souvent, le patient est incapable d’élaborer sur ses émotions, arrive aux urgences générales avec une plainte somatique. L’ensemble des explorations se révèlent sans anomalies Le patient ressent un sentiment de vide et d’impasse pouvant évoluer vers l’autodestruction mais ne sait ou n’ose pas l’exprimer. Il s’agit pour le thérapeute de transformer cette plainte en demande d’aide et de soins.
– les troubles de l’adaptation : constituent le diagnostic le plus fréquemment posé au sein des services des urgences psychiatriques qui deviennent peu à peu un lieu de recours pour un grand nombre de situations tant médicales que psycho–sociales. On peut y trouver dans cette nosographie de nombreuses situations tels que les conflits familiaux, le harcèlement et l’épuisement professionnel. (11)
– Les états d’agitation (10%): comportement violent extériorisé envers autrui, le patient lui–même ou des objets constituant une mise en danger. Cette agitation peut être réactionnelle, sous tendue par une prise de toxique ou être le symptôme d’une pathologie psychique ou somatique. Le sujet est le plus souvent amené par les forces de l’ordre (police et ou pompiers). Il s’agit d’évaluer la dangerosité du patient (comportement isolé ou répété) puis d’évaluer une éventuelle cause psychique tel qu’un trouble de l’humeur, des symptômes psychotiques, un trouble de la personnalité.
– les états délirants : devant des propos incohérents ou un comportement inadapté. Il convient d’abord d’éliminer une cause organique (type encéphalopathie) ou toxique, ensuite d’identifier le processus en cours entre un délire isolé et inaugural en faveur d’un épisode psychotique bref ou un délire récurrent en faveur d’une schizophrénie, et s’il est associé à des comorbidités. (72)
– les conduites addictives : L’arrivée aux urgences se fait selon 3 contextes particuliers, intoxication éthylique aigue, la demande de sevrage, en lien avec une comorbidité. La demande provient soit du patient, soit de son entourage.
– les situations d’isolement et de repli : On voit affluer la plupart des détresses humaines et sociales liés à la marginalisation et à l’exclusion, à des comportements d’échec, d’abandon, d’autodestruction, qui majorent grandement la désinsertion sociale et renvoient à des psychopathologies particulières.
De plus, les personnes en situation d’exclusion souffrent souvent à la fois de problèmes sanitaires, psychiques et économiques.
Certains usagers viennent surtout pour être écoutés et conseillés autant que pour être soignés. Souvent, ils ne se soignent qu’aux urgences car ils attendent la crise, autrement dit l’apogée de leur angoisse ou l’épuisement de leur capacité d’adaptation à un malaise. Selon la littérature, il existe un profil particulier de visiteurs récurrents aux urgences psychiatriques. Ainsi, on peut citer les troubles du spectre schizophréniques, les troubles de la personnalité du groupe B, les troubles mentaux ou troubles du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives, les patients en situations précaires et les patients ayant eu recours au service d’urgence psychiatrique dans les 18 mois précédents (79) (87)
Le parcours des urgences
➢ Les pompiers ou force de l’ordre:
Souvent les premiers sur les lieux de la crise, les pompiers amènent une grande partie des patients au service des urgences générales, parmi ceux-ci comptent aussi les patients en souffrance psychiques avec notamment les suicidants, qui dans un sursaut de lucidité, après leur passage à l’acte, donnent l’alerte et contactent les secours. La police et la gendarmerie contribuent aussi à amener certains patients aux urgences psychiatriques. Souvent il s’agit de cas complexes, difficiles à aborder comme les patients agités, violents, ou en phase d’ivresse aigüe et massive. Le but est souvent de se défausser du problème en confiant le patient à l’instance médicale.
➢ Les médecins généralistes:
Premier interlocuteur de santé dans la société, il reçoit de nombreuses plaintes somatiques qui se révèleront d’avantage fonctionnelles, masquant des troubles anxieux ou dépressifs ou autres situations de crise. Il arrive que le généraliste se sente dépassé et fasse appel aux urgences psychiatriques. Il devra comprendre les enjeux de l’appel à l’aide et réfléchir à une prise en charge adaptée avant d’envoyer le patient à l’hôpital. L’inconvénient est que beaucoup de patients de la population psychiatrique n’ont pas de médecin traitant. (22, 28, 86)
➢ Les psychiatres libéraux:
Le plus souvent responsable de patients présentant des syndromes anxiodépressifs, ils feront d’emblée appel aux urgences psychiatriques en cas d’urgences évidentes tels que les crises suicidaires ou les états délirants aigus. Ils peuvent se révéler utile pour la rédaction de certificats en cas de non consentement aux soins ou pour une sortie rapide d’hospitalisation avec des rendez-vous rapprochés. (28,90)
➢ Les services sociaux:
Précarité et décompensation psychiques vont souvent de pairs, d’où l’importance de travailler en association avec les services sociaux qui se révèlent indispensable en amont comme en aval de la prise en charge. (90)
➢ Les élus locaux et magistrats:
Le maire, le procureur, le magistrat, ou encore le préfet peuvent être amené à prendre une décision d’hospitalisation sous contrainte, en soins à la demande d’un représentant de l’état, en cas de danger imminent pour la sécurité des personnes. Cette décision sera associée à un certificat médical. (28,90)
➢ Le SAMU et Les médecins urgentistes:
Leur rôle principal est d’éliminer une cause organique grave, devant une agitation ou une modification brutale du comportement, avant de faire le relai avec l’équipe psychiatrique. (28,52,90)
L’équipe psychiatrique des urgences
Le décret du 9 Mai 1995 impose aux établissements hospitaliers comportant un service d’accueil des urgences (SAU) d’établir une convention avec les hôpitaux psychiatriques du secteur correspondant à leur aire d’attraction géographique, principe confirmé par la circulaire de 2003, afin de compter en leur sein au moins un psychiatre et un infirmier disposant d’une expérience psychiatrique, pour pouvoir accueillir, 24 h/24, toute personne en situation d’urgence, y compris psychiatrique. On voit ainsi se développer de nouvelles structures : les Unités d’Accueil des Urgences Psychiatriques (UAUP).
Comme le service des urgences générales, le service des urgences psychiatriques offre une permanence de soins 24h/24 avec une équipe de jour et une équipe de nuit. L’équipe est pluridisciplinaire, on y rencontre psychiatres, des infirmiers, des agents de service hospitalier et dans l’idéal des travailleurs sociaux. Toutefois, c’est l’ensemble de l’équipe soignante qui a un rôle psychothérapeutique, il faut pouvoir faire face aux réactions du patient ou de la famille qui se retrouvent dans un lieu inconnu chargé d’une atmosphère mortifère lié aux situations des autres usagers. Le travail d’équipe est primordial. (22, 24, 25)
Interpellée par les médecins urgentistes, une fois que l’ensemble des explorations somatiques a été réalisé, l’équipe psychiatrique intervient en seconde ou troisième ligne. Et le patient devra souvent de nouveau réexpliciter son cas une énième fois, à un énième personnage, ce qui peut majorer sa frustration.
Il peut s’écouler plusieurs heures entre l’arrivée du patient au service des urgences générales et la rencontre avec un médecin psychiatre et auxquelles on peut rajouter facilement 45 minutes au temps d’intervention si le lieu des urgences générales et celui des urgences psychiatriques sont distincts et nécessite l’intervention d’une ambulance. Il n’est pas rare que le patient soit déjà parti avant que le psychiatre ne puisse le voir, fatigué d’attendre. Ce type de prise en charge ne facilite pas les relations entre les médecins urgentiste et les psychiatres. D’autant plus que les psychiatres de garde changent constamment d’une nuit à l’autre, ce qui ne facilite pas leur intégration au sein de l’équipe des urgences générales. (52)
Les psychiatres de garde sont majoritairement des membres de l’intra–hospitalier (assistants/chef de clinique, internes, et praticiens hospitaliers) et ne connaissent que les structures associées à l’hôpital. L’hospitalocentrisme est donc plus lié à une mauvaise connaissance des structures de prise en charge extrahospitalière et de leur champ d’intervention. Travailler avec des structures ambulatoires et trouver des solutions alternatives demande du temps. Ce dont manque les psychiatres de garde.
Le plus souvent l’entretien psychiatrique s’effectue en binôme, avec un médecin psychiatre et un infirmier psychiatrique.
Le rôle du médecin psychiatre est essentiellement cantonné à une fonction de tri : peut–on prendre le risque de laisser le patient repartir ou doit–il être hospitalisé ?
Orientation et prise en charge de l’urgence
LES DIFFERENTS TYPES DE PRISE EN CHARGE
À partir de quand faut il intervenir dans un processus critique ou le laisser évoluer naturellement jusqu’à son paroxysme puis à sa résolution ?
Doit on agir sur le seul argument clinique de l’amélioration du pronostic en rapport avec la précocité du traitement psychopharmacologique ou psychothérapeutique ?
Malgré des courants de pensée différents entre l’Ubris ou vision urgentiste d’Hippocrate, qui préconise le principe de précaution et qu’il vaut mieux prendre en compte le caractère urgent de certaines situations cliniques avant un point de non retour, ou l’abstentionnisme pinelien, « il est plus sage de laisser en général la maladie parcourir ses diverses périodes d’état aigu, de déclin et de convalescence, sans trop troubler ni intervertir la marche de la nature »
Dans les grands services des urgences psychiatriques, l’accent est surtout mis sur l’évaluation et la réorientation du patient dans le réseau plutôt qu’à la meilleure intervention à programmée. Pour les réponses à apporter face à ses situations dites d’urgences, deux grands courants d’opinion s’opposent :
– Le premier privilégie le développement de l’accueil des urgences dans les CHG (centre hospitaliers généraux)
Ainsi le service des urgences psychiatriques devient d’avantage un lieu de tri qu’un lieu de soins. L’évaluation sert alors avant tout l’intervenant et non le patient ou son contexte.
Il permet à ses intervenants, déborder par le nombre des urgences psychiatriques de désengorger et de libérer le service des urgences.
La décision sera dans plus d’un cas sur deux d’hospitaliser dans un service psychiatrique, décision trop souvent prise sous la pression de l’urgence et dommageable pour le patient, tant dans les cas de réelles décompensations psychiatriques que lors des états psychiatriques aigus lors des situations de crise familiale, contextuelle, sociale.
Ce courant d’avantage réclamé par les médecins des autres spécialités, en particuliers des urgentistes, recueille actuellement plus adhérents et ancre d’avantage la psychiatrie au domaine médicale. Le premier donne la priorité aux actions des structures de secteurs
– Le second donne la priorité aux actions des structures de secteurs:
Ce courant, d’avantage porté par les CHS (centres hospitaliers spécifiques), réfute la notion d’Urgence en psychiatrie, refuse de réduire la notion d’urgence à son seul aspect médical, il considère la demande comme plus globale, comme médico–psycho–sociale, et valorise les actions de prévention et les prises en charge au long cours par des équipes pluridisciplinaires dans l’ensemble.
La présence de cette équipe pluridisciplinaire évite souvent une psychiatrisation lourde, parfois abusive et permet d’organiser la prise en charge de manière plus nuancée.
Selon Claude Barthélémy, (6) chaque réponse doit être adaptée en fonction de la situation clinique et des capacités d’adaptation, de défense et de résilience de l’individu. L’urgence doit tenir compte du contexte de l’épisode aigu et le resituer dans l’histoire de l’individu. L’urgence peut–être dans un premier temps de trouver quelqu’un à qui parler.
Toutefois, la tendance actuelle est en faveur d’une intervention précoce, voire immédiate. De plus cette tendance se mêle à l’attente du corps social. A Rauzy a mis en évidence l’explosion des consultations aux urgences psychiatriques pour des motifs jugés sociaux, d’environ 60% en 10 ans. Soit une augmentation de 3–5% par an. « L’urgence est devenue un phénomène de masse, de même que sa composante psychiatrique. Ainsi s’inscrit un nouveau champ d’intervention dans la psychiatrie moderne, représenté par la détresse sociale ». La précarité du lien social où prédomine la dissociation et la recomposition fragile des groupes sociaux ou familiaux diminue le seuil de tolérance aux tensions et réduit les ressources régulatrices et adaptatives permises par le soutien communautaire matériel et social et l’échange par la parole et laisse place à l’immédiateté, à l’agir, à des comportements extrêmes de crise, sous forme de passage à l’acte : tentative de suicide, alcoolisme, drogue, violence, délinquance, qui finissent par converger vers les services d’urgence des hôpitaux, spontanément ou poussés par l’entourage ou les acteurs médicaux et sociaux. De ce fait l’urgence psychiatrique pure par décompensation d‘une affection psychiatrique avérée ne représente qu’une part de plus en plus petite des consultations d’urgences psychiatriques par rapport aux états aigus transitoires et états de crise liés aux situations de conflit extra psychique avec l’environnement. (77)
Aux urgences, la décision thérapeutique débouche sur deux types de prise en charge : soit hospitalière, soit ambulatoire. Il appartient au psychiatre de peser les bénéfices et les risques de sa décision. Trop souvent, devant le moindre doute ou devant la pression de l’entourage, le psychiatre justifiera sa décision d’hospitaliser par la présence d’un symptôme « intéressant ».
La responsabilité du médecin psychiatre est engagée chaque fois qu’il décide de faire sortir un patient. Certains praticiens hésitent à prendre un risque et préfère recourir à l’hospitalisation sans que cela ne soit toujours justifié par une nécessité de soins continus.
Les bénéfices attendus de l’hospitalisation
L’hospitalisation est souvent considérée comme la réponse à tous les problèmes. L’hôpital constitue un traitement en lui même, par son rôle central, il permet une prise en charge intensive et précoce de la crise, qui peut être schématisé par « les 4 S » : sécurité, structure, soutien, gestion du symptôme (67)
Structure par sa fonction d’hébergement, sécurité par le cadre qu’il apporte, soutien par la fonction de nursing des équipes infirmières et aides ménagères et de gestion du symptôme par l’équipe médicale permettant l’évaluation diagnostique et l’instauration d’un traitement (30)
Il arrive que le patient se sente déjà mieux dès que la décision d’hospitaliser est prononcée et ce même sans traitement chimiothérapique ou autre soin prodigué. L’hospitalisation permet de restaurer l’espoir à un moment où tout semble être perdu pour le patient comme pour son entourage. (12–102)
Dans le cas des tentatives de suicides et des états d’éthylisme aigu, le lendemain, une hospitalisation même provisoire permet au patient de prendre du recul par rapport à son geste et parfois d’élaborer de nouvelles stratégies.
L’hôpital permet une observation continue 24h/24 et de monitorer le traitement ainsi que leurs effets secondaires, il permet entre autres un rétablissement du cycle nycthéméral grâce à son cadre, sa réassurance et la prescription d’un traitement médicamenteux adéquat. Il contribue à lutter contre le rejet et l’isolement sous–tendue par diverses pathologies psychiatriques. Il permet la mise à distance en cas de crise familiale liée au symptôme et permet de soustraire l’individu d’un milieu délétère (30)
L’hôpital a aussi un rôle de resociabilisation par la promiscuité qu’il entraine entre les patients. L’hospitalisation permet aussi d’organiser le suivi extra hospitalier, via un relai avec les équipes de secteur.
Grâce à sa prise en charge et ses collaborations multidisciplinaires (médicale, paramédicale, sociale) il permet la mise en place d’un cadre social ; allocations, projet de réinsertion, lieu de vie.
L’hospitalisation peut représenter un espoir mais aussi un échec. En effet, les psychiatres de ville arrivent à contenir les angoisses du patient jusqu’à un certain point, mais il arrive un moment où le psychiatre demande une admission en service psychiatrique. (15)
Les inconvénients de l’hospitalisation
Dans son manifeste sur la psychiatrie, L.Cohen décrit l’hospitalisation comme une expérience traumatisante créant chez les patient un sentiment de terreur, d’impuissance et de perte d’autonomie notamment lié au confinement et à la privation de certains objets personnels (17)
De plus on peut observer chez les patients hospitalisés sous contraintes de multiples expressions de peur, de colère et de dépression.
Dans une étude menée en 1999, Morrison retrouve une prévalence d’état de stress post traumatique de 44% en sorti d’hospitalisation psychiatrique, alors que cette symptomatologie n’était pas présente à l’entrée. Il démontre aussi que les premières admissions sont les plus traumatiques.
Comme tout traitement, l’hôpital peut devenir iatrogène par les phénomènes de désinsertion et de régression sociale du fait de son rôle sécuritaire et maternalisant. Selon Serge Kannas, « Un être humain privé de la possibilité de se subvenir à lui–même risque de perdre l’estime de soi et sa contribution à la communauté professionnelle–familiale et sociale s’amenuise et donc perdent en autonomie, danger que sous–tendent les hospitalisations prolongées et répétées. Au cours de ces hospitalisations, la famille et le patient apprennent la profession d’assistés. » (49)
De plus, une primo–hospitalisation en psychiatrie peut s’avérer délétère pour le patient, car il se retrouvera avec l’étiquette psychiatrie, et pourra alors subir une forme de désintérêt au cours d’un prochain passage aux urgences somatiques. Il existe un risque de stigmatisation du patient psychiatrique.
De plus, l’observation des patients chroniques conduit à faire l’hypothèse selon laquelle l’hospitalisation psychiatrique peut réaliser un véritable d’apprentissage de solution institutionnelle univoque à des problèmes psychiatriques, c’est–à–dire un modèle répétitif tendant à se stabiliser sur le même mode au cours du temps. (101)
ALTERNATIVES A L’HOSPITALISATION
Exemple de la loi Basaglia ou loi 180 en Italie. Loi établie en 1978, qui consiste à la désinstitutionalisation progressive de la psychiatrie en Italie. (94)
Elle stipule que :
– L’assistance psychiatrique doit être déplacée des hôpitaux psychiatriques vers les centres communautaires de santé mentale, nouvellement organisés de manière sectorisée ou départementale pour assurer les intégrations et des liens avec des services et des ressources communautaires
– L’hospitalisation de nouveaux patients dans les hôpitaux psychiatriques existants ne pas être autorisée. La construction de nouveaux hôpitaux psychiatriques est également interdite
– Les services psychiatriques doivent être ouverts à l’intérieur des hôpitaux généraux avec un nombre limité de lits (pas plus de 14–16).
– Les traitements obligatoires ne sont appliqués que lorsque les installations communautaires adéquates ne sont pas accessibles et lorsque le patient n’a pas accepté son traitement en dehors de l’hôpital. (86)
ALTERNATIVES EN FRANCE
• Unités mobiles de crises (ERIC ou ULICE):
L’Equipe Rapide d’Intervention Crise, mobile intersectorielle et interdisciplinaire, est disponible 24h/24, propose une prise en charge de la crise et un suivi en post urgence pendant 1 mois, réalisant une alternative à l’hospitalisation lorsque cela est possible. Utilisant le modèle systémique permettant de replacer le symptôme psychiatrique à l’intersection de différents contextes individuel, familial et social. Ce système considère que les symptômes d’un membre de la famille peuvent être vus comme une fonction dans un bouleversement familial plus large. Si la famille et/ou le contexte social dans lesquels vivent les individus peuvent être source de stress et accélérer la décompensation, ils sont, dans de nombreux cas, un réservoir fécond en ressources pour la résolution des problèmes. Cette prise en charge s’appuie donc sur les compétences et la disponibilité de l’entourage. L’intervention vise à diminuer le recours à l’hospitalisation et d’éviter la psychiatrisation et aider les familles à élaborer d’autres manières de résoudre leurs crises dans le futur. (10,13,23,44,80,82)
Toute situation d’urgence ou de crise aigüe constitue une indication, à l’exception d’une hospitalisation d’office déjà constituée ou en cas de problème somatique prédominant.
La prise en charge comprend des entretiens familiaux, des visites à domicile, des contacts par téléphone, un traitement, et souvent un travail avec les partenaires sociaux.
• Le secteur psychiatrique CMP et visites à domicile:
Dispositif de santé mentale mis à la disposition de la population dans le cadre de la sectorisation. Ce dispositif est composé d’une équipe pluridisciplinaire avec des médecins psychiatres, des infirmiers formés à la discipline psychiatrique, des psychologues, d’assistants sociaux, des psychomotriciens, un cadre infirmier, de secrétaires, et d’agents de service hospitalier.
Ses missions sont multiples et consistent en l’accueil et la prise en charge médico–psychologique, la prévention et l’information, l’orientation, la coordination avec les unités d’hospitalisation et le réseau communautaire, les soins ambulatoires et les interventions à domicile, les suivis post–hospitalisation, ainsi que les démarches sociales, et faire le lien avec les partenaires sociaux. (54) Structure le plus souvent ouverte du lundi au vendredi entre 8h30 et 19h00. Elle n’offre pas de permanence de soins les nuits, les week–ends et les jours fériés.
Le souci est que peu d’individu adressé sur les cmp à l’issue d’une consultation d’urgence se rendront à leur premier rendez–vous.
• Le centre d’accueil permanent CAP:
Unité d’accueil, fonctionnant 7j/7 de 8h à 21h, elle reçoit le tout venant en demande d’écoute ou de soins, avec ou sans rendez-vous. Toute personne en demande de soins est accueillie par un infirmier qui recueille le motif de consultation, la demande, l’histoire de la maladie et la clinique. Si besoin, la personne est adressée au psychiatre d’astreinte, qui après évaluation oriente le patient soit en unité d’hospitalisation à temps complet ou l’hôpital de jour, soit en ambulatoire vers le réseau sanitaire et social du territoire, les services tutélaires ou les associations avec un travail de lien et de coordination. Certains CAP possèdent des lits portes pour des hospitalisation de courte durée de 48 à 72 heures
• L’hôpital de jour:
Structure prenant en charge les adultes souffrant de troubles psychiques et nécessitant un accompagnement psychiatrique via des activités thérapeutiques. Le plus souvent ouvert sur des horaires de semaine, il est composé d’infirmiers, de psychologues, plus ou moins d’éducateurs et de physiothérapeutes. Il propose des prises en charge individuelles ou des activités de groupe.
Les objectifs sont multiples tels que développer l’autonomie, favoriser la socialisation et soutenir les projets d’insertion dans la communauté, aider au maintien du patient dans son milieu de vie, prévenir une hospitalisation à temps complet, diminuer la durée d’un séjour hospitalier, faire participer activement le patient et ses proches à un plan de soin personnalisé.
Différentes activités thérapeutiques sont proposées autours de la communication et l’expression verbale, les compétences sociales et relationnelles, la gestion des émotions et le développement de l’autonomie. Ces activités reposent sur des techniques d’empowerment/renforcement positif et cognitivo–comportementales. (4)
• Le lieu de répit:
Ce projet repose sur les principes suivants : Offrir aux personnes vivant une « crise psychotique » un milieu de vie calme, communautaire ; proposer une approche phénoménologique de la personne visant à donner un sens à l’expérience subjective de la crise psychotique ; accompagner la personne dans ses activités quotidiennes selon le principe « d’être avec » et « faire avec » ; absence de recours systématique aux traitements neuroleptiques, ou administration de faibles doses en favorisant plutôt les anxiolytiques qui altèrent moins les fonctions cognitives supérieurs et toujours avec l’accord de la personne ; présence permanente de professionnels et de bénévoles qui adhèrent à une vision existentiel et contextuelle de la crise sans la médicaliser/psychiatriser d’emblée. Plusieurs études ont montré que l’approche alternative à l’hospitalisation fondée sur le Soteria paradigm avait des résultats meilleurs ou équivalents à ceux de l’hospitalisation conventionnelle en termes de réduction de la symptomatologie, d’augmentation des temps de rémission et de reprise d’une activité professionnelle, et avec des coûts réduits.
Les équipes d’adressage seront l’équipe psychiatrie précarité MARSS, les urgences psychiatriques (CAP 48 et Conception), et l’EMPP de l’hôpital Edouard Toulouse. Le critère principal d’orientation vers le Lieu de répit sera le refus de la personne d’être hospitalisée, associé à la présence d’éléments pouvant justifier des soins sans consentement.
L’équipe du Lieu de répit sera composée en partie de professionnels « classiques » du sanitaire et du social (psychiatre, psychologue, éducateur, infirmier), de volontaires du service civique, mais surtout de personnes ayant directement eut l’expérience de la crise et/ou de l’exclusion sociale, et bien avancés dans leur parcours de rétablissement. Environ la moitié de l’équipe d’intervention sera constituée de personnes directement concernées, dit « travailleur pairs ». (COMME DES FOUS — le lieu de répit, alternative à la psychiatrie –– comme des fous : avril 2017)
|
Table des matières
ETAT DES LIEUX DE LA PRISE EN CHARGE DES URGENCES PSYCHIATRIQUES
I) LE PARCOURS DE SOINS
A) Organisation des services de réponse a la crise et l’urgence
1) La psychiatrie en chiffres
2) La crise et l’urgence
3) Les différents acteurs
4) L’évaluation psychiatrique
B) Orientation et prise en charge de l’urgence
1) Les différents types de prise en charge
2) L’hospitalisation en psychiatrie
3) alternatives à l’hospitalisation
II) REVUES DES ETUDES SUR LES CRITERES D’HOSPITALISATION EN URGENCE EN PSYCHIATRIE
A) Revue de la littérature internationale
B) Les recommandations de bonnes pratiques sur les critères d’hospitalisation en urgence en psychiatrie
ETUDE DESCRIPTIVE DES PATIENTS HOSPITALISES EN URGENCE EN PSYCHIATRIE SUR LE POLE CENTRE ET EST VAUCLUSE
DISCUSSION
I) Interprétation des principaux résultats de l’étude et concordance avec les données actuelles
II) Les forces et limites de l’étude
III) Liens entre psychiatrie et précarité
IV) De nouvelles pistes à explorer
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
Télécharger le rapport complet