Étude des processus de transport dissous en domaine karstique à partir de traçages artificiels 

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Approche méthodologique globale

Problématiques

Du fait de leur structure interne particulière, les aquifères karstiques constituent des systèmes hydrogéologiques au comportement hydrodynamique complexe, caractérisé par une forte varia-bilité spatio-temporelle. L’étude des aquifères karstiques présente donc un double enjeu visant à caractériser d’une part, la structure interne (spatialisation des écoulements) et d’autre part, le comportement hydrodynamique et ses variations en fonction des conditions aux limites (effet des variations temporelles des forçages externes tels que la pluie et la piézométrie par exemple). Pour répondre de manière satisfaisante à cet enjeu, il est préférable de combiner les approches. Dans la littérature en lien avec l’hydrologie des aquifères karstiques, il est couramment admis que le couplage des approches structurelles et fonctionnelles permet une meilleure appréhension du fonctionnement des aquifères karstiques [Bakalowicz, 2005; Hartmann et al., 2014].
Les problématiques abordées dans le cadre de cette thèse sont principalement en lien avec l’étude de la dynamique du transport d’élements dissous dans les aquifères karstiques en se basant sur des données de traçages artificiels. Des études récentes ont montré la sensibilité des processus de transport de masse en soluté aux variations des conditions aux limites [Duran et al., 2016; Lauber et al., 2014; Ender et al., 2018; Cholet, 2017; Dewaide et al., 2017] ren-dant complexe la détermination de la fonction de transfert de ces systèmes. En effet, Duran et al. [2016] ont montré, à partir de traçages artificiels, que la fonction de transfert en élements dissous du système karstique de Norville dépend de l’état du système (en considérant que les conditions aux limites sont décrites à partir des variables environnementales). Par ailleurs, ces études mettent en évidence une limitation majeure à l’utilisation d’un modèle physique type Advection-Dispersion en domaine karstique. En effet, ces modèles supposent une hypothèse forte : la vitesse et la dispersion doivent demeurer constantes dans le système traçage étudié. Il s’agit d’une condition rarement observée dans les aquifères karstiques pour lesquels les champs de conductivité hydraulique sont très hétérogènes. Pour s’affranchir de cette limitation, deux approches peuvent être envisagées.
Une première approche consiste à décrire le transport de manière systémique, sans tenir compte de la structuration spatiale des écoulements. Une telle approche permet de simplifier la description du système étudié et donc de simplifier la paramétrisation du modèle. Dans la littérature en lien avec l’interprétation des traçages artificiels en domaine karstique, cette ap-proche reste peu répandue [Leibundgut, 1998; Becker and Bellin, 2013; Labat and Mangin, 2015]. La plupart des publications se basent sur des modèles physiques, dérivés de l’équation d’advection-dispersion introduite par Wang et al. [1987].
Une seconde approche consiste à partitionner le système traçage en « reach », dans lesquels l’hypothèse évoquée précédemment devient acceptable, et à ajuster les paramètres de transport pour chaque « reach » qui contribue au transport de masse en soluté [Runkel, 1998; Tinet et al., 2019]. Cette approche nécessite une bonne connaissance de la structure interne du massif [De-waide et al., 2017] ou des mesures intermédiaires de la DTS [Dewaide et al., 2016; Cholet, 2017; Ender et al., 2018]. Cette approche reste limitée car dans la plupart des cas la structure interne du massif est difficilement accessible (spéléologie, géophysique, instrumentation en souterrain). Cependant, la structure interne du massif peut aussi être appréhendée à partir de modèles numériques distribués [Oehlmann et al., 2015; Borghi et al., 2016].
L’objectif principal de cette thèse consiste à améliorer la compréhension de la structure in-terne des aquifères karstiques en s’appuyant principalement sur l’interprétation de traçages ar-tificiels. Pour répondre à ces objectifs, cette thèse s’appuie sur la mise en œuvre d’approches conceptuelles, systémiques et distribuées dédiées à l’études des aquifères karstiques. La mise œuvre de ces différentes approches d’études nécessite des techniques appropriées.

Mise en œuvre des différentes approches

Dans le cadre de cette thèse, les techniques retenues sont les suivantes :
— La modélisation en réservoirs de la relation pluie-débit permet de décrire l’hydrody-namique à court et long terme des bassins versants. L’interprétation des flux internes du modèle permet de décomposer la réponse impulsionnelle du bassin et d’identifier les échanges matrice-conduit pour en étudier la dynamique.
— Le traitement du signal permet d’extraire le contenu fréquentiel des séries temporelles. Les analyses corrélatoires, spectrales et multi-résolution peuvent être appliquées entre autres aux chroniques de débits mesurés et débits simulés mais aussi aux flux interne du modèle.
— Les essais de traçages artificiels sont mis en œuvre pour caractériser la réponse im-pulsionnelle du transport de masse en soluté d’une sous partie du bassin versant [Le-piller, 1980; Lepiller and Mondain, 1986; Meus and Ek, 1999; Dörfliger et al., 2010a], aussi appelée « système traçage » Mangin [1975]. L’interprétation de ces données avec une approche de type fonction de transfert permet de déterminer la réponse impulsion-nelle du système en tenant compte de sa sensibilité aux variations des conditions aux limites. Dans cette approche, les variations des conditions aux limites sont dans un pre-mier temps décrites à partir des variations de débits à l’exutoire.
— Les méthodes géophysiques (tomographie de résistivité électrique et EM38) permettent de caractériser les structures de sub-surface pouvant être impliquées dans le drainage des masses d’eau souterraine. Les résultats permettent de décrire, au moins partiellement, la structure interne du massif. De plus, les données géophysiques peuvent être confrontées à des observations de terrain pour rendre les interprétations plus robustes.
— La modélisation distribuée permet de générer des géométries de réseaux de drainage et d’en simuler la réponse à une opération de traçage artificiel. Il s’agit d’une première étape vers la mise en place d’une procédure de simulation numérique permettant de dé-crire les relations entre la structure interne des écoulements et la réponse impulsionnelle du système. Dans un premier temps, cette approche sera calibrée sur le système kars-tique du Baget.
Les techniques mises en œuvre dans cette thèse sont retenues selon deux principaux critères : la nature des informations de sortie et la possibilité de mise en œuvre sur les systèmes étudiés. La modélisation conceptuelle à réservoir constitue une approche nécessitant peu de données de terrain. Le calage du modèle permet de décrire le fonctionnement de manière globale avec peu de paramètres tout en tenant compte des spécificités structurales des systèmes karstiques. Les traçages artificiels constituent aussi une méthode simple et efficace pour appréhender les processus de transport de masse en soluté. De nombreuses études ont montré l’efficacité des traçages artificiels pour décrire la dynamique des écoulements en domaine karstique. Enfin, les méthodes géophysiques qui ont été retenues permettent une caractérisation des structures souterraines sur des zones dont la superficie est de l’ordre du km2.

Présentations des systèmes karstiques étudiés

Pour tenter de répondre aux objectifs de cette thèse, le travail s’appuiera principalement sur deux sites situés dans les Pyrénées ariégeoises, à l’ouest du département d’Ariège (09), à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de la commune de Saint-Girons (09, Ariège). Il s’agit des bassins versants d’Aliou et du Baget (Figure 2.1).

Le bassin versant karstique d’Aliou

Le système karstique d’Aliou appartient au massif karstique de l’Estalas-Balaguères et trouve son exutoire à la résurgence du même nom, située sur la commune de Cazavet. La limite sud du bassin est marquée par un accident tectonique mettant à l’affleurement des quartzites paléo-zoïques, des argiles du Keuper et des lherzolithes (Figure 2.2).
Les limites superficielles et souterraines du bassin versant hydrogéologique sont bien défi-nies, notamment grâce à la présence des marnes de Sainte-Suzanne qui jouent le rôle de barrière étanche et contraint le drainage des eaux souterraines vers le nord du massif. La superficie du bassin versant est estimée à 11.9 km2 [Mangin, 1975]. Le point culiminant est coté à 1251 m NGF (sommet de Montreich) et l’éxutoire est coté à 441 m NGF.

Le bassin versant karstique du Baget

Le système du Baget est caractérisé par un bassin versant de 13.2 km2 qui s’étend sur une dizaine de kilomètres de long d’ouest en est et sur 1 à 2 kilomètres de large du nord au sud. Bien que son extension soit restreinte, le bassin versant du Baget expose l’ensemble des formations géologiques caractéristiques de la zone nord-pyrénéenne centrale [Debroas, 2009]. Les limites du système sont relativement bien établies par le contexte structural de la zone. Le bassin est délimité au nord par la faille d’Alas : les calcaires métamorphiques datant du Jurassique au Crétacé plonge, avec un pendage de 45˚à 75˚sous des formations imperméables, composées de flyshs, qui constituent la bordure sud du bassin (Figure 2.3). En résumé, la structure géologique du bassin versant se limite à un plateau calcaire plongeant au sud dans lequel se développe une structure de drainage qui reprend globalement l’orientation ouest-est de la limite entre les formations karstifiées et les formations imperméables.
Les terrains non-calcaires représentent environ 33% de la surface totale du bassin. La surface imperméable du bassin se divise en deux parties : dans la partie Sud les eaux de surface ruis-sèlent sur les pélites argilo-gréseuses (ruisseau de Cayssau et de Lasquert) et dans la partie nord centrale les eaux de surface ruissèlent sur les conglomérats qui constituent la vallée du Lachein [Houi and Verrel, 1994].

Synthèse hydrologique et hydrogéologique des deux bassins

Les deux bassins étudiés, Aliou et Baget, constituent deux objets hydrogéologiques perti-nents pour l’étude de la dynamique des flux internes en domaine karstique. Il s’agit de deux pe-tits bassins de moyenne montagne dont l’état de karstification est bien avancé [Mangin, 1994]. Par ailleurs, le contexte géologique constitue une contrainte forte pour les écoulements souter-rains et permet d’identifier parfaitement les limites des aires de recharge. Ceci n’est pas toujours le cas en contexte calcaire. Les deux bassins possèdent une limite commune orientée est-ouest : les bassins des systèmes d’Aliou et du Baget sont séparés géographiquement par le Poljé de Ba-laguères et géologiquement par les marnes de Sainte-Suzanne. Les cartes topographiques des deux bassins sont présentées par Sivelle et al. [2019] en section 3.2.

Le bassin versant hydrogéologique en tant que système

Définition du bassin versant

Le bassin versant correspond à l’unité hydrologique au sein duquel les eaux convergent vers un point unique, appelé exutoire. La délimitation du bassin versant se base principalement sur la topographie : le ruissellement est généralement le principal vecteur de transport de l’eau vers l’exutoire. Une partie du ruissellement peut s’infiltrer et suivre un trajet souterrain jusqu’à l’exutoire. L’omission des écoulements souterrains peut conduire à de grandes erreurs dans la compréhension du fonctionnement d’un bassin versant. Cela est d’autant plus important dans l’étude des aquifères karstiques, pour lesquels l’infiltration est le processus prédominant, avec une certaine diversité des processus. Il peut en effet coexister des infiltrations rapides au travers des pertes ou des réseaux de fractures ouvertes ou des infiltration lentes au travers des microfis-sures et de la porosité matricielle des roches carbonatées [Mangin, 1975]. La structure interne particulière des aquifères karstiques en fait des objets d’étude complexes dans la mesure où la répartition spatiale des écoulements peut être fortement impactée par des structures résultant de divers processus mécaniques, physiques et/ou chimiques.
Il existe deux définitions principales pour la notion de bassin versant selon la nature des processus de transport des masses d’eau qui sont pris en compte :
— Le bassin versant topographique regroupe l’ensemble des surfaces qui peuvent contri-buer à l’écoulement d’un cours d’eau par ruissellement.
— Le bassin versant hydrogéologique regroupe l’ensemble des formations susceptibles de contribuer à l’écoulement d’un cours d’eau par infiltration puis drainage dans les formations géologiques perméables.
La structure des unités géologiques qui constituent le bassin versant hydrogéologique joue donc un rôle important. Elle conditionne la zone d’alimentation de l’exutoire ainsi que les moda-lités d’écoulements entre un point particulier du bassin versant et son exutoire. La diversité des modes de transport des masses d’eau dans les bassins versants karstiques a pour conséquence la non-linéarité de la relation pluie-débit à l’échelle du bassin versant.

Spécificités des bassins versants karstiques

Nous avons vu dans la partie I les caractéristiques morphologiques et structurales des aqui-fères karstiques. Celles-ci sont à l’origine d’un fonctionnement hydrodynamique complexe. En effet, les aquifères karstiques sont généralement caractérisés par la mise en place d’un réseau de conduits hiérarchisés (forte perméabilité) développé dans une matrice rocheuse fracturée (faible perméabilité) [Mangin, 1975; Bakalowicz, 1995]. Le contraste de perméabilité entre le réseau de conduits et la matrice est suffisamment élevé pour considérer l’aquifère comme un système à double porosité [Warren and Root, 1963; Robineau et al., 2018]. Les réseaux de conduits et les grandes failles assurent la fonction transmissive de l’aquifère, avec des vitesses d’écoule-ment allant de la dizaine au millier de mètres par heure [Ford and Williams, 2007; Worthington and Soley, 2017]. La matrice rocheuse ainsi que la facturation dans la zone noyée assurent la fonction capacitive de l’aquifère, avec des vitesses de transfert plus lentes. Les contrastes de perméabilité élevés conduisent à une dualité d’infiltration qui peut être diffuse (à travers le sol et la matrice fissurée) ou concentrée (au niveau des pertes ou des gouffres) (Figure 2.1).
La spécificité des aquifères karstiques rend quasiment impossible la définition d’un volume élémentaire représentatif (VER). Le VER correspond à la taille du domaine au-dessus de la-quelle les propriétés statistiques d’un milieu poreux peuvent être considérées comme constantes. Cette définition peut être étendue à tous types de domaines hydrologiques (domaines fissurés et domaines karstiques). Contrairement aux aquifères poreux ou fissurés, le VER d’un aqui-fère karstique comprend généralement l’ensemble de l’aquifère. La description des processus de transfert de masse d’eau doit alors s’effectuer à l’échelle du bassin versant. Ainsi, la com-préhension du fonctionnement hydrodynamique d’un bassin versant hydrogéologique karstifié suppose une conceptualisation du fonctionnement global du système. Nous avons abordé pré-cédemment la structuration spatiale des aquifères karstiques, avec notamment la différenciation de plusieurs compartiments assurant chacun un rôle spécifique à la fois pour la dynamique des transferts de masse d’eau et pour la signature chimique de ces eaux. Le fonctionnement hydro-dynamique des aquifères karstiques a pu être décrit par différents modèles conceptuels [Plagnes, 1997; Fleury et al., 2007; Jukic´ and Denic´-Jukic,´ 2009; Tritz et al., 2011; Mazzilli et al., 2017]. L’étude du fonctionnement hydrodynamique des systèmes karstiques à l’échelle du bassin versant nécessite l’utilisation de méthodes adaptées pour décrire le fonctionnement du bassin. A titre d’exemple, des opérations de traçages artificiels peuvent être réalisées pour déterminer les limites du bassin versant hydrogéologique. Toutefois, les limites du bassin peuvent, dans certains cas, dépendre des conditions hydrologiques [Dreiss, 1983; Hartmann et al., 2013a; Hosseini et al., 2017].

Modélisation de la relation pluie-débit

« Un système est n’importe quel structure, dispositif, schéma ou procédure, réel ou abstrait, qui met en relation, dans une base de temps donnée, une entrée, une cause, ou un stimuli de matière, d’énergie ou d’information et une sortie, un effet ou une réponse d’information, d’éner-gie ou de matière » [Dooge, 1973]. Un bassin versant peut donc être assimilé à un système : il met en relation un signal d’entrée (c.-à-d. la pluie efficace qui dépend principalement des précipitations et de l’évapotranspiration) avec une sortie (le débit à l’exutoire). La description systémique du bassin consiste alors à établir le lien qui existe entre la pluie efficace et le débit à l’exutoire (Figure 2.2). Un bassin versant est assimilé à un ensemble de caractéristiques qui lui sont propres : (1) la géométrie, (2) les fonction d’entrée et de sortie, (3) les conditions initiales et les conditions aux limites et (4) les états internes [Mathevet, 2005].
En théorie, l’étude systémique peut répondre à deux principaux objectifs :
— la prédiction : les sorties sont inconnues mais le système et les entrées sont connus. Les sorties sont prédites par convolution des données d’entrée avec la fonction de transfert du système.
— l’identification : le système est inconnu mais les entrées et les sorties sont connues. L’étude de la relation entrée-sortie permet d’identifier l’action du système étudié.
L’application d’une approche systémique en hydrologie doit le plus souvent se confronter au problème d’identification du système. L’objectif est de caler un modèle capable de reproduire les débits mesurés à partir des variables d’entrée. La structure du modèle obtenu renseigne sur le fonctionnement du système étudié. L’étape d’identification du système nécessite d’avoir accès aux variables d’entrées (pluie efficace), aux variables de sorties (débit à l’exutoire) et dans certains cas aux variables d’état du système (cote piézométrique, état de saturation du sol et chimie des eaux). La performance du modèle est ensuite évaluée par comparaison entre les débits mesurés et les débits simulés (Figure 2.2)

Classification des modèles pluie-débit

Il est possible d’étudier et de modéliser un bassin versant selon deux principales approches [Ficchi, 2017; Mathevet, 2005] :
— une approche structuraliste qui vise à étudier le bassin dans son ensemble, à partir de l’étude de ses fonctions d’entrée et de sortie.
— une approche réductionniste qui vise à décrire et étudier le bassin versant à partir des lois de la physique des écoulements.
Une approche réductionniste consiste à décrire, de la manière la plus exhaustive possible, la distribution des propriétés physiques puis appliquer les équations physiques permettant d’ex-pliquer le fonctionnement hydrologique du bassin. L’applicabilité d’une telle approche est donc fortement contrainte par le rapport entre le niveau d’hétérogénéité des propriétés physiques du bassin et la densité d’échantillonnage à disposition. Dans un contexte homogène, un nombre res- treint de points de mesure peut suffire à définir correctement les attributs physiques à l’échelle du bassin. Lorsque le système à modéliser est fortement hétérogène, il devient compliqué, voire impossible, de traduire correctement la structuration spatiale des propriétés physiques.
Une approche structuraliste commence par une représentation simplifiée du bassin en tant qu’unité de drainage puis tend à complexifier cette représentation afin d’expliquer au mieux son fonctionnement. Ce type d’approche est bien adaptée à l’étude de aquifères karstiques qui, de par leur forte hétérogénéité, nécessitent d’avoir recours à des outils permettant en même temps de simplifier la représentation d’un système et de le décrire dans sa complexité.
Ambroise [1999] propose une classification plus détaillée des modèles utilisés en hydrologie qui différencie les types de modèles suivants :
— déterministes ou stochastiques, suivant la nature des variables, des paramètres et/ou des relations entre eux,
— empiriques ou physiques, selon la nature des relations utilisées ; avec la classe intermé-diaires des modèles conceptuels, reposant sur une certaine conceptualisation du fonc-tionnement du système en conservant des relations empiriques pour le décrire,
— globaux, semi-distribués ou distribués, suivant que le bassin versant est considéré dans l’espace comme une entité homogène, qu’il est divisé en sous unités supposées homo-gènes ou qu’il est finement discrétisé en mailles,
— cinématiques (descriptifs) ou dynamiques (explicatifs), suivant que l’évolution tempo-relle du système est simplement décrite ou mise en relation avec les forces qui la gé-nèrent.
Le cadre général de la modélisation de la relation pluie-débit à l’échelle du bassin versant peut être résumé en cinq étapes principales [Blöschl and Sivapalan, 1995; Refsgaard and Hen-riksen, 2004] : (1) collecter et analyser les données, (2) développer un modèle conceptuel qui décrit les caractéristiques hydrologiques du bassin, (3) traduire le modèle conceptuel en modèles mathématiques, (4) calibrer les modèles mathématiques sur une partie des données expérimen-tales et (5) valider le modèle sur une autre partie des données.

Modèles « boite noire » ou à fonction de transfert

Le bassin entier est considéré comme une « boite noire » qui transforme un signal d’entrée (pluie) en signal de sortie (débit). Cette approche ne nécessite aucune hypothèse ou connais-sance du système et consiste à identifier la fonction mathématique complexe qui relie la va-riable d’entrée avec la variable de sortie [Denic´-Jukic´ and Jukic,´ 2003]. Lorsqu’elle est couplée à l’étude de la chimie des eaux, une telle approche permet de caractériser une partie du fonc-tionnement hydrologique [Pinault et al., 2001]. Plus récemment, Labat et Mangin [2015] ont adapté l’utilisation de fonctions de transferts pour interpréter des données de traçage artificiel. Ils ont ainsi pu estimer les temps de résidence et quantifier les transferts lents et rapides au sein du système karstique du Baget.
Bien que ces modèles permettent d’estimer certaines valeurs caractéristiques de la réponse du système (vitesse de transfert et temps de résidence), ils s’appuient sur une approche globale. Ces modèles s’appuient sur des fonctions et des paramètres globaux sans grande signification physique ou ne pouvant pas être directement mis en relation avec des propriétés mesurables. La description du fonctionnement d’un système est donc purement mathématique [Ambroise, 1999].

Modèles distribués à base physique

Les modèles physiques spatialisés s’appuient sur la simulation numérique d’écoulements dans des modèles synthétiques. Ces modèles sont, au moins en théorie, plus efficaces que les modèles conceptuels globaux. Ils sont basés sur la prise en compte de processus physiques pour expliquer les débits au niveau de l’exutoire. Ces processus sont décrits à partir de paramètres physiques : conductivité hydraulique, emmagasinement, transmissivité, porosité efficace.
L’utilisation de ce type de modèle suppose deux hypothèses fortes :
— Le système étudié est discrétisé en mailles pour lesquelles les paramètres hydrodyna-miques (perméabilité, porosité, entre autres) sont supposés connus, soit par mesure di-recte soit par estimation.
— Les phénomènes d’écoulement sont correctement appréhendés, et les équations du mo-dèle traduisent numériquement la réalité des processus physiques.
Il est possible à partir d’un modèle de terrain synthétique (maillage 2D ou 3D) de procéder à des simulations numériques d’écoulement et de reconstituer des hydrogrammes. Ce sont es-sentiellement des calculs de type éléments-finis ou différences-finies pouvant être implémentés, par exemple, dans MODFLOW [Harbaugh, 2005].
Différents types de modèles physiques existent et se développent :
— Les modèles à milieux poreux équivalents dans lesquels les caractéristiques de l’aquifère sont moyennées. En raison de la forte hétérogénéité du karst, ces modèles ne sont pas efficaces pour la modélisation des aquifères karstiques.
— Les modèles à réseaux de fractures (le karst est représenté par un réseau de fractures dans une matrice imperméable).
— Les modèle à double porosité (le karst est représenté comme un assemblage de deux entités : un réseau de conduits et un réseau de fracture).
— Les modèles à triple porosité (le karst est représenté comme un assemblage de trois entités : un réseau de conduits, un réseau de fractures et une matrice perméable).
L’efficacité de ces modèles repose sur une bonne connaissance des paramètres pouvant in-fluencer le comportement hydrologique : densité de fractures, porosité, perméabilité. Tous ces paramètres peuvent être mesurés in-situ mais les volumes d’investigation ne sont pas représen-tatifs de l’aquifère karstique et de son hétérogénéité. Par ailleurs, du fait de sa structuration singulière, le karst présente de fortes hétérogénéités des champs de conductivité hydraulique. Une approche de type « milieu poreux équivalent » peut se révéler peu efficace dans l’étude des systèmes karstiques.

Modèles conceptuels à réservoirs

Un modèle conceptuel constitue une description de la réalité sous forme de descriptions ver-bales, d’équations, de relations et de lois censées décrire la réalité [Refsgaard and Henriksen, 2004]. Il s’agit d’une approche basée sur la perception du modélisateur des processus hydro-logiques et des simplifications que cela engendre. Un modèle conceptuel implique donc une hypothèse sur le fonctionnement hydrologique de l’objet étudié, c.-a-d.le bassin versant.
Les modèles à réservoirs s’appuient sur une représentation conceptuelle du système kars-tique : il s’agit d’un assemblage de réservoirs qui se vidangent les uns dans les autres. Chaque réservoir correspond à un compartiment et à un type d’écoulement dans le système. Ainsi les modèles conceptuels à réservoirs visent à modéliser le comportement hydrodynamique global d’un système karstique, sans tenir compte de la structuration interne du massif et de la réparti-tion spatiale des structures de drainage des eaux souterraines.
Les modèles conceptuels à réservoirs se basent sur des relations mathématiques qui relient le débit mesuré à l’exutoire avec le niveau piézométrique dans le réservoir. Certains modèles se basent sur des relation linéaires telle que la loi de Maillet [1905]. D’autres modèles plus récent se basent sur des relations non linéaires : BEMER [Bezes, 1976], TRIDEP [Padilla-Benitez, 1990], GR4J [Perrin, 2000] ou encore « Rainfall-Runoff » [Jukic´ and Denic´-Jukic,´ 2009].
De nombreux modèles conceptuels ont été développés pour essayer d’établir des relations pluie-débit en se basant sur une approche conceptuelle : Mero [Degallier, 1972], Crec [Guilbot, 1975], le modèle de Mangin [1975], GARDENIA [Thiéry, 1982], le modèle de Király [1998], MODALP [Arikan, 1988], MEDOR [Hreiche, 2003], VENSIM [Fleury et al., 2007].
Dans ces modèles, chaque réservoir est décrit par une variable (le niveau d’eau) et par deux types de paramètres (les coefficients de vidange des orifices et la hauteur de ces orifices dans le réservoir). Le fonctionnement est décrit par deux types d’équations [Ambroise, 1999; Roche, 1971] :
— une équation de bilan assurant la conservation de l’eau dans le réservoir en reliant ses variations de niveau aux flux entrants et sortants,
— une loi de vidange pour chaque orifice, dont le débit est généralement considéré comme une fonction puissance du niveau – avec le cas particulier très utilisé des réservoirs linéaires pour lesquels le débit est simplement proportionnel au niveau.
Tous ces modèles se différencient à la fois par le nombre de réservoirs et par le nombre de paramètres à ajuster. A titre d’exemple, le modèle Bemer comporte 5 réservoirs et 22 paramètres alors que le modèle VENSIM ne comporte que 2 réservoirs et 4 paramètres. L’augmentation du nombre de paramètres à ajuster dans les modèles conceptuels peut être source d’incertitudes sur les débits simulés en sortie [Perrin et al., 2001]. Toutefois, la complexification progressive des modèles permet de décrire plus précisément le fonctionnement du système.
L’approche conceptuelle basée sur la représentation du système karstique par des réservoirs pose deux problèmes majeurs : (1) la compartimentation du système, c’est à dire le choix du nombre de réservoirs et l’identification du rôle de chacun des réservoirs, et (2) la description des relations entre les différents réservoirs. Nous avons vu précédemment que ces relations peuvent être linéaires ou non selon les différents modèles qui ont été développés. Seuls les modèles les plus adaptés à la modélisation hydrodynamique des aquifères karstiques seront présentés ici.

Modèle de Fleury et al. [2007]

La structure du modèle est caractérisée par un réservoir de production, correspondant au sol, et deux réservoirs de routage : le premier réservoir génère des écoulements rapides, ca-ractéristiques des épisodes de crue, et le second génère un écoulement lent, caractéristique des périodes d’étiage et représentatif du tarissement des réserves de l’aquifère (figure 2.3). Le mo-dèle est calé au pas de temps journalier sur les sources sous-marines du pourtour méditerranéen [Fleury, 2005], sur la source de Fontaine de Vaucluse [Fleury et al., 2007] et sur la source du Lez [Fleury et al., 2009]. La structure du modèle a été adaptée au fonctionnement particulier des systèmes étudiés. Ainsi, dans le cas d’un aquifère dont la ressource est exploitée par des prélèvement par pompage, il est possible d’intégrer cela dans la structure du modèle [Fleury et al., 2009]. Par ailleurs, l’insertion de nouveaux réservoirs permet la distinction entre les infil-trations lentes et les infiltrations rapides. Ainsi, la structure globale du modèle de Fleury et al. [2007] peut être adaptée à la dynamique des aquifères.
Le calage des lois de vidange de chaque réservoir permet une reconstitution des débits à la source. Cela suppose que le bilan de masse est correctement contraint : le volume d’eau qui constitue la recharge du système doit être égal à la quantité d’eau qui en ressort, corrigé des variations de hauteur d’eau (et donc de volume) dans les différents réservoirs. Ce bilan de masse est fortement contraint par la détermination de l’aire d’alimentation du bassin versant. Celle-ci est prise en compte à la sortie du modèle pour réajuster les débits à la taille du bassin versant. Il s’agit d’une pratique courante dans les modèles conceptuels à réservoirs.

Modèle de Tritz et al. [2011]

Tritz et al. [2011] proposent un modèle conceptuel à deux réservoirs incluant un effet piston (figure 2.4). Cet effet piston permet de prendre en compte la dépendance du stockage d’eau dans la zone vadose au cycle climatique humide-sec [Lehmann et al., 1998].
Les deux réservoirs du modèle conceptuel sont décrits tels que le réservoir E correspond à l’épikarst et le réservoir L correspond à la zone noyée du système karstique.
Les relations entre les différents réservoirs sont décrites par Tritz et al. [2011] :
— Le réservoir épikarstique E reçoit un flux entrant de précipitation, noté P . Une partie des précipitations retourne dans l’atmosphère via l’évapotranspiration, notée ET .
— Une partie de la réserve contenue dans le réservoir E transite vers le réservoir L avec un débit QEL. Ce flux correspond à une alimentation classique de la zone saturée par l’épikarst.
— Lors que le système est saturé, au-delà d’un seuil Esec, une partie des eaux est drainée vers une ou plusieurs sources secondaires (trop-pleins) avec un débit Qsec.
— Un troisième chemin de drainage des eaux de l’épikarst est à prendre en compte. Une partie des eaux de l’épikarst peut être rapidement drainée vers la source via des ré-seaux de fractures. Les auteurs proposent alors une fonction de transfert incluant un effet d’hystérésis pour tenir compte de la réponse rapide du débit à la source à la suite d’évènements pluvieux.
— L’eau contenue dans la zone saturée L se décharge progressivement vers la source avec un débit QL en suivant une loi de décharge linéaire.

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Table des matières

I Introduction générale 
1 Les aquifères karstiques 
1.1 Definition
1.2 La karstification
1.2.1 Propriétés des roches carbonatées
1.2.2 Les processus de la karstification
1.3 Structure des aquifères karstiques
1.3.1 La zone d’alimentation
1.3.2 Le sol
1.3.3 L’épikarst
1.3.4 La zone de transmission
1.3.5 La zone noyée
1.4 Fonctionnement des aquifères karstiques
1.4.1 Les approches hydrodynamiques
1.4.2 Les approches hydrochimiques
2 Approche méthodologique et présentation des systèmes karstiques étudiés
2.1 Approche méthodologique globale
2.1.1 Problématiques
2.1.2 Mise en oeuvre des différentes approches
2.2 Présentations des systèmes karstiques étudiés
2.2.1 Le bassin versant karstique d’Aliou
2.2.2 Le bassin versant karstique du Baget
2.2.3 Synthèse hydrologique et hydrogéologique des deux bassins
II Etude de la dynamique des flux internes à l’échelle du bassin versant
1 Introduction
2 Hydrologie et hydrogéologie du karst
2.1 Le bassin versant hydrogéologique en tant que système
2.1.1 Définition du bassin versant
2.1.2 Spécificités des bassins versants karstiques
2.2 Modélisation de la relation pluie-débit
2.2.1 Classification des modèles pluie-débit
2.2.2 Modèles « boite noire » ou à fonction de transfert
2.2.3 Modèles distribués à base physique
2.2.4 Modèles conceptuels à réservoirs
3 Modélisation conceptuelle à réservoirs : KarstMod 41
3.1 Présentation du modèle
3.1.1 Les équations du modèle
3.1.2 Évaluation des performances du modèle
3.2 Dynamics of the flow exchanges between matrix and conduits in karstified watersheds at multiple temporal scales
3.2.1 Introduction
3.2.2 Material and Methods
3.2.3 Results and Discussion
3.2.4 Conclusions
4 Analyse multi-échelle des flux internes
4.1 Caractérisation multi-échelle des signaux hydrologiques
4.1.1 Analyses corrélatoires des variations temporelles de débits mesurés à l’exutoire
4.1.2 Analyse spectrale des débits mesurés à l’exutoire
4.1.3 Analyses en ondelettes des variations de débits à l’exutoire
4.2 Description de la dynamique interne des bassins
4.2.1 Décomposition de la réponse impulsionnelle du bassin
4.2.2 Caractérisation de la dynamique des échanges matrice-conduit
5 Synthèse
III Étude des processus de transport dissous en domaine karstique à partir de traçages artificiels 
1 Introduction
2 Développement méthodologique d’une approche fonction de transfert
2.1 Etat de l’art de l’interprétation des traçages en hydrologie karstique
2.1.1 Définitions et éléments de théorie
2.1.2 Les traceurs artificiels
2.1.3 Procédure d’injection
2.1.4 Sites d’échantillonnage et méthodes d’échantillonnage
2.1.5 Interprétation des opérations de traçage en hydrologie
2.2 État de l’art des traçages en génie des procédés
2.2.1 Définitions et éléments de théorie
2.2.2 Fonction de transfert
2.2.3 Modèles de réacteurs chimiques et fonction de transfert associée
2.3 Interprétation de traçages artificiels en domaine karstique par l’utilisation d’une fonction de transfert
2.3.1 Modèles conceptuels et fonctions de transfert associées
2.3.2 Comparaison avec une approche physique
3 Applications d’une approche fonction de transfert pour l’interprétation de traçages artificiels en domaine karstique
3.1 Artificial tracer tests interpretation using Transfer Function Approach (TFA) to study the Norville karst system
3.1.1 Introduction
3.1.2 Transfer Function Approach (TFA)
3.1.3 Study Site and Tracer Tests Campaign
3.1.4 Results and discussion
3.1.5 Conclusion
3.2 Short term variations of tracer tests responses in a highly karstified watershed
3.2.1 Introduction
3.2.2 Materials and methods
3.2.3 Studied area and tracer test campaign
3.2.4 Results
3.2.5 Discussion
3.2.6 Conclusion
3.3 Interprétation de traçages artificiels en domaine karstique par approche de type fonction de transfert : Application à l’hydrosystème karstique de l’Ouysse (Lot, France)
3.3.1 Introduction
3.3.2 Le système karstique de l’Ouysse, un fonctionnement complexe encore mal connu
3.3.3 Une approche innovante pour caractériser le transport dissous en souterrain dans les systèmes karstiques
3.3.4 Résultats et discussion
3.3.5 Conclusion
3.4 Autres applications d’une approche fonction de transfert
3.4.1 Base de données
3.4.2 Vers une nouvelle classification des systèmes karstiques
3.4.3 Description de la dynamique du transport dissous en domaine karstique
3.4.4 Décomposition de la réponse impulsionnelle d’un système traçage
4 Synthèse
IV Modélisation 3D des écoulements et spatialisation des processus de transport dissous 
1 Introduction
2 Contribution des méthodes géophysiques à la caractérisation des structures de drainage sur le bassin versant karstique du Baget
2.1 État de l’art de la géophysique appliquée à l’étude des systèmes karstiques
2.2 Les méthodes géophysiques utilisées
2.2.1 Tomographie de résistivité électrique
2.2.2 La méthode Slingram avec l’EM38
2.3 Acquisition et traitement des données géophysiques
2.4 Apport de la géophysique à la description de la structure interne du système
3 Modélisation 3D du transport dissous à partir de données de traçage artificiels
3.1 Approche méthodologique pour la modélisation 3D du transport dissous sur le bassin versant du Baget
3.1.1 Simulation des réseaux de conduits
3.1.2 Simulation des écoulements dans les conduits
3.1.3 Simulation du transport dissous
3.1.4 Tests préliminaires du couplage SKS – SWMM pour la modélisation 3D d’essais de traçage
3.2 Vers une caractérisation de la géométrie des conduits à partir des données de traçages artificiels
3.2.1 Analyse statistique des simulations
3.2.2 Comparaison avec les résultats d’une approche fonction de transfert
3.2.3 Discussion sur les limites de l’approche proposée
4 Synthèse
V Synthèse, discussion et perspectives 
Bibliographie

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