Etude des réseaux de repos en IRM fonctionnelle
La connectivité cérébrale
L’organisation du fonctionnement cérébral repose sur deux principes fondamentaux: la ségrégation et l’intégration de l’information. La ségrégation fonctionnelle se rapporte à l’existence de régions cérébrales spécialisées dans une fonction donnée. Cependant ces régions cérébrales ne fonctionnent pas isolément les unes des autres: elles constituent des nœuds, interconnectés et interagissant de manière cohérente et dynamique pour traiter une information, faisant émerger le concept d’intégration fonctionnelle [1]. La structure corticale supportant une fonction donnée peut ainsi être considérée comme un ensemble d’aires corticales spécialisées, dont l’union est médiée par l’intégration fonctionnelle [2]. Initialement opposées (cf 2.2.2.2 de ce même chapitre), spécialisation fonctionnelle et intégration fonctionnelle ne sont donc pas exclusives, mais complémentaires.
L’étude de la connectivité entre ces régions cérébrales plus ou moins distantes apparaît ainsi comme un enjeu majeur pour la compréhension des fonctions cérébrales, à la fois en physiologie et en pathologie. On distingue trois types de connectivité [3] qui sont schématisés sur la figure 1 et qui vont être développés dans les chapitres suivants :
– la connectivité structurelle, correspondant aux voies anatomiques existant entre deux régions distantes
– la connectivité fonctionnelle, sur laquelle va porter ce travail de thèse, définie comme la corrélation temporelle existant entre des structures proches ou distantes,
– la connectivité effective qui reflète l’influence qu’un système neural exerce sur un autre système neural, apportant une notion de direction du signal et donc une information de causalité à la connectivité fonctionnelle,
L’étude des connectivités fonctionnelles et effectives, sous-tendues par la connectivité structurelle, permet la caractérisation des systèmes fonctionnels ou réseaux impliquant des zones réparties à travers l’encéphale.
La connectivité structurelle ou anatomique
La connectivité anatomique correspond à l’ensemble des connexions structurelles liant des unités neuronales. Elle repose à la fois sur des connexions « locales », permettant de synchroniser l’activité à partir de la cyto-architecture locale, et des connexions « à large échelle » supportées par des réseaux de fibres blanches [1]. C’est sur ces connexions interrégionales que portent l’essentiel des données obtenues chez l’homme. Si ces connaissances ont longtemps reposé sur des études post-mortem, l’essor de la tractographie permet dorénavant une étude in vivo et non invasive. L’IRM en tenseur de diffusion (DTI) permet ainsi par inférence d’identifier les grands faisceaux anatomiques de substance blanche (pour revue voir Johansen Berg et Rushworth, 2009 [5]). En parallèle de la tractographie, d’autres techniques non-invasives se sont développées, utilisant par exemple l’analyse des covariances de l’épaisseur corticale (pour revue voir Alexander-Bloch et al, 2013 [6]).
La connectivité fonctionnelle
La connectivité fonctionnelle repose sur la corrélation temporelle existant entre l’activité d’unités neuronales distinctes [7]. Elle représente le lien dynamique existant entre les différentes régions constituant un réseau donné. En d’autres termes, le concept de connectivité fonctionnelle repose sur l’hypothèse que deux régions (ou plus) appartiennent à un même réseau si le décours temporel de leur activité (par exemple décours temporel du signal BOLD enregistré dans ces régions en IRMf) est corrélé.
Relation entre connectivité structurelle et fonctionnelle
Les corrélations temporelles définissant la connectivité fonctionnelle sont considérées comme le résultat d’interactions neuronales à travers les connexions anatomiques. La connectivité fonctionnelle est donc largement contrainte par la connectivité structurelle et toute modification anatomique entrainera une perturbation de la connectivité fonctionnelle. Il existe par exemple une diminution du degré de corrélation inter-hémisphérique de l’activité spontanée chez les patients présentant une dysconnexion calleuse [8].
On ne peut néanmoins réduire la connectivité fonctionnelle à la connectivité structurale (pour revue, voir Damoiseaux et Greicius, 2009 [9]).
– D’une part, la connectivité fonctionnelle entre deux aires cérébrales n’implique pas l’existence d’une connexion anatomique directe entre ces deux aires, puisque la corrélation de l’activité neuronale de ces aires peut être le résultat d’une médiation par une troisième aire (ou une série d’autres aires).Vincent et al [10] ont ainsi montré que chez le primate, si la synchronisation fonctionnelle était maximale entre des régions reliées par des faisceaux de substance blanche, il existait également une connectivité fonctionnelle entre des régions visuelles dépourvues de connections anatomiques directes. Chez l’homme, la modélisation mathématique a montré que la connectivité anatomique existant entre des unités corticales ne permettait pas de rendre compte de l’ensemble des dysfonctions observées en réponse à la lésion de l’une de ces unités [11]. Cela a également permis d’identifier des connexions fonctionnelles fortes entre des régions non anatomiquement directement reliées, en partie expliquées par des connexions structurales indirectes [12].
– D’autre part, la notion de connectivité fonctionnelle diffère de la connectivité anatomique dans le sens où une connexion anatomique peut être utilisée (et devenir fonctionnelle) ou non dans l’accomplissement d’une tâche. Une autre illustration de ce caractère dynamique est la relative désactivation du mode par défaut lors de tâches cognitives de haut niveau comme nous le verrons plus loin [13].
– Enfin, les interactions fonctionnelles peuvent contribuer à la structuration du substrat anatomique sous-jacent. La formation de nouvelles connexions et l’élimination de certaines déjà existantes sont largement conditionnées par les fonctions exécutées, les axones les plus utilisés possédant un avantage compétitif sur les autres (pour revue voir Van Oyen, 2001 [14]). Ces modifications pourraient jouer un rôle clé dans la récupération post-AVC en permettant une réorganisation fonctionnelle de régions anatomiquement indemnes.
Méthodes d’analyse de la connectivité fonctionnelle
Les méthodes utilisées pour rendre compte de la connectivité fonctionnelle in vivo et de manière non invasive chez l’homme sont nombreuses. Les méthodes d’électrophysiologie (EEG, MEG) ont une excellente précision temporelle, mais une résolution spatiale limitée ne permettant d’accéder qu’à la connectivité fonctionnelle entre des grandes régions du cerveau. Les techniques d’imagerie ont permis d’améliorer la résolution spatiale et donc d’accéder à une meilleure précision dans la localisation des structures connectées. La tomographie par émission de positons (TEP), utilisée depuis les années 70, utilise le lien entre l’activité neuronale et le débit sanguin cérébral pour cartographier les régions simultanément activées grâce à l’injection d’un produit radioactif émetteur de positons. L’IRMf, utilisée depuis les années 90, s’est largement imposée car elle a l’avantage d’être nettement moins invasive que la TEP (pas de traceur radioactif). Elle repose également sur les variations hémodynamiques secondaires à l’activité neuronale. Utilisée dans ce travail de thèse, cette technique sera largement développée par la suite dans ce mémoire .
La connectivité effective
La connectivité fonctionnelle permet de refléter les corrélations temporelles existant entre des structures cérébrales distantes, mais sans apporter d’informations sur le sens de ces interactions. La connectivité effective repose quant à elle sur la modélisation des influences d’une région causale sur une autre (pour revue, voir Friston, 2011 [3]). Ce type de connectivité ne sera pas developpé dans ce travail.
Principes de l’IRM fonctionnelle au repos
Origine du contraste IRMf
Le principe de l’IRM fonctionnelle (IRMf) repose sur la variabilité des propriétés magnétiques de l’hémoglobine contenue dans les érythrocytes qui joue le rôle de produit de contraste endogène. En effet :
– sous sa forme désoxygénée ou désoxyhémoglobine (dHb), l’hémoglobine contient des atomes de fer présentant des électrons libres, ce qui perturbe localement le champ magnétique
– à l’inverse, sous sa forme oxygénée ou oxyhémoglobine, l’appariement des électrons confère à l’hémoglobine une susceptibilité magnétique négative.
– Les différences de susceptibilité magnétique entre ces deux formes sont responsables d’un gradient de champ magnétique :
– Lors du temps précoce de l’activité neuronale, la consommation d’oxygène liée à cette activité entraine un gradient de champ magnétique microscopique intraglobulaire (intravasculaire) qui va s’étendre jusque dans le milieu périvasculaire. Il est responsable d’un déphasage des spins (protons) tissulaires dans le voisinage des vaisseaux ce qui entraine une chute mineure de l’intensité de signal.
– Secondairement, l’accroissement de flux consécutif à l’activité métabolique va enrichir le compartiment vasculaire en oxyhémoglobine, ce qui entraîne une diminution relative de la concentration locale en dHb et une augmentation associée du signal.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : Données de la littérature Principes de l’IRM fonctionnelle au repos et application à la récupération après infarctus cérébral
1. Etude des réseaux de repos en IRM fonctionnelle
1.1. LA CONNECTIVITE CEREBRALE
1.1.1 LA CONNECTIVITE STRUCTURELLE OU ANATOMIQUE
1.1.2 LA CONNECTIVITE FONCTIONNELLE
1.1.2.1 Relation entre connectivité structurelle et fonctionnelle
1.1.2.2 Méthodes d’analyse de la connectivité fonctionnelle
1.1.3 LA CONNECTIVITE EFFECTIVE
1.2. PRINCIPES DE L’IRM FONCTIONNELLE AU REPOS
1.2.1 ORIGINE DU CONTRASTE IRMF
1.2.2 UTILISATION DE L’IRMF LORS DE LA REALISATION D’UNE TACHE
1.2.3 ETUDE DE LA CONNECTIVITE FONCTIONNELLE EN IRMF AU REPOS
1.2.3.1 Robustesse des réseaux fonctionnels identifiés
1.2.3.2 Liens étroits entre activités spontanée et lors d’une tâche
1.2.3.3 Modulation de la connectivité des réseaux de repos par la stimulation trans-crânienne
1.2.3.4 Principaux facteurs confondants
1.2.4 METHODES D’ANALYSES DES FLUCTUATIONS DU SIGNAL BOLD AU REPOS
1.2.4.1 Prétraitement des images
1.2.4.2 Analyse statistique de la connectivité fonctionnelle
2. Récupération post-AVC
2.1. L’AVC : UNE PATHOLOGIE POURVOYEUSE DE HANDICAP
2.1.1 DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES : UN ENJEU DE SANTE PUBLIQUE
2.1.2 INTERET DU SCORE DE RANKIN MODIFIE DANS L’EVALUATION DU HANDICAP
2.1.3 L’AGE ET LE SCORE NIHSS : DEUX PUISSANTS PREDICTEURS DE HANDICAP
2.1.4 IMPACT DES TRAITEMENTS SUR LE HANDICAP
2.1.4.1 Les traitements de la phase aiguë
2.1.4.2 Les traitements influençant la récupération
2.2. LES MECANISMES DE LA RECUPERATION
2.2.1 DONNEES CLINIQUES
2.2.2 LES CONCEPTS D’ORGANISATION CEREBRALE: DE LA PHYSIOLOGIE A LA PATHOLOGIE
2.2.2.1 Les approches localisationniste et connectiviste
2.2.2.2 Intérêt croissant pour la dysconnexion : le concept de diaschisis
2.2.2.3 Les concepts de la récupération
2.2.3 L’APPORT DES ETUDES EXPERIMENTALES
2.2.3.1 L’étude du métabolisme de repos
2.2.3.2 Les études d’activation TEP/IRMf
2.2.3.3 L’étude de la connectivité fonctionnelle au repos
2.2.3.4. Rôle clé de certaines atteintes
3. Application de l’IRMf au repos pour l’étude de la récupération post-AVC
3.1. DIMINUTION DE LA CONNECTIVITE FONCTIONNELLE APRES UN INFARCTUS CEREBRAL
3.1.1 DIMINUTION DE LA CONNECTIVITE INTERHEMISPHERIQUE
3.1.2 IMPACT SUR LA CONNECTIVITE INTRAHEMISPHERIQUE
3.2. IMPACT DE L’AIC SUR L’ARCHITECTURE DES RESEAUX
3.3. MODIFICATIONS DE LA CONNECTIVITE FONCTIONNELLE : LE REFLET DE LA CONNECTIVITE STRUCTURALE ?
3.4. MODIFICATIONS DE LA CONNECTIVITE FONCTIONNELLE : QUEL IMPACT CLINIQUE ?
3.4.1 REFLET DES PERFORMANCES
3.4.2 PRONOSTIC DU HANDICAP
3.5. LIMITES DES DONNEES DE LA LITTERATURE
PARTIE II : Partie expérimentale : Impact du handicap sur la connectivité fonctionnelle d’une cohorte de patients victimes d’un infarctus cérébral
1. Introduction
1.1. OBJECTIFS
1.2. METHODES
1.2.1 RECRUTEMENT DES SUJETS
1.2.2 DONNEES IRM
1.2.2.1 Prétraitement des données d’imagerie
1.2.2.2 Cartographie des lésions
1.2.3. IDENTIFICATION DES RESEAUX DE REPOS
1.2.3.1 Réalisation de cartes de connectivité fonctionnelle
1.2.3.2 Définition des trente-six ROI caractérisant les 7 réseaux testés
1.2.3.3 Extraction du signal et calcul des coefficients de corrélation
1.2.4 DEFINITION DES TERMES DE CONNECTIVITE
2. Identification des réseaux dans une cohorte de sujets sains
2.1. IDENTIFICATION DES RESEAUX DE REPOS
2.2. CARACTERISTIQUE DES RESEAUX DE REPOS ETUDIES CHEZ LES SUJETS SAINS
3. Application individuelle : détection des patients à partir de leur matrice de corrélation
3.1. OBJECTIF & COMPLEMENTS METHODOLOGIQUES
3.2. RESULTATS
3.3. DISCUSSION
4. Diminution globale de la CF des réseaux de repos chez les patients handicapés (mRS 2-5)
4.1. OBJECTIF & COMPLEMENTS METHODOLOGIQUES
4.2. RESULTATS
4.2.1 POPULATION ETUDIEE
4.2.2 DIMINUTION DIFFUSE DE LA CONNECTIVITE DES RESEAUX DE REPOS CHEZ LES PATIENTS HANDICAPES
4.2.3 IMPACT DU HANDICAP ET NON DE LA SEVERITE DE HANDICAP
4.2.4 IMPACT DES LESIONS ISCHEMIQUES
4.3. DISCUSSION
4.3.1 PATIENTS SANS HANDICAP
4.3.2 PATIENTS AVEC HANDICAP SEQUELLAIRE
4.3.3 IMPACT DES CO-VARIABLES
5. Analyse individuelle de la connectivité intra-réseau : l’index d’intégrité de la connectivité fonctionnelle (Index ICF) prédicteur de l’indépendance fonctionnelle
5.1. OBJECTIFS ET COMPLEMENTS METHODOLOGIQUES
5.2. RESULTATS
5.2.1 PREDICTION DU MRS 0-1 PAR L’INDEX ICF
5.2.2 CHOIX DU SOUS-TYPE DE CONNECTIVITE
5.2.3 IMPACT DU DEGRE DE HANDICAP
5.2.4. IMPACT DES ROI LESEES
5.2.5 MODELE DE REGRESSION LOGISTIQUE DANS LE SOUS-GROUPE DE PATIENTS AYANT UN AVC MINEUR ET MODERE
5.3. DISCUSSION
Partie III : Synthèse et perspectives
Partie IV : Bibliographie
Partie V : Annexe
CONCLUSION
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