Étude des pratiques sur la détermination de l’aptitude au port de l’arme en gendarmerie

Comme son étymologie l’indique, l’arme est au cœur du métier de « gens-d’-armes » et consubstantiel son exercice. Cet outil de travail apparaît comme un symbole majeur d’appartenance à l’institution de la gendarmerie, représentant l’identité du gendarme aussi bien visuellement sur le ceinturon qu’éthiquement à travers une morale professionnelle commune. Cette notion de symbole identitaire est d’autant plus majorée dans le contexte sécuritaire actuel. En effet, pour lutter efficacement contre la menace terroriste et la prise à partie des forces de l’ordre, l’accès à l’arme en tout temps et tout lieu a été généralisé et légalisé. Deux acteurs sont impliqués dans les modalités de cet accès : le commandement et le Service de Santé des Armées, chacun ayant une responsabilité qui leur est propre dans l’acquisition et le maintien de l’arme de dotation chez le gendarme. Le commandement confie l’arme de service au gendarme, en s’assurant de sa formation et de sa compétence en la matière tandis que le médecin s’attarde à rechercher l’absence de contre-indication au port de l’arme. Le rôle de chacun s’articule de manière dynamique à chaque moment de la vie professionnelle du gendarme. Ainsi, le médecin des forces évalue, lors de la sélection puis de manière continue lors des visites médicales périodiques et plus globalement à chaque consultation, l’absence de non-contre-indication, physique comme psychique, au port de l’arme. Or, il s’avère que les conditions médicales concernant le port de l’arme ne sont pas explicites pour cause d’absence de texte réglementaire recouvrant cette décision complexe et multi-dimensionnelle (vulnérabilité individuelle, facteurs conjoncturels, évènement de vie, contexte professionnel etc.). La décision d’aptitude ou d’inaptitude doit donc se baser sur un entretien rigoureux prenant en compte de manière systématique le caractère précipitant d’une arme à proximité d’un geste hétéro ou auto-agressif. Même s’il existe des situations cliniques évidentes justifiant d’une inaptitude au port de l’arme, d’autres situations à bas bruits sont parfois plus difficiles à cerner pour les médecins des forces. L’évaluation psychique du gendarme doit donc être minutieuse et s’attarder à rechercher une possible vulnérabilité psychique potentialisée par l’ensemble des facteurs de stress auquel le gendarme est soumis dans l’exercice quotidien de son métier. L’intensité de cette vulnérabilité ainsi que son pronostic sont à corréler au risque du maintien de l’arme chez le patient sans certitude de l’absence de passage à l’acte, tout comme à contrario, en cas de retrait de l’arme trop précautionneux, au risque de stigmatisation et de perte de son emploi sur le terrain. Il s’agit alors pour le médecin des forces de définir le « risque acceptable » au maintien ou au retrait de l’arme. Cette décision ne peut être prise qu’au cas par cas et il s’agira alors d’interroger la subjectivité à l’œuvre dans cette décision, en analysant la façon de faire des médecins rompus à la pratique en gendarmerie, pour peut-être dégager des lignes de forces communes afin de guider la démarche aboutissant à la prise de décision médico-militaire. Nous tacherons au préalable de contextualiser cette étude en situant quelques notions sur l’arme et sa place en gendarmerie, les différents protagonistes impliqués, les facteurs de stress inhérents au milieu d’exercice et l’évaluation médicale d’une problématique psychique.

L’arme et la gendarmerie

Généralités : les armes et leurs cadres légaux 

Définition des armes et classification des armes 

Avant de commencer cette étude, il est nécessaire de s’intéresser à la définition d’une « arme ». Selon le Code pénal – Article 132-75 (1), « est une arme tout objet conçu pour tuer ou blesser. Tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes est assimilé à une arme dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer. (…) ».

Notion d’acquisition, de détention, de port d’arme et de transport d’arme 

Acquisition d’une arme
Selon le dictionnaire Larousse (3), l’acquisition d’une arme correspond au fait « d’obtenir » une arme et d’en « devenir propriétaire ».

Détention d’une arme
Selon le dictionnaire Larousse (3), la détention correspond au fait « d’avoir en sa possession » une arme. De manière plus précise, certains avocats, spécialistes du droit pénal, définissent (4) la « détention d’armes » comme le fait d’avoir « une arme chez soi ». Le Code de la sécurité Intérieure, au sein des articles L311-2 à L317-12 (5) cite pour chaque catégorie d’arme les personnes autorisées à détenir une arme et les différentes exceptions (catégorie A : uniquement les militaires en mission ; catégorie B : pratiquants licenciés du tir sportif, fonctionnaires et agents des administrations publiques exposés par leurs fonctions à des risques d’agression ; catégorie C : personnes ayant un permis de chasser, pratiquants licenciés du biathlon ou ball-trap, collectionneur).

Le port et le transport d’arme
Il faut considérer le « port d’arme » non pas comme le simple fait « d’avoir une arme sur soi » mais plutôt comme le « fait d’avoir une arme sur soi utilisable immédiatement », comme nous le précise Maître LIENARD, avocat spécialisé dans la défense des forces de l’ordre et auteur du livre « Force à la Loi » (4). C’est cette définition que nous retiendrons en effet pour la suite de notre analyse. Le transport d’arme quant à lui peut se définir (4) par le « fait de déplacer une arme en l’ayant auprès de soi et inutilisable immédiatement » soit par dispositif technique dédié soit par démontage d’une des pièces de sécurité.

La législation du Code de la Sécurité Intérieure se base sur un principe général d’interdiction concernant le port d’arme et le transport d’arme. En effet, l’article L 315-1 (6) précise que : « Sont interdits, sans motif légitime, le port et le transport des matériels de guerre, armes, munitions et de leurs éléments des catégories A, B et C, ainsi que des armes, munitions et de leurs éléments de la catégorie D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’Etat. ». Les exceptions à ce principe d’interdiction sont bien réglementées dans le même texte de loi (6) et concernent le cadre du loisir (permis de chasse, licenciés de tir, reconstruction historique) et le cadre professionnel.

Les exceptions dans le cadre professionnel, concernent « les fonctionnaires et agents des administrations publiques exposés par leurs fonctions à des risques d’agression ; ainsi que les personnels auxquels est confié une mission de gardiennage (…) peuvent être autorisés à s’armer pendant l’exercice de leurs fonctions, dans les conditions définies par décret en Conseil d’Etat. ».

Ainsi, les professions ayant le droit au port de l’arme sont nombreuses :
– Les militaires ;
– Les militaires de la Gendarmerie ;
– Les fonctionnaires de Police ;
– Les fonctionnaires des Douanes ;
– Les convoyeurs de fonds et de valeurs ;
– Les fonctionnaires des services pénitenciers ;
– Les personnels de sécurité particuliers (RATP, SNCF) ;
– Et les membres de certains offices nationaux.

Toutes ces professions sont rattachées à différents ministères : Ministère des Armées pour les militaires, Ministère de l’Intérieur pour les policiers et gendarmes (bien que ces derniers soient militaires), Ministère de l’Action et des Comptes publics, Ministère de la Justice, Ministère des Transports et Ministère de l’Environnement. Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive mais montre la complexité de rédiger des textes réglementaires concernant le port de l’arme alors même que le rattachement ministériel de ces professions est distinct. Pour ces professions, le droit au port d’arme n’est qu’un outil pour assurer leur mission commune à savoir la sécurité de la population. Elles sont parfois dotées, dans le cadre de leurs fonctions, d’une arme personnelle de service comme nous allons le voir pour le cas de la gendarmerie ci-après.

L’arme de dotation en gendarmerie : historique du cadre légal entre port d’arme et utilisation de celle-ci

L’arme de dotation : le Sig Sauer SP 2022 

En 2002, le Ministre de l’Intérieur lance un appel d’offres (7) pour une nouvelle arme de dotation commune au sein des forces de l’ordre alors qu’il existait jusque-là de nombreuses armes de poing différentes. C’est ainsi que les forces de l’ordre (policiers et gendarmes notamment) ont été dotés du pistolet semi-automatique Sig Sauer SP 2022. Ce pistolet semiautomatique, de catégorie B, a été retenu notamment pour ses nombreux dispositifs de sécurité : cran de sécurité du marteau, au verrouillage, à la percussion et la culasse « sécurité ». Même si policiers et gendarmes sont dotés depuis 2002 de la même arme de service, le cadre juridique encadrant le port de l’arme de la service et son utilisation n’a cependant été harmonisé que tardivement comme nous allons le voir dans la suite.

Cadre juridique encadrant l’arme de dotation 

L’historique du port de l’arme en gendarmerie : en service et hors service.
L’article L 315-1 du code de la Sécurité Intérieure (6) émet une exception concernant le port de l’arme de catégorie B pour « les fonctionnaires et agents des administrations publiques exposées par leurs fonctions à des risques d’agression » et autorisent ainsi les forces de l’ordre (policiers et gendarmes) à « s’armer pendant l’exercice de leurs fonctions » et assurer ainsi leurs missions au mieux. Si la question du port de l’arme en service pour les forces de l’ordre parait évidente et pleinement justifiée pour l’exercice de leurs métiers, la problématique du port de l’arme hors-service quant à elle, a été longtemps source de confusion.

Avant 2015, les textes de lois concernant le port de l’arme hors-service différaient selon la police ou la gendarmerie.
➤ Concernant la police nationale, l’arrêté du 6 juin 2006 (8) notifiait concernant l’arme horsservice : « lorsqu’il n’est pas en service, le fonctionnaire de police n’est autorisé à porter son arme que dans le ressort territorial où il exerce ses fonctions ou sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail. ».
➤ Les textes en gendarmerie avant 2015, élaborés sur des circulaires internes, ne précisaient pas la question du port de l’arme hors-service (4).

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Table des matières

I. INTRODUCTION
II. L’ARME ET LA GENDARMERIE
II.1. Généralités : les armes et leurs cadres légaux
II.1.1. Définition des armes et classification des armes
II.1.2. Notion d’acquisition, de détention, de port d’arme et de transport d’arme
II.1.2.1. Acquisition d’une arme
II.1.2.2. Détention d’une arme
II.1.2.3. Le port et le transport d’arme
II.2. L’arme de dotation en gendarmerie : historique du cadre légal entre port d’arme et utilisation de celle-ci.
II.2.1. L’arme de dotation : le Sig Sauer SP 2022
II.2.2. Cadre juridique encadrant l’arme de dotation
II.2.2.1. L’historique du port de l’arme en gendarmerie : en service et hors service.
II.2.2.2. Cadre légal de l’utilisation de l’arme en gendarmerie
II.2.2.3. Un cadre légal élargi : entre bénéfices et risques
III. LA PLACE DES DIFFERENTS ACTEURS DANS L’ACQUISITION DE L’ARME DE DOTATION ET LE MAINTIEN DU PORT DE L’ARME LE LONG DU PARCOURS DU GENDARME
III.1. La responsabilité institutionnelle
III.1.1. Le recrutement en gendarmerie
III.1.1.1. Les différentes voies de recrutement
III.1.1.2. Les tests de personnalité
III.1.1.3. Les entretiens de sélection
III.1.1.4. Les limites du recrutement
III.1.2. La formation initiale à l’arme de dotation
III.1.3. La formation continue à l’arme de dotation
III.2. Responsabilité médicale
II.2.1. Rôle du médecin d’unité en gendarmerie
II.2.2. Textes réglementaires encadrant l’aptitude en gendarmerie
II.2.3. Importance du contrôle médicale lors du recrutement : l’Expertise Médicale Initiale
II.2.4. Importance du contrôle médical en cours de carrière : la Visite Médicale Périodique
II.2.5. L’aptitude au port d’arme : entre théorie et pratique
IV. L’EVALUATION PSYCHIQUE EN GENDARMERIE : ELEMENTS ET OUTILS METHODOLOGIQUES A PRENDRE EN COMPTE SELON LES DONNEES DE LA LITTERATURE
IV.1. L’examen clinique en psychiatrie
IV.2. Comprendre la place de l’arme dans l’identité du gendarme
IV.3. Les facteurs de risques de troubles psychiques au sein de la gendarmerie
IV.3.1. Un rythme de travail générateur de stress
IV.3.2. Des contraintes liées à la disponibilité et la mobilité inhérentes au métier de gendarme
IV.3.3. Imbrication de la vie professionnelle et personnelle
IV.3.4. Confrontation quotidienne à la violence et à la mort
IV.3.5. Une nouvelle logique économique entraînant la fin d’un idéal de valeurs
IV.4. Les différents troubles psychiques en gendarmerie
IV.5. Le risque auto-agressif en gendarmerie
IV.5.1. Epidémiologie
IV.5.2. Méthode d’évaluation du risque suicidaire selon l’HAS : reconnaître la crise et apprécier la dangerosité
IV.5.2.1. Reconnaître la crise suicidaire
IV.5.2.2. Apprécier sa dangerosité et son urgence
V. OBJECTIFS DE L’ETUDE
V.1. Justification de l’étude et objectif principal
V.2. Intérêts de répondre à la question posée
V.3. Objectifs secondaires
VI. METHODOLOGIE
VI.1. Type de recherche
VI.2. Schéma de l’étude
VI.2.1. Recrutement de la population
VI.2.2. Préparation du guide d’entretien et étude de faisabilité
VI.2.3. Recueil des données
VI.2.4. Retranscription des données
VI.2.5. Analyse des données
VI.2.5.1. Analyse de contenu
VI.2.5.2. Traitement des données par logiciel : Classification hiérarchique descendante et analyse factorielle des correspondances
VI.3. Temporalité
VI.4. Considérations éthiques
VII. RESULTATS DE L’ETUDE
VII.1. Caractéristiques des entretiens et de la population étudiée
VII.1.1. Caractéristiques de la population étudiée
VII.1.2. Caractéristiques des entretiens
VII.2. L’analyse de contenu
VII.2.1. Rapport et ressenti du médecin d’unité quant à l’aptitude au port de l’arme
VII.2.2. Environnement et gestion des troubles psychiques en gendarmerie
VII.2.3. La détermination de l’aptitude ou inaptitude au port de l’arme
VII.2.3.1. L’aptitude/ l’inaptitude au port de l’arme
VII.2.3.2. Les freins possibles à la prise de décision d’une inaptitude
VII.2.3.3. La réévaluation après une exemption de port de l’arme
VII.2.4. Les relations interprofessionnelles autour de cette aptitude
VII.2.4.1. Interaction avec le monde civil
VII.2.4.2. Interaction avec le psychiatre militaire
VII.2.4.3. Interaction avec le commandement
VII.2.5. Approfondissement et axes d’améliorations proposés
VII.3. Compléments d’analyse lexicale à l’aide du logiciel Iramuteq
VII.3.1. Analyse par CHD
VII.3.2. Interprétation du dendrogramme de la CHD
VII.3.3. Complément d’analyse par AFC
VII.3.3.1. Représentations graphiques des AFC obtenues
VII.3.3.2. Interprétation des axes et des différents quadrants
VII.3.3.3. Description des résultats obtenus
VII.3.3.4. Interprétation des résultats
VII.3.4. Conclusion de l’analyse lexicale
VIII. DISCUSSION
VIII.1. Validité de l’étude
VIII.1.1. Limites de l’étude
VIII.1.2. Forces de l’étude
VIII.2. Discussion des résultats
VIII.3. Pistes de réflexion
IX. CONCLUSION

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