Les violences faites aux femmes sont un réel problème sociologique et de santé publique. Le risque d’être violenté, harcelé ou agressé concerne les femmes de tout âge, de toute race, sans tenir compte de leur niveau social et économique (1). Ces manifestations de violences s’inscrivent dans les rapports inégaux entre les hommes et les femmes, prenant racine, dans notre histoire commune. Elles répondent à un réel processus spécifique qui est aujourd’hui connu, rendant davantage possible un accompagnent global des femmes qui les subissent. Ces violences ne sont ni une fatalité, ni un jeu. Par ailleurs, les mentalités évoluent et ces violences, sortent de l’ombre. Les lois les reconnaissent aujourd’hui et protègent davantage les femmes (2). Ce n’est qu’à partir des années 1970 que la violence des hommes à l’encontre des femmes, a été établie comme un problème de société et portée sur la place publique. Auparavant, et ce depuis des siècles, cette violence avait été niée mais tolérée, admise voire légitimée et légalisée. Le fait que ces violences interviennent majoritairement dans la sphère privée a également contribué au déni de son existence (2). De nombreux accords internationaux, parmi lesquels la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes des Nations unies, ont reconnu le droit fondamental des femmes à vivre sans violence (3). La violence faite aux femmes est présente dans tous les milieux. Elle est le fait majoritairement de l’homme à plus de 90 à 95% selon l’OMS (4). Les femmes sont touchées par diverses formes de violence sexiste à différents stades de leur vie. En effet, la violence exercée contre une femme par un époux ou un partenaire intime de sexe masculin et les violences sexuelles présentes dans tous les contextes sont les formes les plus courantes de violence subie par les femmes dans le monde. Les filles, y compris les adolescentes, sont victimes de toutes les formes de maltraitance des enfants ainsi que des formes spécifiques de violence sexiste et de pratiques préjudiciables liées à l’inégalité des sexes et à la discrimination sexiste, il s’agit surtout de mutilations sexuelles et de mariages d’enfants. Les facteurs de risques de la violence sont nombreux aussi bien pour la victime que pour l’agresseur. Il s’agit d’une façon générale : un faible niveau d’instruction, l’exposition à la violence inter parentale, des sévices pendant l’enfance et l’acceptation de la violence, l’utilisation nocive de l’alcool, l’acceptation de la violence et de l’inégalité entre les sexes de la part de la victime et de l’agresseur (4).
Généralités sur les violences faites aux femmes
Définition
Il n’est pas aisé de définir en peu de mots ce qu’est la violence à l’égard des femmes, tant c’est un phénomène complexe, à formes variées et à conséquences à la fois prévisibles et imprévisibles. La violence est omniprésente dans la vie des femmes, il n’y a aucun moyen d’y échapper dans la mesure où la société a hiérarchisé les relations hommes/femmes en les distinguant respectivement en «sexe fort » et « sexe faible ». De là, aborder la définition dans le sens large du terme comporte le risque d’aller vers des détails qui éloigneraient le terme de sa signification ; de même, l’aborder de façon plus restrictive comporte le risque de ne pas prendre en compte toutes les manifestations du phénomène. Là réside toute la difficulté à définir les violences à l’égard des femmes. C’est en 1993, lors de la conférence de Vienne sur les Droits de l’Homme, que l’Assemblée Générale des Nations Unies a précisé le contour du phénomène. La déclaration à cet effet adopte en son article 1er la définition suivante : « Les termes « violences à l’égard des femmes » désignent tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » (8). L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans son Rapport mondial sur la violence et la santé en 2002, définit la violence comme : « l’usage intentionnel de la force ou du pouvoir physique, menacé ou réel, contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner des blessures, la mort, un préjudice psychologique, un mauvais développement ou des privations » (9). Notons que la violence faites aux femmes dans la vie conjugale n’est pas un conflit de couple, ni un couple qui est en difficulté. A la différence d’un conflit de couple où il existe une relation égalitaire, une symétrie entre les deux partenaires, la violence conjugale se distingue par une asymétrie dans la relation. Dans un conflit de couple, l’identité de chacun est préservée, l’autre est respecté en tant que personne, ce qui n’est pas le cas lorsque le jeu est de dominer et d’écraser l’autre (10). Enfin le terme de « femmes battues » couramment utilisé ne rend pas compte de la totalité des violences subies puisque les pressions psychologiques, majoritairement répandues, peuvent faire autant de dégâts. C’est donc ainsi qu’on parle plutôt de femmes en très grand danger (11).
Données épidémiologiques
Données mondiales
Selon l’OMS, trente-cinq pour cent (35%) des femmes, soit près d’une femme sur trois, indiquent avoir été exposée à des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire intime ou de quelqu’un d’autre au cours de leur vie. Le plus souvent, cette violence est le fait du partenaire intime. Près du tiers (30%) des femmes du monde, qui ont eu des relations de couple, signalent avoir subi une forme quelconque de violence physique et/ou sexuelle de la part de leur partenaire intime au cours de leur vie. En plus, pas moins de 38% des meurtres de femmes sont le fait de leur partenaire intime masculin (5). Un rapport publié par l’Organisation mondiale de la Santé. En partenariat avec la London School of Hygiene & Tropical Medicine et le Conseil sud-africain de la Recherche médicale publié le 20 juin 2013 intitulé : «Estimations mondiales et régionales de la violence à l’encontre des femmes : prévalence et conséquences sur la santé de la violence du partenaire intime et de la violence sexuelle exercée par d’autres que le partenaire » relève que la violence faite par le partenaire intime est la forme la plus courante. Elle touche 30 % des femmes à l’échelle mondiale. L’étude a révélé aussi que 7,2% des femmes dans le monde ont signalé des violences sexuelles exercées par d’autres personnes que le partenaire. Lors de 48 enquêtes faites dans la population à travers le monde (12),entre 10 et 69 % des femmes ont dit avoir fait l’objet de violences physiques de la part de leur partenaire masculin à un moment ou à un autre de leur vie. La plupart des victimes d’agression physique subissent dans le temps de multiples actes de violence. En général, elles subissent également plus d’une forme de mauvais traitement.
Données régionales
Selon l’OMS et concernant la violence faite par un partenaire intime (catégorie pour laquelle le plus de données étaient disponibles), les régions les plus touchées sont les suivantes :
• Asie du Sud-Est : prévalence de 37,7 % (sur les bases de données agrégées du Bangladesh, du Timor-Leste (Timor oriental), de l’Inde, du Myanmar, du Sri Lanka et de la Thaïlande).
• Méditerranée orientale : prévalence de 37 % (sur les bases de données agrégées de l’Égypte, de l’Iran, de l’Iraq, de la Jordanie et de la Palestine).
• Afrique : prévalence de 36,6 % (sur la base de données agrégées des pays suivants : Afrique du Sud, Botswana, Cameroun, Éthiopie, Kenya, Lesotho, Libéria, Malawi, Mozambique, Namibie, Ouganda, Rwanda, Swaziland, République démocratique du Congo, RépubliqueUnie de Tanzanie, Zambie, Zimbabwe).
Pour les données combinées à la violence faite par le partenaire intime, la violence sexuelle exercée par d’autres que le partenaire et ces deux phénomènes conjugués, les taux de prévalence chez les femmes de 15 ans et plus sont les suivants :
• Afrique : 45.6%
• Amérique : 36.1%
• Asie du Sud-Est : 40.2%
• Europe : 27.2%
• Méditerranée orientale : 36.4% (aucune donnée n’était disponible dans cette région pour la violence sexuelle exercée par d’autres que le partenaire)
• Pacifique occidental : 27.9%
• Pays à revenu élevé : 32.7%
Au Maroc
Au Maroc, les statistiques disponibles sur la violence envers les femmes ne concernent que les victimes qui ont fait des démarches auprès d’une institution : les tribunaux, les services compétents de la Police ou de la Gendarmerie Royale, les formations sanitaires, le Ministère du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité (MDSFS) par le biais du numéro vert, et les organisations non gouvernementales (centres d’écoute) opérant dans le domaine. Chacune de ces institutions compile les statistiques de son activité et intègre, parfois, des statistiques d’autres institutions. C’est le cas notamment du MDSFS qui, par la mise en place d’un système d’information institutionnel sur la violence à l’égard des femmes, collecte les données issues des activités des tribunaux, de la police, de la Gendarmerie Royale, des formations sanitaires relevant du ministère de la Santé et du numéro vert national. Dans le même sens, plusieurs associations se sont constituées en réseaux pour compiler les informations qu’elles recueillent sur la violence à l’égard des femmes par le biais des centres d’écoute. Cependant, ces informations, bien qu’elles soient utiles, ne renseignent pas sur l’ampleur du phénomène dans la société marocaine car, d’une part, elles ne concernent que les cas déclarés auprès de ces institutions, et, d’autre part, elles ne sont pas exhaustives dans la mesure où le système d’information institutionnel n’est pas généralisé. Ainsi, les statistiques officielles disponibles souffrent du faible recours des victimes aux autorités compétentes. Entreprendre une investigation d’envergure auprès des femmes s’est donc avérée indispensable pour cerner ce phénomène, mesurer son ampleur et apporter un éclairage sur cette question qui ne cesse de prendre de l’importance en raison notamment de ses coûts sociaux et économiques. A titre indicatif, en 2009, le nombre de cas de violences signalés dans le cadre du système d’information institutionnel s’élève à près de 34000, dont 12 710 rapportés par le Centre d’Ecoute National, 7 903 par les services de la Gendarmerie Royale, 7 784 par les tribunaux, 4 340 par la Police et 1 389 par les hôpitaux (6).
L’Enquête Nationale sur la Prévalence des Violences à l’Egard des Femmes (ENPVEF), réalisée en 2009 pour la première fois au Maroc par le HCP, tente de répondre à plusieurs questions, notamment celle sur la prévalence du phénomène de la violence envers les femmes au Maroc, a estimé le nombre de femmes violentées à près de 6 millions. Ainsi, cette enquête a révélé une prévalence de 35,3% des femmes (soit 3,4 millions) qui ont subi un acte de violence physique depuis l’âge de 18 ans. Elles sont deux fois plus nombreuses en milieu urbain (2,2 millions) qu’en milieu rural (1,1 millions). Durant les douze mois précédant l’enquête, un peu plus de 15% des femmes ont déclaré avoir subi une violence physique. Ce phénomène s’avère plutôt urbain, le taux de prévalence était 2 fois plus élevé dans les villes que dans les campagnes (19,4% contre 9%). C’est dans les lieux publics que cette violence était la plus répandue. Avec un taux de prévalence de 9,7%, près d’un million de femmes en sont victimes, soit 2 femmes violentées physiquement sur 3. Le taux de prévalence dans ces lieux est 5 fois plus élevé en milieu urbain qu’en milieu rural (14,2% contre 3,1%) (6).
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Généralités sur les violences faites aux femmes
1. Définition
2.Données épidémiologiques
2.1. Données mondiales
2.2. Données régionales
2.3. Au Maroc
3. Le cycle et le mécanisme de la violence
4. Les différentes formes de violences
4.1. Les violences verbales et psychologiques
4.2. Les violences physiques
4.3. Les violences sexuelles
4.4. Les violences économiques et financières
5. Conséquences sur la santé de la femme
5.1. Atteintes traumatologiques
5.2. L’impact psychologique
5.3. Les pathologies psychiatriques
5.4. Les atteintes gynécologiques
5.5. L’obstétrique
5.6. Les pathologies chroniques aggravées ou déséquilibrées
5.7. Le décès
6. Conséquences sur les enfants témoins
II. Le cadre normatif
1. Engagements du Maroc sur le plan international
2. Législation nationale
III. Le rôle du médecin dans la prise en charge de violences faites aux femmes
1. L’accueil et l’écoute
2. Évaluer la gravité
3. Assurer les soins, les prélèvements médico-légaux et rédiger un certificat médical
3.1. Examen clinique
3.2. Examens complémentaires
4. Thérapeutiques
5. Rédaction du certificat médical
6. Prise en charge psychothérapeutique
7. Le signalement
8. Orientation de la femme
9. Le dépistage des violences
CONCLUSION
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