Les processus introgressifs en évolution et l’utilisation de réseaux pour les étudier
Les évolutionnistes sont confrontés à plusieurs défis : comprendre comment la diversité biologique observée aujourd’hui est structurée (l’explanandum) et en expliquer les causes (les explanans).
Le processus classique pour expliquer cette structuration découle des travaux de Charles Darwin : les êtres vivants évoluent depuis des formes antérieures par modification et divergence selon un processus arborescent [1]. La notion de descendance avec modification appelée aussi « descendance verticale » décrit ce processus durant lequel le matériel génétique d’un objet biologique modifié par des mutations va se propager par réplication vers sa descendance. Au-delà de la perspective processuelle, le modèle arborescent est aussi un formidable outil pour classifier les différents groupes d’organismes entre eux. Or le modèle arborescent n’est pas suffisant pour expliquer les 3,7 milliards d’années d’évolution [2]. D’autres processus existent. Contrairement au processus arborescent, dans les processus introgressifs, le matériel génétique d’un hôte est transmis vers un nouvel hôte puis se réplique dans ces structures [3]. Les processus introgressifs sont importants en évolution car ils affectent différents niveaux d’organisation biologiques (Figure 1): les séquences, les génomes ou encore les organismes. Un gène peut être le résultat de la combinaison de plusieurs gènes, un génome celui de la combinaison de gènes d’origines distinctes, un organisme le résultat de la combinaison de plusieurs génomes etc. Comment étudier toutes ces réticulations au niveau génomique et dans plusieurs génomes à la fois ? Les méthodes de réseaux [4–6] semblent un bon moyen pour détecter, analyser et de visualiser beaucoup de ces phénomènes.
Les endosymbioses et leurs impacts en évolution
La théorie endosymbiotique, de sa réfutation à son acceptation
Aujourd’hui il est bien accepté par la communauté scientifique que la plupart des organismes vivants, qu’ils soient microscopiques ou macroscopiques, vivent en associations avec d’autres organismes. Ces associations intimes et durables entre organismes hétérospécifiques sont appelés symbioses et les découvertes faites ces dernières années montrent à quel point la symbiose n’a rien d’un phénomène exceptionnel. C’est même plutôt la règle dans le vivant [7]. Les symbioses sont partout et impliquent tous types d’organismes et de virus [4,7–38]. Elles peuvent être tellement intriquées que les partenaires symbiotiques forment un tout indissociable [39]. Enfin, certaines d’entre elles ont été essentielles dans certaines transitions évolutives majeures [40,41]. Malgré tout, l’intérêt pour l’étude des associations entre organismes est assez récent et fut longtemps une discipline secondaire en biologie. Cette première section a pour but de faire un rappel historique sur la symbiose en se concentrant sur l’histoire de la théorie endosymbiotique, qui est un des axes principaux de cette thèse.
Le mot symbiose (du Grec ensemble et vivre) apparait pour la première fois en 1877 dans un texte du biologiste allemand Albert Bernhard Franck sous le terme Symbiotismus : « we must bring all the cases where two different species live on or in one another under a comprehensive concept which does not consider the role which the two individuals play but is based on the mere coexistence and for which the term Symbiosis [Symbiotismus] is to be recommended ». Ce terme sera peu à peu accepté par la communauté scientifique, suite notamment à la redéfinition faite par Anton De Bary en 1878 dans « The phenomena of Symbiosis » : « the living together of unlike organisms. ». L’apparition du terme symbiose à la fin du XIXème siècle n’est évidemment pas dû au hasard et a largement émergé suite à la découverte de la nature mosaïque des lichens. En 1867, le suisse Simon Schwendener fait l’hypothèse que les lichens résultent de l’association entre un champignon et un organisme photosynthétique. Bien que rejetée par de nombreux biologistes, sa nature composite sera démontrée plus tard notamment par le russe Andrei Sergeyevich Famintsyn qui réussira à séparer et à cultiver les deux composantes de cette association. En 1875, le biologiste Pierre Joseph Van Beneden dans son livre « les commensaux et les parasites » définit les différents types d’associations symbiotiques (parasites, mutualistes et commensales). A la fin du XIXème siècle, les découvertes d’associations durables et profitables chez les lichens, les anémones de mer, les radiolaires ou encore chez les légumineuses et plus généralement chez les plantes mettent fin à la vision du « tout parasitisme ».
La mise en évidence d’associations mutuellement bénéfiques ouvre la voie à de nouvelles recherches notamment concernant l’interprétation de l’origine des constituants de la cellule eucaryote, les organites. Le botaniste allemand Andreas Schimper suggère, dans une note en bas de page, pour la première fois en 1883, une origine bactérienne des chloroplastes chez les eucaryotes photosynthétiques. Au même moment, un autre allemand, Altmann étudie de petits granules présents dans les cellules eucaryotes et qu’il appellera « bioblast » avant que Theodor Boveri ne les renomme mitochondries. Ces deux événements sont les prémices de la future théorie endosymbiotique qui stipule que la mitochondrie et le chloroplaste sont d’anciennes bactéries symbiotiques de la cellule eucaryote. Entre ces premières découvertes et l’acceptation de la théorie marquée par le célèbre papier de Ford Doolittle and Michael Gray [42], il s’écoulera 100 ans. Les raisons sont nombreuses pour expliquer cette durée mais d’après le livre de Jan Sapp, « Evolution by association: a history of symbiosis » [43], d’où est tirée en grande partie de cette introduction, les raisons techniques et idéologiques semblent avoir été deux obstacles importants à la progression de cette théorie. Par exemple, la vision nucléocentrique du début du XXème siècle (i.e. toutes les structures nucléoplasmiques sont formées grâce au noyau et par conséquent en dérivent) ou encore la vision « tout pathogène » des microbes. Une autre raison est le manque d’intérêt pour ces études : la symbiose reste pour la majeure partie des scientifiques de l’époque un phénomène rare et suscite peu d’intérêt en comparaison avec l’essor de la génétique à la fin du XXème siècle, suite à la redécouverte des travaux de Mendel. Bien que minoritaire lors de la première moitié du XXème siècle, l’étude de l’évolution de la cellule ou des symbioses trouve quelques adeptes comme le russe Constantin Merezhkowsky et le français Paul Portier qui vont contribuer à l’étude de l’origine des organites.
Les origines de la cellule eucaryote
L’origine bactérienne de la mitochondrie et du chloroplaste est d’autant plus intéressante que l’acquisition de ces deux endosymbiontes est liée à l’origine des eucaryotes dans le cas de la mitochondrie et à l’acquisition de la photosynthèse chez les eucaryotes dans le cas du chloroplaste [44].
Singularités des eucaryotes par rapport aux procaryotes
L’eucaryogénèse, les processus conduisant aux premières cellules eucaryotes, est un des évènements les plus difficiles à résoudre en évolution [45–48]. Comment une cellule aussi singulière a-t-elle pu émerger d’organismes procaryotes il y a plus de 2 milliards d’années? A la différence des Archaea et des Bactéries, les cellules eucaryotes sont 1000 à 10000 fois plus volumineuses et très compartimentées [45]. Cette différence de taille affecte le fonctionnement de la cellule eucaryote : alors que chez la plupart des Archaea et des Bactéries, les molécules se déplacent par diffusion, les cellules eucaryotes utilisent de nombreux systèmes de transport afin d’adresser les molécules dans les nombreux compartiments qu’elles possèdent. Cette singularité est d’autant plus surprenante que les études de génomique comparative ont montré que le dernier ancêtre commun aux eucaryotes (LECA pour Last Common Eukaryotic Ancestor) n’avait rien d’une cellule primitive et possédait déjà toutes les caractéristiques des cellules eucaryotes modernes [49]. Comprendre les processus évolutifs ayant aboutit aux eucaryotes est donc un défi majeur.
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Table des matières
Sommaire
I. Les processus introgressifs en évolution et l’utilisation de réseaux pour les étudier
II. Les endosymbioses et leurs impacts en évolution
A. La théorie endosymbiotique, de sa réfutation à son acceptation
B. Les origines de la cellule eucaryote
1. Singularités des eucaryotes par rapport aux procaryotes
2. Théories sur l’eucaryogenèse
3. La nature hybride des eucaryotes
C. L’acquisition de la photosynthèse chez les eucaryotes
1. Endosymbiose primaire
2. Endosymbioses secondaires
D. Un gain métabolique pour expliquer les transitions égalitaires ? (Article 1)
III. Introgression au niveau génomique et innovations (Articles II et III)
A. Acquisition exogène de nouveaux gènes
1. Transfert horizontal de gènes chez les procaryotes (Articles IV et V)
2. Transfert de gènes horizontaux chez les eucaryotes
B. Acquisition autogène de nouveaux gènes chez les eucaryotes
1. Plusieurs mécanismes pour créer de nouveaux gènes
2. Les gènes composites
IV. Les gènes symbiogénétiques : création de gènes chimériques chez les organismes composites à partir de fragments génétiques des partenaires symbiotiques (Articles VI, VII et VIII)
V. Conclusion et perspectives
VI. Références
VII. Annexes
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